Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 16 septembre 2020, n° 19/15145

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 16 sept. 2020, n° 19/15145
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/15145
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 2 juillet 2019, N° 2019027965
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2020

(n° 264 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/15145 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CANZJ

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Juillet 2019 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2019027965

APPELANTES

EVERSPEED, prise en la personne de son Président, M. Z A, domicilié audit siège en cette qualité

[…]

[…]

N° SIRET : 501 602 8 41

SARL I SPORT, prise en la personne de son Gérant M. G H I, domicilié audit siège en cette qualité

[…]

[…]

[…]

N° SIRET : 489 990 135

R e p r é s e n t é e s p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistées par Me Pierre-Igor LEGRAND, substituant Me Cédric GUINAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉE

Société LOTUS CARS LIMITED, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

NR14 8EZ ANGLETERRE (ROYAUME-UNI)

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistée par Me Charles LEMOINE, substituant Me François RONGET de SEATTLE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P206

PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES

SCP CBF ET ASSOCIES, prise en la personne de Maître B Cavigliolo, ès qualité d’Administrateur Judiciaire de la SARL I SPORT avec mission d’assistance du débiteur

10 rue d’Alsace-Lorraine

[…]

SELARL DUTOT ET ASSOCIES, prise en al personne de Maître D E, ès qualité de Mandataire Judiciaire de la SARL MACASSUS SPORT

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e s p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistées par Me Pierre-Igor LEGRAND, substituant Me Cédric GUINAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 29 Juin 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Mme J K L M, Conseillère

Mme Carole CHEGARAY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme J K L M, Conseillère dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Anaïs SCHOEPFER

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Lauranne VOLPI, Greffière.

Le groupe Lotus, fondé en 1952, est un constructeur automobile anglais spécialisé dans les voitures de sport et de compétition.

En 1955, le groupe Lotus a créé la société Lotus Cars Limited (ci-après la société Lotus).

La SARL I Sport (ci-après la société I) est une filiale indirecte de la SAS Everspeed, holding du groupe Everspeed, spécialisé dans le secteur de l’industrie et des services de pointe liés au monde de l’automobile et de la compétition.

Les sociétés Lotus et Group Lotus PLC ont conclu avec la société I 4 contrats à durée indéterminée les 20 mai et 1er novembre 2016 :

— un contrat de distributeur portant sur la vente de véhicules neufs de la marque Lotus pour l’établissement principal de Toulouse ;

— un contrat de réparateur agréé portant sur l’après-vente pour l’établissement principal de Toulouse ;

— un contrat de distributeur portant sur la vente de véhicules neufs de la marque Lotus pour l’établissement secondaire de Bordeaux ;

— un contrat de réparateur agréé portant sur l’après-vente pour l’établissement principal de Bordeaux.

Arguant de manquements contractuels, la société Lotus a envoyé plusieurs mises en demeure de respecter ses engagements à la société I. Considérant que celles-ci étaient restées infructueuses, elle a mis fin aux contrats qui la liait à cette dernière.

Ainsi le 25 septembre 2018, la société Lotus a notifié la résiliation du contrat de distributeur daté du 1er novembre 2016.

Le 21 décembre 2018, la société I a assigné les sociétés Lotus et Group Lotus devant le tribunal de commerce de Toulouse, en rupture abusive des contrats de distributeur et de réparateur agréé à durée indéterminée qu’elle avait signé avec la société Lotus.

Cette instance au fond est toujours pendante devant le tribunal de commerce de Toulouse.

Le 13 mars 2019, la société Lotus a assigné la société I devant les juridictions britanniques afin d’obtenir le paiement de sommes dues au titre de véhicules impayés et la restitution consécutive à la résiliation du contrat de distribution de véhicules lui appartenant.

Par décision du 21 novembre 2019, la High court of justice, Business and property court, Commercial court s’est déclarée compétente et a rejeté la demande de la société I de voir le tribunal de commerce de Toulouse juger les demandes de la société Lotus.

Le 27 mai 2019, la société I, et sa société mère, la société Everspeed, ont assigné la société Lotus devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir juger que les actes de concurrence déloyale commis par dénigrement par Lotus constituent pour elles un trouble manifestement illicite, ordonner la cessation de ces actes sous astreinte ainsi que la condamnation de Lotus à leur verser à chacune une provision de 500.000 euros à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice.

Par ordonnance contradictoire rendue le 3 juillet 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

— dit n’y avoir lieu à référé, ni à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné les sociétés Everspeed et I aux entiers dépens.

Par déclaration du 22 juillet 2019, les sociétés Everspeed et I ont interjeté appel de l’ensemble des chefs expressément énoncés de cette ordonnance.

Le 21 janvier 2020 la société I a été placée sous sauvegarde de justice la SCP CBF et Associés, prise en la personne de Me B C, étant nommée administrateur judiciaire et la SELARL Dutot et Associés, prise en la personne de Me D E, nommée mandataire judiciaire.

Aux termes de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 26 février 2020, les appelantes et les mandataires judiciaires demandent à la cour de :

— sur la reprise de la présente instance :

vu les articles 369 et 373 du code de procédure civile ;

vu les articles L. 622-21 à L. 622-24 du code de commerce ;

— donner acte à la SCP CBF et Associés prise en la personne de Me B C ès qualités d’administrateur judiciaire de la société I, de son intervention ;

— donner acte à la SELARL Dutot et Associés prise en la personne de Me D E ès qualités de mandataire judiciaire de la société I, de son intervention ;

— juger que la présente instance est volontairement reprise ;

— sur l’ordonnance du 2 juillet 2019 ;

vu les articles 31, 46, 74, 75, 78, 699, 700 et 873 du code de procédure civile ;

vu l’article 1240 du code civil ;

vu le Règlement Bruxelles 1 bis ;

vu le Règlement Rome 2 ;

vu les présentes conclusions et les pièces versées à leur appui ;

vu l’ordonnance du 2 juillet 2019 ;

— confirmer l’ordonnance en ce que le président du tribunal de commerce de Paris s’est déclaré compétent et a appliqué la loi française ;

— se déclarer compétent et appliquer la loi française ;

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle jugé la société Everspeed recevable en ses demandes ;

— reformer l’ordonnance en ce que le président du tribunal de commerce de Paris a dit n’y avoir lieu à référé ni à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et condamné les sociétés Everspeed et I aux entiers dépens ;

et, statuant à nouveau :

— prescrire les mesures conservatoires qui s’imposent ;

— ordonner à la société Lotus Cars Limited de cesser tout acte de dénigrement d’Everspeed et de I et de leurs produits et services, sous astreinte de 5.000 euros par acte de dénigrement constaté ;

— ordonner à la société Lotus Cars Limited de communiquer aux sociétés Everspeed et I la liste de toutes les personnes physiques et morales auprès desquelles la société Lotus Cars Limited a dénigré Everspeed et I, notamment la liste exhaustive et précise des personnes mentionnées dans la lettre du 11 février 2019 auprès desquelles Lotus Cars Limited a communiqué et «fourni des détails» quant aux prétendus agissements de I, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

— ordonner à la société Lotus Cars Limited de communiquer à Everspeed et à I toutes les correspondances, notamment courriers et courriels, adressés à ces personnes ainsi que les réponses reçues et plus généralement les échanges sur ce sujet, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

— ordonner la publication de la décision à intervenir dans quatre journaux au choix d’Everspeed et de I aux frais de la société Lotus Cars Limited dans la limite de 5.000 euros par insertion ;

— condamner la société Lotus Cars Limited à payer à Everspeed et à I la somme de 500.000 euros chacune à titre de provision sur dommages-intérêts ;

— rejeter toutes les demandes, fins et prétentions contraires de la société Lotus Cars Limited;

— sur les demandes reconventionnelles de la société Lotus :

vu les articles 32-1, 122, 123, 124 et 125 du code de procédure civile ;

vu les articles L. 622-7, L. 622-21 à L. 622-24 du code de commerce ;

vu l’article 32-1 du code de procédure civile et l’article 1240 du code civil ;

à titre principal :

— déclarer la société Lotus Cars Limited irrecevable en ses demandes reconventionnelles;

— rejeter toutes les demandes de la société Lotus Cars Limited ;

à titre subsidiaire :

— débouter la société Lotus Cars Limited de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles ;

— condamner la société Lotus Cars Limited à payer à Everspeed et à I la somme de 15.000 euros chacune au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société Lotus Cars Limited aux entiers dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Lotus, par conclusions transmises par voie électronique le 5 mars 2020, demande à la cour de :

— rejeter l’appel principal et accueillir l’appel incident ;

— la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;

in limine litis,

sur l’incompétence du tribunal de commerce de Paris,

1. À titre principal sur l’incompétence territoriale des juridictions françaises,

— juger que les dispositions de l’article 35 qui sont invoquées par les appelantes sont juridiquement inapplicables et ne sauraient rendre le juge français compétent en l’espèce;

— juger que la compétence du juge français pour prescrire les mesures sollicitées par les sociétés appelantes est conditionnée à un lien direct entre le lieu où les mesures seront exécutées et la compétence territoriale du juge de l’Etat membre sur le territoire duquel lesdites mesures seront exécutées ;

— juger que les juridictions françaises ne sont pas compétentes au regard des dispositions du Règlement Bruxelles 1 bis ;

en conséquence,

— se déclarer territorialement incompétente ;

y faisant droit,

— renvoyer l’affaire devant la High Court of justice, business and property courts of England and Wales ;

2. À titre subsidiaire, sur l’incompétence territoirale du tribunal de commerce de Paris ;

— juger que le prétendu dommage est subi exclusivement par la société I Sport qui est immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Toulouse et dont les activités et le siège social sont situés au […] ;

— juger que le prétendu dommage résulte directement de la rupture des contrats que la société I avait conclu avec la société Lotus et que les conditions de cette rupture font l’objet d’un contentieux qui est pendant devant le tribunal de commerce de Toulouse;

— juger que le lieu de situation du dommage invoqué par les demandeurs ne se situe donc pas dans le ressort du tribunal de commerce de Paris ;

en conséquence,

— se déclarer territorialement incompétente ;

y faisant droit,

— renvoyer l’affaire devant le président du tribunal de commerce de Toulouse ;

3. À titre infiniment subsidiaire, sur l’incompétence matérielle du tribunal de commerce de Paris,

— juger que les faits prétendument fautifs et imputés à la société Lotus constituent en droit une diffamation et en aucun cas un dénigrement commercial ;

— juger dès lors que seul le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) est compétent en matière de diffamation ;

en conséquence,

— se déclarer territorialement incompétente ;

y faisant droit

— renvoyer les sociétés appelantes à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) territorialement compétent ;

B. Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Everspeed

— juger que la société Everspeed n’a pas subi de préjudice direct et n’a donc pas d’intérêt à agir au sens des dispositions de l’article 31 du code de procédure civile ;

en conséquence,

— déclarer la société Everspeed irrecevable en ses demandes ;

C. Sur la confirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé

— juger que les sociétés Everspeed et I Sport ne rapportent pas la preuve de ce que les faits reprochés à Lotus pourraient constituer des faits de concurrence déloyale par dénigrement commercial ;

— juger que les sociétés Everspeed et I Sport ne rapportent pas la preuve de ce qui pourrait être considéré que les faits qu’elles reprochent à la société Lotus perdurent et/ou continuent à produire des effets ;

— juger que le courrier du 11 février 2019 constitue une diffamation non publique et est improprement qualifié d’acte de dénigrement commercial par les sociétés I Sport et Everspeed ;

— juger que la demande des sociétés Everspeed et I Sport porte sur la détermination, l’évaluation et la réparation d’un préjudice ouvrant potentiellement droit à dommages-intérêts ;

— juger que s’agissant de ce préjudice prétendument subi par les sociétés Everspeed et I aucun élément de preuve ne permet de démontrer qu’une faute aurait été commise par Lotus et que cette faute, à la supposer établie, aurait directement causé les dommages invoqués par les sociétés Everspeed et I ;

— juger en tout état de cause que l’évaluation faite par les sociétés Everspeed et I concernant les dommages évoqués est fantaisiste et déconnectée de toute réalité économique ;

y faisant droit,

— juger qu’il n’existe en l’espèce ni dommage imminent ni trouble manifestement illicite;

— juger que les mesures sollicitées par les sociétés Everspeed et I ne constituent pas des mesures conservatoires ou de remise en état au sens de l’article 873 du code de procédure civile ;

— juger que l’obligation sur laquelle les sociétés Everspeed et I fondent leurs demandes de

provision est sérieusement contestable ;

en conséquence,

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu que la demande porte principalement sur l’évaluation et la réparation d’un préjudice ouvrant droit à des dommages et intérêts ; – confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu qu’une instance sur le litige opposant les parties est en cours devant une autre juridiction, à Toulouse ;

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu que sur les faits, les parties sont contraires sur les notions de dénigrement ou de diffamation ;

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu qu’une enquête pénale est en cours ;

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu qu’il résulte de ces éléments que le litige dépasse largement les pouvoirs dévolus au juge des référés ;

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé ;

D. à titre reconventionnel, sur le caractère abusif de la présente procédure,

— juger que les sociétés Everspeed et I ont commis un abus de leur droit d’ester en justice ;

en conséquence,

— condamner les sociétés Everspeed et I à une amende civile dont le montant sera laissé à l’appréciation de la cour ;

— condamner les sociétés Everspeed et I à verser chacune à la société Lotus la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette procédure manifestement abusive sur le fondement de l’article 1240 du code civil et si besoin fixer la créance de Lotus au passif de la société I à hauteur de 15.000 euros ;

E. Enfin en tout état de cause,

— débouter les sociétés appelantes Everspeed et I de l’intégralité de leurs demandes ;

— condamner les sociétés Everspeed et I à lui verser la somme de 19.480 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et en tant que de besoin fixer la créance de la société Lotus au passif de la société I à hauteur de 19.480 euros.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient à titre liminaire de donner acte à la SCP CBF et Associés prise en la personne de Me B C ès qualités d’administrateur judiciaire de la société I et à la SELARL Dutot et Associés prise en la personne de Me D E ès qualités de mandataire judiciaire de la société I de leurs interventions volontaires.

- sur la compétence

La société Lotus soulève l’incompétence des juridictions françaises pour juger le litige initié par les sociétés Everspeed et I et soutient que les règles de compétence au sein de l’Union européenne prévoient la compétence de principe des tribunaux de l’Etat membre dans lequel le défendeur est domicilié.

Le Règlement UE n°1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Règlement Bruxelles I bis dispose en son article premier qu’il s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Son article 4 prévoit que '1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.' L’article 5 précise que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre, l’article 7 disposant précisément que 'Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

' pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

' pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire;

3) s’il s’agit d’une action en réparation de dommage ou d’une action en restitution fondées sur une infraction, devant la juridiction saisie de l’action publique, dans la mesure où, selon sa loi, cette juridiction peut connaître de l’action civile'.

Par ailleurs l’article 35 dudit Règlement prévoit : 'Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.'

En l’espèce les appelantes sollicitent qu’il soit enjoint à l’intimée de cesser des actes de dénigrement commerciaux constitutifs de concurrence déloyale qui sont sanctionnés sur le fondement délictuel.

Il est par ailleurs constant que le dommage allégué s’est produit en France et que les appelantes sollicitent du juge des référés qu’il ordonne des mesures conservatoires pour faire cesser le dommage invoqué, les mesures sollicitées devant être exécutée en France.

Il s’ensuit que les juridictions françaises sont compétentes au regard tant des dispositions de l’article 7 que de l’article 35 du Règlement Bruxelles I bis pour connaître du présent litige, l’exception d’incompétence des juridictions françaises étant mal fondée et devant être rejetée.

À titre subsidiaire, l’intimée fait valoir que le tribunal de commerce de Paris est territorialement et matériellement incompétent et invoque l’article 7 du Règlement de Bruxelles I bis.

Cependant, à l’évidence, le fait dommageable allégué par les sociétés appelantes s’est produit en France, celles-ci reprochant à l’intimée d’avoir adressé des courriers en français à des sociétés de financement françaises, aux autres constructeurs. Les appelantes ont leur siège social dans le ressort du tribunal de commerce de Paris et sont toutes deux des sociétés commerciales, de sorte que les moyens tirés de l’incompétence matérielle et territoriale du juge des référés du tribunal de commerce de Paris ne peuvent prospérer, étant mal fondés.

- sur l’intérêt à agir de la société Everspeed

L’intimée soutient que la société I n’est qu’une filiale indirecte d’Everspeed qui est la holding du groupe Everspeed et que si Everspeed a été rendue destinataire du courrier du 11 février 2019 l’informant des agissements pénalement répréhensibles de sa filiale, cette circonstance ne saurait à elle seule justifier d’un quelconque intérêt personnel, direct et actuel à agir dans le cadre du présent litige.

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt légitime.

S’agissant d’une fin de non recevoir, elle peut être invoquée en tout état de cause et ne peut être qualifiée, comme l’indiquent à tort les appelantes, de demande nouvelle irrecevable dès lors qu’elle tend à faire écarter les prétentions adverses comme le prévoit l’article 564 du code de procédure civile.

Le moyen d’irrecevabilité ne peut cependant pas prospérer. En effet, dès lors que la société Everspeed invoque l’existence d’un préjudice personnel subi du fait des agissements allégués à son encontre par l’intimée, elle dispose à l’évidence d’un intérêt à agir pour voir cesser les actes de dénigrement invoqué.

- sur le bien fondé de la demande des sociétés Everspeed et I

Les demandes des appelantes sont fondées sur l’article 873 du code de procédure civile qui prévoit que le président du tribunal de commerce peut 'même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire'.

Les sociétés Everspeed et I exposent qu’elles ont découvert que l’intimée les avaient gravement dénigrées auprès des acheteurs de véhicules, des constructeurs et des organismes financiers et que ces actes sont confirmés par une lettre que leur a adressée l’intimée le 11 février 2019 pour les informer des prétendues 'activités criminelles liées aux actes de I' qui auraient entraîné la résiliation des contrats conclus avec Lotus et CGL, une division du Groupe Société Générale.

L’intimée leur répond que les imputations litigieuses qui lui sont reprochées ne peuvent constituer des actes de concurrence déloyale par dénigrement commercial mais plutôt une diffamation non publique prévue et réprimée par les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R 621-12 du code pénal.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Les propos portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale relèvent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La diffamation est définie par son article 29, alinéa 1er, comme ' toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé'.

Il est constant qu’une personne morale peut être victime d’une atteinte à son honneur ou à sa considération et, par suite, agir en diffamation.

Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés que sur le fondement de cette loi et non sur celui de l’article 1240 du code civil.

Le dénigrement, susceptible de caractériser un acte fautif au sens de l’article 1240 du code civil, qui constitue une catégorie d’acte de concurrence déloyale, consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer un profit. Il en résulte que les allégations qui n’ont pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par une société, même si elles visent une société nommément désignée ou son dirigeant, relèvent du dénigrement, dans la mesure où elles émanent d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et sont proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle.

En l’espèce, les appelantes soutiennent qu’à la suite de la prise de contrôle par le groupe chinois Geely, l’intimée a souhaité réorganiser son circuit de distribution et a brutalement mis fin aux relations commerciales qu’elle entretenait avec la société I depuis plus de 20 ans ; qu’elles ont ensuite découvert que Lotus se livrait à de graves actes de concurrence déloyale par dénigrement auprès de leurs clients et partenaires et leur a adressé le 11 février 2019 une lettre dans laquelle elle a indiqué avoir communiqué et fourni des détails aux sociétés de financement, aux autres constructeurs et à la police française concernant la réalisation par I de prétendues activités criminelles qui auraient conduit à la résiliation par Lotus et par la société de financement CGL de tout contrat passé avec I.

Pour justifier des actes de concurrence déloyale commis par dénigrement allégués, les appelantes versent aux débats la lettre du 11 février 2019, un courriel adressé par le directeur commercial de la société Caterham à I le 18 octobre 2018 ( pièce 19) dans lequel il fait part de ses inquiétudes quant à la question d’être un bon revendeur de la marque Caterham compte tenu de la perte de la franchise Lotus et les courriels de deux clients (M. X et M. Y s’interrogeant sur l’entretien à effectuer afin de maintenir la garantie de leur véhicule compte tenu de la perte de la franchise Lotus (pièces 18 et 19).

L’examen de la lettre datée du 11 février 2019 ne permet pas au juge des référés, juge de l’évidence, d’en conclure qu’elle contient des critiques visant la qualité des produits ou des services fournis par I susceptibles de constituer des faits pouvant être manifestement qualifiés d’actes de dénigrement, les propos qui y figurent consistant en réalité en l’imputation de faits précis visant cette société susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ('I a obtenu le financement pour ces véhicules sans payer Lotus pour ces véhicules. Comme I n’a pas payé les véhicules, de même que tous les concessionnaires, Lotus n’a pas fourni les certificats de conformité requis ni le CERFA pour lui permettre de remplir les formalités d’immatriculation. (…) Cela montre que I a modifié le code d’homologation de type en code antérieur utilisé par Lotus afin d’induire en erreur les autorités françaises que la société détient la documentation appropriée du certificat de conformité des véhicules. (…) Ce sont des exemples de la documentation frauduleuse ; cependant il ne se limite pas à ces deux exemples. Ces actions ont pour effet que les clients conduisent des véhicules avec des documents modifiés frauduleusement et, par conséquent, des enregistrements non valides. Les éléments de preuve ci-dessus montrent que I trompe frauduleusement les autorités publiques, les sociétés de financement, les clients de Lotus et de I quant à l’immatriculation correcte des véhicules. I n’a aucun droit de propriété sur les véhicules qu’il immatricule auprès des autorités françaises et dont il tire profit.'). De telles imputations, portant sur des faits constitutifs d’infractions pénales et visant nommément I,

sont manifestement constitutives de diffamation qui ne peuvent être sanctionnées que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

Les interrogations du directeur commercial de la société Caterham quant aux conséquences, sur sa marque, de la perte, par I, de la franchise Lotus ne peuvent manifestement pas non plus établir l’existence des actes de dénigrement allégués commis par Lotus. Il en est de même s’agissant du courriel adressé par M. F Y qui a transféré le courriel qu’il a reçu de Lotus quant aux conséquences de la perte par le revendeur I de la franchise Lotus, l’information par Lotus auprès des propriétaires de voitures de sa marque de la résiliation des contrats la liant à I ne pouvant à l’évidence constituer en soi un acte de dénigrement, la question du bien fondé de la rupture des relations commerciales entre les parties relevant quant à elle du juge du fond qui est d’ailleurs d’ores et déjà saisi de ce litige.

Il s’en déduit que l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent n’est pas caractérisé et la demande de provision en réparation d’un préjudice lié à des actes de concurrence déloyale par dénigrement se heurtent à l’évidence à des contestations sérieuses. Dès lors, l’ordonnance entreprise doit être confirmée en toutes ses dispositions.

- sur les demandes reconventionnelles de la société Lotus

L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Cependant l’amende civile ne saurait être mise en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction, les parties ne pouvant avoir aucun intérêt moral au prononcé d’une amende civile à l’encontre de leur adversaire. Dès lors la demande de la société Lotus de voir condamner les appelantes à une amende civile doit être rejetée.

L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts que lorsqu’est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice. En l’espèce, un tel comportement de la part des appelantes n’est pas caractérisé de sorte que la demande de l’intimée à ce titre est également rejetée.

Les appelantes qui succombent doivent être condamnées aux dépens et à verser à la société Lotus la somme de 2.000 euros au titre des dispositions prévues par l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Donne acte à la SCP CBF et Associés prise en la personne de Me B C ès qualités d’administrateur judiciaire de la société I et à la SELARL Dutot et Associés prise en la personne de Me D E ès qualités de mandataire judiciaire de la société I de leurs interventions volontaires ;

Rejette les exceptions d’incompétence et le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir de la société Everspeed soulevés par la société Lotus ;

Confirme l’ordonnance ;

Rejette les demandes reconventionnelles de la société Lotus au titre de la procédure abusive ;

Condamne les sociétés I Sport et Everspeed à payer à la société Lotus Cars Limited la somme de 2.000 euros au titre des dispositions prévues par l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les sociétés I Sport et Everspeed aux dépens.

La Greffière, Le Président,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 16 septembre 2020, n° 19/15145