Cour d'appel de Chambéry, 22 octobre 2015, n° 15/00535

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2e Chambre

Arrêt du Jeudi 22 Octobre 2015

RG : 15/00535

XXX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Tribunal de Grande Instance d’ANNECY en date du 16 Février 2015, RG 14/00418

Appelants

M. C X, né le XXX à XXX

et

Mme I J épouse X, née le XXX à XXX

XXX – XXX

assistés de la SELARL TRAVERSO-TREQUATRINI ET ASSOCIES, avocats au barreau D’ANNECY

Intimés

M. G B, demeurant XXX

M. M B, demeurant XXX

M. U B, XXX

Mme E AC B épouse A, demeurant XXX

assistés de la SCP MAX JOLY ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

SA ERDF – intervenante forcée – dont le siège social est sis XXX prise en la personne de son représentant légal

assistée de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 01 septembre 2015 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffier, en présence de Monsieur Bastien BOUVIER, Assistant de Justice,

Et lors du délibéré, par :

— Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président

— Monsieur Franck MADINIER, Conseiller,

— Monsieur Gilles BALAY, Conseiller, qui a procédé au rapport,

— =-=-=-=-=-=-=-=-=-

FAITS ET PROCÉDURE

M. C X et Mme I J épouse X (les époux X) ont fait l’acquisition le 30 juin 2011 de différentes parcelles sur la commune de Cran Gevrier, supportant une construction. Ils ont déposé une demande de raccordement au réseau public de distribution d’électricité courant 2013/2014, leur propriété n’étant plus alimentée malgré l’existence d’un ancien câble souterrain dont l’exploitation avait été abandonnée en raison de sa vétusté.

Pour satisfaire à son obligation de raccordement, la société ERDF s’est rapprochée des consorts B, qui sont propriétaires en indivision de la parcelle cadastrée numéro 201, devant supporter le passage de câbles enterrés suivant la définition technique du raccordement que cette société a elle-même décidée, en application des dispositions de l’article 23 A du cahier des charges de concession. Les consorts B ayant refusé de signer la convention de servitude proposée par la société ERDF, les travaux de raccordement n’ont pas été exécutés et la maison des époux X demeure provisoirement desservie par un compteur de chantier.

Par acte du 3 décembre 2014, les époux X ont fait assigner les consorts B en référé, afin d’obtenir leur condamnation à donner toutes autorisations nécessaires et à signer toute convention utile, sous peine d’astreinte, pour la réalisation des travaux de desserte de leur propriété en électricité. Ils invoquaient un trouble manifestement illicite, constitué du refus de signer la convention de servitude proposée par la société ERDF, alors que les consorts B seraient tenus au respect d’une servitude conventionnelle pour la desserte en électricité des parcelles 107 à 110.

Par ordonnance du 16 février 2015, le président du tribunal de grande instance d’Annecy, considérant que la preuve d’un trouble manifestement illicite n’était pas rapportée en raison du caractère très imprécis de la définition de l’assiette de la servitude revendiquée, et du fait qu’il n’était pas expliqué en quoi les autorisations demandées seraient absolument nécessaires, a dit n’y avoir lieu à référé.

Par déclaration reçue au greffe le 10 mars 2015, les époux X ont interjeté appel de cette ordonnance.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées au greffe le 27 août 2015 au nom des époux X par lesquelles ils demandent à la Cour notamment de :

— faire sommation à l’indivision B de produire son titre de propriété,

— lui enjoindre de donner autorisation de réaliser les travaux de desserte en électricité,

— condamner les consorts B à signer toute convention qui leur sera présentée par la société ERDF concernant la servitude de desserte électrique,

— déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable à la société ERDF,

— condamner les consorts B à leur payer la somme de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de leur avocat.

Ils estiment que l’assignation en intervention forcée de la société ERDF est recevable en raison de l’évolution du litige, du fait de la motivation de l’ordonnance par laquelle le juge a déploré qu’il n’était pas expliqué en quoi les autorisations demandées étaient absolument nécessaires.

Ils exposent que le litige est précisément circonscrit à la demande de passage de canalisations souterraines sur la parcelle 201 pour desservir leur immeuble en électricité, et se fondent sur le respect d’une servitude conventionnelle contenue dans un acte du 30 novembre 1937, qui a été expressément rappelée dans leur propre acte d’acquisition ; ils ajoutent que les plans cadastraux annexés font figurer l’assiette de la servitude litigieuse, qui est donc précisément définie.

Ils justifient l’intervention forcée de la société ERDF en cause d’appel par l’intérêt, pour la solution du litige, que cette dernière précise en quoi il lui appartient de déterminer la solution technique de raccordement, et pourquoi la signature d’une convention de servitude par les consorts B est nécessaire.

Vu les conclusions déposées au greffe le 26 août 2015 au nom des consorts B, par lesquelles ils demandent à la Cour notamment de :

— confirmer l’ordonnance entreprise, en l’absence de trouble manifestement illicite du fait de l’absence de tout titre de servitude conventionnelle de passage de canalisations électriques sur la parcelle 201,

— condamner en outre les époux X à leur payer la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais d’appel,

— dire et juger irrecevable l’intervention forcée de la société ERDF, et débouter en tout état de cause cette dernière de ses prétentions,

— condamner les époux X aux dépens.

Ils reprochent aux appelants de ne pas produire l’acte du 30 novembre 1937 ; ils soulignent que la référence à l’acte de 1937 concerne une ligne aérienne d’électricité devant être établie à frais communs, qu’aucune indication précise ne résulte de cet acte sur l’implantation d’une canalisation souterraine pour le passage de câbles électriques ; qu’en conséquence, en l’absence de droits précisément définis, il ne peut être question de trouble manifestement illicite.

Ils ajoutent qu’il en est d’autant plus ainsi que les différents représentants de la société ERDF ont tenu des propos contradictoires, au sujet des installations existantes.

Ils ajoutent que l’intervention forcée de la société ERDF n’est pas recevable, car la motivation du premier juge ne saurait constituer l’évolution du litige impliquant la mise en cause d’une nouvelle partie.

Vu les conclusions déposées au greffe le 24 août 2015 au nom de la société ERDF, par lesquelles elle demande à la Cour de lui donner acte de ses explications et notamment de :

— juger que la décision à intervenir condamnant sous astreinte les consorts B à signer la convention de servitude qu’elle a elle-même établie, pour le passage d’une canalisation électrique souterraine sur la parcelle numéro 201, lui sera commune et opposable,

— condamner les consorts B à lui payer la somme de 2000 € pour frais irrépétibles, et les condamner aux dépens avec distraction au profit de son avocat.

La société ERDF rappelle son obligation de service public, de répondre à toutes demandes de raccordement d’un usager au réseau public d’électricité, à charge de définir elle-même la solution technique applicable en conciliant les intérêts du service public avec ceux des usagers, dans le respect des textes réglementaires et des intérêts de l’autorité concédante, et à charge par ailleurs d’obtenir les autorisations de passage nécessaires ; elle précise que l’existence d’une servitude entre propriétaires privés ne suffit en réalité pas, pour garantir son propre droit d’intervention sur le réseau, pour tout entretien et modification nécessaire.

Elle confirme qu’en l’espèce, il existait un réseau enterré, désactivé en raison de sa vétusté, qu’il convient donc de remplacer selon la même technique, en souterrain. Elle déplore de n’avoir pas pu débuter les travaux pour délivrer l’alimentation en électricité, alors même que les parcelles devant être raccordées bénéficient d’une servitude conventionnelle, en vertu de l’acte de 1937.

Cependant, elle estime devoir soutenir l’action des époux X, acceptant que lui soit jugée opposable une condamnation des consorts B à signer une convention de servitude. Elle vise plusieurs décisions de jurisprudence ayant condamné les propriétaires des fonds servants d’une servitude, sous astreinte, à signer la convention de servitude qui avait été établie au profit de la société ERDF. Elle précise qu’à défaut d’une telle signature de convention, elle devrait avoir recours à l’autorité administrative pour une procédure de mise en servitude par arrêté préfectoral en application des dispositions combinées de l’article L. 323-3 du code de l’énergie et de l’article 13 du décret du 11 juin 1970.

La procédure a été clôturée le 28 août 2015.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur l’intervention forcée de la société ERDF

Attendu qu’il résulte de l’article 555 du code de procédure civile que les personnes qui n’ont pas été parties ni représentées en première instance peuvent être appelées à intervenir devant la Cour quand l’évolution du litige implique leur mise en cause.

Attendu que cette mise en cause peut avoir pour objet de rendre commune à la partie intervenante la décision à intervenir, selon la prévision de l’article 331.

Mais attendu que l’évolution du litige implique l’existence d’un élément nouveau, rendant nécessaire la mise en cause d’un tiers ; qu’en l’espèce, les époux X n’invoquent aucun élément nouveau et se bornent à vouloir répondre aux interrogations du premier juge sur des questions déjà débattues devant lui, par une réponse technique de la société ERDF qui pouvait parfaitement être sollicitée et obtenue en première instance, et n’impliquait d’ailleurs pas sa mise en cause en qualité de partie à l’instance.

Attendu qu’en conséquence, la demande d’intervention forcée de la société ERDF est irrecevable ; que les dépens de l’intervention doivent être laissés à la charge des époux X, avec distraction au profit de la SCP Girard-Madoux et associés qui en a fait la demande, par application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.

Sur les demandes d’autorisation de travaux, et de condamnation à signer une convention avec la société ERDF

Attendu qu’aux termes de l’article 809 du code de procédure civile, « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Attendu que les époux X, à l’appui de leurs prétentions d’obtenir la condamnation des consorts B, sous astreinte, à consentir une autorisation de réalisation de travaux de desserte de canalisations électriques sur la parcelle 201, et à signer toute convention qui leur serait présentée par la société ERDF, invoquent le moyen unique tiré de l’existence d’un trouble manifestement illicite au motif que leur double refus porterait atteinte à l’exercice d’un droit réel de servitude de passage des canalisations.

Attendu que le titre de propriété des époux X, que constitue leur acte d’acquisition du 30 juin 2011, portant sur une propriété bâtie figurant au cadastre de la commune d’Annecy sous les numéros 107,108,109 et 110, comporte un rappel de servitudes antérieurement consenties : en particulier est rappelée une servitude de passage qui figurait déjà dans un acte du 6 mars 1972, lequel rappelait lui-même une servitude antérieure, au profit des parcelles ci-dessus, constituant un droit de passage sur le chemin privé reliant la propriété vendue au chemin public d’une largeur maximum de 5 m, talus compris, traversant dans leur partie ouest les nouveaux numéros cadastraux 112,113,115 et 42 ; que l’acte du 6 mars 1972 rappelait les dispositions d’un acte de vente du 12 septembre 1946, lequel avait stipulé des conditions particulières concernant ce chemin, et en particulier la disposition suivante : « canalisation d’eau et ligne électrique ' en ce qui concerne les canalisations d’eau et d’électricité, il est rappelé textuellement ci-dessous l’une des clauses stipulées à cet égard dans le premier acte de vente passé entre les comparants devant le notaire soussigné le 30 novembre 1937. La canalisation d’eau et la ligne aérienne d’électricité s’établiront à frais communs, mais il est bien entendu que les vendeurs se réservent le droit de branchement autant de fois qu’ils en auraient besoin pour les futures constructions à édifier soit sur leur propre terrain, soit sur ceux des propriétaires qui auraient à supporter les servitudes de passage desdites canalisations et ligne, soit même sur les terrains de tiers propriétaires situés à proximité des canalisations et ligne ci-dessus indiquées ».

Attendu qu’il résulte clairement de ces dispositions dont l’opposabilité aux consorts B n’est pas discutée, que le fonds des époux X bénéficie d’une servitude de passage, et qu’avant même la constitution de ce droit, il bénéficiait du droit de se raccorder à l’électricité par une ligne aérienne qui devait être établie à frais communs.

Attendu que l’acte du 30 novembre 1937, qui aurait pu contenir d’autres indications intéressantes, n’est malheureusement pas produit aux débats par les parties ; qu’aucun élément postérieur ne permet par ailleurs d’expliquer dans quelles conditions le fonds a été raccordé à l’électricité par un câble souterrain, et non pas par une ligne aérienne comme le prévoyait cet acte.

Attendu qu’en effet, il ne peut pas être sérieusement contesté, et il résulte notamment du plan établi par la société ERDF le 30 décembre 2013 sous la signature du chargé d’affaires M. Z, et des conclusions de cette société, qu’un câble électrique de diamètre 50 est enterré sur l’emprise du chemin d’accès au chalet, qui a dû être abandonné en raison de sa vétusté.

Attendu qu’il est possible que ce réseau souterrain soit le nouveau mode d’exercice de la servitude de passage de câbles électriques aériens, qui résulte de l’acte du 30 novembre 1937 ; que cependant, à défaut de pièces probantes et même à défaut d’explications des parties sur l’origine de ce réseau, on ne saurait exclure, a fortiori au stade du référé, que la mise en place d’un câble électrique enterré soit intervenue à l’insu des propriétaires du fonds dominant, et en tout cas sans leur accord.

Attendu qu’il en résulte que devant le juge des référés, le seul droit de servitude de passage de câbles électriques qui puisse être invoqué est celui autorisant le passage de câbles aériens.

Attendu que l’adaptation du mode d’exercice de la servitude aux contraintes techniques et d’environnement suppose une discussion dont le juge des référés n’a pas été saisi.

Attendu en outre que le droit de passage de réseaux électriques enterrés sur l’assiette du droit de passage, comme accessoire de ce droit, d’une part n’est pas invoqué par les époux X dont les conclusions excluent explicitement au contraire cet argument, et d’autre part se heurte au fait que le droit de servitude de passage ci-dessus rappelé, ne vise pas la parcelle 201 comme fonds servant.

Attendu que le juge des référés n’a pas à se prononcer sur le point de savoir si le refus des consorts B est ou non légitime, ayant seulement à juger si ce refus est ou non constitutif d’un trouble manifestement illicite.

Attendu que la convention de servitude proposée par la société ERDF a pour objet la constitution d’une servitude administrative nouvelle ; que les époux X, bien que directement intéressés à la signature de ce document ne disposent pas d’un droit direct à en exiger la signature, qui serait troublé de manière illicite par le refus des consorts B.

Attendu que le refus de ces derniers d’autoriser le passage de câbles électriques souterrains sur la parcelle 201, ne trouble pas davantage de manière manifestement illicite le droit de servitude de passage de câbles aériens qui résulte de l’acte du 30 novembre 1937.

Attendu qu’en conséquence, l’ordonnance déférée doit être confirmée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Attendu que les époux X succombent en leurs prétentions et doivent en conséquence supporter les dépens de première instance et d’appel.

Attendu qu’en équité, par application de l’article 700 du code de procédure civile, la condamnation prononcée par le premier juge pour l’indemnisation des frais irrépétibles des consorts B doit être confirmée ; qu’il convient d’y ajouter la condamnation à payer une indemnité de 1500 € pour les frais irrépétibles que ces derniers ont exposés en cause d’appel.

Attendu qu’en revanche, les époux X ne sont pas fondés en leur demande d’indemnisation de frais, ni la société ERDF en sa demande de ce chef à l’encontre des consorts B qui ne supportent aucuns dépens.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare irrecevable l’intervention forcée de la société ERDF, à la requête des époux X,

Confirme l’ordonnance de référé rendue par M. Le Président du tribunal de grande instance d’Annecy le 16 février 2015, en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux dépens et frais irrépétibles,

Y ajoutant,

Déboute la société ERDF et les époux X de leurs demandes d’indemnisation de frais irrépétibles,

Condamne M. C X et Mme I J épouse X à payer à M. G B, M. M B, M. U B et Mme E B, ensemble la somme globale de 1500 € en indemnisation de leurs frais irrépétibles exposés devant la cour d’appel,

Condamne M. C X et Mme I J épouse X aux dépens de l’instance d’appel et de l’intervention forcée de la société ERDF, et ordonne leur distraction éventuelle au profit de la SCP Girard-Madoux et associés, avocat, sur son affirmation de droit.

Ainsi prononcé publiquement le 22 octobre 2015 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Sylvie DURAND, Greffier.

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