Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-5, 24 juin 2021, n° 18/18127

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Chronologie de l’affaire

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www.cadreaverti-saintsernin.fr · 26 avril 2023

CADRE AVERTI Peut-on faire annuler, pour harcèlement moral, une rupture conventionnelle que l'on a demandée ? Publié le 26/04/2023 Il est possible de faire annuler une rupture conventionnelle si celle-ci a été obtenue sous la contrainte ou en raison d'un vice du consentement. Par un arrêt du 1er mars 2023 (21-21.345) la Cour de Cassation confirme qu'en cas de harcèlement moral le consentement du salarié à la rupture conventionnelle peut être vicié, même si c'est lui qui l'a demandée. La rupture conventionnelle est alors annulée et le salarié peut prétendre aux indemnités du licenciement …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4-5, 24 juin 2021, n° 18/18127
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 18/18127
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Grasse, 9 octobre 2018, N° 17/00249
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2021

N° 2021/

AL

Rôle N°18/18127

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLEW

F X

C/

S.A.S. SOPHIA CONSEIL

Copie exécutoire délivrée

le : 24/06/2021

à :

— Me Manuella GUERRE DELGRANGE, avocat au barreau de GRASSE

— Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 10 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00249.

APPELANTE

Madame F X, demeurant résidence les […]

représentée par Me Manuella GUERRE-DELGRANGE, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

S.A.S. SOPHIA CONSEIL, sise […]

représentée par Me Magali BOUTIN, avocat au barreau de NICE

et par Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Mariane ALVARADE, Conseiller

Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2021. Le 10 juin 2021, le délibéré a été prorogé au 24 juin 2021.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2021

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

Par contrat à durée indéterminée, avec effet au 3 novembre 2010, la société par actions simplifiée Sophia Conseil a embauché Mme F X en qualité de chargée de recrutement. Le 28 juin 2013, elle a été promue ingénieure d’affaires junior. Un avertissement lui a été infligé le 8 juillet 2013, pour avoir tenu des propos déplacés et vulgaires devant ses collègues de travail. Puis, au mois d’avril 2014, elle est devenue responsable du service du recrutement et d’accompagnement des ressources humaines.

Le 5 juin 2014, les parties ont conclu une convention de rupture de son contrat de travail, homologuée tacitement. Mme X a reçu son solde de tout compte le 31 juillet 2014.

Exposant avoir été victime de harcèlement moral, et soutenant que la rupture de son contrat de travail doit être requalifiée de ce chef en licenciement nul, Mme F X a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse, le 24 mars 2015, à l’effet d’obtenir le paiement de diverses indemnités. Par jugement du 10 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Grasse a rejeté ses demandes et a laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Mme F X a relevé appel de cette décision par déclaration du 16 novembre 2018.

La mise en état de l’affaire a été clôturée par ordonnance du 11 mars 2021.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions du 21 septembre 2020, Mme F X expose :

— sur l’avertissement du 8 juillet 2013,

— que la lettre de sanction ne précise pas les propos qui lui sont prêtés,

— qu’en réalité, elle s’était opposée à son supérieur hiérarchique, dont elle souhaitait s’éloigner,

— qu’un salarié atteste du fait que son comportement n’était pas fautif,

— que cette sanction s’inscrit dans un programme plus large visant à remédier à une baisse générale des performances, plusieurs salariés des diverses agences de la société ayant été également sanctionnés,

— qu’en tout état de cause, dans le contexte du harcèlement dont elle était victime, les propos qui lui sont prêtés n’étaient pas injurieux,

— que son collègue, M. Y, n’a pas été sanctionné alors même qu’il tenait des propos racistes à son égard, dans les locaux de l’entreprise,

— que cette sanction injustifiée doit donc être annulée,

— que la somme de 6 000 euros doit lui être allouée à titre de dommages et intérêts de ce chef,

— sur le harcèlement moral,

— qu’elle produit des attestations de plusieurs collègues : MM. H I, J K, L M, AI AJ-AK, N O, et Z, qui attestent des propos racistes, misogynes, et insultants tenus à son endroit par son supérieur hiérarchique, M. A,

— que ce dernier lui a adressé, ainsi qu’à d’autres collaborateurs, des messages particulièrement déplacés,

— qu’il a également exercé des pression à son égard, en lui demandant notamment un compte-rendu détaillé de ses actions journalières, et en lui présentant fréquemment des réclamations urgentes,

— que ses collègues, Mmes B et C, attestent de la dégradation des conditions de travail au sein de la société Sophia Conseil,

— que Mme D, et les collaborateurs précédemment désignés, attestent en outre de l’altération de son état de santé qui en est résultée,

— que les attestations adverses n’émanent pas de salariés en contact avec elle,

— que le fait que la société Sophia Conseil ait reçu une récompense pour la qualité de son ambiance de travail est indifférent,

— que le harcèlement est constitué, et justifie une indemnisation à hauteur de 20 000 euros,

— sur la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement nul,

— en droit, que, si la volonté de rompre le contrat de travail trouve sa cause dans l’intention unilatérale d’y mettre fin pour un motif exclusivement propre à l’employeur, la convention de rupture constitue un licenciement qui, en l’absence de suivi de la procédure légale, est dénué de cause réelle et

sérieuse,

— que le consentement du salarié à la rupture est vicié lorsque la convention a été conclue sous l’empire d’une crainte, ou à la suite de pressions de l’employeur,

— en fait, que les pièces produites démontrent que son consentement a été vicié,

— qu’un seul entretien a été organisé, le 5 juin 2014,

— qu’après la rupture de son contrat de travail, elle a alterné les périodes d’emploi et de chômage,

— qu’elle n’a retrouvé un emploi stable qu’au mois de mars 2019,

— que son préjudice est donc important,

— qu’il sera justement indemnisé par la somme de 36 000 euros,

— qu’en outre, elle est fondée à réclamer une indemnité de préavis,

— sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

— que la société intimée n’a pris aucune mesure pour prévenir le harcèlement dont elle a été victime,

— que M. Y n’a pas été sanctionné, alors qu’il avait proféré des injures racistes à son encontre.

Du tout, Mme X sollicite :

— l’infirmation du jugement du 10 octobre 2018,

— l’annulation de l’avertissement du 8 juillet 2013,

— la requalification de la rupture conventionnelle de son contrat de travail en licenciement nul,

— le paiement des sommes suivantes :

—  6 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’avertissement du 8 juillet 2013,

—  20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

—  36 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

—  8 949,99 euros à titre d’indemnité de préavis,

—  894,44 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,

—  6 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

— les intérêts au taux légal produits par les sommes dues, à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

—  3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— la rectification de son attestation Pôle Emploi, de son certificat de travail et de son dernier bulletin

de salaire,

— la condamnation de la société intimée à exécuter le présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé le délai de quinze jours à compter de sa notification, la cour devant se réserver le pouvoir de liquider cette astreinte.

En réponse, la société Sophia Conseil fait valoir, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2019 :

— sur l’avertissement du 8 juillet 2013,

— que Mme X avait tenu des propos injurieux et déplacés dans l’entreprise, le 3 juillet 2013,

— qu’elle n’a pas contesté l’avertissement qui lui a été notifié, et n’a pas nié avoir tenu les propos sanctionnés,

— que cet avertissement était donc justifié,

— sur le harcèlement moral,

— que la salariée n’a jamais fait état de difficulté significative,

— que les agissements répétés, la dégradation des conditions de travail et le dommage subi ne sont pas caractérisés,

— que les courriers électroniques produits par la salariée sont antérieurs à la rétractation de sa démission,

— que la société est labellisée 'Great place to work’ du fait de l’absence de discrimination et de son 'management de l’équité',

— qu’une enquête interne démontre que 77 % des salariés de l’entreprise considèrent que l’ambiance de travail y est conviviale,

— qu’elle produit en ce sens trois attestations,

— que les attestations adverses émanent de salariés qui ne travaillaient pas avec Madame X,

— que ces attestations confirment que les propos dénoncés pouvaient revêtir un caractère humoristique,

— que les éléments présentés par la salariée ne sont pas probants,

— que la salariée elle-même usait du même type d’humour, notamment à l’égard de ses collègues, et avec son responsable d’agence,

— qu’elle a elle-même transmis des vidéos grivoises à d’autres salariés,

— qu’elle était appréciée pour son travail, et a reçu à plusieurs reprises des félicitations et des encouragements,

— que les propos de M. Y ne constituent qu’une plaisanterie de mauvais goût, dans le cadre d’une relation professionnelle cordiale,

— qu’il a été mis en garde, et s’est excusé,

— que la réalité des pressions dénoncées n’est pas établie,

— que le harcèlement moral n’est donc pas constitué,

— que le préjudice allégué n’est pas prouvé,

— que Mme X a été déclarée apte sans réserve par le médecin du travail,

— sur la rupture conventionnelle,

— que le vice du consentement n’est pas caractérisé,

— qu’elle a confirmé, dans la convention de rupture, être à l’initiative de cette opération,

— sur les demandes d’indemnisation,

— que le préjudice subi du fait de l’avertissement litigieux n’est pas établi,

— que la somme réclamée à titre d’indemnité pour licenciement nul est excessive, – qu’aucune indemnité de préavis n’est due en cas de rupture conventionnelle,

— que la salariée, n’ayant pas signalé à sa direction les faits de harcèlement moral qu’elle dénonce, est mal fondée à demander la réparation du dommage prétendument subi du fait de l’absence de mise en oeuvre de mesures préventives.

En conséquence, la société Sophia Conseil conclut à la confirmation du jugement entrepris, et sollicite la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes liées à l’exécution du contrat de travail

Sur l’avertissement du 8 juillet 2013

L’avertissement du 8 juillet 2013 est ainsi libellé :

'Mademoiselle,

Vous avez été engagée par la Société le 3 novembre 2010 sous contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet. Actuellement, vous occupez le poste de Responsable de recrutement.

Le mercredi 3 juillet dernier nous avons eu à déplorer un comportement inapproprié de votre part. En effet, vous avez proclamé à voix haute des propos déplacés et vulgaires au sein de l’espace de travail commun et ce, devant vos collègues de travail.

Ce jour-là, vous êtes entrée dans l’open space en relatant des propos injurieux envers un manager ainsi que votre Direction.

Nous ne pouvons accepter un tel comportement de votre part c’est la raison pour laquelle devez donc considérer la présente comme un avertissement.

Nous vous invitons à reprendre votre langage ainsi que de veiller au respect de vos collègues de travail tout comme celui de votre hiérarchie.

Nous espérons vivement que l’attitude que vous avez eu était qu’un incident et que vous adapterez votre communication à l’avenir.

(…)'

L’article L 1333-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Le motif d’une sanction doit être suffisamment explicité pour permettre au salarié d’apporter une contradiction utile aux allégations de son employeur, et au juge de vérifier la réalité des manquements reprochés.

En l’espèce, Mme F X soutient que l’avertissement litigieux est injustifié en ce que les faits reprochés ne sont pas suffisamment définis, et ne sont pas prouvés. En réponse, l’employeur ne produit qu’un seul élément de preuve, un courrier électronique de M. P A du 3 juillet 2013, qui mentionne : 'est-ce que as donc senti une seule fois ce que tu m’as dit tout à l’heure : 't’es content, tu m’as niqué'…' (pièce 8). Ce seul courrier électronique ne constitue pas une preuve suffisante des faits reprochés. En conséquence, l’avertissement en cause doit être annulé. En revanche, Mme X ne démontre pas avoir subi un préjudice réel et certain du fait de cette sanction. Sa demande de dommages et intérêts doit donc être rejetée.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'. L’article L 1154-1 charge le salarié d’établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement. Il appartient alors au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Le cas échéant, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme alors sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, Mme F X produit les pièces suivantes, à l’appui de ses allégations de harcèlement moral :

— des attestations de MM. AL-H I, J K, AH L M, AI AJ-AK, N O, et Q Z, et de Mmes R D, S C, T U, V W, AA AB, AC AD, qui attestent de comportements et de propos déplacés à son égard, tenus par son supérieur hiérarchique, M. A, ou par son collègue, M. Y, et notamment :

— celle de Mme R D qui indique : 'Je me rappelle d’un soir où elle m’a appelé en donnant suite à des mails déplacés de ses collègues de travail. Ils lui avaient notamment transmis un lien vers un site de prostitution en lui suggérant une reconversion professionnelle. Elle m’a également contacté un jour de mai 2014 en fin de journée. (…) Elle était complètement bouleversée par un événement qui venait de se produire à Sophia Conseil. (…) Elle m’a fait part des propos à son encontre de la part de son collègue de travail. En effet, son collègue lui a explicitement dit 'tu n’as pas de leçon à donner sauf sur les tajines vu que t’es une arabe'. (…) Et le pire c’est que personne n’a réagi au sein de l’entreprise (…)',

— celle de M. J K, qui déclare : 'Salarié durant la période du 14 mars 2011 au 11 mars

2014 en tant qu’ingénieur d’étude et recherche puis responsable technique bureau d’étude industriel, atteste avoir entendu et vu M. P A (Responsable d’agence) d’avoir tenu des propos racistes 'la bougnoule la magrébine’ à plusieurs reprises pour nommer Melle F X devant ses collègues dans l’open space, lors de mes passages au site de Sophia Conseil (…)'

— celle de M. AH L M, qui fait état de 'réflexions régulières sur le fait qu’elle ne soit pas française, qu’elle soit une femme', et qui précise : 'ces propos tenus par sa hiérarchie directe ainsi que par ses collègues étaient fréquents et même quotidiens',

— celle de Mme V W, employée à l’agence lyonnaise de la société Sophia Conseil qui évoque des 'mails diffusant des photos de femmes dénudées', des 'remarques sexistes’ de son supérieur hiérarchique, et un contexte général de 'pression (…) et d’attitude dévalorisante',

— celle de M. AI AJ-AK, qui déclare : 'j’ai été choqué par les propos racistes régulièrement tenus en open space. Ceci touchait des personnes en contact avec l’entreprise ou des salariés. Ayant travaillé plus particulièrement avec Mme B et Mme X respectivement d’origine asiatique et maghrébine, qui ont rapidement été surnommées par le directeur d’agence avec des termes tels que : l’Asiat, Katsuni, la Low cost, l’Arabe, la Bougnoule. C’est vrai, ce n’était pas grand chose, mais c’était quotidien, plusieurs fois par jour, et tout simplement rentré dans les habitudes. Cette ambiance générale devenait difficile à vivre pour ceux qui pouvaient subir toutes ces remarques désobligeantes',

— celle de M. N O, qui énonce : 'j’ai été témoin à de multiples reprises de propos très déplacés et dégradants à l’encontre de F X à caractère misogyne, sexuel et xénophobe', et qui ajoute que 'F B a même été complètement mise à l’écart par P A qui ne lui adressait plus la parole et lui refusait également toute communication écrite. Tout a été mis en oeuvre pour l’isoler, la perturber et la pousser à signer une rupture conventionnelle',

— celle de M. Q AE, qui indique : ' au mois de mai 2014 et suite aux événements avec Matthieu Y, j’ai vraiment vu F au plus mal. Sans pour aurant que Monsieur A ou Monsieur E s’en inquiètent. Bien au contraire, il semblait davantage soutenir Matthieu alors que celui-ci reconnaissait ouvertement avoir tenu des propos racistes à l’encontre de F. En effet, celui-ci m’a confirmé avoir tenu ces propos dans le cadre d’une discussion que j’ai eu avec lui au mois de mai 2014. Il m’a également affirmé avoir le soutien de la direction et que AF AG, directrice générale lui aurait dit qu’il fallait 'se débarrasser’ de F car elle allait 'les mettre dans la merde avec ses histoires de racisme. Les jours qui ont suivi cette conversation, Monsieur A n’adressait plus la parole à F, ignorait ses mails et ses demandes de RDV',

— divers échanges de courriers électroniques avec son supérieur hiérarchique, M. P A, dont :

— un courrier électronique du 10 octobre 2012, qui lui est adressé, et qui mentionne: 'C’est une logan de luxe cette F ! Avec clim en option… Comme les parisiens…',

— divers courriers électroniques réclamant l’exécution de tâches en urgence,

— un courrier électronique du 18 avril 2012, contenant des captures d’écran de petites annonces ou vidéos d’ordre pornographique,

— des courriers électroniques des 6 juillet 2011 et 30 mars 2012 contenant les liens d’un site d’annonce d''escort', et d’un site pornographique.

Ces pièces démontrent la matérialité de faits précis et concordants. Ceux-ci, pris ensemble, laissent présumer l’existence d’agissements répétés de harcèlement moral, ayant pour objet ou pour effet une

dégradation des conditions de travail de la salariée, susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Ainsi, Mme X rapporte la preuve qui lui incombe.

En réponse, l’employeur produit diverses pièces qui démontrent, premièrement, que Mme X a reçu à plusieurs reprises des encouragements et des félicitations de son supérieur hiérarchique, deuxièmement, qu’elle pouvait user elle-même d’un ton familier, notamment à l’égard de ce dernier, troisièmement, que des courriers électroniques cordiaux ont été échangés avec celui-ci, quatrièmement, que l’entreprise a reçu un label d’excellence en matière d’ambiance de travail et d’absence de discrimination.

Ces éléments ne prouvent pas l’absence de harcèlement. Le fait, notamment, que Mme X ait pu prendre part aux plaisanteries qui avaient cours dans l’entreprise selon les attestations produites, n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité. De même, le fait que les relations de la salariée avec M. P A aient pu être bonnes, voire amicales, ne prouve pas que les remarques déplacées dont font état les attestations susdites aient toujours été faites dans ce cadre amical. Enfin, l’attribution d’un label d’excellence en matière d’ambiance de travail et d’absence de discrimination ne porte que sur un contexte général, et non sur le cas particulier de la relation de travail de Mme X. De surcroît, les pièces produites par la salariée démontrent au contraire la tenue de propos qui, en dépit de leur ton, sont de nature discriminatoire. Il s’ensuit que l’employeur échoue à rapporter la preuve qui lui incombe. Par suite, le harcèlement est caractérisé. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

Au vu des pièces produites, le préjudice subi par Mme F X du fait de ce harcèlement n’est pas mineur. Ses collègues de travail qui ont rédigé les attestations susvisées font état de propos déplacés réguliers, voire quotidiens. En outre, il est établi qu’elle a tardé à retrouver un emploi stable. En conséquence, la somme de 5 000 euros sera allouée à Mme X en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement dont elle a été victime.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail, lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Si le harcèlement retenu caractérise un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, Mme X ne démontre pas avoir subi un préjudice indépendant, de ce chef, de celui qui sera indemnisé par la somme allouée en réparation du préjudice subi du fait dudit harcèlement. Dès lors, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de ce chef.

Sur les demandes liées à la rupture du contrat de travail

Sur la nullité du licenciement

Aux termes de l’article L 1152-2 du code du travail, 'aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés'.

Le harcèlement moral concomitant à l’engagement d’une procédure de rupture conventionnelle n’en affecte la validité qu’en cas de vice du consentement. Si, à la date de signature de la convention de

rupture, la salariée se trouve dans une situation de violence morale en raison du harcèlement dont elle était victime, et des troubles psychologiques qui en ont résulté, le vice du consentement est caractérisé, et la convention de rupture doit être annulée.

En l’espèce, Mme X a été victime de harcèlement. A la date de signature de sa convention de rupture, elle se trouvait dans une situation de violence morale de nature à vicier son consentement. Dès lors, ladite convention de rupture doit être annulée. Le jugement entrepris sera également infirmé de ce chef.

Sur les indemnités dues

Mme F X était âgée de 26 ans à la date de rupture de son contrat de travail. Son ancienneté dans l’entreprise était de 3 ans et 9 mois, et son salaire mensuel brut moyen, au cours de ses douze derniers mois de fonctions, était de 2 983,33 euros.

Selon l’article L 1235-11 alinéa 2 du code du travail, dans sa version applicable à la date de la rupture, 'lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois'. Il s’ensuit que la société Sophia Conseil doit être condamnée à verser à Mme X la somme de 35 799,96 euros en réparation du préjudice subi du fait de la nullité de la convention de rupture.

Mme X est également fondée à réclamer une indemnité compensatrice de préavis de 8 949,99 euros bruts, et une indemnité de congés payés sur préavis de 894,99 euros.

Les sommes dues, de nature indemnitaire, produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément à l’article 1231-7 du code civil.

En outre, la société Sophia Conseil doit être condamnée à remettre à Mme X une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés conformément au présent arrêt.

En revanche, il n’y a pas lieu d’assortir l’exécution du présent arrêt d’une astreinte. La demande de ce chef sera donc rejetée.

Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu’il a condamné Mme X aux dépens. La société Sophia Conseil sera ainsi condamnée au dépens de première instance et d’appel. Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de l’appelante les frais irrépétibles exposés en la cause. La société Sophia Conseil sera donc condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Infirme le jugement entrepris, rendu par le conseil de prud’hommes de Grasse le 10 octobre 2018,

Et, statuant à nouveau,

Annule l’avertissement notifié le 8 juillet 2013 par la société Sophia Conseil à Mme F X,

Rejette la demande de dommages et intérêts pour sanction abusive présentée par Mme F X,

Annule la rupture conventionnelle de 5 juin 2014,

Condamne la société Sophia Conseil à verser à Mme F X les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :

—  5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

—  35 799,96 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la nullité de la convention de rupture du 5 juin 2014,

—  8 949,99 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

—  894,99 euros bruts à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,

Condamne la société Sophia Conseil à remettre à Mme F X une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés conformément au présent arrêt,

Rejette la demande d’astreinte,

Condamne la société Sophia Conseil aux dépens de première instance et de la procédure d’appel,

Condamne la société Sophia Conseil à verser à Mme F X la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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