Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 14 septembre 2021, n° 20/05277

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 1re ch. civ., 14 sept. 2021, n° 20/05277
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 20/05277
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET

S.A.S. EOS FRANCE (anciennement denommée EOS CREDIREC)

C/

X

VA/VB

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU QUATORZE SEPTEMBRE

DEUX MILLE VINGT ET UN

Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/05277 – N° Portalis DBV4-V-B7E-H4RI

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU JUGE DE L’EXECUTION D’AMIENS DU HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT

PARTIES EN CAUSE :

S.A.S. EOS FRANCE (anciennement denommée EOS CREDIREC) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Frédéric CATILLION de la SCP LUSSON ET CATILLION, avocat au barreau D’AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Cédric KLEIN, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

ET

Monsieur Y X

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représenté par Me Eric POILLY, avocat au barreau D’AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Medhi DUBUC-LARIBI, avocat au barreau de POITIERS

INTIME

DEBATS :

A l’audience publique du 22 juin 2021, l’affaire est venue devant M. Vincent ADRIAN, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 septembre 2021.

La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Fabrice DELBANO, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE DE L’ARRET :

Le 14 septembre 2021, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et le Président étant empêché, la minute a été signée par M. Vincent ADRIAN, Conseiller le plus ancien, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

*

* *

DECISION :

Le 10 décembre 2019, M. Y X a reçu à la fois la signification d’une dénonciation de saisie-attribution faite le 5 décembre précédent, pour un montant de 8177, 46 ', par la société EOS France, sur son compte ouvert auprès du Crédit du Nord de Saint-Quentin et d’une cession de créance intervenue le 28 juillet 2017 entre la société CA Consumer Finance et la société EOS France, pour une créance de 5721, 41 ' en principal détenue en vertu d’une ordonnance d’ injonction de payer rendue par le juge du tribunal d’instance d’Amiens le 7 septembre 2007 et devenue exécutoire le 25 octobre 2007.

L’ordonnance d’injonction de payer, produite aux débats, est rendue au profit de la société Finaref.

M. X, par acte du 7 janvier 2020, a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Amiens aux fins de voir déclarer nulle la saisie pratiquée.

La société EOS France a fait valoir que la société Sofinco avait absorbé la société Finaref, laquelle a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 17 mai 2010, selon traité de fusion du 19 février 2010, ainsi que la société CA Consumer Finance, laquelle a été dissoute le 1er avril 2020 et que la société CA Consumer Finance, avant de disparaître, avait cédé un lot '3A’ de 15 322 créances à la société EOS Crédirec devenue EOS France, selon traité de cession du 28 juillet 2017; de sorte qu’elle était parfaitement en droit de pratiquer la saisie litigieuse.

Par jugement du 8 octobre 2020, dont la société EOS France a relevé appel, le juge de l’exécution du

tribunal judiciaire d’Amiens a :

— débouté M. X de son exception de nullité de l’acte de dénonciation de la saisie,

— constaté que la société EOS France ne démontrait pas que la créance litigieuse lui avait été cédée,

— prononcé la nullité de la saisie du 5 décembre 2019,

— condamné la société EOS France à la somme de 1000 ' de dommages et intérêts et à celle de 800 ' en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens en ce compris les frais de saisie et de commandement.

Vu les conclusions n° 3 notifiées par la société EOS France le 10 mai 2021,

Vu les conclusions d’intimé et d’appelant incident notifiées par M. X le 23 décembre 2020.

L’instruction a été clôturée le 22 juin 2021, jour de l’audience.

En cours de délibéré, le 19 juillet 2021, la juridiction a sollicité l’avis des parties sur deux moyens de droit susceptibles d’ être relevés d’office :

La cession spéculative de contrats de crédits à la consommation aux fins de recouvrement forcé contre des débiteurs défaillants doit-elle être considérée comme une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de la Directive 2005/29/CE et de l’arrêt de la CJCE du 20 juillet 2017 (arrêt Gelvora UAB) même en dehors de toute relation contractuelle entre le cessionnaire et le consommateur et même si la cession a porté sur un titre exécutoire '

La reprise du recouvrement forcé de contrats de crédits à la consommation plusieurs années après l’interruption des poursuites par le créancier initial, par le cessionnaire ayant acquis le titre dans le cadre d’ une cession spéculative de crédits à la consommation est-elle susceptible en l’espèce d’être qualifiée d’abusive au sens de l’abus de droit sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil et de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution '

La société EOS France a déposé une note en délibéré le 30 juillet 2021.

MOTIFS

1. Sur les moyens de nullité de l’acte de dénonciation du 10 décembre 2019.

C’est par un motif que la cour approuve et qu’elle s’approprie que le juge de l’exécution a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler cet acte, lequel, par omission d’actualisation de ses formules d’information, manque d’avertir que le débiteur qui veut saisir le juge de l’exécution doit constituer avocat, et appelle le tribunal judiciaire d’Amiens tribunal de grande instance d’Amiens, en l’absence de tout grief causé par ces deux irrégularités mineures qui n’ont pas empêché M. X de saisir valablement le juge de l’exécution dans le mois de cette dénonciation.

C’est également par un motif que la cour reprend que le juge a écarté l’annulation de l’acte de dénonciation en observant que la désignation, prévue par l’article R.211-3 du code des procédures civiles d’exécution, du compte -désignation non numérotée- sur lequel le solde alimentaire était conservé, n’avait pas causé de grief à M. X.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il déboute M. X de son exception de nullité de l’acte de dénonciation de la saisie-attribution.

2. Sur la demande de nullité de la saisie.

2.1. M. X fait d’abord valoir que la saisie doit être annulée faute d’avoir été pratiquée par le créancier au bénéfice duquel le titre exécutoire a été rendu.

Aux termes de l’article L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, la saisie-attribution est ouverte à 'tout créancier muni d’un titre exécutoire'.

L’ordonnance d’injonction de payer, rendue exécutoire le 25 octobre 2017, produite aux débats, est effectivement rendue au profit de la société Finaref.

La société EOS France, conclusions, page 6, fait valoir que :

'Le 1er avril 2010, la société Finaref a fait l’objet d’une fusion-absorption par la société Sofinco (RCS542 097 522) qui, à cette occasion, a changé de dénomination sociale au profit de CA Consumer Finance, conservant le même numéro de registre du commerce et des sociétés s’agissant de la même personne morale (pièces 7 et 8).

Le 28 juillet 2017, la société CA Consumer Finance a cédé à la société EOS Credirec un ensemble de créances, dont celle détenue sur M. et Mme X (pièce 14).

Au cours de l’année 2019, la société EOS Crédirec a changé de dénomination sociale au profit de EOS France, en conservant le même numéro RCS (488 825 217), s’agissant de la même personne morale (pièces 15 et 16).'

La juridiction d’appel constate que la preuve du transfert de la créance manque et devra confirmer le jugement entrepris:

En premier lieu le traité de cession (pièce EOS 14) porte sur les créances portées 'au fichier gravé sur CD Rom intitulé 'CACF-EOS-Détails créances Lot 3A-juillet 2017".

Le CD rom ou son contenu certifié par un procédé fiable n’est pas produit.

En deuxième lieu, le compte-rendu papier censé concerner la créance litigieuse est ainsi libellé :

'0705250055 X ANNIE 05/11/1970 Reçu'

Comme l’a relevé le premier juge ces mentions ne permettent pas d’identifier la créance, outre qu’elles jettent le doute en omettant toute mention de M. X.

Le n° 0705250055 est ajouté manuscritement en haut à droite sur l’ordonnance d’ injonction de payer (pièce 1) et ne peut être pris pour un indice suffisant de l’identité des créances.

Par ailleurs, en troisième lieu, le traité de fusion -ou un équivalent fiable- n’est pas produit aux débats. Seul un extrait Kbis au nom de Finaref (pièce EOS 7) mentionne une fusion-absorption 'par la société SOFIN CO'.

En l’état des pièces produites, le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a annulé la saisie-attribution et mis les frais à la charge du poursuivant, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens sur les intérêts.

2.2. En outre, M. X ainsi que le premier juge -lequel évoque 'les activités prédatrices’ de la société 'qui inondent la juridiction’ – relèvent le caractère choquant de poursuites procédant d’une cession spéculative qui porte sur un crédit à la consommation ayant fait l’objet d’une ordonnance d'

injonction de payer dont il n’a plus entendu parler depuis onze ans, alors qu’ il dispose d’un salaire modique de 1500 ' par mois et que, divorcé, il 'doit s’occuper de ses quatre enfants’ (conclusions, pages 2 et 13).

La société EOS France dans sa note en délibéré du 30 juillet 2021 soutient que son activité ne constitue en rien une pratique déloyale envers un consommateur et qu’il n’y a aucun abus dans le recouvrement tardif d’ une créance tant que celui-ci se fait à l’intérieur du délai de prescription.

La juridiction entend néanmoins appliquer à la difficulté soulevée les moyens exposés dans l’avis du 19 juillet 2021.

A l’intérieur de l’Union Européenne, en application de la directive 2005/29/CE visant à l’unification des législations prohibant les pratiques commerciales déloyales, trompeuse et agressives contre les consommateurs, ceux-ci sont protégés en effet contre ce genre de pratique.

La directive du 11 mai 2005 interdit les pratiques commerciales déloyales au sens où elles sont contraires à la 'diligence professionnelle’ et où elles altérent ou peuvent altérer 'le comportement économique du consommateur moyen'.

M. X n’avait pas été averti par la société Finaref, en cas d’impayé, de ce qu’il pourrait faire l’objet de poursuites, des années après de premières tentatives, onze ans en l’espèce, par un fonds financier entièrement dévoué à la poursuite maximale des recouvrements de créances achetées à bas prix. Cette pratique, postérieure au contrat, est déloyale.

La Cour de justice de l’Union européeenne, dans un arrêt du 20 juillet 2017 (arrêt Gelvora UAB, Jurisdata n°2017-016816), a jugé que la cession spéculative de contrats de crédits à la consommation aux fins de recouvrement forcé contre des débiteurs défaillants doit être considérée comme une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de la Directive 2005/29/CE même en dehors de toute relation contractuelle entre le cessionnaire et le consommateur et même si la cession a porté sur un titre exécutoire :

'La directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens que relève de son champ d’application matériel la relation juridique entre une société de recouvrement de créances et le débiteur défaillant d’un contrat de crédit à la consommation dont la dette a été cédée à la société. Relèvent de la notion de 'produit', au sens de l’article 2, sous c), de cette directive les pratiques auxquelles une telle société se livre en vue de procéder au recouvrement de sa créance. A cet égard, est sans incidence la cirsconstance que la dette a été confirmée par une décision de justice et que cette décision a été transmise à un huissier de justice pour exécution’ (arrêt précité).

Cette décision correspond au cas de l’espèce.

En outre, en droit interne, au regard de la modestie de sa situation économique, la reprise du recouvrement forcé de contrats de crédits à la consommation plusieurs années (11 ans) après l’interruption des poursuites par le créancier initial, par le cessionnaire ayant acquis le titre dans le cadre d’ une cession spéculative de crédits à la consommation doit être qualifiée d’abusive au sens de l’abus de droit sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil et de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution.

Les moyens donnés par la loi, en effet, ne sont plus ordonnés au paiement de la dette, mais à la réalisation d’ un bénéfice par un fonds dévoué à la spéculation au détriment des consommateurs ce qui les détourne de leur finalité légale.

Pour cette raison également, donc, la juridiction ne saurait admettre l’opposabilité de la cession à M. X et la validité des poursuites engagées par la société EOS à son encontre.

La saisie-attribution du 5 décembre 2019 sera annulée et sa mainlevée sera prononcée, le jugement étant en cela confirmé.

3. Sur l’octroi de dommages et intérêts pour saisie abusive.

Le juge a accordé à M. X la somme de 1000 ' de dommages et intérêts 'compte tenu des méthodes utilisées par la société ' en observant que celui-ci, simple technicien, avait vu son solde de compte bancaire de 1342, 30 ' bloqué depuis le 5 décembre 2019, 'pendant plus de 10 mois'.

M. X sollicite la somme de 5000 ' en appel, tandis que la société demande l’infirmation de cette disposition.

Le seul acte de poursuite exercé contre M. X est la saisie-attribution du 25 septembre 2008, faite un an après la délivrance de l’ordonnance d’injonction de payer exécutoire, ayant donné lieu à une mainlevée le 2 octobre suivant.

Ainsi, entre septembre 2008 et décembre 2019, il s’est écoulé onze ans pendant lesquels M. X n’a, a priori, plus entendu parler de la dette, ce qui est plus que le délai de prescription légale. Les deux significations sont faites ensemble le 10 décembre 2019, brutalement, sans qu’aucune information et approche préalable du débiteur n’ait été faite et la dénonciation informe celui-ci, à la fois d’une dette très élevée -le principal de 5721,41 ' passe à 8177,46 ' en vertu des intérêts et des frais – et, à la fois du blocage de son compte bancaire, ce qui est proprement violent pour une personne de condition modeste.

C’est à juste titre que le premier juge a retenu le caractère brutal et gravement préjudiciable de la saisie, alors même qu’on ne pouvait être certain du bien fondé de la cession.

Reprocher à M. X de ne pas s’être raproché auparavant de son créancier (conclusions EOS, page 20) n’a aucun sens en l’absence de toute relance et au regard des nombreux changements dans les dénominations des créanciers supposés.

Toutefois, M. X ne justifie pas du salaire de 1500 ' par mois avec quatre enfants à charge qu’il allègue, et la juridiction ne saurait le suivre en toutes ses exigences.

C’est donc par une juste appréciation de la situation que le premier juge a fait droit à la demande de dommages et intérêts de M. X, lesquels, tout bien considéré, doivent être fixés à la somme de 2000 ', le jugement étant en cela infirmé.

Il sera également alloué à M. X une somme de 2000 ' en application de l’article 700 du code de procédure civile, pour ses frais non compris dans les dépens exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Amiens le 8 octobre 2020, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués pour saisie abusive, lesquels sont portés à la somme de 2000 ',

Condamne la société EOS France aux dépens d’appel et à payer à M. Y X une somme de 2000 ' en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER P/LE PRESIDENT EMPECHE

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