Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 24 septembre 2021, n° 18/15698

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 24 sept. 2021, n° 18/15698
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/15698
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 11 février 2018, N° 2018008230
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2021

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/15698 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B55KA

Décisions déférées à la Cour :

Jugement rectificatif du 12 Février 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n°2018008230

Jugement du 29 Janvier 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2014031561

APPELANTE

SA SFR – SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 343 059 564,

représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018,

assistée de Me Thibaud D’ALÈS, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : K0112

INTIMEES

SA ILIAD

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 342 376 332,

représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480,

assistée de Me Yves COURSIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2186

SAS FREE MOBILE

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 499 247 138

représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480,

assistée de Me Yves COURSIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2186

SAS FREE

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 421 938 861,

représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480,

assistée de Me Yves COURSIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2186

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Juillet 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DenisARDISSON, Président de la chambre.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marie-Ange SENTUCQ, Présidente de chambre

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées

dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par M. Denis ARDISSON, Président de la chambre, et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 29 janvier 2018 qui a débouté les sociétés Iliad, Free mobile et Free ('les sociétés Free') de leur demande en nullité de l’assignation et d’exception d’incompétence de la juridiction commerciale invoquées sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, fixé à vingt millions d’euros de dommages et intérêts la réparation des préjudices d’image et moral liés aux faits de dénigrement de la société Free mobile en direction de la Société française du radiotéléphone ('la société SFR'), fixé à vingt cinq millions d’euros de dommages et intérêts la réparation des préjudices d’image et moral liés aux faits de dénigrement de la société SFR en direction de la société Free mobile, condamné après compensation, la société SFR à payer à la société Free mobile la somme de cinq millions d’euros, condamné la société SFR aux dépens’ et laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles ;

Vu l’appel interjeté le 27 juin 2018 par la Société française du radiotéléphone ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 29 mars 2021 pour la Société française du radiotéléphone afin d’entendre, en application de l’article 1382 du code civil devenu 1240 :

— confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que les sociétés Iliad, Free et Free mobile ont commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement à l’encontre de SFR,

— infirmer le jugement en ce qu’il jugé que le préjudice de la société SFR était limité à une somme 220 millions d’euros et condamné la société SFR à verser à Free Mobile la somme de 5 millions d’euros par compensation,

— condamner les sociétés Iliad, Free et Free mobile à payer en réparation du préjudice de la somme de 488,2 millions d’euros (324,3 millions d’euros au titre de la perte de clientèle, 94,3 millions d’euros au titre des ventes manquées, 44,6 millions d’euros au titre de la perte de marge subie par SFR du fait de la migration de clients vers des offres RED, 25 millions d’euros au titre de l’atteinte à l’image),

— condamner subsidiairement les sociétés Iliad, Free et Free mobile à payer en réparation du préjudice la somme de 287,5 millions d’euros (168,2 millions d’euros au titre de la perte de clientèle, 94,3 millions d’euros au titre des ventes manquées, 25 millions d’euros au titre de l’atteinte à l’image),

— confier subsidiairement un expert financier la mission d’évaluer la perte de clientèle, les ventes manquées, les pertes de marge subies en raison de la migration de la clientèle de SFR vers des offres ''low cost'', l’atteinte à l’image et tout autre poste de préjudice économique subis par SFR à raison des actes de dénigrement commis par les sociétés Free le entre janvier 2012 et janvier 2013, donner son avis sur les types de préjudice et le quantum des préjudices présents et futurs,

subsidiairement, si la cour devait retenir que les faits reprochés à Free s’analysent en de la diffamation, déclarer irrecevables les demandes de Free en ce que les publicités de SFR critiquées par cette dernière devraient elles aussi être qualifiées de diffamation, non d’actes de dénigrement :

— infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la société SFR avait commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement à l’encontre des sociétés Free et l’a condamnée à payer la somme de 25 millions d’euros de dommages et intérêts,

— dire que la société SFR n’a commis aucun acte de dénigrement,

— dire que les sociétés Free n’ont pas subi de préjudice,

— débouter les sociétés Free de l’ensemble de leurs demandes,

— condamner solidairement les sociétés Free à verser la somme de 150.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner les sociétés Free aux entiers dépens';

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 29 avril 2021 pour les sociétés Iliad, Free mobile et Free afin d’entendre':

in limine litis,

— infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence et la demande de nullité de l’assignation,

— juger que les propos et écrits incriminés par la société SFR tombent sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,

— juger sur le fondement de la loi 29 juillet 1881 que le tribunal de commerce n’était pas compétent pour statuer au lieu du tribunal de grande instance de Paris, que l’assignation introductive d’instance est nulle et que les propos et écrits incriminés sont couverts par la prescription,

à titre reconventionnel et incident,

— confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société SFR pour actes de concurrence déloyale par dénigrement vis-à-vis de la société Free mobile au sens des dispositions de l’article 1240 du code civil,

— infirmer le jugement en ce qu’il a limité le préjudice de la société Free mobile à la somme de 25 millions d’euros,

— condamner la société SFR à payer la somme de 441 millions d’euros à titre de dommages et intérêts (427 millions d’euros pour la perte de clientèle, et 14 millions d’euros pour l’atteinte à l’image de son réseau et de ses services),

— condamner la société SFR à payer la somme 88 millions d’euros de dommages et intérêts au titre de l’effet de ''halo'' du dénigrement sur les autres offres de la société Free,

— désigner subsidiairement un expert avec pour mission d’examiner les postes de préjudices soumis par les sociétés Free mobile et Free, et d’en évaluer/confirmer le chiffrage des postes de préjudice, dont (i) la perte de clientèle, (ii) les ventes manquées, (iii) les pertes de marge subies en raison de l’intérêt disproportionné de la clientèle pour les offres à 2 euros, (iv) l’atteinte à l’image, et (v) tous autres préjudices subis par les sociétés Free mobile et Free à partir de janvier 2012 et leurs suites, donner son avis sur l’ensemble des préjudices, et leur quantum, à la suite des actes de dénigrement commis par la société SFR à compter de janvier 2012,

sur les demandes de la société SFR,

— infirmer le jugement en ce qu’il jugé que la société Free mobile avait commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement vis-à-vis de la société SFR et l’a condamnée à payer à la société SFR la somme de 20 millions d’euros à titre de dommages et intérêts,

— juger que les propos et communications litigieux se situent dans le périmètre de la liberté d’expression, tel que prévu par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et ne sont pas fautifs,

— juger que les sociétés Free n’ont pas commis d’actes de concurrence déloyale par dénigrement vis-à-vis de la société SFR ,

— juger que la société SFR ne démontre, ni l’existence du moindre préjudice, ni l’existence d’un quelconque lien de causalité avec les faits qu’elle incrimine,

— rejeter toutes les demandes de l la société SFR'

— condamner la société SFR à payer la somme de 150.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer les dépens.

SUR CE, LA COUR,

La cour renvoie pour un exposé complet des faits et de la procédure au jugement déféré et aux écritures des parties.

1. Il sera succinctement rapporté que, après avoir obtenu en janvier 2010 une licence d’opérateur de téléphonie mobile sur un marché national dominé par les trois opérateurs Orange, Bouygues Telecom et SFR, les société Free ont inauguré le 10 janvier 2012 une campagne pour la promotion d’offres inédites, pour les détenteurs d’abonnement à une connexion internet, télévision et téléphonie fixe (abonnement 'Freebox'), d’un forfait de téléphonie mobile illimitée à 15,99 euros par mois et à 19,99 euros par mois pour les non abonnés, et un abonnement d’une heure de communication et 60 SMS par mois à 0 euro pour les abonnées Freebox et 2 euros pour les non abonnés.

2. La société SFR a estimé avoir été l’objet d’une campagne de dénigrement de la part des sociétés Free pendant l’année 2012 et ayant résulté':

3. Le 9 janvier 2012, de la diffusion sur le site 'Univers Freebox’ d’une vidéo parodiant une scène du film ' La chute ' dans laquelle il est fait dire au personnage incarnant Hitler ''Nos clients devaient rester des vaches à lait et accepter de payer le prix fort. (') Free Mobile est un véritable apocalypse pour notre Cartel. C’est une catastrophe. Pensez à toutes ces années de contrôle sur les prix. Nous dominons en faisant croire à ces moutons que nous finançons leurs portables ! Pendant des années, nous nous étions arrangés sur les tarifs'', SFR étant assimilée à Hans Krebs, chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de terre nazie,

4.'Le 10 janvier, des propos de Z X, fondateur du groupe Illiad, lors d’une conférence de presse pour le lancement des offres de Free mobile :

'Franchement, ils nous font bien marrer. Mais quand même, c’est nous tous les pigeons. Enfin c’est surtout vous maintenant parce que moi je suis déjà passé chez Free Mobile ('). Chaque mois ou chaque trimestre, les 3 opérateurs éditent des guides d’offres de 70 pages. Il n’y a pas un guide tarifaire qui fait moins de 70 pages. J’ai un chouchou, c’est SFR. SFR a décidé de simplifier les offres. Voilà ce qui est la simplification des offres de SFR (M. X A le guide de SFR). Ras le bol de nous faire arnaquer avec les prix les plus élevés d’Europe ['], voire les prix les plus élevés du monde ('). On vous presse comme des citrons. On pousse à bout le système. Donc si vous avez oublié le forfait SMS illimités, vous allez vous faire défoncer. C’est la mort. ['] si pour la partie

services de votre abonnement, vous payez plus de 19,99 euros et que vous n’appelez pas votre opérateur, ou que vous ne venez pas chez Free, les pigeons c’est vous et vous le savez maintenant ('). On pense chez Free que vous avez été pris pour des vaches à lait et que vous avez besoin de donner une leçon à votre opérateur ('). L’Etat s’est entendu avec les 3 opérateurs monopolistiques de ce pays pour faire un forfait RSA que l’on appelle nous, en interne, le forfait Racket Super Arnaque (') On fait de la marge à 2 euros. C’est vous dire à quel point vous vous êtes fait avoir (')',

5. Les 11 et 22 janvier, des interviews de M. X dans lesquels il déclare que les autres opérateurs prennent leur client pour des pigeons,

6.'Le 5 février, la mise en ligne sur la plateforme YouTube d’une vidéo détournant le film 'La séparation’ dans lequel il est fait dire à un acteur 'Je n’en peux plus de me sentir bloquée. Je veux être libre, maître. Plus d’engagement. Je ne vous parle pas du budget ! Je paie tout, mais en faut toujours plus. Une véritable vache à lait. En plus’ j’ai de gros besoins’illimités'',

7. Le 15 mai, une nouvelle interview de M. X dans la revue Challenges dans laquelle il déclare que ''Le consommateur a l’impression d’avoir été pris pour un idiot pendant des années. SFR n’a eu aucune réaction. Très naturellement, c’est devenu notre principale source de recrutement d’abonnés, devant Bouygues Telecom et les opérateurs virtuels''. (') Ce qui a été fait par nos concurrents est souvent inavouable'',

8. Entre septembre et décembre 2012, la diffusion du spot publicitaires sur les chaines de télévision à 1870 reprises de 'l’arnaque’ dans lequel une jeune femme en blouson de cuir, un téléphone portable à la main confie 'Avant, j’avais le sentiment de me faire avoir avec mon forfait mobile. Mais depuis que j’ai changé, c’est moi qui ai l’impression de les arnaquer'',

9. 'Un forfait trop cher'', diffusé à 1696 reprises présentant une personne déclarant ''Un forfait mobile qui coûte plus de 20 euros ça s’appelle ' Et ben ça s’appelle un forfait trop cher ! Mais bon, ils ne peuvent pas le dire, vous imaginez bien',

10. 'Jeter de l’argent par les fenêtres', diffusé à 2235 reprises présentant un personnage déclarant 'Oui je paye mon forfait mobile plus de vingt euros. Oui c’est trop cher. Oui je jette de l’argent par les fenêtres et alors',

11. Enfin en avril 2013, deux interviews de M. X, sur la chaîne de télévision Canal + dans laquelle il a évoqué les 'pigeons’ sur la Radio classique dans laquelle désignant Orange, SFR et Bouygues Telecom, il a déclaré ''il ne faut pas vendre de la fausse monnaie. Et pour paraphraser ce qu’on a dit un jour : pigeon une fois ça va, pigeon deux fois, bonjour les dégâts''.

12. Les sociétés Free ont pour leur part aussi estimé avoir été l’objet d’une campagne de dénigrement de la société SFR à compter de janvier 2012, et ayant consisté :

13.'Dans sa dénonciation de la couverture effective du réseau de téléphonie mobile des sociétés Free que la société SFR a faite le 31 janvier 2012 auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ('ARCEP').

14. Dans des campagnes massives par affichages et voie de presse sous la forme d’encarts contenant les slogans ''Grande gueule. Ou grand réseau'', 'chez nous, le prix ne vient jamais tout seul. SFR des bons forfaits. Une vrais assistance. Un grand réseau.'' 'Pas de bon prix sans grand service'''Chez nous, les boutiques sont comme notre réseau : elles couvrent toute la France’ 'Enfin un programme économique qui tient la route. Carré 1h 5',99''. 'Vous captez uniquement entre la fenêtre et l’imprimante '' 'T’as Red, oui ; Passe-moi ton mobile, j’ai pas de réseau', 'On ne peut pas être un bon pro sans avoir un bon réseau« , »AVERTISSEMENT, il est dangereux de se pencher par la fenêtre pour avoir du réseau'.

15.'Dans l’affichage de l’encart 'Veuillez excuser l’autre opérateur pour la gêne occasionnée. Un certain nombre de forfaits dits 'moins chers’ semble présenter un problème de réseau'' Si vous utilisez un de ces forfaits, rendez-vous sur sfr. Nous vous le remplacerons par un forait au même prix et bénéficiant du réseau 3G+ de SFR couvrant 98,6'% de la population'.

16. Dans des publicités sur les radios nationales promouvant l’opérateur SFR avec les commentaires 'Il est très bien ce forfait, mais si je capte pas dans ma cuisine ', A rien !", 'C’est aussi ce que l’on pense chez SFR ! Il n’y a pas de bons forfaits sans grand réseau', 'Je veux un forfait moins cher, mais pas avec moins de réseau', 'Chez SFR, on pense qu’il n’y a pas de bon prix sans grand réseau', 'Je veux un forfait moins cher, mais pas un forfait moins bien', 'Pour mon forfait mobile, je veux un bon prix, mais pas à n’importe quel prix', 'Payer moins cher pour mon forfait mobile, évidemment, mais si c’est pour se passer d’un bon réseau, alors-là, non', 'Ah, très bien le forfait moins cher, mais pour paramétrer mon mobile, je demande à qui ' A mon voisin '", 'Bien vu ! C’est pour cela que chez SFR, il n’y a pas de bon forfait sans un grand service'.

17. Dans les déclarations des dirigeants de la société SFR dans les publications, les Échos le 11 janvier 2012 'Le mobile, ce n’est pas que le prix, c’est aussi une qualité de service et un réseau', Le Monde le 27 janvier 2012 ''ce n’est pas en proposant des offres à 2 euros qu’on finance un réseau de qualité', Les Échos 1er mars 2012 'L’arrivée d’un quatrième opérateur pose plusieurs questions : la pérennité d’un modèle fondé sur des prix très bas, les faveurs et les contorsions qu’il a fallu pour que cette offre voit le jour, le rôle joué par les pouvoirs publics hier pour l’attribution de la licence, aujourd’hui devant l’absence de couverture réel (') D’autant qu’il est patent que des questions de gravité particulière se posent sur le respect par Free de ses obligations de couverture’ et enfin, La Tribune le 29 novembre 2012 'Avec la 4G, Free va arriver à ses limites techniques. Ils ont longtemps prospéré sur le mythe que l’on pouvait proposer les mêmes services aux tarifs les plus bas', 'Free n’a qu’une présence sur le web'.

* *

I. Sur la qualification des faits de dénigrement

- reprochés aux sociétés Free

18. Pour voir infirmer le jugement qui a écarté l’appréciation des dénonciations litigieuses sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, retenu sa compétence pour apprécier les comportements sur le fondement de l’article 1382 du code civil devenu 1240, et entendre dire, pour la première fois en cause d’appel, que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits en application de l’article 65 de la loi précitée, les sociétés Free soutiennent que les propos de la campagne médiatique qui lui sont imputés relèvent de la diffamation en soutenant qu’au travers des autres opérateurs du marché de la téléphonie mobile, ces propos visent la personne de ceux-ci et porte atteinte à leur honneur et à leur réputation en leur attribuant des actes de nature pénale comme ceux 'd’arnaque’ de 'vol', 'de racket', ou par leur association à une représentation de dignitaires nazis, lesquels sont en outre rattachés au comportement général des opérateurs historiques sur leur prix exorbitants et leur monopole, et non à la spécificité de leurs offres, la nature diffamatoire étant accréditée par la société SFR elle-même dans l’étude de l’Institut CSA qu’elle a sollicitée.

19. S’agissant en particulier de la diffusion de l’extrait parodique de La chute rapportée au paragraphe 3 de l’arrêt, les sociétés Free ajoutent que cet extrait du film a été parodié de très nombreuses fois par de nombreuses personnes et qu’en outre, la société SFR n’établit pas la preuve que les sociétés Free sont à l’origine de sa conception et de sa mise en ligne, relevant enfin qu’elle n’a entrepris aucune action pour interrompre la mise en ligne de cette vidéo sur les réseaux de télécommunication électronique.

20. Au demeurant, telles qu’elles sont rapportées aux paragraphes 3 à 11 de l’arrêt, les désignations

abstraites ou implicites 'des opérateurs’ ne renvoient pas à des personnes morales personnellement identifiables et d’autre part, l’outrance, la forme du détournement ou celle de la dérision dans les images ou les propos, ainsi que la généralité des expressions critiques qui leur sont attachées, y compris celles visant nommément la société SFR, ne revêtent pas la précision de l’atteinte diffamatoire à la personne, mais renvoient toutes, sous ces formes, aux services et aux produits des concurrents des sociétés Free dans la caractéristique essentielle du prix de la téléphonie mobile qu’ils offrent par comparaison à ceux des sociétés Free, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté la qualification de la diffamation, retenu sa compétence, la prescription sur ce fondement devant pour les mêmes motifs être rejetée.

21. Et alors enfin que les sociétés Free ne contestent pas la preuve produite en pièce n°82 par la société SFR établissant que la plateforme Univers Freebox, qui est à l’origine de la diffusion de la vidéo parodique de La chute, disposait d’un local commercial offrant la souscription d’abonnement à l’opérateur Free mobile et qu’il promeut un 'concept store’ financé par les sociétés Free, il n’y a pas lieu d’exclure cette vidéo de la discussion.

22. Pour voir infirmer le jugement en ce qu’il a retenu le caractère dénigrant de leur campagne publicitaire, les sociétés Free opposent, en premier lieu, la situation sclérosée du marché de la téléphonie mobile au moment où elles ont promu leur offre, résultant du partage du marché par les trois grands opérateurs sanctionnés dès 2005 par le Conseil de la concurrence, puis dénoncé par des personnalités politiques, un commissaire européen à la concurrence ainsi que par l’association de défense des consommateurs UFC que choisir.

23. En deuxième lieu, les sociétés Free invoquent les résistances que les opérateurs concurrents lui ont opposées, d’abord dans l’accès au marché de la téléphonie mobile, en particulier aux moyens de recours introduits pour les empêcher de se voir attribuer la quatrième licence et en contestation de ses prix devant le Conseil d’État ainsi que la Commission européenne, ensuite par des campagnes de dénigrement en particulier la société SFR dans les conditions rapportées aux paragraphes 12 à 18 ci-dessus.

24. Au fond, les sociétés Free prétendent que la conférence de presse de M. X du 10 janvier 2012 rapportée au paragraphe 4 avait pour seul objet la comparaison du prix de prestations comparables qui est autorisée et qui a été objectivement pu être constatée.

25. En ce qui concerne les interviews de M. X rapportées aux paragraphes 7 et 11, les sociétés Free relèvent qu’elles ne rapportent pas d’autres faits et dans des expressions identiques que celles que l’opérateur de télécommunication mobile Virgin mobile avait déjà employées dans une campagne d’affichage publicitaire en 2011 pour 22 millions d’euros pour son offre d’abonnement de communication mobile d’après le thème appelant les utilisateurs à cesser d’être pris pour des 'vaches à lait, 'à se faire tondre', 'plumer', 'arrêtez de casquer', 'méfiez vous des offres sans smartphone vous finirez à poil'.

26. S’agissant des spots de publicité télévisuelle, les sociétés Free concluent qu’ils étaient destinés d’abord à répliquer à la campagne de dénigrement de la société SFR depuis le début de l’année 2012. Elles relèvent ensuite qu’elles ne désignent aucun concurrent et se limitent à mentionner pour le louer le prix d’abonnement de 20 euros correspondant au prix moyen et raisonnable que tout opérateur devait offrir sur le marché de la téléphonie mobile et soutiennent, enfin, qu’elles entrent dans le cadre de la liberté d’expression et de critique garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

27.'Néanmoins, les propos et la campagne publicitaire des sociétés Free rapportés aux paragraphes 3 à 11 de l’arrêt visent directement la société SFR, ou implicitement, en raison du nombre restreint des opérateurs du marché, ainsi que ses offres de services et de prix de téléphonie mobile, et leurs formes comme leurs énoncés sont indiscutablement péjoratifs et sans autre intérêt poursuivi par les sociétés

Free ou leur dirigeant que celui, particulier, d’atteindre l’offre concurrente de l’opérateur.

28. Et l’exactitude des dénonciations n’est pas une condition de la preuve du dénigrement, et ne peut au surplus être caractérisée d’après la généralité ou les formes de mise à distance des allégations et images litigieuses.

29. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu à faute des sociétés Free, leur campagne publicitaire de dénigrement à l’encontre de la société SFR.

- reprochés à la société SFR

30. Pour voir infirmer le jugement en ce qu’il a retenu le caractère dénigrant de sa campagne publicitaire, la société SFR conclut que ses publicités se limitaient à faire la promotion de ses offres et services, sans désigner la société Free avec des slogans adoptés sur un ton humoristique et modéré.

31. La société SFR soutient par ailleurs que sa campagne était légitime en ce qu’elle visait à défendre ses intérêts commerciaux face au dénigrement entrepris par la société Free.

32 Elle estime enfin que les communications de ses dirigeants se rapportaient à un sujet d’intérêt général, et des considérations qui reposaient sur une base factuelle suffisante, ainsi que l’association UFC-que-choisir et exprimées avec mesure.

33. Toutefois, il est constant que la campagne de publicité de la société SFR rapportée aux paragraphes 13 à 18 s’inscrit en réponse à l’offre inaugurée sur le marché de la téléphonie mobile par la société Free rappelée au paragraphe 1, et cible bien la promotion des forfaits de cet opérateur.

34. Et quoique les slogans n’empruntent pas aux mêmes registres que ceux de la société Free relevés ci-dessus, ces campagnes d’affichage et par voie de presse induisent toutes que les prix bas de la société Free dissimulaient une absence de qualité de service ainsi que de couverture de réseau dénigrant ainsi les critères principaux pour l’abonnement du service de téléphonie mobile et l’offre de la société Free.

35. Les commentaires des dirigeants de la société SFR dans la presse économique en 2012 tels que rapportés au paragraphe 18 n’étaient quant à eux étayés d’aucune information ayant alors autorité, le contrôle que l’ARCEP saisie par la société SFR a fait réaliser concluant à la mesure d’un taux de couverture de l’offre de téléphonie mobile de la société Free 3G de 94,5%, ces propos répétés dénonçant les défauts du réseau de la société Free ainsi que de son modèle économique contiennent aussi une visée dénigrante de la société Free et de ses services.

36. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il aussi retenu à faute de la société SFR sa campagne publicitaire de dénigrement à l’encontre des sociétés Free.

II. Sur les préjudices réparables

37. Chacune des parties entend voir infirmer le jugement en ce qu’il a, d’une part, fixé à son encontre des dommages et intérêts pour la réparation des préjudices d’image et moral, en contestant leur lien de causalité avec les dénigrements et la concurrence déloyale qui en serait résultée, et d’autre part, rejeté et minoré les dommages et intérêts au titre des préjudices économiques, d’image et moral que chacune d’elle réclame pour les montants rapportés au dispositif de leurs conclusions visées ci-dessus.

38. Au soutien de l’indemnisation de sa perte de clients, la société SFR produit le sondage qu’elle a confié à l’Institut CSA qui a mesuré, à partir d’un échantillon de la population début 2014, que 59 % des consommateurs ayant résilié leur offre SFR ont relevé la dégradation de l’image de SFR, 28 %

ayant imputé cette dégradation aux campagnes de la société Free Mobile. Et pour déduire son préjudice économique, elle se prévaut de l’évaluation par les cabinets Accuracy ainsi que Kling qui, sur la valorisation d’une marge de 491 euros pour un abonné mobile et de 244 euros pour un abonné fixe, ont déterminé le nombre des abonnés captés par l’opérateur Free de janvier 2012 à décembre 2013 selon qu’ils l’ont été lors des campagnes dénigrantes de janvier à mars 2012 et de septembre 2012 à janvier 2013, par comparaison avec la période non dénigrante de mars à août 2012, puis ont inféré un taux de surperformance d’abonnement aux services mobiles de Free de 40 % pour l’année 2012, puis dégressif l’année suivante rapporté à la part de marché de Free 7,20'% acquise par Free en 2012, la société SFR concluant de cette part qu’elle est anomale par comparaison à celle conquise par d’autres opérateurs de téléphonie mobile 'low cost’ dans cinq autres pays européens, ou encore avec la part de marché de la société Free que des établissements d’investissement financier avait anticipée.

39. Au soutien de leur demande de dommages et intérêts représentés des pertes de clientèle de téléphonie mobile ainsi que de celle pour ses services connexes de téléphonie fixe, les sociétés Free produisent le sondage qu’elles ont confié à la société IFOP, dont elles ont fait évaluer la rigueur par la société SLPV Analytics et l’expert M. Y, et qui a mesuré, à partir d’un échantillon de la population et au mois de janvier 2015, à 27'%, le nombre des non abonnés à Free mobile éprouvant une mauvaise image de l’opérateur et à 31'% d’entre-eux, l’imputation de cette image aux campagnes publicitaires de la société SFR.

Et pour déduire les montants des préjudices économiques, les sociétés Free se prévalent de l’expertise comptable du cabinet B C associés & Partners qui a retraité la valeur des réponses de l’enquête IFOP pour retenir un taux de 3,72 % d’abonnements perdus sur le total des non abonnés ou dont l’abonnement venait à expiration dans l’année à compter du lancement de son offre de forfait en janvier 2012 et valorisé 245 euros l’an, la valeur unitaire d’un abonnement.

40 Au demeurant, il est en premier lieu constant que les offres de forfait des sociétés Free ont provoqué, à compter de janvier 2012, une rupture de marché qualitative par les prix et les services de téléphonie mobile affectant la morphologie de l’ensemble de l’offre et de la demande de services et des prix.

41. En deuxième lieu, il résulte des constats rapportés aux paragraphes 3 à 18 de l’arrêt la preuve que chacun des opérateurs a entrepris simultanément et continûment une campagne de publicité dénigrante de l’autre, la fréquence des désabonnements que la société SFR prétend corréler avec le rythme des campagnes des sociétés Free étant par ailleurs démentie par le recensement mensuel des désabonnements de son étude Kling ('portabilité nette vers free de janvier 12 à janvier 2013'). Et, connaissance prise par la cour des questions soumises aux sondés dans chacune des enquêtes d’opinion, aucune d’elles ne permet de recueillir dans les réponses la part dénigrante de la campagne de l’opérateur concurrent.

42. Tandis, en troisième lieu, que les données sur les parts de marchés des opérateurs de téléphonie mobile à bas prix des autres pays ne sont alimentées d’aucune valeur permettant la comparaison avec le marché en litige, et que les projections des établissements financiers ne sont pas davantage documentées, il s’en déduit que ni les variables, ni le retraitement des valeurs ou encore les données exogènes des expertises dont les parties se prévalent ne sont de nature à corréler, objectivement, fût-ce hypothétiquement, la part du dénigrement des campagnes de publicité que chacun des opérateurs a simultanément alimentées à l’égard de l’autre, avec les flux des désabonnements et des abonnements résultant de la rupture de marché de la téléphonie mobile à compter de janvier 2012, y compris dans la perte de chance de souscription d’abonnement après 2012 dans les services de téléphonie mobile ou de ceux qui leur sont connexes.

43. Alors par ailleurs, qu’aucune des parties ne propose de méthode réaliste ou contrefactuelle de nature à isoler pertinemment la portée de leur campagne de dénigrement réciproque des effets attachés à la rupture de marché de la téléphonie mobile, il convient d’écarter la demande d’expertise

qui ne peut, sans cette condition, avoir pour objet de suppléer la carence des parties dans la charge de la preuve.

44. Il en résulte que la preuve du lien de causalité entre les pertes d’abonnements revendiquées par chacun des opérateurs qui ont pu résulter des actes de dénigrement n’est pas rapportée, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a indirectement écartée dans ses motifs pour rejeter les demandes de dommages et intérêts au titre de la réparation des préjudices économiques, la cour relevant incidemment que dans l’évaluation de ce préjudice, chacune des expertises introduit des valeurs liées à la perte d’image dont elle demande une indemnisation distincte.

45'En revanche, il se déduit nécessairement des faits de dénigrement les preuves d’un préjudice moral et d’une atteinte à l’image de chacun des opérateurs, justifiant, en suite de la symétrie et l’équivalence des campagnes de dénigrement de l’un sur l’autre ainsi que d’après les valeurs financières que chacun d’eux a mis aux débats, que les dommages propres à les réparer soient fixés, à l’encontre de chacune d’entre elles, à la somme de cinq cents mille euros au titre du préjudice moral, et de vingt millions d’euros au titre de l’atteinte à l’image, la cour ordonnant d’office la compensation de ces sommes.

III. Sur les frais irrépétibles et les dépens

46 Alors que chacune des parties succombe dans la même mesure dans son action, le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles mais infirmé sur les dépens.

47. Statuant à nouveau y compris en cause d’appel, chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ainsi que celles des frais qu’elle a exposés en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Rejette l’exception tirée de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Rejette les demandes d’expertise des préjudices économiques ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a statué sur le montant des dommages et intérêts pour la réparation du préjudice moral et de l’atteinte à l’image et sur les dépens ;

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Fixe à vingt millions d’euros, le montant des dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à l’image de la Société française du radiotéléphone et à celle de la société Free mobile ;

Fixe à cinq cents mille euros, le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la Société française du radiotéléphone et celui de la société Free mobile';

Ordonne la compensation de ces sommes ;

Laisse à chacune des parties les dépens qu’elle a exposés en première instance et en appel ;

Laisse à chacune des parties la charge des frais qu’elle a exposés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 24 septembre 2021, n° 18/15698