Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 7 mai 2021, n° 20/11528

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Chronologie de l’affaire

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www.lexcase.com · 17 mai 2021

Par arrêt en date du 7 mai 2021 (RG 20/11528), la Cour d'appel de Paris a ordonné une expertise des coûts d'interconnexion et d'accès d'Orange. Cette décision intervient après un long combat judiciaire initié par l'Association française des opérateurs concurrents de l'Opérateur historique (AFORS) en 2008. Dans une décision de 2009, après avoir constaté qu'Orange avait corrigé pour l'avenir ses tarifs d'interconnexion et d'accès, l'ARCEP avait classé une plainte des concurrents de l'opérateur historique, faute de pouvoir rétroactif dans le cadre de sa procédure de sanction (Article L.36-11 …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 7 mai 2021, n° 20/11528
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/11528
Sur renvoi de : Cour de cassation, 4 juin 2019, N° 486F@-@P+B
Dispositif : Expertise

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 7 MAI 2021

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/11528 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGYL

Décisions déférées à la Cour :

Arrêt du 5 Juin 2019 – Cour de cassation- Pourvoi n Y 17-22.192-Arrêt n°486 F-P+B

Arrêt du 28 Avril 2017 – Cour d’appel de PARIS, Pôle 5 chambre 11 – RG n° 13/20737

Jugement du 18 Juin 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2010082944

DEMANDERERESSE A LA SAISINE

S.A.S. VERIZON FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le n° 398.571.169

représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

assistée de Me Hubert MORTEMARD de BOISSE, avocat plaidant du barreau de LYON

DEFENDERESSE A LA SAISINE

S.A. ORANGE anciennement dénommée FRANCE TELECOM

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n° 380.129.866

r e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Alexandre LIMBOUR, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : L0064

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Janvier 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Denis ARDISSON, Président de chambre.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marie-Ange SENTUCQ, Présidente de chambre

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par M. Denis ARDISSON, Président de chambre et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

1. L’opérateur historique de télécommunications France Télécom, devenu la société Orange, et qui exerce une influence significative sur des marchés de communications électroniques, s’est vu imposer par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (l’ARCEP) des obligations comptables et tarifaires, dont celle de pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants sur les marchés de gros de l’accès et de l’interconnexion fixes (vente en gros de l’accès au service téléphonique ou 'VGAST').

2. Invoquant le non-respect de cette obligation par la société Orange pour les exercices 2006 et 2007, l’Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (l’AFORST) avait saisi le 9 septembre 2008 l’ARCEP d’une demande de sanction contre la société Orange, sur le fondement de l’article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques (CPCE), réclamant en outre que cette société soit mise en demeure d’assurer, par un avenant aux contrats conclus avec les opérateurs alternatifs, le reversement des sommes indûment perçues par elle, par suite de la violation de son obligation d’orientation des tarifs vers les coûts.

3. En suite d’une instruction ordonnée sur le respect par France Télécom de ses obligations d’orientation des tarifs vers les coûts sur la prestation de départ d’appel, la prestation de VGAST et sur le dégroupage total, le directeur général de l’ARCEP a prononcé le 17 juin 2009 un non-lieu à poursuivre la procédure, au motif que la société Orange avait effectué le 28 mai 2009 des modifications tarifaires, avec effet rétroactif au 1er janvier 2009, la mettant en conformité avec ses obligations, puis sur le pourvoi de l’AFORST en annulation de cette décision pour excès de pouvoir, le Conseil d’Etat a, par arrêt du 4 juillet 2012 n°334062, rejeté le recours.

4. Se prévalant de cette décision de l’ARCEP du 17 juin 2009 aux termes de laquelle il était relevé 'l’instruction a établi que, par le passé, la société France telecom n’a pas intégré suffisamment dans

ses tarifs de départ d’appel les effets des gains de productivité et des modifications de ses méthodes d’allocation des coûts. Ainsi, il ressort de l’instruction que les tarifs de départ d’appel auraient dû être inférieurs à ceux pratiqués de 2% en 2006 et de 15% en 2007', l’opérateur de télécommunication Verizon France (la société Verizon) a assigné la société Orange devant le tribunal de commerce de Paris le 10 novembre 2010 en soutenant qu’elle avait manqué à son obligation d’orientation des tarifs vers les coûts et pour l’entendre condamner à :

— restituer à la société Verizon la somme de 24.408.803 euros, sauf à parfaire, au titre des surfacturations effectuées par l’opérateur sur les marchés de gros du départ et de la terminaison d’appel, du transit, des services de capacité et de la VGAST,

— verser la somme de 12.925.434 euros, sauf à parfaire, au titre du gain manqué de ce dernier sur les marchés finals de la voix et des services à valeur ajoutée fournis aux entreprises utilisant les services de capacité de France Télécom, du fait des agissements fautifs de France Télécom,

— réparer subsidiairement, a minima et sans attendre, l’intégralité des conséquences dommageables pour Verizon de ses agissements fautifs sur les marchés du départ et de la terminaison d’appel, tels que constatés par l’ARCEP dans sa décision,

— restituer a minima la somme de 4.787.861 euros, sauf à parfaire, au titre des surfacturations effectuées sur les marchés de gros du départ et de la terminaison d’appel tels que constatées par l’ARCEP dans sa décision,

— verser a minima la somme le 12.925.434 euros, sauf à parfaire, au titre du gain manqué de ce dernier sur les marchés finals de la voix et des services à valeur ajoutée fournis aux entreprises utilisant les services de capacité de France Télécom, du fait des agissements fautifs de France Télécom.

en tout état de cause,

— payer à la société Verizon la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

5. Par jugement du 18 juin 2013, la juridiction commerciale a débouté la société Verizon de ses demandes d’indemnisation, mais condamné la société Orange à lui verser la somme de 500.000 euros au titre d’un manquement concernant le délai de production des coûts pour l’exercice 2008, outre 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à acquitter les dépens.

* *

6. Sur appel de la société Verizon, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 28 avril 2017, débouté la société Verizon de ses demandes de mesure d’instruction, confirmé le jugement, sauf sur l’indemnisation accordée au titre de l’année 2008, dit recevable la demande de la société Verizon France relative à l’année 2008, débouté la société Verizon de ce chef, condamné la société Verizon à payer à la société Orange la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la société Verizon aux dépens.

7. Sur pourvoi de la société Verizon, la chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation a, par arrêt du 5 juin 2019 n°Y 17-22.192, cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris, sauf en ce qu’il a dit recevable la demande de la société Verizon France relative à l’année 2008, remis sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

PROCÉDURE SUR RENVOI DE CASSATION :

Vu la déclaration de la société Verizon France du 31 juillet 2020 saisissant la cour d’appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi en application des articles 1032 et suivants du code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 décembre 2020 pour la société Verizon France, aux fins d’entendre, en application des articles 1149, 1382 et 1383 du code civil, dans leur version applicable au litige, L. 420-2 et suivants du code de commerce, 11 et 138 et suivants du code de procédure civile :

— déclarer la société Verizon recevable et bien fondée en ses demandes avant dire droit,

avant dire droit,

— ordonner la société Orange de communiquer le rapport d’instruction des services de l’ARCEP, en version non censurée,

— nommer le cas échéant avant dire droit un expert avec pour mission de :

se faire remettre, sous le contrôle du magistrat chargé du contrôle des expertises, tous documents utiles à la vérification du respect par Orange de ses obligations tarifaires, et en particulier :

les comptes d’exploitation produits et extraits de la comptabilité réglementaire de la société Orange détaillant, poste par poste, l’affectation de ses coûts et les recettes correspondantes, pour les années 2005 à 2008 et pour les marchés et prestations sur les départs d’appel, les terminaisons d’appel et la vente en gros de l’accès au service téléphonique,

les comptes prévisionnels sur ces marchés pour les années 2006 à 2008,

la réponse d’Orange au(x) questionnaire(s) des services d’instructions de l’ARCEP et le(s) procès-verbal(aux) d’audition d’Orange par les services d’instructions de l’ARCEP ,

le cas échéant, les rapports complets d’audit réalisés sur la comptabilité réglementaire d’Orange pour les années 2006 à 2008,

tous documents et informations permettant de vérifier (i) la date à laquelle Orange a constaté ' ou aurait dû constater ' des gains d’effectivité sur ces marchés, (ii) la pertinence des clés d’allocation des coûts, (iv) des coûts prévisionnels et (v) des comptes d’exploitation produit pour les services soumis à une obligation d’orientation vers les coûts, ainsi que (vi) l’allocation de coûts correspondants à ceux d’un opérateur 'efficace’ au sens de la régulation (Aff. Verizon c/ Orange.0001),

tous documents et informations permettant d’expliquer l’existence de sur-marges dans la comptabilité séparée d’Orange,

déterminer quel aurait dû être le tarif orienté vers les coûts pour les marchés susvisés pour les années 2006 à 2008,

vérifier le constat d’une surfacturation tel que relevé dans la décision de l’ARCEP du 17 juin 2009,

dire que la remise de ces documents devra être faite selon les modalités suivantes, sous le contrôle de la cour, ou selon toute autre modalité prévue par la cour pour préserver les intérêts légitimes des deux parties : Engagement préalable écrit des avocats de Verizon et, le cas échéant, d’un expert financier missionné par cette dernière, de pas divulguer les documents communiqués par Orange

dans le cadre de l’expertise judiciaire à la société Verizon. Cet engagement sera communiqué à la cour ; communication des documents et informations par Orange, à titre confidentiel, à l’expert judiciaire, aux avocats de Verizon, et le cas échéant, à l’expert financier mandaté par Verizon,' Définition des modalités aménagées de communication des documents et informations essentiels par la Cour, à la demande d’Orange ou des avocats de Verizon : identification des documents et informations qualifiés d’essentiels, définition des modalités aménagées (occultation de chiffres particulièrement sensibles ou remplacement des chiffres clés par des fourchettes), communication des documents et informations essentiels, modifiés selon les principes définis par la cour, par les avocats de Verizon à Orange, à l’issue d’un délai de 15 jours pour qu’Orange formule ses observations, communication des documents et informations essentiels ainsi modifiés par les avocats de Verizon à la société Verizon,

— surseoir a statuer dans l’attente du rapport d’expertise,

sur le fond,

— confirmer a minima le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la société Orange a commis une faute à l’égard de la société Verizon engageant sa responsabilité délictuelle et a condamné la société Orange à indemniser la société Verizon au titre des tarifs d’Orange sur le départ et la terminaison d’appel pour l’année 2008,

— réformer le jugement entrepris du chef du montant de l’indemnisation accordée à la société Verizon, au titre des tarifs d’Orange sur le départ et la terminaison d’appel pour l’année 2008, en ce qu’il a débouté Verizon de ses demandes au titre des tarifs d’Orange sur le départ et la terminaison d’appel, pour les années 2006 et 2007, en ce qu’il a débouté Verizon de ses demandes au titre du gain manqué tiré des pertes d’opportunité du fait de son éviction partielle des marchés de détail par Orange, en ce qu’il a débouté Verizon de ses demandes au titre des tarifs d’Orange sur le transit pour l’année 2006, sur la VGAST pour les années 2007 et 2008, et sur les services de capacité de segment terminal de débit inférieur à 10 Mbit/s pour les années 2006 et 2007,

— dire que la société Orange a commis une faute délictuelle à l’encontre de Verizon, dont elle doit réparer l’intégralité des conséquences dommageables,

— condamner la société Orange à restituer à la société Verizon la somme de 21.941.153 euros après capitalisation selon le taux de rendement du capital de Verizon, sauf à parfaire, au titre des surfacturations effectuées par l’opérateur historique sur les marchés de gros du départ et de la terminaison d’appel tels que constatées par l’ARCEP dans sa décision,

— condamner la société Orange à verser à la société Verizon la somme de 29.377.390 euros après capitalisation selon le taux de rendement du capital de Verizon, sauf à parfaire, au titre du gain manqué tiré des pertes d’opportunité subies par ce dernier sur les marchés considérés,

en tout état de cause,

— débouter la société Orange de l’ensemble de ses demandes,

— infirmer la décision entreprise du chef du montant de l’indemnité allouée à la société Verizon au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Orange à payer à la société Verizon la somme de 250.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société Orange aux entiers dépens d’appel comprenant ceux afférents à la décision cassée, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure

civile.

* *

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 26 octobre 2020 pour la société Orange afin d’entendre, en application des articles du code civil 1103 et 1104 (anciennement 1134), 1240 (anciennement 1382), 1353 (anciennement 1315) et 11, 16 et 138 à 141 du code de procédure civile ainsi que 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

— débouter la société Verizon de l’ensemble de ses demandes avant dire droit,

— confirmer le jugement, sauf en ce qu’il l’a condamnée à payer la somme de 500.000 euros de dommages-intérêt au titre de sa responsabilité délictuelle ainsi qu’à la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

— débouter la société Verizon de l’ensemble de ses demandes,

— condamner la société Verizon à verser la somme de 200.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Verizon aux entiers dépens dont distraction au profit de la société d’avocats Lexavoue Paris-Versailles représentée par Me Matthieu Boccon-Gibod.

La clôture de l’instruction a été ordonnée par le président à l’audience du 21 janvier 2021.

SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie à leurs conclusions, au jugement ainsi qu’aux arrêts.

Sur le motif légitime de la mesure d’instruction

8. Afin de s’opposer à la demande d’instruction des écarts de tarifs imposés par France Télécom d’après ses coûts et sur la base desquels la société Verizon entend, à nouveau en cause de renvoi de cassation, fonder la réparation des préjudices que le jugement du 18 juin 2013 lui a refusée, la société Orange se prévaut, en premier lieu, et d’une part, de la décision de non lieu à la sanctionner du 17 juin 2009 retenue par le directeur général de l’ARCEP, laquelle n’a pas caractérisé de manquement de France Télécom et a reconnu sa bonne foi, cette décision ayant été confirmée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 juillet 2012 précité. La société Orange se prévaut d’autre part, des décisions de rejet par les juridictions de l’ordre judiciaire saisies par les opérateurs SFR, COLT, British Telecom et Completel, en référé ou au fond, de toutes leurs actions indemnitaires engagées sur les mêmes fondements que ceux de la société Verizon et pour les mêmes causes.

9. Au demeurant, les prérogatives et les décisions de l’ARCEP, sous le contrôle du Conseil d’Etat, ont pour objet le respect par les opérateurs, notamment, des règles de la concurrence et de l’ordre public économique qui lui sont attachées, et en l’espèce à la faveur du respect des obligations comptables et tarifaires de l’opérateur Télécom, et alors d’une part, que le pouvoir de sanction attribué à l’ARCEP par l’article L. 36-11 du CPCE ne l’habilite pas à enjoindre à un exploitant ou à un fournisseur de réparer les conséquences des manquements lorsque ceux-ci ont été régularisés, et tandis, d’autre part, que les décisions rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire dont la société Orange se prévaut n’ont aucune autorité de la chose jugée sur le litige opposant la société Verizon à la société Orange, il convient d’écarter les moyens.

10. En deuxième lieu, la société Orange estime que les conclusions du rapport d’instruction visées

dans la décision de l’ARCEP du 17 juin 2009 précitée ne constituent pas un indice sérieux et précis des manquements de France Télécom à ses obligations tarifaires pour justifier la demande d’instruction judiciaire, alors d’une part, que ce rapport d’instruction n’a pas été établi devant le régulateur au respect des principes du procès équitable et de la contradiction, d’autre part, que la procédure n’avait pas pour objet de se prononcer sur les tarifs passés et enfin, que la révélation, a posteriori, d’un écart entre les coûts prévisionnels et les coûts constatés ne constitue pas l’indice d’un manquement.

11. Néanmoins, en reprenant dans sa décision, la constatation de son service de l’instruction citée au paragraphe 4 et qui conclut que 'les tarifs de départ d’appel pratiqués par la société Orange auraient dû être inférieurs de 2 % en 2006 et de 15 % en 2007', l’ARCEP a nécessairement consacré la valeur juridique de cette observation, en particulier avant de déduire que France Télécom avait régularisé ses tarifs à compter du 1er janvier 2009 pour décider du non lieu à poursuite, de sorte que, nonobstant les règles de procédure applicables devant l’autorité et l’absence de manquement de France Télécom relevée par le régulateur en matière de droit de la concurrence, l’indice du service de l’instruction est suffisamment sérieux pour justifier la mesure d’instruction sollicitée avant que soit appréciée la demande de la société Verizon fondée sur la responsabilité civile de France Télécom, et non sur des manquements sur le marché dont le contrôle et la sanction sont réservés au régulateur.

12. En troisième lieu, la société Orange prétend que les auteurs du rapport d’instruction de l’autorité de régulation ont commis une erreur manifeste d’appréciation, d’une première part, sur les coûts du personnel, qui ne pouvaient être anticipés en raison de l’endettement de France Télécom, de la situation de ses salariés et de leur redéploiement qui s’est imposé à l’entreprise au moment de l’enquête, ce redéploiement ayant par ailleurs permis de réaliser des économies répercutées sur la baisse de tarifs au profit de tous les opérateurs sur le marché de la terminaison d’appel fixe ; de seconde part, sur les coûts prévisionnels attachés aux supports informatiques qu’il était matériellement impossible d’actualiser par produit, et dont la valeur, n’a, en tout état de cause, cessé d’augmenter sur la dernière décennie pour se révéler globalement défavorable à la société Orange.

13. Cependant, ces observations ne relèvent pas de l’appréciation de la valeur du fait qui justifie la mesure d’instruction, mais sur celle sur laquelle les parties peuvent s’opposer à l’occasion de cette mesure et éventuellement lors des débats devant la cour après dépôt du rapport de l’expertise.

14. En quatrième lieu, la société Orange soutient, que l’obligation de séparation comptable qu’elle tient de l’article D. 312 du CPCE, encadrée par les articles 12 à 26 de la décision de l’ARCEP du 7 décembre 2006 n°06-1007, est limitée au contrôle des obligations de non discrimination et de l’absence de subventions croisées abusives auxquelles France Télécom était tenue.

15. Elle estime par ailleurs que les soldes des comptes séparés, qui peuvent traduire des marges, constitue un outil de contrôle du régulateur du respect de son obligation de non-discrimination, mais ne livrent aucun indice sur les coûts sous-jacents de chacune des prestations de gros et ne permettent par conséquent pas d’établir le manquement à l’obligation de pratiquer des tarifs reflétant les coûts sur les marchés en cause.

16. La société Orange conclut encore que le calcul de l’orientation des tarifs vers les coûts qu’elle est tenue d’établir suivant la prescription de l’article D. 311 du CPCE comme les soldes des comptes séparés ne permettent pas d’apprécier les écarts de tarifs dont se prévaut la société Verison, ce dont elle déduit que les écarts relevés dans le rapport d’instruction soumis à l’ARCEP ne constituent, derechef, pas non plus un indice sur les coûts sous-jacents de chacune des prestations de gros qui justifie la demande d’expertise.

17. Enfin, elle affirme que ses comptes précédés des audits qu’elle est astreinte de produire et à publier ont été validés par le régulateur et ne peuvent être remis en cause à la faveur d’une mesure d’instruction.

18. Toutefois, ces affirmations réduisent par l’absurde, le principe même de la mesure des écarts des tarifs par les coûts que France Télécom est tenue de produire, et sont contraires avec la technique comptable et les méthodes d’analyse financière de valorisation des prix par les coûts, y compris les coûts prévisionnels.

19. Et la comptabilité séparée ne s’oppose par ailleurs pas à l’analyse financière que la société Orange prétend opposer suivant les moyens rapportés au paragraphe 12, cette analyse devant être conduite à la lumière de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques qui précise, en son article 13, 1. a), l’obligation de 'de tenir une comptabilité séparée pour les activités liées à la fourniture de réseaux ou de services de communications électroniques, de la même façon que si ces activités étaient entreprises par des sociétés juridiquement indépendantes, de manière à identifier, avec la base de leurs calculs et le détail des méthodes d’imputation appliquées, tous les éléments de dépenses et de recettes liés à leurs activités associées à la fourniture de réseaux ou de services de communications électroniques, en y incluant une ventilation par poste des immobilisations et des dépenses structurelles', et à la lumière, encore, de la recommandation de la Commission européenne du 19 septembre 2005 n°2005/698/CE concernant la séparation comptable et les systèmes de comptabilisation des coûts au titre du cadre réglementaire pour les communications électroniques.

20. Tandis enfin qu’aux termes de sa décision du 17 juin 2009, le directeur général de l’ARCEP ne se prononce pas sur les comptes produits par France Télécom en 2006 et 2007 au soutien des tarifs qu’elle a fixés, et que d’autre part, la procédure de règlement des différends devant l’ARCEP régie par le CPCE interdit aux opérateurs l’accès aux informations desquelles sont déduits les tarifs qui leur sont imposés, il résulte de ces motifs que la société Verison se prévaut d’un indice propre et légitime à justifier la mesure d’instruction en vue d’établir la réalité du préjudice qu’elle invoque.

Sur les modalités et l’objet de la mesure d’instruction

21. La société Orange oppose encore à la mesure d’instruction le secret des affaires auquel celle-ci porterait atteinte, en invoquant les règles du CPCE ainsi que les décisions du régulateur consacrées par le Conseil d’Etat qui interdisent la communication des pièces révélant les états des coûts et des revenus de France Télécom, laquelle apporterait en outre à la connaissance du concurrent des données sur des activités étrangères à celles objet du litige.

22. Au demeurant, les règles de communication de pièces devant l’autorité administrative indépendante ne s’imposent pas aux juridictions de l’ordre judiciaire exclusivement compétentes pour l’appréciation d’un préjudice et dont la recherche légitime est retenue ci-dessus.

23. Et il suit de l’article L. 153-1 du code de commerce que :

« Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :

1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article'.

24. Alors que pour l’application de cette disposition, il suit de l’article L. 153-2, quatrième alinéa, que 'Les personnes habilitées à assister ou représenter les parties sont liées à l’obligation de

confidentialité à l’égard de celles-ci', la mesure d’instruction est proportionnée au droit de la preuve et préserve le secret des affaires de la société Orange, en sorte qu’il convient de l’ordonner suivant les modalités décidées ci-dessous.

25. Enfin, si les demandes de la société Verizon pour la réparation des préjudices au titre des marchés passés en 2006, 2007 et 2008 sont recevables à raison de l’arrêt de renvoi de cassation saisissant la cour, la communication par la société Orange ordonnée suivant les modalités décidées ci-dessous sera limitée aux documents des années 2006 et 2007 ainsi que cela résulte des seuls écarts de tarifs relevés par la décision de l’ARCEP du 17 juin 2009.

26. La cour réservera les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Avant dire droit,

Ordonne une mesure d’instruction ;

Désigne en qualité d’expert M. X Y Tél : 01.45.95.16.40 Email : X.Y@exco.fr, […], Paris 75008 avec pour mission de proposer, d’après les coûts de la société France Telecom, une analyse financière des écarts de tarifs pour les contrats d’interconnexion passés avec la société Verison en 2006, 2007 et 2008 et d’évaluer les éventuels préjudices qui en sont résultés ;

Ordonne à la société Orange en application de l’article L. 153-1 1° du code de commerce, la communication à la demande de l’expert de toute information comptable et financière établie par la société France Télécom au titre des années 2006 et 2007, y compris sa comptabilité séparée, ses audits réglementaires ainsi que le rapport d’instruction de l’ARCEP, à charge pour l’expert d’extraire celles des données utiles à l’expertise et communicables aux conseils des parties ;

Rappelle aux conseils des parties leur obligation de confidentialité qu’ils tiennent de l’article L. 153-2, alinéa 4, du code de commerce ;

Dit que pour procéder à sa mission l’expert devra :

— convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,

— se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission, notamment, le rapport établi par le service d’instruction de l’ARCEP, la comptabilité séparée de la société France Télécom,

— à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations, l’actualiser ensuite dans le meilleur délai – en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations, – en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent, sur le fondement de l’article 280 du code de procédure civile, et dont l’affectation aux parties relève du pouvoir discrétionnaire du juge suivant l’article 269 du même code, – en fixant aux parties un délai impératif pour procéder aux interventions forcées, – en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse,

— au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d’un projet de rapport), et

y arrêter le calendrier impératif de la phase conclusive de ses opérations, compte tenu des délais octroyés devant rester raisonnable, – en fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, – en rappelant aux parties, au visa de l’article 276, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai ;

Dit que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

Fixe à la somme de 50.000 euros la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par la société Verizon France à la régie de la cour d’appel de Paris le 9 juin 2021 au plus tard ;

Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou de demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera caduque et de nul effet ;

Dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe de la cour d’appel de Paris dans les dix mois suivant la date à laquelle il aura été informé de la consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge chargé du contrôle des expertises ;

Renvoie la cause et les parties et le contrôle de l’exécution de la mesure de l’instruction devant le magistrat chargé de la mise en état ;

Réserve les dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 7 mai 2021, n° 20/11528