CEDH, Cour (cinquième section), BARREAU ET AUTRES c. FRANCE, 8 février 2011, 24697/09

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 8 févr. 2011, n° 24697/09
Numéro(s) : 24697/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 29 avril 2009
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-103700
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:0208DEC002469709
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 24697/09
présentée par Alain BARREAU et autres
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 8 février 2011 en une Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 29 avril 2009,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Alain Barreau et trente et un autres (voir noms des requérants en annexe) sont des ressortissants français résidant à Orléans et appartenant au mouvement des « Faucheurs volontaires ». Ils sont représentés devant la Cour par Me F. Roux, avocat à Montpellier, et Me J.‑P. Susini, avocat à Orléans.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 14 août 2006, les requérants répondant à l’appel du collectif des faucheurs volontaires se réunirent au lieu-dit « Les Bordes Lattrées » dans la commune de Villereau (Loiret) et investirent une parcelle d’essai cultivée par la société Monsanto. Ils participèrent à l’arrachage de l’ensemble des plants de maïs génétiquement modifiés qui avaient été ensemencés au début du mois de juin précédent. Les requérants expliquèrent que leur action était symbolique et visait à interpeller les pouvoirs publics sur la question des essais de cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en plein champ et leurs conséquence sur l’environnement et la santé. Ils invoquèrent notamment le fait que la France avait manqué de transposer la directive 2001/18/CE du Parlement européen du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement prévoyant la limitation des autorisations des disséminations et introduisant un contrôle de la mise sur le marché des OGM.

L’essai d’OGM sur la parcelle en cause avait été autorisé, pour une durée de cinq ans, par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche le 19 mai 2006 et sous l’empire de la loi no 92-654 du 13 juillet 1992.

A l’issue de la manifestation, les requérants furent interpellés par les militaires de la gendarmerie nationale. Ils furent placés en garde à vue et entendus puis renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de « destruction volontaire de biens en réunion ». Parmi les prévenus, seize personnes refusèrent de se soumettre à des prélèvements biologiques destinés à l’identification de leur matériel génétique. Ces derniers furent renvoyés devant le même tribunal au titre de cette infraction.

Les requérants furent poursuivis devant les juridictions pénales et invoquèrent l’état de nécessité pour justifier leur action. Par un jugement du 24 mai 2007, le tribunal correctionnel d’Orléans les condamna à des peines de trois à quatre mois d’emprisonnement et à des amendes délictuelles pour destruction de biens d’autrui. Il les condamna aussi à une privation de tous leurs droits civiques et de famille durant un an. Les requérants qui avaient refusé le prélèvement furent condamnés à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour refus de se soumettre au prélèvement biologique.

L’ensemble des requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 26 février 2008, la cour d’appel d’Orléans confirma le jugement entrepris concernant les peines relatives à l’infraction de destruction des biens d’autrui, décidant toutefois de restituer aux requérants l’ensemble de leurs droits civiques.

Concernant l’infraction de refus de se soumettre au prélèvement d’ADN, la cour d’appel constata que les règles d’organisation et de fonctionnement du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) avaient été conçues de sorte à maintenir un équilibre entre efficacité et respect des libertés, « conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe et du Conseil de l’Union européenne » ainsi qu’à la déclaration internationale de l’Unesco sur la protection des données génétiques du 16 octobre 2003. Elle considéra qu’il n’y avait pas d’atteinte à la vie privée et familiale des requérants et confirma le jugement, réduisant toutefois les peines à une amende pénale de 300 euros (EUR).

La cour d’appel décida de joindre au fond l’exception soulevée par les requérants, mettant en cause l’impartialité de ses membres. Les requérants avaient en effet fait observer que deux des magistrats composant la cour d’appel avaient antérieurement appartenu à la formation de cette juridiction saisie d’une affaire analogue et concernant cinq des requérants ; cette affaire avait alors donné lieu à un arrêt infirmatif rendu le 27 juin 2006, sur l’appel dirigé contre un jugement de relaxe où il avait été plaidé un argument similaire à celui présenté dans la présente espèce, à savoir l’état de nécessité. La cour d’appel rejeta leur demande de renvoi devant une juridiction autrement composée au motif qu’aucune disposition légale n’interdisait à des magistrats ayant antérieurement eu à connaître de procédures contre un prévenu, de faire partie de la juridiction appelée à juger cette même personne pour des faits nouveaux, seraient-ils similaires ou connexes. Elle constata également que la question de l’état de nécessité a été, dans le cadre de cette précédente affaire, tranchée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, de sorte que la décision de la cour d’appel constitue désormais un ensemble jurisprudentiel ayant l’autorité de la Cour suprême.

Les requérants formèrent un pourvoi en cassation et par un arrêt du 4 novembre 2008, la Cour de cassation le déclara non admis.

B.  Le droit interne pertinent

1.  Concernant le volet du grief relatif à l’arrachage des OGM

L’état de nécessité constitue en droit interne un fait justificatif prévu par l’article 122‑7 du code pénal, ainsi libellé :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

2.  Concernant le grief relatif au refus de se soumettre au prélèvement d’ADN

a)  Les dispositions relatives au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)

Créé en 1998, le FNAEG a pour objet de faciliter l’identification et la recherche des auteurs d’infractions à l’aide de leur profil génétique, et de personnes disparues à l’aide du profil génétique de leurs descendants ou de leurs ascendants. La loi no 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne, étendit une première fois le champ d’application du fichier. La loi no 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure modifia l’article 706-55 du code de procédure pénale et étendit la possibilité de prélèvements biologiques aux auteurs de délits de destructions, dégradations et détériorations de biens prévus à l’article 322-1 du code pénal.

Les articles du code de procédure pénale concernant l’inscription au FNAEG pertinents en l’espèce se lisent comme suit :

Article 706-54

« Le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d’un magistrat, est destiné à centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs de ces infractions. (...)

Ces empreintes sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d’office, soit à la demande de l’intéressé, lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. (...)

Les officiers de police judiciaire peuvent également, d’office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction, faire procéder à un rapprochement de l’empreinte de toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit, avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée. (...) »

Article 706-55

« Le fichier national automatisé des empreintes génétiques centralise les traces et empreintes génétiques concernant les infractions suivantes : (...)

3o  Les crimes et délits de vols, d’extorsions, d’escroqueries, de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d’atteintes aux biens prévus par les articles 311-1 à 311-13, 312-1 à 312-9, 313-2 et 322-1 à 322-14 du code pénal ; (...) »

Article 706-56

« I.  L’officier de police judiciaire peut procéder ou faire procéder sous son contrôle, à l’égard des personnes mentionnées au premier, au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 706-54, à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de leur empreinte génétique. Préalablement à cette opération, il peut vérifier ou faire vérifier par un agent de police judiciaire placé sous son contrôle que l’empreinte génétique de la personne concernée n’est pas déjà enregistrée, au vu de son seul état civil, dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques. (...)

II.  Le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. (...)

Nonobstant les dispositions des articles 132-2 à 132-5 du code pénal, les peines prononcées pour les délits prévus au présent article se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que la personne subissait ou celles prononcées pour l’infraction ayant fait l’objet de la procédure à l’occasion de laquelle les prélèvements devaient être effectués. (...) »

Article R. 53-13-1

« Le procureur de la République compétent pour, en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 706-54, ordonner d’office ou à la demande de l’intéressé l’effacement de l’enregistrement d’un résultat mentionné au 2o du I de l’article R. 53‑10 est celui de la juridiction dans le ressort de laquelle a été menée la procédure ayant donné lieu à cet enregistrement.

La demande d’effacement prévue par le deuxième alinéa de l’article 706-54 doit, à peine d’irrecevabilité, être adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe. Cette demande est directement adressée au procureur de la République mentionné à l’alinéa précédent. Elle peut également être adressée au procureur de la République du domicile de l’intéressé, qui la transmet au procureur de la République compétent. (...) »

Article R. 53-14

« Les informations enregistrées ne peuvent être conservées au-delà d’une durée de quarante ans à compter : (...)

–  soit du jour où la condamnation est devenue définitive ou, si cette date n’est pas connue du gestionnaire du fichier, du jour de la condamnation, lorsqu’il s’agit des résultats mentionnés au II de l’article R. 53-10. »

Article R. 53-21

« Lorsqu’il n’a pas été réalisé au cours de la procédure d’enquête, d’instruction ou de jugement, le prélèvement concernant une personne définitivement condamnée est effectué, sur instruction du procureur de la République ou du procureur général et selon les modalités prévues par le I de l’article 706-56, au plus tard dans un délai d’un an à compter de l’exécution de la peine. »

b)  La jurisprudence interne

Dans un arrêt du 11 janvier 2010, la cour d’appel de Caen se prononça sur la compatibilité du fichier avec l’article 8 de la Convention, à propos de la condamnation de « faucheurs d’OGM » ayant refusé de se soumettre au prélèvement ADN. La juridiction d’appel, après avoir constaté que l’infraction de destruction ou la dégradation d’une parcelle de culture autorisée n’était plus dans la liste des délits entraînant le prélèvement d’ADN de son auteur, tira les conclusions suivantes :

« La cour en déduit que le législateur français a modifié l’appréciation qu’il se faisait du besoin d’ingérence dans la vie privée de ses nationaux militant contre les cultures transgéniques (...) »

Saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité le 17 juin 2010, le Conseil constitutionnel a rendu, le 16 septembre 2010, une décision (no 2010-25 QPC) déclarant les articles 706-54 à 706-56 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, sous réserve des paragraphes 18 et 19 de la décision qui se lisent comme suit :

« 18. Considérant, en cinquième lieu, que l’enregistrement au fichier des empreintes génétiques de personnes condamnées pour des infractions particulières ainsi que des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une de ces infractions est nécessaire à l’identification et à la recherche des auteurs de ces crimes ou délits ; que le dernier alinéa de l’article 706-54 renvoie au décret le soin de préciser notamment la durée de conservation des informations enregistrées ; que, dès lors, il appartient au pouvoir réglementaire de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, (...) ;

En ce qui concerne le prélèvement aux fins de rapprochement avec les données du fichier :

19. Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 706-54, les officiers de police judiciaire peuvent également, d’office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction, faire procéder à un rapprochement de l’empreinte de toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit, avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée ; que l’expression « crime ou délit » ici employée par le législateur doit être interprétée comme renvoyant aux infractions énumérées par l’article 706-55 ; que, sous cette réserve, le troisième alinéa de l’article 706-54 du code de procédure pénale n’est pas contraire à l’article 9 de la Déclaration de 1789 ; (...) »

GRIEFS

Concernant le volet relatif aux OGM

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de l’absence d’impartialité de la cour d’appel du fait que deux des magistrats ayant siégé en appel avaient préalablement jugé une affaire identique à l’occasion de laquelle cinq des requérants avaient été condamnés.

Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, ils se plaignent de l’atteinte à leur santé et à leur droit de vivre dans un environnement sain. Sur le même fondement, les requérants contestent leur condamnation pénale dans la mesure où leur action, intervenant dans le contexte du débat sur les OGM, aurait été rendue nécessaire par l’atteinte à l’environnement et à la santé publique constituée par les essais de telles cultures en plein champ. Ils estiment également avoir été personnellement exposés à un danger actuel ou imminent pour leur santé et leur environnement en raison du caractère selon eux inévitable et irréversible de la contamination des plantes non OGM par les plantes OGM. Ils ajoutent à cet égard que l’Etat a failli à prendre les mesures nécessaires à la protection de leur droit à vivre dans un environnement sain et qu’ils ont dès lors agi en état de nécessité.

Invoquant enfin l’article 1 du Protocole no 1, ils se plaignent de ce que les cultures d’OGM se disséminent dans l’environnement et contaminent les cultures avoisinantes, portant ainsi atteinte au droit de propriété des agriculteurs traditionnels et biologiques.

Concernant le volet relatif au refus de se soumettre au prélèvement d’ADN

Les requérants invoquent par ailleurs l’article 8 de la Convention, estimant que l’ordre de prélever leur ADN est une atteinte disproportionnée à leur dignité et à leur vie privée. Selon eux, le fait d’être fiché au FNAEG constitue une ingérence disproportionnée au regard du but poursuivi par la mesure incriminée. Ils estiment aussi que cette ingérence se manifeste du fait du nombre de personnes inscrites sur le fichier, du nombre d’infractions entraînant l’inscription, de la durée de conservation des données, du nombre de personnes pouvant consulter le fichier et de l’impossibilité d’obtenir, en pratique, l’effacement.

Toujours sur le fondement de l’article 8, ils considèrent que la peine infligée du fait du refus de se soumettre au prélèvement est manifestement disproportionnée au regard de l’infraction reprochée. Ils considèrent aussi que cette peine n’est pas nécessaire vu le caractère militant de l’infraction, celle-ci ayant d’ailleurs été depuis retirée de la liste des infractions entraînant le fichage.

Invoquant également l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent des dysfonctionnements que le fichier incriminé présente, notamment quant à la fiabilité des informations qu’il contient, aux personnes y ayant accès et à l’absence de sécurisation d’un tel fichier. Sur le même fondement, ils estiment par ailleurs que le fichier porte atteinte au principe de l’équité de la procédure, les citoyens inscrits sur le FNAEG ne bénéficiant pas du principe du contradictoire, les données répertoriées étant considérées comme quasiment infaillibles.

Invoquant enfin l’article 6 § 2 de la Convention, les requérants se plaignent du fait que toute inscription au FNAEG porte atteinte à la présomption d’innocence en ce qu’une personne, même non encore condamnée, peut être inscrite sur le fichier.

EN DROIT

1.  Concernant le volet de la requête relatif à l’arrachage des OGM

1.  Les requérants se plaignent en premier lieu de l’absence d’impartialité de la cour d’appel d’Orléans dans la procédure les concernant du fait que deux des magistrats ayant siégé en appel avaient préalablement jugé une affaire identique à l’occasion de laquelle cinq des requérants avaient été condamnés. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27, 28 et 30, série A no 255-A, Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000-XII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009‑...).

S’agissant de la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 26, série A no 257-B). La Cour doit ainsi déterminer si les magistrats concernés ont fait preuve d’hostilité, de préjugés ou de partialité durant le déroulement des débats.

En l’espèce, les requérants estiment que deux juges ayant précédemment siégé dans une affaire similaire concernant certains d’entre eux avaient pu se forger une conviction sur les faits et la personnalité des individus en cause. Leur demande d’être jugés devant une cour d’appel autrement composée fut rejetée. La Cour estime toutefois que les requérants ne rapportent pas d’élément suffisant établissant que les deux juges ont agi avec un préjugé personnel.

S’agissant de la deuxième démarche, il est nécessaire d’examiner, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de l’un de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l’impartialité de celle-ci (voir Micallef, précitée, § 96). En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance (voir De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 26, série A no 86). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Doit donc se déporter tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

A l’instar de la cour d’appel, la Cour constate que la question de l’état de nécessité invoqué par les requérants a été tranchée par la chambre criminelle de la Cour de cassation à l’occasion du pourvoi introduit dans l’affaire précédente. De plus, les deux affaires étaient distinctes l’une de l’autre, de sorte que l’impartialité objective de la cour d’appel d’Orléans n’apparaît pas en cause.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Les requérants se plaignent ensuite de l’atteinte à leur santé et à leur environnement causée par les OGM en raison du caractère inévitable et irréversible de la contamination des plantes non OGM. Ils contestent aussi les condamnations pénales dont ils ont fait l’objet suite à leur participation à la « neutralisation » de parcelles de betteraves transgéniques, laquelle participation s’inscrivait, selon eux, dans le contexte du débat sur les OGM. Ils invoquent les articles 2 et 8 de la Convention, lesquels sont libellés comme suit :

Article 2

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour observe qu’à l’instar de l’affaire Caron et autres c. France ((déc.), 29 juin 2010, no 48629/08), les requérants soutiennent, en l’espèce, que leur action s’inscrivait dans le contexte général du débat sur la question de l’impact des OGM sur la santé et l’environnement. Ils ne se plaignent nullement, comme cela avait été le cas dans d’autres affaires portées devant la Cour (voir notamment Steel et autres c. Royaume‑Uni, 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII) de ce que leur arrestation ou leur condamnation pénale aurait enfreint leur droit à la liberté d’expression. Ils se plaignent uniquement d’avoir été condamnés pour une action menée dans l’intérêt collectif de la communauté pour pallier la carence de l’Etat à garantir la santé publique et le droit à vivre dans un environnement sain.

Dans l’affaire Caron précitée, la Cour a estimé, s’agissant d’une part du volet du grief relatif à l’atteinte à la santé et à l’environnement des requérants, que cette partie du grief relevait de l’actio popularis et que les requérants ne sauraient être considérés comme des victimes des violations alléguées au sens de l’article 34 de la Convention.

S’agissant d’autre part du volet du grief relatif à la condamnation pénale des requérants, la Cour a souligné que ni l’article 2, ni l’article 8 ne pouvaient avoir pour effet d’affranchir les requérants de leur responsabilité pénale pour des actes délictueux.

Compte tenu des éléments de la présente espèce, la Cour ne voit pas de raison de s’écarter de cette approche. En conséquence, le grief tiré des articles 2 et 8 de la Convention doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  Les requérants se plaignent enfin de ce que les cultures d’OGM se disséminent dans l’environnement et contaminent les cultures avoisinantes, portant ainsi atteinte au droit de propriété des agriculteurs traditionnels et biologiques. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1 qui se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A l’instar du raisonnement soutenu dans la décision Caron et autres précitée, la Cour constate que les requérants ne font pas valoir que leurs propres cultures seraient directement affectées par les parcelles OGM en cause, ne se trouvant pas à proximité géographique de celles-ci. Ainsi, la Cour considère que les requérants ne sauraient se prétendre victimes d’une violation sur le fondement de l’article 1 du Protocole no 1.

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

2.  Concernant le volet de la requête relatif au refus de se soumettre au prélèvement d’ADN

1.  Les requérants invoquent l’article 6 § 1 de la Convention pour se plaindre des dysfonctionnements que le fichier incriminé présente, notamment quant à la fiabilité des informations qu’il contient, aux personnes y ayant accès et à l’absence de sécurisation d’un tel fichier. La Cour considère d’emblée que ce grief relève de l’atteinte à la vie privée et pourra être traité sous l’angle de l’article 8 de la Convention invoqué ci‑dessous.

Toujours sur le fondement de l’article 6 § 1, les requérants estiment que le fichier en cause porte atteinte à l’équité de la procédure, les citoyens inscrits sur le FNAEG ne bénéficiant pas du principe du contradictoire, les données répertoriées étant considérées comme quasiment infaillibles.

Les requérants se plaignent par ailleurs du fait que toute inscription au FNAEG porte atteinte à la présomption d’innocence en ce qu’une personne, même non encore condamnée peut être inscrite sur le fichier.

Les alinéas pertinents de l’article 6 de la Convention sont les suivants :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)

2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Concernant les griefs relevant de l’atteinte à la présomption d’innocence et au principe du contradictoire, la Cour ne peut que rappeler que seuls les requérants ayant accepté de se soumettre au prélèvement peuvent se prétendre victimes de ce grief en ce qu’ils sont actuellement inscrits sur le fichier en cause.

La Cour reconnaît que le principe du contradictoire suppose que chaque partie puisse discuter les éléments soumis au juge. De même, la présomption d’innocence garantit qu’une personne ne soit pas considérée comme coupable avant d’avoir été jugée comme telle. Si le fait d’être inscrit au FNAEG pourrait porter atteinte à ces principes dans le cadre d’éventuelles futures poursuites, il n’apparaît toutefois pas nécessaire, en l’espèce, de se pencher sur ces aspects du grief puisque les requérants ne font pas l’objet, à ce stade, d’une procédure dans laquelle ces principes auraient été violés.

En conséquence, la Cour considère que les griefs tirés de la violation de l’article 6 de la Convention doivent être rejetés comme étant manifestement mal fondés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Les requérants invoquent l’article 8 de la Convention et estiment que l’ordre de prélever leur ADN est une atteinte disproportionnée à leur dignité et à leur vie privée et que le fait d’être fiché au FNAEG constitue une ingérence disproportionnée au regard du but poursuivi par la mesure incriminée, notamment de la durée de conservation des données et de l’impossibilité d’obtenir, en pratique, l’effacement du fichier.

Toujours sur le fondement de l’article 8, ils considèrent que la peine infligée du fait du refus de se soumettre au prélèvement est manifestement disproportionnée au regard de l’infraction reprochée. Ils considèrent aussi que cette peine n’est pas nécessaire vu le caractère militant de l’infraction, celle-ci ayant d’ailleurs été depuis retirée de la liste des infractions entraînant le fichage.

L’article 8 de la Convention se lit comme suit :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur leur recevabilité et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief des requérants tiré de l’article 8 de la Convention concernant l’atteinte au droit au respect de la vie privée du fait, d’une part, de l’inscription au FNAEG, d’autre part, de la condamnation pénale prononcée contre certains d’entre eux suite au refus de se soumettre au prélèvement ADN ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

              Claudia WesterdiekDean Spielmann
GreffièrePrésident

A N N E X E

Noms des requérants

Liste des requérants ayant refusé le prélèvement en vue de l’inscription au FNAEG :

1)     Michel BOBON

2)     Hervé CALLO

3)     Magalie CHRISTOPHE

4)     Dominique DELORT

5)     Guy DELORT

6)     Jean-Marie DREAN

7)     Pascale FEVRE

8)     Marie-Chantal GOUBELLE

9)     Olivier MARC

10) Jean-Gabriel MORIOU

11) Valéry MOUGEL

12) Agnès RULIERE

13) Clément SIRGUE

14) Janine VANDENBERGHE

15) Guy WANDERPEPEN

16) Renaud de WREDEN

Liste des requérants ayant accepté le prélèvement en vue de l’inscription au FNAEG :

1)     Alain BARREAU

2)     Alexandre BOUFFLET

3)     Carine DESCHAMPS

4)     Christiane DIDIER

5)     Christophe DUBREIL

6)     Marie-France DUVIGNEAU

7)     Julien FAYS

8)     Bernard FOUCHAULT

9)     Lucien GORVAN

10) Sylvain GUILLE

11) Jean-Pierre MASSON

12) Brigitte MORLEC

13) Serge PASQUIER

14) Sylvain THOUANEL

15) Caroline VIEUILLE

16) David VILLERET

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CEDH, Cour (cinquième section), BARREAU ET AUTRES c. FRANCE, 8 février 2011, 24697/09