Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 2 juin 2021, n° 19/00971

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 10, 2 juin 2021, n° 19/00971
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/00971
Sur renvoi de : Cour de cassation, 20 novembre 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRÊT DU 02 Juin 2021

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/00971 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DRN

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Novembre 2018 par le Cour de Cassation de PARIS RG n°

APPELANTE

Madame Z X

[…]

[…]

représentée par Me Xavier SAUVIGNET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Mutuelle FEDERATION NATIONALE DE LA MUTUALITE FRANCAISE

[…]

[…]

représentée par Me Dominique DELANOE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0192

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2021, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas TRUC, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de Chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 17 décembre 2020

Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 17 décembre 2020

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

— Contradictoire

— mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme Z X a été embauchée par contrat écrit à durée indéterminée à compter du 15 janvier 2001 en qualité de médecin de santé publique référent par la Fédération nationale de la mutualité française qui a un rôle de représentation du mouvement mutualiste santé auprès de l’Etat et des groupes institutionnels.

Estimant faire l’objet d’une inégalité de traitement à la fois en raison de ses origines et de son sexe, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 19 juillet 2010, qui, aux termes d’un jugement du 27 septembre 2012, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Le 8 octobre 2012, la salariée a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 24 janvier 2017, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a rejeté les demandes en rappels de salaire et l’a infirmé en ce qu’il a omis de statuer sur la sanction disciplinaire du 19 décembre 2011 et en ce qu’il n’a reconnu ni l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe ni un manquement à l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur.

Statuant à nouveau, la cour a :

— rejeté la demande d’annulation de l’avertissement du 19 décembre 2010,

— rejeté la demande d’annulation du blâme du 31 décembre 2012,

— annulé la mutation disciplinaire du 19 septembre 2014

— condamné la Fédération nationale de la mutualité française au paiement des sommes suivantes :

—  30 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination toutes causes du préjudice confondues,

—  30 000 € en réparation du préjudice subi du fait du manquement à l’obligation de sécurité, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation.

— rejeté toute autre demande.

Mme X a formé pourvoi à l’encontre de cet arrêt.

Par décision du 21 novembre 2018, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il a débouté Mme X de ses demandes de repositionnement et de rappels de salaire et limité à la somme de 30 000 € les dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice consécutif à la discrimination.

Mme X a saisi la juridiction de renvoi le 9 janvier 2019.

Aux termes de ses écritures soutenues à l’audience du 6 avril 2021, Mme X conclut à l’infirmation du jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Paris le 27 septembre 2012, demande qu’il soit jugé qu’elle a fait et fait encore l’objet d’un traitement discriminatoire en raison de ses origines et de son sexe et demande à la cour de renvoi de:

A titre principal,

— fixer son salaire de base à la somme de 6 692,31 euros bruts sur 12 mois au 1er janvier 2010 et condamner l’employeur au rappel de salaire correspondant à compter du 1er janvier 2010, avec les augmentations individuelles générales ou conventionnelles propres à l’entreprise s’y attachant et intervenues depuis le 1er janvier 2010, le tout sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter de la notification de la décision à intervenir,

— condamner l’employeur au versement de 366 477 euros à titre de dommages et intérêts pour réparation de son préjudice financier jusqu’à fin 2009 lié à la discrimination subie ;

A titre subsidiaire,

— fixer son salaire de base à la somme de 7 960,15 euros bruts au 1er janvier 2010 et condamner l’employeur au rappel de salaire correspondant à compter du 1er janvier 2010, avec les augmentations individuelles, générales ou conventionnelles propres à l’entreprise s’y attachant et intervenues depuis le 1er janvier 2010, le tout sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

— condamner la Fédération nationale de la mutualité française au versement de 429 537 euros à titre de dommages et intérêts pour réparation du préjudice financier jusqu’à fin 2009 lié à la discrimination subie ;

En tout état de cause,

— condamner la mutualité française au paiement des sommes suivantes :

—  70 000 € nets en réparation du préjudice moral lié à la discrimination subie,

—  4 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1154 du code civil ;

— condamner la Fédération nationale de la mutualité française aux entiers dépens, y compris les frais d’exécution éventuels.

Mme X fait valoir, en substance, qu’elle a été l’objet d’une discrimination à raison de son sexe et de son origine maghrébine dans son évolution de carrière et de salaire, qui explique qu’elle a le niveau de rémunération le plus faible parmi les femmes dont la situation est comparable à la sienne.

Par ailleurs, Mme X soutient que l’inégalité de traitement subie, due à la conjugaison de ces deux motifs de discrimination, lui est préjudiciable tant sur le plan moral que financier et perdure depuis l’arrêt du 24 janvier 2017 puisqu’elle est toujours maintenue à un niveau de responsabilité et de rémunération inférieur à sa qualification.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2021, la Fédération nationale de la mutualité française demande à la cour, statuant de nouveau, de débouter à titre principal Mme X de l’intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, l’intimée demande à la cour d’appel de renvoi de :

— fixer le repositionnement du salaire de Mme X à 65 235,12 euros pour l’année 2010,

— évaluer son préjudice économique à la somme de 54.882, 57 euros.

A titre reconventionnel, elle sollicite la condamnation de l’appelante à lui payer 15 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur soutient que Mme X, qui n’occupe pas un poste médical, ne peut pas comparer sa carrière et sa rémunération avec à celles de ses collègues masculins titulaires d’un diplôme de médecine, puisque aucun d’eux n’a exercé ni n’exerce à ce jour des fonctions identiques aux siennes.

Il relève également que l’absence d’évolution professionnelle de la salariée vers des fonctions de responsable de pôle ou de référent expert est sans rapport avec une quelconque discrimination liée à son sexe ou ses origines, mais est en lien avec le constat objectif de son refus de pratiquer un management d’écoute, du travail en équipe, de rendre compte de ses activités et de suivre les positions de la mutuelle lorsqu’elle la représente à l’extérieur.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l’audience et visées par le greffier.

MOTIFS

1) Sur la nature de la discrimination

Aux termes du dispositif de ses dernières écritures soumises à la cour d’appel de renvoi, Mme X demande qu’il soit jugé qu’elle a fait l’objet d’un traitement discriminatoire en raison de ses origines et de son sexe.

Mais il sera observé, ainsi que l’objecte justement l’intimée, que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 janvier 2017 qui, aux termes de son paragraphe n° 2 intitulé « Sur la discrimination fondés sur le sexte et l’origine », n’a retenu qu’une discrimination fondée sur le sexe, écartant explicitement la discrimination sur l’origine ainsi que cela résulte du passage de la motivation suivant : « (') sans pour autant que la discrimination soit justifiée comme étant fondée sur l’origine puisque Mme X a bénéficié de condition d’embauche adaptées et que l’entreprise compte de nombreux salariés d’origine étrangère (…) ».

Cette motivation n’ayant fait l’objet d’aucune censure par la Cour de cassation dans sa décision du 21 novembre 2018, il ne saurait donc à nouveau être statué sur le principe et la nature de la discrimination qui n’est pas liée à l’origine, ce point étant définitivement tranché.

2) Sur la fixation du salaire de base au 1er janvier 2010

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 janvier 2017 a été cassé en ce que, après avoir retenu l’existence d’une discrimination subie par Mme X, a débouté cette dernière de ses « demandes de repositionnement et de rappel de salaire (…) ».

La cour de rappel de renvoi reste donc tenue de la demande de Mme X tendant à la fixation de son salaire de base au 1er janvier 2010 et au paiement du rappel de salaire correspondant.

Dans sa décision du 21 novembre 2018, la Cour de cassation rappelle qu’en cas de privation d’une possibilité de promotion par suite d’une discrimination, il appartient « (') au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération la salariée serait parvenue sans la discrimination constatée ».

Compte tenu de l’arrêt de la cour d’appel du 24 janvier 2017 dont il résulte que Mme X n’a été discriminée qu’en raison de son sexe, son repositionnement salarial doit être envisagé par comparaison avec les seuls cadres C3 masculins employés par la Fédération nationale de la mutualité française.

Mme X sollicite, à titre subsidiaire, la fixation au 1er janvier 2010, de son salaire au niveau de la rémunération la plus élevée des hommes de la catégorie C3 soit 7 960,15 euros bruts et se réfère notamment à la situation du salarié Y relevant de ladite catégorie (pages 15 et 17 de ses écritures).

La Fédération nationale de la mutualité française qui mobilise des moyennes de rémunération tirées des bilans sociaux de l’UES (ses pièces n° 16 à 25) pour contester les demandes de Mme X, ne fournit cependant aucun élément utile permettant d’attribuer un coefficient hiérarchique précis à Mme X au sein de la catégorie C3 par rapport à ses collègues masculins.

S’il est produit par l’intimée (sa pièce 77), une liste de salariés, qui ne comporte pas le nom de M. Y, se trouvant dans la catégorie C3 avec indication de leurs salaires annuels, variant de 58 289,93 à 116 000,06 euros au mois de juin 2010, les modalités et critères de progression de leurs carrières comme la disparité de leurs rémunérations ne sont pas explicités de sorte qu’il ne peut être être tiré aucun information exploitable de ce document.

La Fédération nationale de la mutualité française soutient qu’en raison du déroulement de la carrière de Mme X, de son refus de rendre des comptes, de son rejet de toute autorité hiérarchique et du travail en équipe, de ses relations difficiles avec certains des ses collègues de travail et de son attitude condescendante voire blessante (page 23 de ses écritures), elle n’était pas en mesure de prétendre à la rémunération qu’elle revendique.

Mais ces considérations sur les qualités professionnelles de Mme X, à les tenir pour avérées, ne garantissent aucunement qu’elle n’aurait pas été en mesure, dans le cadre d’une évolution non discriminée de sa carrière, d’accéder à un niveau de responsabilité lui permettant d’obtenir le niveau de salaire qu’elle revendique.

L’ensemble de ces constatations conduit à accueillir sa demande tendant à la fixation de son salaire mensuelle à 7 960,15 euros au 1er janvier 2010 correspondant au salarié masculin auquel elle se compare, à charge pour la Fédération nationale de la mutualité française qui soutient que le salaire est calculé annuellement dans l’entreprise, de déterminer sur cette base le montant annuel de la rémunération due.

la Fédération nationale de la mutualité française sera, en outre, condamnée à s’acquitter des rappels de rémunération dus sur la base susvisée, avec les augmentations individuelles, générales ou conventionnelles propres à l’entreprise à partir de l’année 2010.

Il n’y a pas lieu, en revanche de faire droit à l’astreinte sollicitée.

2) La demande en dommages et intérêts pour préjudice économique et financier

Dans ses dernières écritures, Mme X sollicite le paiement de 429 537 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier jusqu’au 1er janvier 2010 occasionnée par la discrimination subie.

La discrimination à caractère salariale dont Mme X a été l’objet en raison de son sexe à compter de son recrutement en 2001 étant acquise, ce préjudice est réel.

En l’état de l’ensemble des éléments d’appréciation dont la cour dispose quant aux incidences

financières et économiques de la discrimination, ce préjudice sera, pour la période antérieure au 1er janvier 2010, évaluée à 70 000 euros.

3) Sur la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral

La discrimination dont Mme X a été l’objet lui a indéniablement occasionné un préjudice moral que la cour estime pouvoir justement réparer par l’allocation d’une indemnité arbitrée à 3 000 euros.

3) Sur les autres demandes

L’équité exige d’allouer à Mme X 2 000 euros en compensation de ses frais non compris dans les dépens par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant la juridiction prud’homale, soit le 26 juin 2010, et les autres à compter de cette décision.

La capitalisation des intérêts échus sera ordonnée dans les conditions prévues par l’article 1154 ancien (1343-2 nouveau) du code civil.

Les entiers dépens seront laissés à la charge de la Fédération nationale de la mutualité française qui succombe à l’instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Fixe le salaire mensuel de Mme Z X à 7 960,15 euros bruts au 1er janvier 2010;

Condamne la Fédération nationale de la mutualité française à s’acquitter sur cette base du rappel de salaire correspondant à partir du 1er janvier 2010, avec les augmentations individuelles, générales ou conventionnelles propres à l’entreprise ;

Condamne la Fédération nationale de la mutualité française à payer à Mme Z X 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique lié à la discrimination pour la période antérieure au 1er janvier 2010

Condamne la Fédération nationale de la mutualité française à payer à Mme Z X 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Condamne la Fédération nationale de la mutualité française à payer à Mme Z X 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile :

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant la juridiction prud’homale soit le 26 juin 2010 et les autres à compter de cette décision.

Dit que la capitalisation des intérêts échus sera ordonnée dans les conditions prévues par l’article 1154 ancien (1343-2 nouveau) du code civil.

Rejette toute demande plus ample ou contraire :

Condamne la Fédération nationale de la mutualité française aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Textes cités dans la décision

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