Cour d'appel de Paris, 2 octobre 2015, n° 13/17384

  • Cliniques·
  • Médecin·
  • Consultation·
  • Rupture·
  • Sociétés·
  • Chirurgien·
  • Réparation·
  • Préjudice moral·
  • Dommages et intérêts·
  • Activité

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, 2 oct. 2015, n° 13/17384
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/17384
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 3 juillet 2013, N° 12/05791

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 2

ARRÊT DU 02 OCTOBRE 2015

(n° 2015-241, 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/17384

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juillet 2013 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 12/05791

APPELANTS

Monsieur G B

né le XXX à AMIENS

XXX

92300 LEVALLOIS-PERRET

SELARL du docteur B

prise en la personne de son représentant légal

RCS : 501 792 527

XXX

XXX

Représentés et assistés par Me David-Benjamin MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1990

INTIMÉE

XXX

prise en la personne de son représentant légal

RCS : 394 168 926

XXX

XXX

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Jean-Christophe ANDRE de la SCP DDG DEPREZ-GUIGNOT et Associés, avocat au barreau de Paris, toque P 221

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 juillet 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Malika ARBOUCHE

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère pour la présidente empêchée et par Madame Malika ARBOUCHE, greffier.

*****

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. G B, médecin exerçant depuis 2007 dans la clinique exploitée par la société CHALLENG’HAIR et ayant pour activité la greffe de cheveux, est entré en conflit avec M. A, nouveau dirigeant de la clinique depuis juin 2011, et a mis fin à sa collaboration avec la clinique suivant courrier du 25 septembre 2011 en invoquant l’impossibilité de poursuivre celle-ci en raison des conditions de travail.

M. G B et la SELARL du Docteur B ont fait assigner la société CHALLENG’HAIR devant le tribunal de grande instance de Paris suivant acte d’huissier en date du 2 avril 2012 pour voir dire qu’elle est responsable de la rupture du contrat et obtenir sa condamnation à payer la somme de 140.000 euros à la SELARL du Docteur B en réparation du préjudice matériel subi et celle de 40.000 euros à M. G B en réparation de son préjudice moral, outre une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société CHALLENG’HAIR a formé une demande reconventionnelle à l’encontre de M. G B pour avoir paiement d’une somme de 60.264,43 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et d’une somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, sauf à parfaire, invoquant la responsabilité de M. G B à l’origine de la résiliation et son caractère brutal et sans préavis.

Par jugement en date du 4 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Paris a débouté les demandeurs de toutes leurs prétentions, considérant que le désaccord sur la politique de la clinique ne pouvait justifier une rupture sans préavis à défaut de démontrer l’existence d’éléments accréditant l’impossibilité de la poursuite par le Dr B de son activité et qu’il n’était pas démontré que les dysfonctionnements attestés par Mme X concernant l’absence de statut de médecin de M. A (contre lesquels le Dr B ne justifiait pas avoir protesté avant la rupture) rendaient impossible son exercice professionnel.

Il a par contre retenu que le départ brutal de M. G B avait entraîné une certaine désorganisation dans la clinique et a condamné in solidum celui-ci et la SELARL du Docteur B à payer à la société CHALLENG’HAIR une somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et une somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

M. G B et la SELARL du Docteur B ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 28 août 2013.

Par ordonnance en date du 13 février 2014, le conseiller de la mise en état, saisi par les appelants d’une demande de sursis à statuer dans l’attente de l’issue de l’instance pénale pendante devant la 31e chambre 1re section du tribunal de grande instance de Paris, a rejeté la demande en retenant qu’il n’était pas établi que l’issue de l’instance pénale pourrait avoir une réelle influence sur la solution du litige civil et que le sort de la citation à comparaître le 18 février 2014 n’était pas connu.


M. G B et la SELARL du Docteur B, aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 16 juin 2015, demandent à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris déféré et statuant à nouveau,

Dire que la rupture du contrat existant entre M. G B et la SELARL du Docteur B d’une part, et la société CHALLENG’HAIR d’autre part, était justifiée en raison des fautes commises par la société CHALLENG’HAIR rendant impossible la poursuite par le Dr B de son activité professionnelle au sein du centre CHALLENG’HAIR,

Condamner la société CHALLENG’HAIR à verser à la SELARL du Docteur B la somme de 280.000 € à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice matériel et à M. G B celle de 40.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices moraux,

Rejeter les demandes reconventionnelles de la société CHALLENG’HAIR,

Condamner la société CHALLENG’HAIR à rembourser à M. G B les sommes versées en exécution du jugement dans le cadre de son exécution provisoire, et à verser une somme de 10.000 € à chacun des deux concluants en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent que M. G B exerce en qualité de chirurgien au travers de la SELARL du Docteur B et collaborait depuis 2007 avec un centre de greffe capillaire sis XXX à Paris qui est un établissement secondaire de la société CHALLENG’HAIR ; que M. A a repris en direct l’exploitation de ce centre en juillet 2011 et, malgré le fait qu’il n’est pas médecin, a procédé à des consultations, posé des diagnostics, prescrit des examens sanguins et décidé d’interventions, ce qui constitue l’exercice illégal de la médecine ; que ces faits résultent des déclarations mêmes de M. A dans ses courriers du 16 juillet 2011 et du 16 août 2011 ainsi que des témoignages et attestations ; que, contrairement à ce que soutient la clinique, le diagnostic des maladies du cuir chevelu et leur traitement constituent des actes médicaux et c’est ce qui a été jugé par le tribunal correctionnel ; que le Dr. B s’exposait lui-même à la commission de ce délit dès lors qu’il prêtait son concours à cette pratique et qu’il lui était impossible de travailler dans ces conditions ; que M. A a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris le 9 mars 2015 pour exercice illégal de la médecine.

Le Dr B ajoute qu’il a refusé d’opérer des patients qui n’avaient été vus que par M. A ; que la société CHALLENG’HAIR se livrait à d’autres pratiques illégales ou anti-déontologiques : publicité trompeuse autour de la technique FUE Régul, pressions sur les médecins pour choisir le traitement FUE (choix justifié par l’augmentation des profits plus que par l’intérêt des patients) portant ainsi atteinte à son indépendance professionnelle et au libre choix de ses prescriptions, défaut d’information du patient par le médecin responsable de l’intervention en violation de l’article L 6322-2 du code de la santé publique, défaut de respect du délai de réflexion de 15 jours de l’article D 6322-30 du code de la santé publique et emploi de personnel non qualifié ou irrégulier.

Il prétend que ces fautes sont directement à l’origine de la rupture de la relation contractuelle, que les irrégularités avaient déjà été dénoncées et avaient donné lieu à une «franche explication » en septembre 2011, qu’il ne pouvait être question pour lui d’accorder un préavis et que son départ était, sinon programmé, du moins parfaitement anticipé, puisqu’un nouveau médecin était prêt à le remplacer dès le 26 septembre 2011.

Le Dr B et la SELARL du Docteur B réclament réparation de leurs préjudices ainsi chiffrés : perte de chiffre d’affaires de la SELARL de l’ordre de 140.000 euros par an, soit donc une somme de 280.000 euros pour les deux années ayant suivi la rupture ; dégradation brutale des conditions de travail et situation de précarité attestées par divers témoins pour le Dr B justifiant une somme de 40.000 euros de préjudice moral

La société CHALLENG’HAIR, suivant ses dernières écritures signifiées le 4 juin 2015, demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. G B et la SELARL du Docteur B de l’ensemble de leurs demandes et jugé que la rupture des relations contractuelles par M. G B était fautive,

A titre subsidiaire, si le jugement devait être infirmé sur ce point, dire que M. G B et la SELARL du Docteur B ne justifient pas d’un lien de causalité entre leur préjudice, qu’il soit matériel ou moral, et les fautes reprochées à la société CHALLENG’HAIR, et débouter en conséquence les appelants de toutes leurs demandes,

Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que M. G B avait résilié le contrat de manière fautive et y ajoutant sur le quantum des dommages et intérêts, le condamner à lui payer la somme de 60.264,43 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, et celle de 70.000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Condamner M. G B et la SELARL du Docteur B solidairement à lui verser une somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle explique que M. A – qui n’est pas médecin mais est reconnu mondialement comme un spécialiste de la correction de la calvitie – a repris en main la direction de l’établissement de l’avenue des Ternes en juillet 2011 ; qu’il a manifesté sa volonté de mettre en place une nouvelle technique de greffe de cheveux dite FUE (Follicular Unit Extraction) qui constitue une grande avancée car elle ne laisse pas de cicatrice et entraîne des risques post-opératoires mineurs par rapport à la technique de la FUT, même si elle est moins valorisante pour le médecin dont le rôle est minoré, raison pour laquelle le Dr B a à plusieurs reprises refusé de la pratiquer, obligeant les patients demandeurs de cette technique à s’adresser à un établissement concurrent ; qu’il a également réorganisé la gestion du personnel qui a été accueillie favorablement, sauf par certaines personnes comme Mme E X avec laquelle un contentieux était en cours dès avril 2012. Elle ajoute que le Dr B a brutalement décidé de cesser son exercice au sein du centre CHALLENG’HAIR, sans aucun avertissement écrit ou oral ; qu’il a également fait citer M. A devant le tribunal correctionnel le 5 décembre 2013 et que, si le tribunal a considéré que celui-ci était coupable du délit d’exercice illégal de la médecine, il convient de préciser que le tribunal n’a pas répondu sur le caractère médical des consultations et des diagnostics de la calvitie et que son jugement est frappé d’un appel.

Elle répond sur les divers griefs formulés par le Dr B en soutenant qu’aucun d’eux n’est fondé : en effet, M. A conteste fermement avoir jamais accompli un acte réservé aux médecins, ses rendez-vous étant à caractère informatif et administratif et étant suivis de rendez-vous médicaux par les médecins chargés de pratiquer les greffes selon la technique choisie par le patient, FUT ou FUE ; le jugement pénal n’est pas définitif et ne lie donc pas la cour qui d’ailleurs n’avait pas jugé utile de surseoir à statuer dans l’attente de la décision pénale, l’éventuelle qualification pénale du comportement de M. A n’empêchant pas le Dr B de continuer à exercer son activité ; en tout état de cause, les précédentes décisions judiciaires rendues ont considéré que ni M. A ni la société CHALLENG’HAIR n’exerçaient illégalement la médecine et les documents produits sont dénués de force probante ; de même, ne sont pas établies les prétendues pratiques illégales ou anti-déontologiques, s’agissant, tant de la promotion pour la méthode FUE Regul, que des pressions exercées sur les Dr B et D qui ont continué de pratiquer majoritairement des greffes par FUT, même lorsque les FUE étaient plébiscitées par les patients, et que du respect du délai de réflexion ; enfin, les accusations d’emploi de personnel non qualifié sont approximatives, infondées et malveillantes.

Elle fait valoir qu’aucun des éléments rapportés par le Dr B n’est de nature à justifier la résiliation brutale de sa collaboration et l’impossibilité immédiate de poursuivre son exercice professionnel ; qu’il n’a jamais formulé le moindre avertissement écrit pour formuler son désaccord et qu’en réalité, il utilise un prétexte pour justifier sa décision de quitter le centre CHALLENG’HAIR pour travailler dans des établissements concurrents.

Elle conteste tout préjudice du Dr B en lien de causalité avec la prétendue faute du centre CHALLENG’HAIR : c’est lui qui a souhaité quitter la clinique du jour au lendemain ; l’activité de greffe capillaire n’était qu’une activité secondaire pour lui et il a rejoint immédiatement le Dr D à la clinique du Rond-Point des Champs-Elysées, ainsi qu’à la clinique Elysée-Montaigne ; en tout état de cause, il ne peut solliciter deux ans de rémunération, alors que rien ne permet de retenir qu’il aurait eu de bons résultats et que les patients qu’il opérait étaient, pour leur grande majorité, des clients de la société CHALLENG’HAIR.

Elle soutient sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts en soulignant que la rupture était abusive comme brutale et injustifiée et qu’elle l’a contrainte à réorganiser le planning d’intervention de 45 patients, soit une perte de 30.000 euros, outre 1.871,43 euros de frais, et à accorder diverses remises à des patients mécontents du résultat de leur greffe de cheveux pour un montant de 28.393 euros.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 18 juin 2015.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la justification de la rupture du contrat d’exercice libéral sans préavis :

Considérant que le Dr B, qui exerçait à titre libéral au sein du centre CHALLENG’HAIR en qualité de chirurgien esthétique depuis 2007, sans convention écrite, indépendamment de son activité en cabinet privé, XXX, et au sein de la clinique du Rond-Point des Champs Elysées, a adressé à M. K A, directeur de la clinique, un courrier de résiliation en date du 25 septembre 2011 par lequel il indiquait mettre fin aux relations contractuelles en ces termes :

'Vous avez récemment décidé de modifier les pratiques de la clinique CHALLENG’HAIR dans des conditions qui m’apparaissent aujourd’hui incompatibles avec l’exercice de ma profession.';

Qu’il invoquait les éléments suivants :

— consultation des patients, indications thérapeutiques et prescriptions d’examens médicaux réalisés par M. A, sans y être habilité,

— recrutement d’un jeune médecin généraliste fabriquant à l’avance et sans les dater des ordonnances,

— projet de faire travailler des techniciennes marocaines non autorisées à le faire,

— inscription à son programme opératoire du 26 septembre 2011 de deux patients jamais vus en consultation par le Dr B et dont le dossier, pour l’un d’eux, mentionnait des analyses biologiques faussement prescrites par le Dr B ;

Qu’il refusait d’opérer ces deux patients et cessait immédiatement toutes ses fonctions au sein de la clinique ;

Considérant que la réalité de consultations pratiquées par M. A sur les patients demandeurs de greffes capillaires, de poses de diagnostic et d’indications opératoires avec choix de la technique FUE, nonobstant la réticence de certains chirurgiens esthétiques de la clinique, ainsi que de fixation de rendez-vous opératoires sans consultation médicale préalable est avérée au regard des divers documents suivants :

— le mail du 16 juillet 2011 adressé par M. A au Dr D qui indique notamment : ' Pour les autres (patients), en dessous de 40 ans et qui portent des cheveux courts, je vous demande impérativement d’écouter attentivement leurs souhaits et s’ils viennent pour une FUE sans cicatrice, j’exige qu’on respecte leur demande et qu’on leur propose un programme de reconstruction capillaire progressive avec plusieurs séances de FUE de 700 à 1000 greffons au moins chacune. Toutes les séances que je viens de prescrire ces 4 derniers jours ont été de 800, 900 et 1.000 greffons FUE… et contrairement à ce que pense G B, on couvre mieux à nombre de greffons égal, avec une FUE qu’avec une bandelette’ et 'Je serai donc absent lundi, mardi et mercredi, et peut-être jeudi. C’est donc vous qui ferez les consultations. Il y en a beaucoup et je ne voudrais pas que vous les fassiez comme celle du client que vous aviez concrétisé en bandelette de 188 greffons et que j’ai dû rattraper en 2 FUE de 900.'; (les parties soulignées le sont par la cour)

— l’attestation de Mme E X, infirmière au centre CHALLENG’HAIR, en date du 11 octobre 2011 (soit avant qu’elle ne quitte la clinique), rapportant que la structure avait été remaniée depuis le départ de l’ancienne directrice et le licenciement du directeur médical, le Dr D, et que M. A 'consultait’ les patients en tenue de chirurgien, établissait un questionnaire médical, remettait une ordonnance de bilan pré-opératoire et fixait des rendez-vous de greffe capillaire, en même temps qu’il recevait un chèque d’acompte ;

— le témoignage de la même Mme X devant le tribunal correctionnel, le 15 décembre 2014, confirmant qu’à partir de l’été 2011, les patients ne voyaient plus de médecin avant l’opération, que M. A les recevait en consultation et leur remettait des ordonnances, alors qu’auparavant, les patients étaient reçus par la directrice puis vus en consultation par un chirurgien systématiquement ;

— l’attestation du Dr D, chirurgien en retraite ayant exercé comme consultant ou directeur médical au centre CHALLENG’HAIR jusqu’en juillet 2011, établie le 19 octobre 2011, relatant que M. A recevait les patients et que ceux-ci 'ressortaient de cette consultation dotés d’une information avec un diagnostic et un acte chirurgical proposé, un chèque de réservation signé, une date d’intervention prise, sans avoir vu aucun médecin, cette consultation ne leur étant pas proposée.' ;

— l’attestation et le témoignage devant les services de police de M. M N O, patient opéré par le Dr B en octobre 2010, rapportant avoir été examiné par M. A 'comme un médecin’ lorsqu’il était venu dans l’été 2011 pour bénéficier d’une seconde greffe gratuite en raison de son insatisfaction du résultat obtenu ;

— la copie d’une ordonnance du Dr Z, médecin nouvellement recruté par la société CHALLENG’HAIR, prescrivant des examens sanguins, signée en blanc et non datée ;

Que les attestations produites par la société CHALLENG’HAIR ne permettent pas de réfuter ces éléments, les Dr Y et C se contentant d’affirmer que les conditions d’exercice dans la clinique sont satisfaisantes et qu’ils ne souffrent d’aucune pression de la direction sur le personnel soignant et sur les médecins, et le Dr P Q R, dont le témoignage est plus précis sur le mode de fonctionnement de la clinique et le rôle de M. A, n’ayant effectué qu’un court séjour de formation au sein de cet établissement, sans que les dates en soient mentionnées ;

Considérant qu’il n’appartient pas à la cour, juge de la rupture des relations contractuelles, de se pencher sur la qualification pénale d’exercice illégal de la médecine soutenue par le Dr B, et qu’il importe peu dans ces conditions que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 mars 2015 ayant retenu cette qualification et ayant condamné M. A à une peine de 5.000 euros avec sursis ne soit pas définitif ; mais qu’il lui revient d’apprécier si le Dr B était, compte tenu des pratiques décrites ci-dessus et mises en place au sein de la clinique à partir de l’arrivée de M. A en qualité de directeur, en juillet 2011, en mesure de poursuivre son activité médicale ;

Que le tribunal a justement rappelé les dispositions de l’article L 162-2 du code de la santé publique qui prévoient que le médecin doit, 'dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique', bénéficier d’une liberté d’exercice et d’une indépendance professionnelle et morale et doit être maître de ses prescriptions ; que force est ici de constater, au regard des pratiques de M. A dénoncées par le Dr B dans son courrier du 25 septembre 2011 et dont il a été vu plus haut qu’elles étaient avérées, que l’indépendance et la liberté d’exercice et de prescription du médecin étaient gravement compromises ;

Que le tribunal a considéré que les directives données par M. A au Dr D dans son mail du 16 juillet 2011 ne concernaient pas le Dr B dans la mesure où ce mail ne lui était pas adressé personnellement, mais que le ton comminatoire employé révèle le souci du directeur de prendre en main les prescriptions en favorisant celles utilisant la technique FUE, en contradiction avec la pratique et les avis du Dr D et du Dr B ; qu’il doit en outre être retenu qu’au travers des instructions données par le directeur de la clinique au médecin consultant, il était bien porté une atteinte grave à la liberté de prescription et d’exercice du Dr B auquel étaient adressés les patients sans qu’ils les ait préalablement reçus et examinés et uniquement pour la réalisation de l’intervention programmée et dictée par le directeur du centre ;

Que le tribunal a noté que le désaccord du Dr B sur la politique menée par M. A en faveur de la technique FUE ne pouvait constituer un motif suffisant de rupture du contrat sans préavis, mais que ce n’est pas tant la question de la FUE ou de la FUT qui est à l’origine des difficultés entre le Dr B et M. A que celle du choix imposé par ce dernier aux praticiens qui constitue, lui, un motif de résiliation de la convention d’exercice ;

Que le tribunal a retenu enfin que le Dr B ne démontrait pas avoir lui-même préalablement protesté ou exigé l’arrêt des pratiques qu’il dénonçait dans sa lettre ; mais que, même s’il n’existe effectivement aucun courrier ou écrit de quelque nature que ce soit du Dr B se plaignant des pratiques dénoncées et de l’atteinte apportée à sa liberté d’exercice, force est de constater que le Dr B indique dans sa lettre de rupture avoir émis de nombreuses réserves et mises en garde et que la réalité des mises en garde et protestations verbales est confirmée :

— par le témoignage de Mme X devant le tribunal correctionnel qui fait état du refus d’opérer du Dr B s’il n’avait pas vu le patient avant et qui ajoute : 'les fois où le Dr B a refusé d’opérer un patient car c’était car il n’avait pas vu le patient, ou parce qu’il n’était pas d’accord avec l’indication. Je crois qu’il y avait une fois une histoire où le Dr B voulait partir mais qu’il acceptait de rester à condition qu’il voie tous les patients qu’il opérait avant'' ;

— par M. A lui-même puisqu’il mentionne, dans sa lettre du 18 novembre 2011, avoir eu avec le Dr B 'une franche explication début septembre’ sur la question des consultations médicales ;

Que l’atteinte répétée au libre choix par le médecin du traitement administré à son patient par la fixation de rendez-vous d’intervention, sans consultation médicale préalable, ou après consultation par un médecin soumis à des pressions sévères pour obtenir la prescription du traitement 'demandé par le client’ et le plus rentable pour la clinique, constitue un motif grave justifiant que le Dr B décide, après échec des tentatives d’explications préalables, de rompre le contrat d’exercice libéral le liant à la clinique sans préavis ;

Que dès lors, et sans qu’il soit besoin d’analyser les autres griefs formulés par le Dr B à l’encontre de la clinique dans sa lettre de rupture, il y a lieu d’infirmer le jugement déféré, de dire que c’est à juste titre que le Dr B a procédé à la rupture du contrat et de condamner la société CHALLENG’HAIR à l’indemniser du préjudice résultant pour lui, à titre personnel et au travers de la SELARL, de cette rupture ;

Sur les préjudices subis par le Dr B :

Considérant que le Dr B soutient que son activité au sein du centre CHALLENG’HAIR lui procurait un revenu moyen de plus de 140.000 euros par an et sollicite donc la condamnation de la société CHALLENG’HAIR à verser à la SELARL du Docteur B une somme de 280.000 euros représentant deux années de revenus ;

Mais que la cour observe que le Dr B exerçait, parallèlement à son travail au sein de la clinique CHALLENG’HAIR, en cabinet privé avenue KLEBER et au sein de la clinique du Rond-Point des Champs Elysées ; que la part des revenus procurés par ces différentes activités dans le chiffre d’affaires de la SELARL n’est pas déterminée ; que, certes, le chiffre d’affaires net se situait à plus de 180.000 euros en 2011 alors que celui réalisé en 2012 a été réduit à 50.894 euros, mais que rien ne permet d’imputer de manière exclusive cette baisse de chiffre d’affaires de l’ordre de 130.000 euros à sa cessation d’activité dans la clinique capillaire et que la société CHALLENG’HAIR fait justement observer à cet égard que la clinique du Rond-Point des Champs Elysées où exerçait le Dr B s’est trouvée en difficultés à la même période, puisqu’elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du 30 janvier 2013, mais avec une date de cessation des paiements fixée au 30 juillet 2011 ; que la cour observe également que les salaires versés par la SELARL en 2012 ont été diminués de moitié par rapport à ceux versés en 2011, signe d’un fléchissement de l’activité en cabinet du Dr B ; enfin que la SELARL du Docteur B ne communique pas son chiffre d’affaires 2013, se contentant de produire son déficit fiscal ;

Qu’en l’état des éléments en possession de la cour, il y a lieu de fixer à la somme de 80.000 euros le montant des dommages et intérêts réparant le préjudice financier subi par la SELARL du Docteur B du fait de la cessation de l’activité du Dr B au sein du centre CHALLENG’HAIR ;

Considérant que le Dr B a souffert de la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de de quitter le centre CHALLENG’HAIR dans lequel il exerçait depuis quatre années, dans le climat très conflictuel décrit par les témoins, et sans avoir pu, contrairement à ce que prétend la société CHALLENG’HAIR, préalablement organiser ce départ ; que le préjudice moral ainsi subi justifie que lui soit allouée une somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société CHALLENG’HAIR :

Considérant que le caractère justifié de la rupture sans préavis des relations contractuelles entre le Dr B et la société CHALLENG’HAIR conduit à rejeter la demande en dommages et intérêts présentée par cette dernière en réparation de la désorganisation et du préjudice moral résultant de son départ précipité ;

Que la réclamation d’une somme de 28.393 euros au titre des remises qui auraient été consenties à des patients mécontents du résultat des interventions pratiquées par le Dr B avant son départ sera également rejetée, à défaut de toute justification d’un lien de causalité entre les remises mentionnées et une quelconque faute du Dr B dans son exercice professionnel ;

Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu l’article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau sur le tout,

Déclare justifiée la résiliation par le Dr B de la convention d’exercice le liant à la société CHALLENG’HAIR suivant lettre de rupture en date du 25 septembre 2011 et condamne la société CHALLENG’HAIR à verser, à titre d’indemnisation des conséquences dommageables de cette rupture, la somme de 80.000 euros à la SELARL du Dr B en réparation de son préjudice financier et celle de 6.000 euros au Dr B en réparation de son préjudice moral ;

Déboute la société CHALLENG’HAIR de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne la société CHALLENG’HAIR à verser au Dr B et à la SELARL du Dr B ensemble une somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens de première instance et aux dépens d’appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Pour la presidente empêchée

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, 2 octobre 2015, n° 13/17384