CEDH, Cour (cinquième section), GRANER c. FRANCE, 5 mai 2020, 84536/17

  • Archives·
  • Conseil constitutionnel·
  • Recours·
  • Gouvernement·
  • Document·
  • Droits et libertés·
  • Consultation·
  • Patrimoine·
  • Mandataire·
  • Liberté

Chronologie de l’affaire

Commentaires8

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.revuegeneraledudroit.eu · 21 février 2021

Imprimer ... 722 • Le droit de l'Union est, depuis ses débuts, un droit qui a été voulu par les auteurs des traités originaires et par la Cour de justice, comme le droit d'un ordre juridique autonome, droit directement applicable dans les Etats membres et dont la primauté et l'application uniforme sont des éléments considérés comme consubstantiels (selon CJCE, 15 juillet 1964, Costa contre ENEL, Aff. n°C-6/64,Rec. CJCE, p. 1141 : « La Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, …

 

www.revuedlf.com · 12 novembre 2020

Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l'Université de Montpellier, IDEDH Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS, Cette livraison intervenant dans un contexte tout à fait exceptionnel, il est difficile de ne pas évoquer les effets de la lutte contre la pandémie du covid-19 sur le respect des droits fondamentaux. Du point de vue du droit international des droits de l'homme, on sait que le débat s'est …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 5 mai 2020, n° 84536/17
Numéro(s) : 84536/17
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 21 décembre 2017
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-202611
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2020:0505DEC008453617
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 84536/17
François GRANER
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 5 mai 2020 en une chambre composée de :

 Síofra O’Leary, présidente,
 Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
 Ganna Yudkivska,
 André Potocki,
 Yonko Grozev,
 Lәtif Hüseynov,
 Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 décembre 2017,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. François Graner, est un ressortissant français né en 1966 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

  1. Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant est physicien et directeur de recherche au centre national de recherche scientifique (« CNRS ») ainsi qu’à l’université Paris Diderot. Il indique que, parallèlement à son activité scientifique, il conduit depuis plusieurs années un travail d’enquête sur le rôle joué par la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide des Tutsis en 1994. Il précise avoir publié en 2014 un ouvrage consacré à ce sujet, intitulé « le sabre et la machette ; officiers français et génocide Tutsi ».

4.  Le 7 avril 2015, le secrétaire général de la présidence de la République française décida « de déclassifier des archives des documents de l’Élysée relatifs au Rwanda entre 1990 et 1995 ».

  1. La demande de consultation des archives de la présidence de François Mitterrand

5.  Le 14 juillet 2015, le requérant, qui préparait un livre sur « la politique africaine du président François Mitterrand en Afrique centrale (1981-1995) », demanda au directeur des Archives de France l’autorisation de consulter dix-huit dossiers faisant partie des archives de la présidence de François Mitterrand.

6.  Le 13 août 2015, le directeur des Archives de France transmit cette demande à la mandataire du président Mitterrand. Il précisait dans sa lettre que, selon lui, la communication de deux dossiers ne porterait pas une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. Il ajoutait que les seize autres dossiers avaient été « examinés le 5 novembre 2014 par la commission d’examen des archives de la présidence de la République portant sur le Rwanda pour les années 1990 à 1994, (...) réunie sous l’égide du secrétariat de la défense et de la sécurité nationale, [laquelle avait] émis un avis favorable à la déclassification de tous les documents classifiés contenus dans ces articles et estimé que la quasi-totalité de l’ensemble des documents, classifiés ou non, qu’ils cont[enaient], pouvait être consultés par dérogation ». Il spécifiait toutefois qu’il y avait dans ces seize dossiers des documents qui n’avaient pas été déclassifiés par l’autorité compétente ou que la commission d’examen avait estimés non communicables par dérogation. Il indiquait en conséquence que « la communication de ces seize dossiers ne para[issait] pas porter une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, à la condition que l’on extraie, au moment de la consultation, les documents classifiés qu’ils cont[enaient] ainsi que (...) le télégramme diplomatique du 11 mars 1993, non classifié, mais relatant les opinions de journalistes encore en activité sur le génocide ».

7.  La mandataire du président Mitterrand répondit le 7 octobre 2015 qu’elle donnait son autorisation pour la consultation des deux premiers dossiers, mais pas des seize autres, au motif qu’ils étaient « susceptibles de porter une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi ». Elle indiquait en particulier que ces seize dossiers contenaient un ou des documents classés « secret », « secret défense » ou « confidentiel défense ».

8.  Le 7 décembre 2015, le directeur des Archives de France informa le requérant qu’au vu de l’avis de la mandataire du président Mitterrand, il l’autorisait à consulter les deux premiers dossiers mais pas les seize autres.  Il précisait ce qui suit :

« (...) en effet, il s’agit de documents dont la communication est de nature à porter une atteinte aux intérêts protégés par la loi. Après avoir saisi la mandataire du président François Mitterrand, j’émets un avis défavorable à la consultation par dérogation (...) ».

  1. L’avis de la commission d’accès aux documents administratifs

9.  Le requérant saisit la commission d’accès aux documents administratifs (« CADA »), qui, le 3 mars 2016, rendit l’avis suivant :

« En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur chargé des Archives de France a informé la commission que tenu par le I de l’article L. 213-3 et l’article L. 213-4 du code du patrimoine, il ne pouvait accéder à la demande de dérogation sans l’accord de la mandataire des archives du président [Mitterrand]. Elle prend note qu’il propose néanmoins, sous réserve de l’accord de [la mandataire], que ces dossiers soient communiqués au demandeur, hormis les pièces classifiées.

La commission rappelle qu’aux termes de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi no 2008-696 du 15 juillet 2008, les documents d’archives publiques émanant d’un président de la République versés antérieurement à la publication de cette loi sont régis par le protocole signé entre celui-ci et l’administration des archives. Toutefois, les clauses relatives aux mandataires cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire du protocole.

La commission estime qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque le protocole prévoit que le président de la République concerné peut s’opposer à la communication par anticipation de ses archives, et que ce dernier ou son mandataire, lors de la période des vingt-cinq années qui suivent le décès du président, n’a pas donné son accord à la divulgation des archives demandées, l’administration se trouve en situation de compétence liée pour refuser la communication par dérogation de ces archives.

La commission constate que les archives demandées sont des archives présidentielles versées sous protocole signé antérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008. Dès lors qu’en l’espèce la mandataire n’a pas souhaité autoriser la consultation de ces archives par dérogation, la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable à la demande ».

  1. La saisine du tribunal administratif de Paris et la question prioritaire de constitutionnalité

10.  Le 2 décembre 2016, le ministre de la culture et de la communication, après accord de la mandataire, autorisa le requérant à consulter cinq des seize dossiers litigieux.

11.  Le 12 décembre 2016, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 décembre 2015 et à la condamnation du ministère de la Culture et de la Communication à lui délivrer les documents litigieux. Évoquant les principes fondamentaux garantis par la Constitution, il se plaignait notamment de l’absence de procédure permettant de contester les décisions de la mandataire du président Mitterrand. Il soutenait de plus que l’article L. 213-4 du code du patrimoine (sur lequel l’avis de la CADA était fondé (paragraphe 9 ci-dessus)) était inconstitutionnel en ce qu’il contrevenait au principe de l’accès du citoyen aux archives d’État découlant de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »). Par ailleurs, renvoyant à la jurisprudence de la Cour, il invoquait l’article 10 de la Convention en ce qu’il garantit notamment la liberté de recevoir des informations, ainsi que l’article 13 de la Convention.

a)      La question prioritaire de constitutionnalité

12.  Parallèlement, le requérant soumit une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») au tribunal administratif. Il soutenait que les dispositions de l’article L. 213-4 du code du patrimoine étaient contraires à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’elles conféraient au mandataire le pouvoir de s’opposer, seul et sans explication, au droit des citoyens d’accéder librement aux archives publiques. Il ajoutait que le caractère discrétionnaire du refus opposé par le mandataire joint à la situation de compétence liée dans laquelle se trouve le ministre pour refuser l’accès aux archives publiques concernées dans un tel cas ne permettait pas l’exercice du droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

13.  Le 2 mars 2017, le tribunal administratif transmit la QPC au Conseil d’État qui, le 28 juin 2017, la renvoya au Conseil constitutionnel par une décision ainsi motivée :

(...) 4. Les dispositions de l’article L. 213-4 du code du patrimoine sont applicables au litige dont le tribunal administratif de Paris est saisi. Elles n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaissent les articles 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen soulève une question qui présente un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de constitutionnalité invoquée. »

14.  Devant le Conseil constitutionnel, le requérant fit en outre valoir que le dispositif prévu par l’article L. 213-4 du code du patrimoine méconnaissait le droit du public à recevoir des informations, corollaire du droit à la libre communication des pensées et des opinions, et était contraire au droit à un recours effectif.

b)     La décision du Conseil constitutionnel du 15 septembre 2017

15.  Le 15 septembre 2017 (décision no 2017-655 QPC), le Conseil constitutionnel déclara le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine conformes à la Constitution, retenant notamment ce qui suit :

« (...)

- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration de 1789 :

4. Aux termes de l’article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Est garanti par cette disposition le droit d’accès aux documents d’archives publiques. Il est loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

5. Selon le premier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, le versement des documents d’archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature de protocoles, conclus entre la partie versante et l’administration des archives, déterminant notamment les conditions de communication du fonds versé. En application de l’article L. 213-3 du même code, l’autorisation de consultation de ces documents avant l’expiration des délais fixés à l’article L. 213-2, qui varient en fonction des intérêts protégés, peut être accordée aux personnes qui en font la demande « dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ».

6. En application des dispositions contestées, cette consultation anticipée, lorsqu’elle porte sur des archives publiques versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008, requiert l’autorisation préalable du signataire du protocole. La consultation anticipée des archives versées avant cette publication, qui demeure régie par les protocoles conclus antérieurement, nécessite l’autorisation du signataire ou, le cas échéant, de son mandataire.

7. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en conférant au signataire du protocole ou à son mandataire le pouvoir d’autoriser la consultation anticipée des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, le législateur a entendu, en les plaçant sous le contrôle des intéressés, accorder une protection particulière à ces archives, qui peuvent comporter des informations susceptibles de relever du secret des délibérations du pouvoir exécutif et, ainsi, favoriser la conservation et le versement de ces documents. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.

8. En second lieu, cette restriction au droit d’accès aux documents d’archives publiques est limitée dans le temps. D’une part, les protocoles relatifs aux archives versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008 cessent de plein droit d’avoir effet lors du décès de leur signataire et, en tout état de cause, pour les documents relevant de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, à l’expiration des délais fixés par cet article. D’autre part, les clauses relatives à la faculté d’opposition du mandataire figurant dans les protocoles régissant les archives versées avant cette même publication cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire.

9. Par conséquent, les limitations apportées par les dispositions contestées à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques résultant de l’article 15 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à cet objectif. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.

- Sur les autres griefs :

10. (...) en définissant des conditions spécifiques de communication des archives publiques du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, les dispositions contestées ne portent pas d’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.

11. (...) les dispositions contestées ne privent pas la personne à qui est opposé un refus de consultation du droit de contester cette décision devant le juge. La circonstance que l’autorité administrative ne puisse surmonter l’absence d’accord du signataire du protocole ou, le cas échéant, de son mandataire n’entraîne par elle-même pas d’atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

(...) ».

c)      Le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 mai 2018

16.  Le 17 mai 2018, le tribunal administratif de Paris décida qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation pour excès de pouvoir du requérant pour autant qu’il concernait la consultation des cinq dossiers dont l’accès lui avait été accordé. Il le rejeta pour le surplus par les motifs suivants :

« (...) 4. Considérant que par une décision no 2017-655 QPC du 15 septembre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi no 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives ; que, dès lors, le moyen tiré de l’atteinte par ces dispositions aux droits et libertés garantis par la constitution ne peut qu’être écarté ;

5. Considérant que M. Graner soutient que le refus partiel de consultation des archives présidentielles de François Mitterrand sur le Rwanda opposé par sa mandataire est dépourvu de fondement juridique et méconnait le principe selon lequel l’autorité dont émane les documents a la charge d’accorder les autorisation de consultation d’archives ; que, toutefois, la décision de la ministre de la culture, après consultation de la mandataire, a été largement prise au regard des dispositions (...) des articles L. 213-3 et L. 213-4 du code du patrimoine dont il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier le bien-fondé ;

6. Considérant qu’en définissant des conditions spécifiques de communication des archives publiques du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement dans le but de conserver et de permettre le versement de ces documents, les dispositions de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, qui poursuivent un objectif d’intérêt général, ne portent pas atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 10 § 1 de la Convention (...) ; que le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté ;

7. Considérant que M. Graner soutient que les dispositions de l’article L. 213-4 du code du patrimoine méconnaissent le droit au recours protégé par les stipulations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention (...) ; que, toutefois, la circonstance que l’autorité administrative ne puisse surmonter l’absence d’accord du signataire du protocole de versement ou, le cas échéant, de son mandataire, et soit tenue, par suite, de refuser la consultation d’archives publiques émanant du Président de la République n’entraîne pas, par elle-même, d’atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction protégé par l’article 13 de la Convention (...) ;

8. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 213-4 du code du patrimoine que l’accord de la partie versante est requis pour autoriser la consultation des archives de la présidence de la République ; qu’il s’ensuit que, compte-tenu du refus partiel opposé par le mandataire des archives de la présidence de François Mitterrand, la ministre (...) était tenue de refuser à M. Graner la consultation des documents en cause, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l’espèce ; que dès lors, les moyens soulevés par M. Graner à l’appui des conclusions en annulation formées contre la décision contestée de la ministre (...) ne peuvent qu’être écartés comme inopérants ;

9. Considérant que si lorsque la délivrance d’une autorisation administrative est subordonnée à l’accord préalable d’une autre autorité, le refus d’un tel accord, qui s’impose à l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision ;

10. Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier et contrairement à ce que fait valoir M. Graner, que d’autres chercheurs auraient eu l’autorisation de consulter les archives en litige ; que, par suite, le moyen tiré d’une rupture d’égalité entre chercheurs doit être écartée ;

11. Considérant que M. Graner soutient que le refus partiel de la mandataire du président François Mitterrand est entaché d’un conflit d’intérêts dans la mesure où elle est membre du conseil d’administration et du conseil scientifique de l’institut François Mitterrand, lequel a pris position sur l’intervention française au Rwanda ; que, toutefois, dans la mesure où l’article L. 213-4 laisse au signataire du protocole le soin de désigner un mandataire sans prévoir d’incompatibilité, le moyen ne peut être qu’écarté comme étant inopérant ; qu’en tout état de cause, et à supposer que M. Graner ait entendu soulever ainsi le moyen tiré du détournement de pouvoir, la circonstance invoquée ne permet pas de l’établir ;

12. Considérant enfin, que M. Graner soutient que la décision de la mandataire des archives de la présidence de François Mitterrand est entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de l’atteinte portée, par la consultation demandée, aux intérêts protégés par la loi ; que, toutefois, et alors que la consultation anticipée de ce fonds d’archives constitue une dérogation aux règles instituées par l’article L. 213-2 du code du patrimoine, il n’apporte aucun élément de nature à démontrer que l’intérêt que présenterait la consultation de ces archives avant l’expiration du délai prévu par le code du patrimoine, qui expire en l’espèce en janvier 2021, serait supérieur aux intérêts liés notamment au respect de la vie privée, de la sécurité de l’État et de la prévention de troubles à l’ordre public que la loi a entendu ainsi protéger ; que la circonstance, même à la supposer établie, que ces archives ont été déclassifiées, est à cet égard sans incidence ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation doit être écarté ; (...) ».

17.  Le requérant se pourvut en cassation devant le Conseil d’État. La procédure est pendante.

  1. Le droit et la pratique internes pertinents
    1. La procédure de question prioritaire de constitutionnalité

18.  La procédure de QPC a été instaurée par la loi constitutionnelle no 2008-724 de modernisation des institutions de la Ve République, du 23 juillet 2008 (voir Renard et autres c. France (déc.), no 3569/12, §§ 7-9, 25 août 2015), qui a inséré la disposition suivante dans la Constitution :

 Article 61-1

« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. (...) ».

19.  Ses modalités ont été précisées par la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

20.  La procédure de QPC – décrite notamment sur le site www.vie-publique.fr réalisé par la Direction de l’information légale et administrative, rattachée aux services du Premier ministre – permet aux justiciables de contester la constitutionnalité d’une disposition législative à l’occasion d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, lorsqu’il/elle estime que cette disposition porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Une QPC peut en principe être posée au cours de toute instance – première instance, appel ou cassation – devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, quelle que soit la nature du litige (civile, pénale, commerciale, sociale, administrative, fiscale, etc.).

21.  Le justiciable ne peut saisir directement le Conseil constitutionnel d’une QPC. La QPC fait l’objet d’un premier examen par la juridiction du fond, qui vérifie si elle est recevable et si les critères fixés par la loi organique du 10 décembre 2009 sont remplis. Si c’est le cas, la juridiction saisie transmet la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Le Conseil d’État ou la Cour de cassation procède à son tour à un examen plus approfondi et décide de saisir ou non le Conseil constitutionnel. Le refus, par les juridictions suprêmes, de saisir le Conseil constitutionnel ne peut faire l’objet d’aucun recours. Quand la juridiction du fond refuse de transmettre une QPC, cette décision ne peut être contestée que lors d’un appel ou d’un pourvoi en cassation.

22.  Lorsqu’il est saisi, le Conseil constitutionnel a trois mois, à compter du jour où il a été saisi, pour rendre sa décision. S’il déclare la disposition contestée conforme à la Constitution, la juridiction doit l’appliquer, à moins qu’elle ne la juge incompatible avec une disposition du droit de l’Union européenne ou d’un traité. S’il déclare la disposition contestée contraire à la Constitution, cette décision a deux conséquences : l’application de la disposition est écartée dans le procès concerné ; la disposition est abrogée soit immédiatement, soit à compter d’une date ultérieure fixée par le Conseil lui-même. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.

  1. Le code du patrimoine

23.  Les articles L. 213-1 à L. 213-6 du code du patrimoine sont ainsi libellés (version applicable à l’époque des faits) :

Article L. 213-1

« Les archives publiques sont, sous réserve des dispositions de l’article L. 213-2, communicables de plein droit (...) ».

Article L. 213-2

« Par dérogation aux dispositions de l’article L. 213-1 :

I. Les archives publiques sont communicables de plein droit à l’expiration d’un délai de :

1o Vingt-cinq ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier :

a) Pour les documents dont la communication porte atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif, à la conduite des relations extérieures, à la monnaie et au crédit public, au secret en matière commerciale et industrielle, à la recherche par les services compétents des infractions fiscales et douanières ou au secret en matière de statistiques sauf lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d’ordre privé mentionnées aux 4o et 5o ;

b) Pour les documents mentionnés au 1o du I de l’article 6 de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978, à l’exception des documents produits dans le cadre d’un contrat de prestation de services exécuté pour le compte d’une ou de plusieurs personnes déterminées lorsque ces documents entrent, du fait de leur contenu, dans le champ d’application des 3o ou 4o du présent I ;

2o Vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l’intéressé, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret médical. Si la date du décès n’est pas connue, le délai est de cent vingt ans à compter de la date de naissance de la personne en cause ;

3o Cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée, à l’exception des documents mentionnés aux 4o et 5o. Le même délai s’applique aux documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d’une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice.

Le même délai s’applique aux documents relatifs à la construction, à l’équipement et au fonctionnement des ouvrages, bâtiments ou parties de bâtiment utilisés pour la détention des personnes ou recevant habituellement des personnes détenues. Ce délai est décompté depuis la fin de l’affectation à ces usages des ouvrages, bâtiments ou parties de bâtiment en cause ;

4o Soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l’intéressé si ce dernier délai est plus bref :

a) Pour les documents dont la communication porte atteinte au secret en matière de statistiques lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d’ordre privé ;

b) Pour les documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire ;

c) Pour les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l’exécution des décisions de justice ;

d) Pour les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels ;

e) Pour les registres de naissance et de mariage de l’état civil, à compter de leur clôture ;

5o Cent ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l’intéressé si ce dernier délai est plus bref, pour les documents mentionnés au 4o qui se rapportent à une personne mineure.

Les mêmes délais s’appliquent aux documents couverts ou ayant été couverts par le secret de la défense nationale dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables. Il en est de même pour les documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire, aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l’exécution des décisions de justice dont la communication porte atteinte à l’intimité de la vie sexuelle des personnes.

II. Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue. »

Article L. 213-3

« I. L’autorisation de consultation de documents d’archives publiques avant l’expiration des délais fixés au I de l’article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Sous réserve, en ce qui concerne les minutes et répertoires des notaires, des dispositions de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, l’autorisation est accordée par l’administration des archives aux personnes qui en font la demande après accord de l’autorité dont émanent les documents.

Le temps de réponse à une demande de consultation ne peut excéder deux mois à compter de l’enregistrement de la demande.

II. L’administration des archives peut également, après accord de l’autorité dont émanent les documents, décider l’ouverture anticipée de fonds ou parties de fonds d’archives publiques. »

Article L. 213-4

« Le versement des documents d’archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l’administration des archives d’un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l’article L. 213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s’appliquer aux documents d’archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l’autorité signataire.

Pour l’application de l’article L. 213-3, l’accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l’ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole.

Le protocole cesse de plein droit d’avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 213-2.

Les documents d’archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi no 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l’autorité signataire cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire. »

Article L. 213-5

« Toute administration détentrice d’archives publiques ou privées est tenue de motiver tout refus qu’elle oppose à une demande de communication de documents d’archives. »

Article L. 213-6

« Les services publics d’archives qui reçoivent des archives privées à titre de don, de legs, de cession ou de dépôt sont tenus de respecter les stipulations du donateur, de l’auteur du legs, du cédant ou du déposant quant à la conservation et à la communication de ces archives. »

GRIEFS

24.  Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant dénonce une restriction arbitraire de son droit à consulter des archives publiques en vue d’effectuer un travail de recherche historique et du droit du public à recevoir des informations d’intérêt général.

25.  Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’il ne disposait pas d’un recours effectif permettant de faire valoir son droit à la liberté d’expression.

EN DROIT

  1. Quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention

26.  Le requérant dénonce une restriction arbitraire de son droit à consulter des archives publiques en vue d’effectuer un travail de recherche historique et du droit du public à recevoir des informations d’intérêt général. Il invoque l’article 10 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

  1. Observations des parties sur la recevabilité

a)      Le Gouvernement

27.  Le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes, le requérant l’ayant introduite le 14 décembre 2017, alors que le recours en annulation pour excès de pouvoir était pendant devant le tribunal administratif, lequel avait été saisi le 12 décembre 2016 (paragraphe 11 ci-dessus). Il relève que ce dernier a statué le 17 mai 2018, avant la communication de l’affaire, intervenue le 2 mai 2019, mais que la procédure est pendante devant le Conseil d’État.

28.  Le Gouvernement soutient ensuite que le fait que le requérant a déposé une demande de QPC visant la conformité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine aux normes de droit constitutionnel relatives à la liberté d’expression et au droit à un recours effectif ne suffit pas pour qu’il y ait épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir sur ce point qu’une telle demande ne peut être assimilée à l’exercice d’une voie de recours effective, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, car la saisine du Conseil constitutionnel, qui statue in abstracto, n’a pas pour effet de mettre fin au litige, le juge ordinaire devant ensuite tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et se prononcer sur les autres moyens soulevés par le requérant. Il renvoie à l’arrêt Parrillo c. Italie [GC] (no 46470/11, § 101, CEDH 2015).

29.  Le Gouvernement estime en revanche que le recours en excès de pouvoir remplit les exigences de l’article 35 § 1 puisqu’il est de nature à permettre au requérant d’obtenir l’annulation de la décision partielle de rejet de sa demande de consultation anticipée et la délivrance d’une injonction à l’administration de communiquer les documents litigieux. Il ne conteste pas que l’article L. 213-4 du code du patrimoine met l’administration dans une situation de compétence liée par rapport à l’avis du mandataire, et que face à une décision prise dans une telle situation, les moyens dirigés contre la décision de l’administration sont en principe inopérants. Il souligne toutefois qu’il résulte de la jurisprudence interne que, par exception, cela ne vaut pas pour les moyens tirés de la violation de stipulations conventionnelles internationales, telles que la Convention (il se réfère aux décisions du Conseil d’État, Bertin (4 octobre 2000, no 200724A) et 2/6 SSR (30 septembre 1998, no 172396)), et que cela n’empêche pas les juridictions administratives de contrôler la légalité interne et externe de l’avis du mandataire (il se réfère à la décision du Conseil d’État, Mme Rouzaud (29 juin 2011, no 335072)). Le Gouvernement précise que le juge administratif procède à un contrôle de l’erreur de droit sur l’appréciation par le mandataire des intérêts en présence, et à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la pondération des intérêts, y compris ceux protégés par l’article 10 de la Convention ; il peut se faire communiquer les archives litigieuses afin de fonder son appréciation des conséquences qu’aurait leur communication, ce que le Conseil d’État a du reste fait en la cause du requérant. Il ajoute qu’en l’espèce, contrairement à ce que prétend le requérant, l’avis de la mandataire était motivé.

30.  Le Gouvernement rejette la thèse du requérant selon laquelle le recours devant le Conseil d’État est voué à l’échec à cause de la décision du Conseil constitutionnel no 2017-655 QPC, si bien que le requérant se trouverait dispensé d’en faire usage au titre de l’épuisement des voies de recours internes. Il précise qu’en vertu de l’article 62 alinéa 3 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne s’imposent aux juridictions que s’agissant des points sur lesquels il a statué soit, en l’espèce, quant à la constitutionalité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine.

31.  Le Gouvernement souligne ensuite que la conformité d’une norme à la Constitution et la conformité de cette norme ou de son application à des stipulations internationales sont deux questions distinctes ; le Conseil constitutionnel statue uniquement sur la constitutionalité de dispositions législatives, pas sur leur conventionalité ou sur la conventionalité de leur application, ce rôle étant assuré par le « juge national ordinaire ». Le Gouvernement rejette également la thèse du requérant selon laquelle, en raison des similitudes entre les droits et libertés individuels tirés de la Convention invoqués devant le juge administratif et les droits et libertés individuels tirés de la Constitution invoqués devant le Conseil constitutionnel, le juge administratif serait tenu en sa cause de transposer la décision du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine. Il souligne à cet égard que, même lorsqu’elles portent sur des droits et libertés similaires, les dispositions découlant de la Constitution et de la Convention sont des normes juridiques différentes, dont le respect est contrôlé par deux juges différents, selon des modalités distinctes. Une même disposition légale pourrait ainsi être jugée conforme à la Constitution mais non conforme à la Convention (le Gouvernement se réfère à cet égard à la décision du Conseil constitutionnel no 2010-605 DC du 12 mai 2010 et à la décision d’assemblée du Conseil d’État M’Rida du 13 mai 2010 (no 316734)).

32.  En outre, souligne le Gouvernement, contrairement au juge constitutionnel, qui statue in abstracto sur la disposition légale dont il est saisi, le contrôle de conventionalité opéré par le « juge ordinaire » peut porter à la fois, in abstracto, sur la disposition légale litigieuse et, in concreto, sur l’application qui en est faite au cas d’espèce. Il renvoie à la décision Charron et Merle-Montet c. France (no 22612/15, §§ 28-29, 16 janvier 2018).

33.  Le Gouvernement rejette également la thèse du requérant selon laquelle la Cour aurait jugé dans l’affaire S.A.S. c. France [GC] (no 43835/11, § 61, CEDH 2014 (extraits)) qu’un recours interne fondé sur des griefs conventionnels matériellement identiques à des griefs constitutionnels déjà tranchés par le Conseil constitutionnel a fort peu de chances de succès. Renvoyant au raisonnement de la Cour dans son intégralité, il fait valoir que c’est à titre surabondant qu’elle a cité une décision du Conseil constitutionnel dans cette affaire, et que c’est en réalité la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’elle met en avant dans son analyse.

34.  Enfin, le Gouvernement estime que le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris démontre le caractère effectif du recours pendant, le tribunal ayant procédé à un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt que présenterait l’accès anticipé à ces documents et les intérêts liés notamment au respect de la vie privée, de la sécurité de l’État et de la prévention de troubles à l’ordre public que l’article L. 213-4 du code du patrimoine entend protéger.

b)     Le requérant

35.  Le requérant rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle la règle de l’épuisement des voies de recours interne s’applique avec souplesse et sans formalisme excessif, l’objectif de la Convention étant d’assurer une protection effective des droits et libertés garantis. Il ajoute que le droit à un recours effectif est un élément central du principe de subsidiarité, et en déduit que l’épuisement des voies de recours interne ne peut être apprécié sans tenir concrètement compte de l’effectivité des recours formellement disponibles dans l’ordre juridique interne. Il ne saurait donc être question d’exiger d’un requérant qu’il use de recours dont les chances de succès sont particulièrement réduites.

36.  Or, souligne le requérant, les griefs qu’il tire de la Convention dont il saisit la Cour visent prioritairement l’article L. 213-4 du code du patrimoine, qui régit la consultation des documents d’archives publiques émanant du Président de la République, en ce qu’il confère un droit discrétionnaire d’opposition au mandataire. D’après lui, dès lors que c’est ce droit discrétionnaire qui était visé par la QPC et que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur sa conformité à des droits et libertés constitutionnels identiques aux droits et libertés conventionnels évoqués devant le juge administratif, la décision du Conseil constitutionnel concluant que l’article 213-4 du code du patrimoine est conforme à ces droits et libertés constitutionnels a des conséquences significatives sur les chances de succès de tout recours interne fondé sur les mêmes droits et libertés conventionnels. Selon lui, la Cour a jugé dans ce sens dans l’arrêt S.A.S. c. France [GC] (précité, § 61) qu’un recours interne fondé sur des griefs conventionnels matériellement identiques aux griefs constitutionnels déjà tranchés par le Conseil constitutionnel a fort peu de chances de succès.

37.  Selon le requérant, même à l’occasion d’un contrôle concret d’une décision particulière de refus d’accès aux archives publiques, le juge administratif ne peut plus véritablement faire droit aux arguments de l’exposant fondés sur la Convention.

38.  Cette limite tient d’abord à ce que la dissociation opérée par le Gouvernement entre le contrôle abstrait de la loi qui aurait été réalisé par le Conseil constitutionnel et le contrôle concret de la décision administrative contestée qu’il appartiendrait au juge administratif de faire serait artificielle. D’après le requérant, le Gouvernement reconnait dans ses observations que, lorsque, comme en l’espèce, l’administration est en situation de compétence liée, ce n’est que si le juge compétent déclare d’abord contraires à la Convention les dispositions légales qui prévoient cette compétence liée qu’il pourra ensuite procéder à un contrôle concret de la décision administrative. L’effectivité du contrôle concret du juge administratif sur la décision individuelle de refus d’accès aux archives serait donc totalement dépendante de l’invalidation préalable des dispositions légales, et il serait impensable qu’une juridiction administrative contredise sur le terrain conventionnel l’analyse retenue par le Conseil constitutionnel au prisme de droits et libertés constitutionnels matériellement similaires aux griefs conventionnels. Le requérant ajoute que son cas se distingue totalement de l’affaire Charron et Merle-Montet citée par le Gouvernement : dans cette affaire, le Conseil constitutionnel n’était intervenu que de manière indirecte puisqu’il s’était prononcé sur une toute autre disposition légale que celle qui était à l’origine de la violation conventionnelle alléguée, et n’avait statué que sur une partie des droits et libertés invoqués devant la Cour, de sorte que sa solution constitutionnelle n’épuisait pas le débat conventionnel concernant des droits matériellement équivalents ; dans son cas, la décision no 2017-655 QPC a été rendue à son initiative, à propos de la même disposition légale que celle qui est en cause devant la Cour et au titre des mêmes droits et libertés.

39.  Cette limite tient ensuite à ce que les dispositions législatives qui encadrent l’accès aux archives publiques priveraient de facto le contrôle juridictionnel d’effectivité. Le requérant observe à cet égard qu’elles n’exigent pas que l’avis du mandataire soit motivé, ce qui fait obstacle au contrôle de l’erreur d’appréciation. Il note de plus que les motifs du jugement du tribunal administratif de Paris du 17 mai 2018 sont en tous points conformes à ceux retenus par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2017-655 QPC, et que le tribunal ne s’est pas fait communiquer les documents pertinents, n’a pas tenu compte des avis motivés des différentes commissions et n’a pas invité la mandataire à motiver son avis.

40.  Enfin, le requérant rappelle que la disponibilité et l’effectivité des voies de recours internes s’apprécie à la date de l’introduction de la requête. Il observe à cet égard que la décision Mme Rouzaud à laquelle renvoie le Gouvernement est antérieure à cette date, mais qu’elle ne constitue pas un précédent pertinent puisqu’elle concerne une affaire dans laquelle il n’y avait pas de protocole de versement.

  1. Appréciation de la Cour

41.  La Cour renvoie aux principes relatifs à l’épuisement des voies de recours internes tels qu’elle les a énoncés dans l’arrêt Mocanu et autres c. Roumanie [GC] (nos 10865/09 et 2 autres, §§ 220-225, CEDH 2014 (extraits)) notamment, et rappelés dans la décision Charron et Merle-Montet (précitée, § 18) :

« 220.  Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres c. Serbie [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014).

221.  Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres, précité, § 70).

222.  L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66, et Vučković et autres, précité, § 71). Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II, et Vučković et autres, précité, § 74).

223.  Par contre, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Akdivar et autres, précité, § 67, et Vučković et autres, précité, § 73). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009, et Vučković et autres, précité, § 74).

224.  Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 89, série A no 13, Akdivar et autres, précité, § 69, et Vučković et autres, précité, § 76). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Akdivar et autres, précité, § 69, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 286, 26 juin 2012). 225.

225.  En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, et Vučković et autres, précité, § 77). »

42.  À cela il faut ajouter que la circonstance que la procédure interne est pendante au moment de l’introduction d’une requête ne fait pas nécessairement obstacle à ce que la Cour examine cette requête au fond. Ce qui importe au regard de la règle de l’épuisement des voies de recours internes c’est que le requérant ait usé d’un recours effectif et que la décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, ait été prise avant que la Cour se prononce sur la recevabilité de la requête.

43.  Ainsi, le fait que la présente requête a été introduite devant la Cour alors que la procédure était pendante devant le juge administratif n’est pas rédhibitoire. La question qui se pose est celle de savoir, eu égard aux principes rappelés au paragraphe 41 ci-dessus, si le requérant a usé d’un recours interne effectif et si ce recours a abouti à une décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

44.  La Cour rappelle tout d’abord que, lorsqu’il est disponible, le recours en annulation pour excès de pouvoir, dans le cadre duquel il est possible de développer des moyens fondés sur une violation de la Convention, est une voie de recours interne à épuiser en principe (voir Charron et Merle-Montet, décision précitée, § 21). Elle rappelle également que le pourvoi en cassation figure parmi les procédures dont il doit ordinairement être fait usage pour se conformer à l’article 35 de la Convention (voir, par exemple, Winterstein et autres c. France, no 27013/07, § 117, 17 octobre 2013, Civet c. France [GC], no29340/95, § 41, CEDH 1999-VI, et B. c. France, 25 mars 1992, § 42, série A no 232‑C). Pour pleinement épuiser les voies de recours internes, il faut donc en principe mener la procédure interne jusqu’au juge de cassation et le saisir des griefs tirés de la Convention susceptibles d’être ensuite soumis à la Cour.

45.  En l’espèce, le requérant a initié un recours en annulation pour excès de pouvoir contre la décision rejetant partiellement sa demande de consultation des archives du président Mitterrand (paragraphe 11 ci-dessus), et le tribunal administratif de Paris a rendu son jugement (paragraphe 16 ci-dessus) avant la communication de la requête au Gouvernement en application de l’article 54 § 2 b) du règlement de la Cour. Le requérant soutient cependant qu’en raison de la décision no 2017-655 QPC du 15 septembre 2017, prise par le Conseil constitutionnel dans le contexte de l’instance devant le tribunal administratif de Paris, le pourvoi dont il a ensuite saisi le Conseil d’État est dénué de chance de succès. Il fait valoir à cet égard que la QPC dont le Conseil constitutionnel a été saisi à son initiative visait la non-conformité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine aux dispositions de droit constitutionnel relatives au droit d’accès aux documents d’archives publiques et au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, en ce qu’il confère au mandataire un droit discrétionnaire d’opposition aux demandes de consultation des documents d’archives publiques émanant du Président de la République. La QPC concernait donc des droits individuels similaires aux droits tirés des articles 10 et 13 de la Convention dont le requérant dénonce la violation. Or, selon le requérant, un recours interne fondé sur des griefs tirés de la Convention qui sont matériellement identiques à des griefs constitutionnels déjà rejetés par le Conseil constitutionnel, n’a pas de chance de succès, d’autant moins dans son cas que l’administration se trouvait dans une situation de compétence liée.

46.  Le requérant en déduit que le fait que la procédure est pendante en cassation devant le Conseil d’État ne fait pas obstacle à l’examen au fond de sa requête par la Cour.

47.  La Cour n’est pas convaincue par cette thèse.

48.  Elle renvoie à la décision Charron et Merle-Montet précitée. Dans cette affaire, un couple de femmes se plaignait devant la Cour du rejet de leur demande tendant à avoir accès à la procréation médicalement assistée, fondé sur le fait que le droit français – l’article L. 2141-2 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique – n’autorisait pas la prise en charge des couples homosexuels. Invoquant l’article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, elles dénonçaient une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale et une discrimination dans l’exercice de ce droit fondée sur l’orientation sexuelle. Le Gouvernement soutenait qu’elles n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir préalablement saisi le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir. Les requérantes répliquaient qu’un tel recours aurait été inefficace, eu égard à la décision du 17 mai 2013 relative à la constitutionnalité de la loi du 17 mai 2013 « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe », dans laquelle le Conseil constitutionnel, se référant à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, avait souligné que les couples formés d’un homme et d’une femme étaient, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe, et que le principe d’égalité ne s’opposait pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résultait était en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établissait.

49.  Pour écarter l’argumentation des requérantes, la Cour a constaté que, si le Conseil constitutionnel avait touché dans cette décision à la question de la conformité avec le principe constitutionnel d’égalité de la distinction entre les couples de personnes de même sexe et les couples hétérosexuels résultant de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, abordant par ce biais celle de son caractère discriminatoire ou non, il ne l’avait fait que de manière indirecte puisque la requête dont il était saisi ne visait pas cette disposition du code de la santé publique mais la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Elle a également relevé que le Conseil constitutionnel n’avait pas traité, ne serait-ce qu’indirectement, la question de la conformité de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique avec le droit constitutionnel de mener une vie familiale normale et le droit constitutionnel au respect de la vie privée, alors que la requête dont la Cour était saisie ne se fondait pas seulement sur l’interdiction de la discrimination que pose l’article 14 de la Convention, mais aussi sur le droit au respect de la vie privée et familiale que consacre l’article 8 de la Convention. La Cour a ajouté que, « surtout », le contrôle de conformité d’une mesure individuelle à la Convention effectué par le « juge ordinaire » était distinct du contrôle de conformité de la loi à la Constitution effectué par le Conseil constitutionnel, une mesure prise en application d’une loi dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux est établie pouvant être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention à raison par exemple de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause (voir le paragraphe 28 de la décision Charron et Merle-Montet).

50.  La Cour a en conséquence retenu que, même si les chances de succès étaient éventuellement réduites du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013, un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus opposée aux requérantes, fondé sur les articles 8 et 14 de la Convention, n’aurait pas été « de toute évidence voué à l’échec ».

51.  En l’espèce, le requérant fait pertinemment valoir qu’à la différence de l’affaire Charron et Merle-Montet, la QPC soumise à sa demande au Conseil constitutionnel visait très exactement la disposition légale appliquée en sa cause – l’article L. 213-4 du code du patrimoine – et concernait sa conformité à des droits individuels garantis par la Constitution identiques aux droits individuels garantis par la Convention qu’ils invoquaient devant le juge interne.

52.  On ne saurait toutefois déduire de la décision du Conseil constitutionnel no 2017-655 QPC du 15 septembre 2017 concluant à la conformité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine à ces droits, tels qu’ils se trouvent garantis par la Constitution, que le recours en excès de pouvoir initié par le requérant sur le fondement de ces mêmes droits, tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention, est voué de toute évidence à l’échec.

53.  Il reste en effet que, comme la Cour l’a relevé dans l’affaire Charron et Merle-Montet et rappelé ci-dessus, le contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel et le contrôle de conventionalité opéré par le juge ordinaire sont distincts. Le premier consiste à vérifier in abstracto si telle disposition légale est conforme à la Constitution. Le second doit permettre de vérifier in concreto si une action ou une omission imputable à un État partie est conforme à la Convention, à défaut de quoi, du reste, il ne constituerait pas un recours dont l’usage est requis au titre de l’épuisement des voies de recours internes.

54.  En l’espèce, certes, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours du requérant.

55.  Toutefois, d’une part, un justiciable ne saurait déduire l’ineffectivité d’un recours de la seule circonstance qu’il n’a pas obtenu gain de cause.

56.  D’autre part, le tribunal administratif de Paris a différencié le moyen tiré d’une atteinte par l’article L. 213-4 du code du patrimoine aux droits et libertés garantis par la Constitution et les moyens tirés d’une violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il a écarté le premier au motif que la décision du Conseil constitutionnel no 2017-655 QPC du 15 septembre 2017 avait conclu à la conformité de cette disposition à la Constitution. Il a écarté les seconds sans se fonder sur cette décision, au motif spécifique qu’il n’y avait atteinte ni à l’exercice de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 10 § 1 de la Convention, ni au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction protégé par l’article 13 de la Convention.

57. Sans préjuger du caractère suffisant ou non du contrôle opéré en l’espèce par le tribunal administratif de Paris quant au respect de la Convention, caractère suffisant qu’il revient au Conseil d’État d’apprécier en premier lieu, la Cour estime que cela montre que, si le tribunal administratif était lié par la décision du Conseil constitutionnel s’agissant de la conformité de l’article L. 213-4 du code du patrimoine aux dispositions constitutionnelles garantissant ces droits et libertés, cette décision n’a pas fait obstacle à ce qu’il examine au fond les moyens du requérant relatifs à une violation de ces mêmes droits et libertés tels qu’ils se trouvent consacrés par la Convention.

58.  Cela montre aussi que, contrairement à ce qu’indique le requérant et conformément à ce qu’explique le Gouvernement, le fait que l’article L. 213-4 du code du patrimoine mette l’administration dans une situation de compétence liée par rapport à l’avis du mandataire ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d’un recours en annulation pour excès de pouvoir, le juge administratif examine des moyens tirés de la Convention.

59.  On ne saurait donc dire que, pour autant qu’il reposait sur les moyens tirés d’une violation des articles 10 et 13 de la Convention que le requérant présente à la Cour, le recours en annulation pour excès de pouvoir dont les juridictions administratives ont été saisies était « de toute évidence voué à l’échec » consécutivement à la décision du Conseil constitutionnel no 2017-655 QPC du 15 septembre 2017.

60.  La Cour souligne enfin que, contrairement à ce que soutient le requérant, il n’y a aucune conséquence à tirer en l’espèce de l’arrêt S.A.S. c. France [GC] (précité). Renvoyant aux paragraphes 59-61 de cet arrêt, la Cour rappelle qu’elle y examinait une problématique tout-à-fait particulière, celle de l’épuisement des voies de recours internes dans le cas où, par exception, un requérant est en mesure de se dire victime d’une violation de la Convention en l’absence de mesure individuelle. Ce faisant, elle a jugé que la question de l’épuisement des voies de recours internes était dénuée de pertinence dans le contexte du système légal français dès lors qu’elle avait conclu que la requérante pouvait se dire victime en l’absence de mesure individuelle. Ce n’est que « surabondamment » qu’elle a ensuite observé, sans en tirer aucune conclusion, que le Conseil constitutionnel s’était prononcé sur la conformité de la loi que la requérante estimait incompatible avec notamment l’article 9 de la Convention, avec la liberté de religion telle qu’elle est garantie par le droit constitutionnel français.

61.  Conformément au principe de subsidiarité, il appartient maintenant au Conseil d’État, dûment saisi en cassation par le requérant, de vérifier si l’examen des moyens de ce dernier relatifs à la Convention auquel a procédé le tribunal administratif de Paris répond aux exigences qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour.

62.  En l’absence de décision du Conseil d’État sur le pourvoi en cassation du requérant, ce dernier n’est pas en mesure de se prévaloir d’une décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Il en résulte que cette partie de la requête est prématurée et qu’elle doit donc être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  1. Quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention

63.  Le requérant se plaint de ce qu’il ne disposait pas d’un recours effectif permettant de faire valoir son droit à la liberté d’expression. Il invoque l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

64.  Il résulte des développements qui précèdent que, l’affaire étant pendante devant le Conseil d’État, le grief tiré de l’article 13 de la Convention est prématuré. Il doit donc être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 28 mai 2020.

Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
 Greffier adjoint Présidente

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (cinquième section), GRANER c. FRANCE, 5 mai 2020, 84536/17