Tribunal administratif d'Amiens, 28 septembre 2020, n° 2002842

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Sur la décision

Référence :
TA Amiens, 28 sept. 2020, n° 2002842
Juridiction : Tribunal administratif d'Amiens
Numéro : 2002842

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

D’AMIENS RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

N° 2002842

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Associations AVES France

Le tribunal administratif d’Amiens, ASPAS ___________


M. X Le juge des référés, Juge des référés ___________

Ordonnance du 28 septembre 2020 __________

54-035-02 C

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 septembre et 18 septembre 2020, l’association Aves France et l’association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), représentées par Me Robert, demandent au juge des référés, statuant en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

COPIE 1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté n°80-2020-08-13-001 du 13 août 2020 par lequel la préfète de la Somme a autorisé la régulation du renard par tirs de nuit ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leur requête est recevable tant du point de vue de leur intérêt à agir que du délai de recours contentieux ;

- la condition d’urgence est remplie, dès lors que l’exécution de l’arrêté qui permet l’abattage de 1600 renards aura des effets irréversibles et que cet abattage est contre-productif pour la santé publique ;

- il existe plusieurs moyens de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué :

- la participation du public a été organisée de façon irrégulière, en méconnaissance de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement ;

- la préfète n’a pas pris en compte les observations du public et n’a pas mis en ligne un document indiquant les motifs de sa décision ;

- la préfète a commis une erreur de droit en appliquant un régime juridique distinct de celui relatif aux battues administratives, dès lors que les articles L. 427-6 et R. 427-6 du code de l’environnement portent sur des régimes juridiques différents ;



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- la préfète ne justifie pas de la nécessité de réaliser des battues administratives que ce soit du fait de l’augmentation de la population de renards qui n’est pas avérée, du fait de son impact sur la petite faune sauvage alors que la chasse à cette petite faune n’est pas limitée, du fait des dommages qu’il causerait prétendument, ou du fait des risques sanitaires qu’il entraînerait qui ne sont pas démontrés ; au contraire, le renard a un effet bénéfique sur l’agriculture et sa destruction entraîne un développement de certaines maladies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2020, la préfète de la Somme conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- Il n’y a pas urgence à statuer sur la demande.

- Il n’y a pas de doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué dès lors que la consultation du public a été menée de façon régulière, que l’arrêté n’est pas entaché d’une erreur de droit, qu’il y a nécessité d’organiser des battues administratives et que l’arrêté n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation compte tenu de l’impact du renard sur la petite faune sauvage, des dommages qu’il cause, des risques sanitaires qu’il fait courir de son impact sur l’agriculture. La préfète aurait pris la même décision même si elle ne s’était fondée que sur l’un des motifs de l’arrêté.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête n° 2002813, enregistrée le 31 août 2020, par laquelle les requérantes demandent l’annulation de l’arrêté susvisé.

Vu :

- le code de l’environnement ; COPIE

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. X, vice-président, en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique du 22 septembre à 10 heures.

Après avoir lu son rapport et entendu au cours de l’audience publique en présence de Mme Grare, greffière d’audience :

- les observations orales de Me Robert, représentant les requérantes ;

- les observations orales de Mme V., représentant la préfète de la Somme.

Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience, la clôture de l’instruction.

Vu la note en délibéré, produite par les requérantes, enregistrée le 22 septembre 2020.



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Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) ». Aux termes de l’article L. 522-1 du même code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale (…) ». Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire. (…) ».

Sur la condition d’urgence :

2. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d’un acte administratif, d’apprécier concrètement, compte tenu des éléments fournis par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

3. La décision attaquée a pour effet de permettre l’abattage de 1600 renards, a déjà été mise à exécution et a donc des effets irréversibles qui portent une atteinte grave et immédiate COPIE aux intérêts défendus par les deux associations AVES France et ASPAS.

4. La préfète de la Somme soutient que l’intérêt public s’oppose à ce que la suspension de l’arrêté attaquée soit ordonnée, en raison des dommages causés par le renard et des risques liés à la santé publique posés par sa présence. Toutefois, en premier lieu, si la préfète soutient que les renards menacent la pérennité de plusieurs espèces de petits animaux sauvages, seule la perdrix grise est une espèce en situation de danger dans le département de la Somme. S’il est vrai au vu de la documentation spécialisée produite par les parties, que le renard en est le prédateur principal et que la prédation est à l’origine des trois-quarts de la mortalité de l’espèce, il apparaît également qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre le taux de prédation par le renard et l’importance de sa densité sur les territoires étudiés, ce taux atteignant d’ailleurs un seuil qui n’augmente plus à partir d’une certaine densité. De même, malgré sa situation de danger, la chasse à la perdrix grise, même si c’est de façon très limitée, reste autorisée dans le département. Enfin, le déclin de la population de perdrix grise apparaît essentiellement lié à la chute du taux de reproduction de l’espèce et non à une prédation excessive. En deuxième lieu, la préfète fait état des dégâts causés aux élevages avicoles. Mais il ressort du dossier de demande d’autorisation de tirs de nuit déposé par les chasseurs de la Somme et les lieutenants de louveterie que 181 préjudices, dans la Somme, ont été imputés aux renards entre juillet 2018 et juin 2019 pour un montant total de 41 181 euros soit un peu plus de 225 euros par préjudice alors que moins d’un tiers de ce montant concerne des professionnels de l’élevage et que cette période est exceptionnelle par rapport aux statistiques des quatre années précédentes, aux statistiques plus de deux fois inférieures. Il n’existe donc pas une menace grave contre l’élevage avicole à l’origine de laquelle serait le renard. En



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troisième lieu, s’il est incontestable que le renard est porteur et vecteur de la gale sarcoptique et de l’échinococcose alvéolaire et que des renards infectés ont été trouvés dans la Somme, il n’est fait état d’aucun cas local de transmission de ces maladies à une autre espèce ou à l’homme, alors que la gale sarcoptique est sans danger pour l’homme et qu’il est relevé tout au plus une trentaine de cas par an en France de contraction de l’échinoccose alvéolaire par l’homme.

5. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est satisfaite et qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’un ou des intérêts publics s’opposent à la suspension de l’arrêté attaqué.

Sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :

6. Pour soutenir qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, les requérantes font valoir en premier lieu que la participation du public a été organisée de façon irrégulière, en méconnaissance de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement ; en deuxième lieu, que la préfète n’a pas pris en compte les observations du public et n’a pas mis en ligne un document indiquant les motifs de sa décision ; en troisième lieu, que la préfète a commis une erreur de droit en appliquant un régime juridique distinct de celui relatif aux battues administratives, dès lors que les articles L. 427-6 et R. 427-6 du code de l’environnement portent sur des régimes juridiques différents ; en quatrième lieu, que la préfète ne justifie pas de la nécessité de réaliser des battues administratives que ce soit du fait de l’augmentation de la population de renards qui n’est pas avérée, du fait de son impact sur la petite faune sauvage alors que la chasse à cette petite faune n’est pas limitée, du fait des dommages qu’il causerait prétendument, ou du fait des risques sanitaires qu’il entraînerait qui ne sont pas démontrés.

7. Aux termes de l’article L. 427-6 du code de l’environnement : « Sans préjudice du

COPIE 9° de l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, chaque fois qu’il est nécessaire, sur l’ordre du représentant de l’Etat dans le département, après avis du directeur départemental de l’agriculture et de la forêt et du président de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs, des opérations de destruction de spécimens d’espèces non domestiques sont effectuées pour l’un au moins des motifs suivants : 1° Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; 2° Pour prévenir les dommages importants, notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriétés ; 3° Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; 4° Pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ; 5° Pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement./ Ces opérations de destruction peuvent consister en des chasses, des battues générales ou particulières et des opérations de piégeage./ Elles peuvent porter sur des animaux d’espèces soumises à plan de chasse en application de l’article L. 425-6. Elles peuvent également être organisées sur les terrains mentionnés au 5° de l’article L. 422-10./ Ces opérations de destruction ne peuvent porter sur des animaux d’espèces mentionnées à l’article L. 411-1. Le cas échéant, elles peuvent être adaptées aux spécificités des territoires de montagne, en particulier en matière de protection des prairies permanentes, dans le cadre et les limites fixés à l’échelon national./ Pour

l’application du présent article au loup, nécessité est constatée, dès lors qu’une attaque avérée survient sur des animaux d’élevage, que celle-ci soit du fait d’un animal seul ou d’une meute et ouvre droit à indemnisation de l’éleveur. En ce cas, le préfet délivre sans délai à chaque éleveur ou berger concerné une autorisation de tir de prélèvement du loup valable pour une durée de six mois ».



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8. Il résulte de l’instruction que dans le département de la Somme, en moyenne chaque année, 8000 renards sont tués par piégeage, déterrage, tirs de nuits par les louvetiers (pour 19%) et tirs d’été dans le cadre du plan de chasse grand gibier, auxquels s’ajoutent les animaux tués pendant la période de chasse. En premier lieu, l’indice kilométrique d’abondance du renard dans le département a faiblement évolué depuis 2003 (d’environ 0,2 à 0,3 renard par kilomètre carré en dix-sept années) et reste trois fois inférieur à la moyenne française. Alors que des campagnes successives d’une particulière intensité en ont détruit une forte proportion, la dynamique de reproduction de l’espèce ne paraît pas avoir été affectée. Il n’y a donc pas d’augmentation sensible, ni même récente de la population de renards et les mesures arrêtées ne sont pas de nature à freiner la dynamique de reproduction des renards contrairement à ce qu’indiquent les deux premiers motifs de l’arrêté attaqué. En deuxième lieu, comme dit au point 4, seule la perdrix grise est une espèce en danger dans la Somme. Face à une quasi stabilisation de la population des renards et eu égard à la nature de l’impact de ces derniers sur cette espèce, également expliqué au point 4, il n’apparaît pas nécessaire de procéder à une régulation du renard pour protéger la perdrix grise, alors que parallèlement la chasse de cet oiseau reste autorisée, comme le prévoit le troisième motif de l’arrêté. En troisième lieu, d’une part, comme indiqué au point 4, il résulte de l’instruction qu’aucune menace de transmission à une autre espèce de l’échinococcose alvéolaire ou de la gale sarcoptique n’a été identifiée dans la Somme, alors qu’il résulte de la documentation produite au dossier (étude de l’entente de lutte interdépartementale contre les zoonose en pièce 14 de la requête et note de présentation de l’arrêté pris pour l’application de l’article R. 427-6 du code de l’environnement produit en pièce 17 de la requête) que la réduction des populations de renard n’est pas un moyen d’éviter la prolifération de l’échinococcose alvéolaire et de prévenir la contamination vers l’homme, au contraire, et que la gale sarcoptique n’est pas une maladie dangereuse pour l’homme. D’autre part, les besoins de réussite de réintroduction de gibier en plaine ne peuvent constituer un motif légal de recours aux mesures prévues par l’article L. 427-6 du code de l’environnement. Ainsi, le quatrième motif de l’arrêté ne paraît COPIE pas de nature à justifier la mesure attaquée. Enfin, en dernier lieu, ainsi qu’il a été dit au point 4, l’impact du renard sur les élevages avicoles du département, quoiqu’en forte augmentation, reste négligeable et ne peut constituer un motif justifiant l’autorisation attaquée.

9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’erreur d’appréciation commise quant à la nécessité d’autoriser la régulation par tirs de nuit du renard, dans les limites accordées de 1600 animaux au cours d’un maximum de 400 sorties, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté de la préfète de la Somme du 13 août 2020. Il y a donc lieu d’ordonner la suspension de son exécution jusqu’au jugement au fond de la requête n°2002813.

Sur l’application de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative :

10. Aux termes des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».



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11. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par les requérantes et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté n°80-2020-08-13-001 du 13 août 2020 par lequel la préfète de la Somme a autorisé la régulation du renard par tirs de nuit est suspendue jusqu’au jugement au fond de la requête n°2002813.

Article 2 : L’Etat versera une somme totale de 1500 euros aux associations requérantes en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association AVES France, à l’association ASPAS et à la ministre de la transition écologique et solidaire. Copie en sera adressée à la préfète de la Somme.

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