Cour administrative d'appel de Marseille, 7e chambre, 24 janvier 2020, n° 18MA04972

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Chronologie de l’affaire

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www.altes-law.com · 16 avril 2021

Par deux décisions rendues le 15 avril 2021 (n°432158 ; n°430500), le Conseil d'État (6ème et 5èmes chambres réunies) se prononce sur l'intérêt public permettant de justifier qu'une installation de production d'énergie renouvelable entraîne la destruction d'espèces protégées. Ces décisions s'inscrivent dans une ligne jurisprudentielle ouverte par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 4 mars 2021 renforçant la protection des espèces protégées et généralisant la procédure de dérogation en cas de destruction, même involontaire. En s'en remettant à l'appréciation …

 
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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 7e ch., 24 janv. 2020, n° 18MA04972
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 18MA04972
Décision précédente : Tribunal administratif de Montpellier, 26 septembre 2018, N° 1700352
Dispositif : Satisfaction totale

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association Sauvegarde des Avant-Monts (SAM), M. et Mme J N, M. et Mme B E, M. et Mme Q I, M. et Mme O AH, M. T AC, Mme AB AD, M. H M, M. AE AI, M. AG AI, M. et Mme X G, M. D AF, Mme A Z, M. R F, Mme Y AA, M. C K, M. V W ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de l’Hérault portant autorisation à la société parc éolien des Avant-Monts de dérogation aux interdictions relatives aux espèces de faune sauvage protégées, dans le cadre de la réalisation du parc éolien des Avant-Monts.

Par un jugement n° 1700352 du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2018 et le 29 novembre 2018, l’Association Sauvegarde des Avant-Monts, Mme AB AD et Mme A Z, représentées par Me P, demandent à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 27 septembre 2018 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de l’Hérault ;

3°) d’enjoindre à l’Etat de tirer toutes les conséquences de cette annulation et de prendre toute mesure utile pour mettre fin aux effets de cet arrêté ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat et de la société Parc éolien des Avant-Monts chacun la somme de 3 000 euros à verser à l’ensemble des requérants, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

— les premiers juges ont écarté le moyen tiré du défaut de motivation de l’arrêté en litige en ne motivant pas suffisamment leur jugement ;

— ils ont intérêt à agir contre l’arrêté contesté et leur demande de première instance est donc recevable ;

— l’arrêté du préfet est insuffisamment motivé ;

— en l’absence d’intérêt public majeur impératif, la dérogation ne pouvait être légalement accordée ;

— il n’a pas été procédé à une recherche sérieuse de solutions alternatives en méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;

— en estimant que la dérogation accordée ne nuisait pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle, le préfet a entaché son arrêté d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2019, la société Parc éolien des Avant-Monts, représentée par Me S, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise solidairement à la charge des requérantes la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la requête est tardive ;

— la demande de première instance était irrecevable à défaut d’intérêt à agir des requérants ;

— aucun des moyens soulevés par les requérantes n’est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 22 janvier 2019, Mme AB AD déclare se désister purement et simplement de sa requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

— le code de l’énergie ;

— le code de l’environnement ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. L,

— les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

— et les observations de Me S, représentant la société Parc éolien des Avant-Monts.

Une note en délibéré présentée pour la société Parc éolien des Avants-Monts a été enregistrée le 13 janvier 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Suite à la demande présentée par la société Parc éolien des Avant-Monts, titulaire d’une autorisation d’exploitation d’un parc éolien sur le territoire de la commune de Ferrières-Poussarou délivrée le 23 juillet 2014 au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement, le préfet de l’Hérault lui a accordé par un arrêté du 22 novembre 2016, pris sur le fondement des dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, une dérogation aux interdictions figurant au 1° et 2° du I de l’article L. 411-1 du même code relatives à la protection des espèces animales et végétales, portant au total sur cent espèces protégées et autorisant notamment la destruction de spécimens pour nombre d’entre elles. Par un jugement du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et autres tendant à l’annulation de cet arrêté. L’Association Sauvegarde des Avant-Monts, Mme AD et Mme Z relèvent appel de ce jugement.

2. Le désistement de Mme AD est pur et simple. Rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d’appel par la société Parc éolien des Avant-Monts :

3. Aux termes de l’article R. 811-2 du code de justice administrative : « Sauf disposition contraire, le délai d’appel est de deux mois () ». Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué a été notifié le 28 septembre 2018 à l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et le 9 octobre 2018 à Mme Z, ainsi qu’en attestent les accusés de réception postaux signés par les intéressées. La requête d’appel présentée par l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et Mme Z a été enregistrée au greffe de la Cour le 27 novembre 2018, soit dans le délai de deux mois prévu par les dispositions rappelées ci-dessus. Le document enregistré le 29 novembre 2018 portant l’intitulé « mémoire introductif d’instance – rectificatif » se bornait à reprendre en substance le contenu de la requête enregistrée le 27 novembre 2018 et n’avait pour seul objet que de corriger la liste et l’identité des appelants. Il doit être regardé comme un mémoire complémentaire à la requête. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête d’appel doit être écartée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. L’Association Sauvegarde des Avant-Monts a pour objet, aux termes de ses statuts, « la défense de l’environnement () sur le territoire de la commune de Ferrières-Poussarou et sur les communes limitrophes. En particulier sur ce territoire, elle a pour objet d’oeuvrer pour la préservation () de la biodiversité (faune et flore) () ». Elle justifie ainsi d’un intérêt pour demander l’annulation de l’arrêté du préfet de l’Hérault du 22 novembre 2016 autorisant une dérogation aux interdictions de destruction des espèces protégées. Mme Z, qui invoque sa qualité de résidente à Ferrière Poussarou et de vétérinaire dans cette commune, justifie également d’un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté contesté. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la société Parc éolien des Avant-Monts, tirée d’un défaut d’intérêt à agir de l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et de Mme Z, doit être écartée.

Sur la légalité de l’arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de l’Hérault :

5. Le I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement comporte un ensemble d’interdictions visant à assurer la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits en vertu du 1° du I de cet article : « La destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ». Sont interdits en vertu du 2° du I du même article : « La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ». Sont interdits en vertu du 3 du I du même article : « La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ». Toutefois, le 4° du I de l’article L. 411-2 du même code permet à l’autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs qu’il énumère limitativement, dont celui énoncé au c) qui mentionne « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques », « d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » et « les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

6. Il résulte de ces dispositions qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

7. Il ressort des pièces des dossiers que le projet autorisé au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement s’inscrit dans le cadre de la réalisation d’un parc éolien et contribue, par suite, à la politique énergétique qui, en application de l’article L. 100-1 du code de l’énergie, « préserve la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre et contre les risques industriels majeurs, en réduisant l’exposition des citoyens à la pollution de l’air () ». Il vise également, conformément aux dispositions de l’article L. 100-2 du même code, à « 3° Diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles, diversifier de manière équilibrée les sources de production d’énergie et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale ». Enfin, il contribue, ainsi que le relève l’arrêté en litige, à l’objectif de porter la production d’énergies renouvelables en Midi-Pyrénées à 2 000 Mégawatts à l’horizon 2020, et s’inscrit ainsi dans les objectifs de la politique énergétique nationale énoncés au I de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, dans sa version alors en vigueur issue de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui visent à : « 1° () réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 () / 3°) réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à l’année de référence 2012 / 4°) De porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 () ». L’opération présente ainsi un caractère d’intérêt général.

8. Il ressort cependant des pièces du dossier que la liste des espèces protégées affectées par ce projet, telle qu’elle figure à l’article 1er de l’arrêté contesté du 22 novembre 2016, comporte quatre espèces de reptiles, une espèce d’amphibien, soixante-dix espèces d’oiseaux dont neuf à fort enjeux de conservation au nombre desquelles figurent notamment l’aigle royal, le circaète Jean-le-Blanc et le minioptère de Schreibers, dites « espèces cibles » et vingt-cinq espèces de mammifères. Il fait état s’agissant d’un grand nombre de ces espèces, de la destruction d’une vingtaine d’individus par espèce, soit au total 875 spécimens d’oiseaux et 719 spécimens de chiroptères. Cet arrêté a également pour effet d’autoriser des travaux conduisant à la destruction de l’habitat de ces espèces protégées. Il comporte ainsi des conséquences irréversibles pour les individus de ces espèces. La contribution du projet à la production d’énergies renouvelables reste modeste, celui-ci ne participant qu’à hauteur de 1,5 % à la réalisation des objectifs régionaux en cette matière. S’il doit permettre une production équivalente à la consommation électrique de 26 500 personnes et éviter le rejet annuel de 50 920 tonnes de CO2, il est constant que le département de l’Hérault et le département proche de l’Aude comptent déjà de nombreux parcs éoliens répartis dans les zones les plus favorables au développement de cette forme d’énergie, alors qu’il n’est pas soutenu que ces départements seraient confrontés en matière de diversification des sources de production d’énergie à des déséquilibres particuliers. Dans ces conditions, en dépit de la circonstance qu’il revêt, ainsi qu’il a été dit au point 7, un caractère d’intérêt général et qu’il pourrait générer quelques bénéfices sociaux-économiques pour les entreprises régionales ainsi que la création d’une trentaine d’emplois durant les phases de construction et d’exploitation, le projet pour lequel la décision attaquée a permis de déroger aux interdictions résultant de l’article L. 411-1 du code de l’environnement ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c) du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et autre sont fondées à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de l’Hérault.

Sur les conclusions aux fins d’injonction présentées par l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et autre :

10. Le présent arrêt, qui annule la dérogation donnée à l’interdiction de destruction des espèces protégées suffit par lui-même à rendre à nouveau exécutoire cette interdiction prévue par le I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Il n’appelle donc aucune mesure d’exécution. Par, suite, les conclusions présentées par l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et autre tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Etat de prendre toute mesure utile pour mettre fin aux effets de cet arrêté ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge des requérantes qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre solidairement à la charge de l’Etat et de la société Parc éolien des Avant-Monts le versement à l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et à Mme Z de la somme de 1 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il est donné acte du désistement de Mme AD de sa requête d’appel.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 27 septembre 2018 et l’arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de l’Hérault sont annulés.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L’Etat et la société Parc éolien des Avant-Monts verseront solidairement à l’Association Sauvegarde des Avant-Monts et à Mme Z la somme de 1 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la société Parc éolien des Avant-Monts tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l’Association Sauvegarde des Avant-Monts, à Mme AB AD, à Mme A Z, à la société Parc éolien des Avant-Monts et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l’audience du 10 janvier 2020, où siégeaient :

— M. Pocheron, président de chambre,

— M. L, président assesseur,

— Mme U, première conseillère.

Lu en audience publique, le 24 janvier 2020.

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