Cour d'appel de Douai, 31 mai 2013, n° 12/03312

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, 31 mai 2013, n° 12/03312
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 12/03312
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Roubaix, 14 décembre 2011, N° 10/00524

Texte intégral

ARRET DU

31 Mai 2013

N° 754-13

RG 12/03312

AM/SP

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

15 Décembre 2011

(RG 10/00524 -section 3)

NOTIFICATION

à parties

le 31/05/2013

Copies avocats

le 31/05/2013

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANTE :

SAS CENTRE EUROPEEN DE FORMATION

XXX

XXX

XXX

Représentée par Me Florent MILLOT substituant Me Claire MATHURIN (avocat au barreau de PARIS)

INTIME :

M. X Y

XXX

XXX

Présent et assisté de Me Jean-Luc TIGROUDJA (avocat au barreau de LILLE)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

D E

: PRESIDENT DE CHAMBRE

J K

: CONSEILLER

Z A

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : D LESIEUR

DEBATS : à l’audience publique du 26 Mars 2013

ARRET : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mai 2013,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par D E, Président et par F G, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La société Centre Européen de Formation, CEF, a embauché M. Y par contrat à durée indéterminée en date du 14 décembre 2009 en qualité de chef d’équipe.

Le contrat prévoyait une rémunération mensuelle brute fixe de 1881,56 euros à laquelle devait s’ajouter une rémunération variable en fonction des contrats générés par l’équipe commerciale placée sous l’autorité de M. Y.

Le 18 mai 2010 l’employeur et le salarié ont établi un document de rupture conventionnelle comportant une indemnité transactionnelle de 15000 euros, avec possibilité de rétractation de l’une ou l’autre des parties signataires jusqu’au 4 juin 2010.

Le 25 mai suivant la société CEF a notifié au salarié, par courrier recommandé avec avis de réception, sa décision de rétractation, et le même jour M. Y a reçu une convocation pour un entretien préalable à licenciement fixé au 2 juin 2010, et s’est vu notifier une mise à pied conservatoire.

M. Y a été convoqué à un deuxième entretien préalable, après avoir signalé que le délai entre la convocation et la tenue du premier entretien n’avait pas été respecté.

Ce deuxième entretien, qui s’est tenu le 7 juillet 2010, a été suivi par la notification au salarié, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 juillet 2010, de son licenciement dans les termes suivants :

' Vous avez été convoqué une première fois à un entretien préalable par lettre recommandée présentée à votre domicile le 28 mai 2010. Cet entretien a eu lieu mais vous avez fait la remarque du non respect du délai des 5 jours entre la convocation et la tenue de l’entretien. En conséquence, nous vous avons reconvoqué à un entretien préalable par courrier du 18 juin 2010. Lors de cet entretien qui a eu lieu le 7 juillet 2010 où vous êtes venu non assisté nous vous avons exposé les faits que nous vous reprochions :

Nous avons reçu le 27 mai 2010 en direction générale à Paris un courrier d’un télévendeur de votre équipe nous expliquant votre comportement en qualité de chef d’équipe et qualifiant vos agissements de harcèlement. A l’appui de son courrier, le salarié nous a fourni des éléments matériels : 6 mails de mars à avril 2010 dans lesquels nous avons pu lire les propos suivants :

— mail du 17 mars envoyé à l’ensemble de votre équipe : 'notre temps de com est le plus faible du plateau (46%) pour 60% attendu. Dès demain augmentation obligatoire de votre temps de com sous peine de 'viration'. De même tout oubli de badgeage peut être sanctionné de 'viration'. A qui le premier '…'

— mail du 18 mars envoyé à l’ensemble de votre équipe : 'le plus faible temps de com sera sanctionné ce soir sauf si respect des 4h40. Les confirmés n’aident plus les périodes d’essai. Attention aussi à vos erreurs de pointages pouvant aller jusqu’au licenciement immédiat.

— mail du 20 avril envoyé à l’ensemble de vos télévendeurs : 'Aucune période d’essai ne peut avoir un temps de com inférieur à ce qui est demandé sous peine de licenciement immédiat'

— mail du 28 avril envoyé à l’ensemble de votre équipe : 'rappel temps de com lundi : 4h30 sous pein d’avertissement voire plus…'

Ces faits constituent à notre sens une pression psychologique inacceptable à l’encontre des salariés dont vous avez la responsabilité et correspond tout à fait à la définition du harcèlement moral donnée par l’article L. 1152-1 du code du travail.

Lors de l’entretien, vous avez admis être l’auteur de ces mails mais pour votre défense avez avancé que votre direction était parfaitement informée de ces agissements. Pour preuve de vos allégations, vous avez pu nous fournir un autre mail où effectivement votre supérieur hiérarchique était en copie. Votre supérieur hiérarchique a même selon vos dires diffusé ce mail aux autres superviseurs sans pour autant que vous puissiez en apporter la preuve. Enfin, vous n’avez pu apporter aucun élément démontrant que vous agissiez sous ordre de votre hiérarchie comme vous le prétendez dans votre mail complémentaire du 10 juin 2010.

Pour le reste, vous vous dites l’objet d’une machination de la part d’un autre superviseur sans apporter aucun élément concret sur le sujet.

Au regard de vos explications, nous ne pouvons que constater que vous avez seul pris la décision de diffuser de tels mails à votre équipe. Ces faits sont graves, inacceptables et relèvent selon nous du harcèlement moral. Vous n’avez de plus apporté aucun élément montrant que vous avez agi sur ordre de votre hiérarchie. Ces faits sont donc constitutifs d’une faute grave, nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnités. La période de mise à pied conservatoire qui vous a été signifiée entre le 28 mai 2010 et le 20 juin ne vous sera pas rémunérée.

Vous recevrez par courrier votre solde de tout compte, votre certificat de travail ainsi que votre attestation ASSEDIC.'

Le 13 décembre 2010 M. Y a saisi le conseil de prud’hommes de Roubaix lequel par jugement en date du 15 décembre 2011 a :

— dit que les faits poursuivis à l’encontre de M. X Y sont prescrits

— dit que le licenciement de M. X Y est sans cause réelle et sérieuse

— condamné la société Centre Européen de Formation au paiement des sommes suivantes:

. 15000 euros au titre des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

. 3763,12 euros au titre de l’indemnité de préavis outre la somme de

376,31 euros pour les congés payés afférents

. 1204,35 euros au titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire

. 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— débouté M. Y du surplus de ses demandes

— débouté la société Centre Européen de Formation de sa demande reconventionnelle

— précisé que les condamnations prononcées emportent intérêt au taux légal:

. à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale

. à compter de la présente décision pour toute autre somme

— rappelé qu’ en vertu de l’article R.1454-28 du code du travail, la présente décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R.1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de 9 mois de salaires calculés sur la moyenne des 3 derniers mois, ladite moyenne s’élevant à

2474,41 euros.

— condamné le défendeur aux éventuels dépens de la présente instance.

Le 28 septembre 2012 la société Centre Européen de Formation a interjeté appel de ce jugement.

Vu l’article 455 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 26 mars 2013 par la société Centre Européen de Formation.

Vu les conclusions déposées le 26 mars 2013 par M. Y.

Les parties entendues en leurs plaidoiries qui ont repris leurs conclusions écrites.

SUR CE

Du licenciement

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l’employeur.

Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Par ailleurs, lorsqu’un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter lui-même la preuve qu’il n’a eu connaissance de celui-ci que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de la poursuite disciplinaire.

En l’espèce M. Y soutient que les faits reprochés par l’employeur sont prescrits dans la mesure où ce dernier en a eu connaissance dès le 28 janvier 2010 voire au plus tard le 17 mars 2010, le courrier qu’il aurait reçu le 27 mai 2010 ne datant pas les faits relatés, décrits par ailleurs de manière trop imprécise.

Il fait valoir que la connaissance par l’employeur des faits fautifs est établie dès lors que le supérieur hiérarchique du salarié, auquel lesdits faits sont imputés, en a eu lui-même connaissance.

Il considère que les mails dont se prévaut la société CEF n’apportent pas d’élément nouveau par rapport à ceux relatés précédemment et dont le supérieur hiérarchique avait une parfaite connaissance, dans la mesure où il était destinataire de ces messages adressés par M. Y à son équipe.

Toutefois il convient de constater que la lettre de licenciement fait référence à plusieurs mails dont deux en date respectivement des 20 et 28 avril 2010, soit dans le délai de deux mois ayant précédé le déclenchement de la procédure de licenciement le 25 mai 2010.

La rédaction et l’envoi de ces messages par M. Y constituent des faits nouveaux commis dans le délai imparti par l’article L. 1232-4 du code du travail, ce qui autorise l’employeur à se prévaloir de faits plus anciens sans avoir à démonter qu’il en a eu connaissance au cours de ce même délai.

Il importe peu à ce titre que ces faits relèvent d’un même comportement dès lors qu’ils en constituent une manifestation nouvelle, qui peut influer sur le choix de l’employeur de sanctionner ou pas ledit comportement.

Ils doivent ainsi être distingués d’éléments permettant à un employeur de prendre la mesure de l’ampleur de faits fautifs plus anciens et d’éléments, qui tout en concernant ces mêmes faits n’enrichissent pas la connaissance que l’employeur pouvait en avoir, étant précisé que dans cette dernière hypothèse la prescription des faits peut être opposée à l’employeur.

Il convient de rappeler qu’un employeur a la faculté de se prévaloir d’agissements répétés de la part d’un salarié, même si certains faits sont prescrits voire déjà sanctionnés, dès lors que le salarié a persisté dans l’adoption d’un même comportement.

Le point de savoir si les faits nouveaux sont ou non établis n’a d’incidence que sur la faculté pour le juge prud’homal de prendre en compte des faits plus anciens et prescrits, celui-ci ne pouvant considérer le licenciement fondé que si au moins l’un des faits nouveaux et non prescrits est établi.

En l’espèce, s’agissant de la question de la prescription des faits, il importe peu que le contenu des messages délivrés les 20 et 28 avril 2010 relèvent du même comportement que celui-ci ressortant de précédents messages, dès lors qu’ils en constituent une nouvelle manifestation.

La question de leur caractère révélateur ou non d’agissements de harcèlement moral doit être débattue au fond, indépendamment de celle relative à la prescription des faits.

Il convient au regard de l’ensemble de ces éléments d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les faits reprochés au salarié prescrits.

M. Y se prévaut ensuite des dispositions de l’article L. 1332-2 du code du travail en son quatrième alinéa, aux termes duquel la sanction ne peut intervenir moins d’un jours franc, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé.

Il fait valoir à ce titre que l’entretien du 2 juin 2010, auquel il a été convoqué par lettre en date du 25 mai 2010, a bien eu lieu de sorte que l’employeur devait procéder à la notification de son licenciement au plus tard le 2 juillet 2010 alors même qu’il ne l’a fait que le 16 juillet 2010.

La société CEF soutient que le premier entretien préalable à licenciement ayant été reporté à la demande du salarié le délai d’un mois, imparti par l’article L. 1332-2 du code du travail n’a commencé à courir qu’à compter du 7 juillet 2010, date du deuxième entretien.

Toutefois il convient de constater que dans son courriel en date du 10 juin 2010 Monsieur Y ne demande pas à l’employeur de reporter l’entretien préalable, mais attire seulement son attention sur l’irrégularité de la lettre de convocation à l’entretien préalable datée du 25 mai 2010 du fait du non-respect du délai de cinq jours devant séparer ladite convocation de la tenue de l’entretien.

Il apparaît ainsi que la deuxième convocation à un entretien préalable constitue une tentative de régularisation par l’employeur de la procédure initiale, alors même que l’entretien du 2 juin 2010 a eu lieu et produit par la même les effets y étant attachés s’agissant d’un licenciement disciplinaire, à savoir le déclenchement du délai d’un mois.

En effet l’employeur n’a pas la faculté, sauf à justifier d’un fait nouveau dont il entend se prévaloir, d’entamer une nouvelle procédure de licenciement et proroger par la même, de son seul fait, le délai d’un mois.

Or le non respect du délai de un mois imparti par l’article L.1232-2 du code du travail prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au regard de l’ancienneté de M. Y dans l’entreprise, de l’effectif de celle-ci, de la qualification du salarié et de sa capacité à retrouver un emploi, des circonstances de la rupture, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait une juste appréciation du préjudice du salarié et lui a octroyé la somme de 15000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Le jugement entrepris sera également confirmé quant à l’indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire octroyés au salarié, dès lors que le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation des sommes dues au regard des textes applicables.

De la demande en dommages-intérêts pour procédure vexatoire

Il appartient au salarié, qui se prévaut d’un préjudice lié aux circonstances vexatoires dans lesquelles le licenciement a été prononcé, d’en rapporter la preuve.

En l’espèce il convient de constater que M. Y ne rapporte pas une telle preuve se contentant de procéder par voie d’affirmation.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande.

De l’application de l’article 700 code de procédure civile

L’équité commande de condamner la société CEF à payer à M. Y la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Des dépens

La société CEF qui succombe doit être condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les faits reprochés à M. X Y sont prescrits et le confirme pour le surplus,

statuant à nouveau,

Dit que les faits reprochés à M. X Y ne sont pas prescrits,

Condamne la société Centre Européen de Formation à payer à M. X Y la somme de 2 000 € (deux mille euros) en application de l’article 700 code de procédure civile,

Condamne la société Centre Européen de Formation aux dépens.

Le Greffier,

F G

Le Président,

D E

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