Conseil de prud'hommes de Paris, Section commerce chambre 4, 16 décembre 2015, F 14/14901

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE PARIS 27 Rue Louis Blanc 75484 PARIS CEDEX 10
Tél : 01.40.38.52.00
SECTION
Commerce chambre 4
RG N° F 14/14901
NOTIFICATION par LR/AR du :
Minute N° C4BJ1500476
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT
Contradictoire en premier ressort
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2015 En présence de Madame Carole DESGEORGES-HEUGUET, Greffière
Débats à l’audience du : 23 septembre 2015 composition du bureau de jugement lors des débats et du délibéré :
Monsieur Michel BOILEAU, Président Conseiller Employeur Monsieur Côme CROCE-SPINELLI, Conseiller Employeur Monsieur Joël JEANNIN, Conseiller Salarié Monsieur Farhat GHOUL, Conseiller Salarié
Assesseurs
Assistés lors des débats de Madame Carole DESGEORGES-HEUGUET, Greffière
ENTRE Monsieur X
Né le
Partie demanderesse, Assistée de Maître Y Avocat au barreau de Nîmes
LE DEFENSEUR DES DROITS 7 RUE SAINT FLORENTIN 75409
PARIS CEDEX 08
Partie intervenante volontaire, Représentée par Madame Z agent (dûment mandatée)
ET
EURL C
Partie défenderesse, Représentée par Maître A substituant Maître B du cabinet Avocat au barreau de PARIS
PROCÉDURE
- Saisine du Conseil le 20 novembre 2014.

- Convocation de la partie défenderesse, par lettre simple et recommandée reçue le 22 novembre 2014, à l’audience de conciliation du 16 décembre 2014.

- Renvoi à l’audience de jugement du 23 septembre 2015.

- Les conseils des parties ont déposé des conclusions.

- A l’issue des débats, la date et les modalités de mise à disposition de la décision ont été indiquées aux parties.

- Dernier état de la demande principale – Dire et juger la notification de rupture de période d’essai notifiée le 8 octobre 2014 comme nulle, puisque intervenant sur des motifs discriminatoires
- Dommages et intérêts liés à une notification de rupture nulle . . . . . . . . . . 12 000,00 €
- Préjudice moral lié au caractère particulièrement odieux et vexatoire de la procédure en cause 15 000,00 €
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans les journaux locaux
- Dire et juger que pour la période du 11 septembre au 8 octobre, Mr X a réalisé 25,5 heures supplémentaires, soit un rappel de salaire d’un montant brut de . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31524 €
- Congés payés afférents . . . . . . . . . . 31,52 €
- Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé en application des dispositions de l’article L.8223-1 du code du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 000,00 €
- Ordonner la transmission du jugement à Monsieur le Procureur de la République
- Assortir l’entier jugement de l’exécution provisoire sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du huitième jour de la notification de la décision
- Se déclarer compétent pour liquider l’astreinte
- En tout état de cause :

- Article 700 du Code de Procédure Civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 000,00 €
- Dépens
I) LES FAITS : Monsieur X a été engagé en qualité de coiffeur par un contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 11 septembre 2014 par l’EURL C Monsieur X s’est vu notifier la rupture de sa période d’essai par courrier du 8 octobre 2014.

II) LES MOYENS DES PARTIES :
1 ) Les moyens de Monsieur X
Son contrat de travail prévoyait une période d’essai de 2 mois.
Le 6 octobre, le salarié prévient sa supérieure hiérarchique qu’il ne pourra pas être présent à son travail du fait qu’il est malade et qu’il doit se rendre chez son médecin.
Il sera absent également le 7 octobre qui est son jour de repos.
Dans la journée du 7 il a reçu un SMS, émanant de sa manager, qui manifestement ne lui était pas destiné et qui indiquait « Je ne garde pas X je le préviens demain, on fera avec des itinérants en attendant, je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de putes ». Monsieur X s’est présenté le lendemain sur son lieu de travail et a été reçu par sa manager Mme D ainsi que par la co-manager.

Sa lettre de rupture de période d’essai lui a été remise immédiatement, signée par Madame D
Le salarié estime qu’il a été victime d’une discrimination liée à son orientation sexuelle et sanctionné pour son absence d’une journée pour maladie.
Monsieur X se dit très affecté psychologiquement par le choc qu’il a vécu.

Il a saisi le Défenseur des Droits.

Le salarié déclare qu’il a effectué des heures supplémentaires et demande le paiement, 2) Intervention du Défenseur des Droits :

Le Défenseur de Droits intervient à la suite de sa saisine par Monsieur X
Il fait valoir ses observations et estime qu’il y a eu discrimination envers Monsieur X – du fait de son orientation sexuelle et de son état de santé.
3) Les moyens de l’EURL C. La société déclare que, très rapidement, elle a eu des doutes sur la capacité de Monsieur X – à occuper ses fonctions ; il ne possédait pas les qualités techniques attendues et avait des difficultés à s’intégrer à l’équipe. L’employeur rappelle que chaque partie au contrat de travail dispose d’un droit discrétionnaire de mettre fin à la période d’essai ; la société n’a fait qu’utiliser son droit pour mettre fin au contrat de travail de Monsieur X.

La société déclare qu’un employeur n’a pas à motiver sa décision de rompre, chaque partie dispose d’un droit de résiliation unilatérale.

La société fait remarquer que :
- la clientèle du salon est une clientèle exigeante et pressée qui exige un service de haute qualité ; or, Monsieur X travaillait lentement ce qui posait problème avec certaines clientes. – que Monsieur X avait des difficultés d’intégration avec les autres salariés,
- qu’il refusait d’exécuter certaines tâches mais prétendait accéder rapidement à un poste de manager.

L’employeur conteste avoir fait preuve de discrimination en raison de l’état de santé et de l’orientation sexuelle du salarié, pour rompre sa période d’essai .
Il reconnaît le caractère et la teneur inappropriés du SMS que Monsieur X a reçu par erreur ; mais, bien que très critiquable, ces propos ne caractérisent pas une discrimination envers le salarié.
L’employeur déclare que le terme de « PD » utilisé par Mme D n’est qu’un simple abus de langage et que ce terme est entré dans le langage courant et qu’il n’a aucun sens péjoratif ou homophobe dans l’esprit de la manager,
La société signale qu’il convient de replacer cette affaire dans son contexte car la société C évolue dans le secteur de la coiffure, secteur dans lequel la communauté homosexuelle est très représentée.
La société a été amenée à recruter et à employer des salariés aux orientations sexuelles diverses et variées sans que cela pose la moindre difficulté aux managers ou aux autres employés,
L’employeur fait remarquer que, dans un premier temps, Monsieur X ne s’est pas mépris sur l’état d’esprit de Madame D lors de l’envoi du SMS car il ne lui a fait aucun commentaire lors de son arrivée au salon le 8 octobre.

Il lui a envoyé le jour même un SMS très courtois pour lui demander de préparer ses documents de fin de contrat; il est à constater que Monsieur X était loin d’être « sous le choc » et « affecté à titrė personnel et psychologique » comme il le soutient dans ses écritures.

La société estime que le fait que Madame D ait utilisé le terme de « PD » ne constitue pas une discrimination mais peut être qualifié d’injure.

III) MOTIFS DE LA DÉCISION:
Le Conseil après en avoir délibéré conformément à la loi a prononcé, parmise à disposition au greffe, le 16 décembre 2015, le jugement suivant :

1) Sur l’allégation de discrimination :

L’article L. 1132-1 du code du Travail dispose « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En application de l’article L. 1132-4 de ce même code, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.

L’article L. 1134-1 du code du travail dispose lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article Ier de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, Monsieur X affirme que la rupture de son contrat de travail durant la période d’essai est due au fait qu’il ait été malade une journée et de son homosexualité. ;

Il se base sur le contenu du SMS qu’il a reçu, par erreur, pour alléguer une discrimination;

L’employeur reconnaît que les propos transcrits dans le SMS sont très critiquables mais ne caractérisent pas une discrimination à l’encontre du salarié ; la décision de rompre la période d’essai n’est pas fiée à son jour d’absence pour maladie, il s’agit d’une simple coïncidence de date ;

Les attestations produites par l’employeur sont toutes sont unanimes pour souligner les manquements professionnels et les difficultés d’intégration, dans l’équipe du salon, de Monsieur X
Le Conseil constate qu’au moment de la rupture Monsieur X avait déjà une « ancienneté » d’environ un mois dans l’entreprise et que l’employeur avait déjà eu la faculté de juger de ses aptitudes;

En se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, le Conseil considère que le terme de « PD » employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes ;

Le Conseil estime que ce n’est pas sérieux de soutenir qu’un employeur va rompre le contrat de travail d’un salarié parce qu’il a été absent un jour pour maladie ; ce fait ne peut pas être retenu comme élément caractérisant une discrimination ;
En conséquence, le Conseil estime que l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination à l’encontre de Monsieur X mais que se sont des propos injurieux qui ont été prononcés à son égard.

2) Sur la rupture en période d’essai et sur les dommages et intérêts liés à cette rupture :

L’article L. 1221-20 du code du travail dispose que " la période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent".

La rupture doit être motivée par des raisons professionnelles et ne pas se fonder sur un motif inhérent à la personne ;

La décision de l’employeur de rompre la période d’essai à un caractère discrétionnaire ; l’employeur n’a pas à motiver sa décision de rompre, chaque partie dispose d’un droit de résiliation unilatérale, sans avoir à alléguer de motif ;
Monsieur considère que son contrat de travail n’a été rompu que par le fait d’une discrimination due à son homosexualité et à son état de santé ;

Après examen des attestations produites par l’employeur, le Conseil constate que toutes sont unanimes pour souligner les manquements professionnels et les difficultés d’intégration, dans l’équipe du salon, de Monsieur : ;

En conséquence, le Conseil estime que la société n’a fait qu’utiliser son droit discrétionnaire pour mettre fin à la période d’essai de Monsieur pour des raisons professionnelles.

Il en résulte que la demande de dommages et intérêts est infondée et le Conseil la rejette.

3) Sur la demande relative au préjudice moral :

Le Conseil estime que, même si aucun fait de discrimination n’a été retenu à l’encontre de Monsieur X, le fait qu’il ait été traité de « PD » constitue, dans le cadre de l’affaire, une injure qui lui occasionne un préjudice moral et qui justifie le versement de dommages et intérêts,
En conséquence, le Conseil accorde une somme de 5.000 euros au titre de ce préjudice moral, 4) Sur la demande de paiement d’heures supplémentaires et des congés payés afférents :

L’employeur explique que la convention collective, en son article 8-4-2, prévoit la mise en place d’une modulation du temps de travail afin de permettre la prise en compte des variations de fréquentation de la clientèle de ce secteur d’activité. Cette disposition permet de faire fluctuer le temps de travail du salarié d’une semaine sur l’autre sous réserve que le salarié n’accomplisse pas plus de 1 582 heures annuellement.

En l’espèce, le Conseil constate que Monsieur X ne tient pas compte de cette modulation des horaires pour réclamer le paiement d’heures supplémentaires et qu’il ne fournit pas d’élément probant pour justifier sa demande,
L’employeur produit un relevé d’activité faisant apparaître que le salarié a effectué 3,5 heures supplémentaires et il reconnaît avoir omis de lui régler un montant de 43,27 euros, lors de l’établissement du solde de tout compte.

En conséquence, le Conseil ordonne le versement des sommes de 43,27 euros au titre de rappel des heures supplémentaires et de 4,32 euros au titre des congés payés.

5) Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé :

Le Conseil estime que l’infraction de travail dissimulé n’est pas caractérisée et rejette cette demande infondée.

6) Sur la demande de transmission au Procureur de la République :
Le Conseil estime qu’il n’y a pas lieu de transmettre le présent jugement au Procureur de la République.

7) Sur la demande de publication du jugement dans la presse :

Le Conseil estime qu’il n’y a pas lieu à faire publier le présent jugement dans la presse.

8) Sur la demande relative à l’article 700 du code de procédure civile :

Le Conseil estime qu’il convient de condamner la société – à payer à Monsieur X une indemnité destinée à couvrir les frais qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il fixe à 750 euros.

PAR CES MOTIFS
Le Conseil après en avoir délibéré, statuant publiquement, par jugement contradictoire en premier ressort, par mise à disposition au greffe :

Déclare Le Défenseur des Droits recevable en son intervention ;

Condamne l’EURL C à payer à Monsieur X , les sommes suivantes :
- 43,27 euros au titre des heures supplémentaires ;
- 4,32 euros au titre des congés payés afférents ;
- 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- 750 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Monsieur X, du surplus de ses demandes;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail.

Condamne l’EURL D aux dépens.

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