Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 2, 12 octobre 2017, n° 17/03088

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 ch. 2, 12 oct. 2017, n° 17/03088
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/03088
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 23 janvier 2017, N° F16/00407
Dispositif : Se dessaisit ou est dessaisi au profit d'une autre juridiction
Date de dernière mise à jour : 1 novembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 12 Octobre 2017

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 17/03088

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Janvier 2017 par le Conseil de Prud’hommes de PARIS – section activités diverses – RG n° F16/00407

DEMANDEUR AU CONTREDIT

Monsieur [T] [B]

né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Silke REMIGY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1713

DEFENDEURS AU CONTREDIT

Me [M] [T] [V] (SELAFA MJA)

en qualité de mandataire liquidateur de la SARL TAKE EAT EASY

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223 substituée par Me Ivan HECHT

CGEA ILE DE FRANCE OUEST

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Arnaud CLERC de la SELARL LAFARGE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Johanna FRANCELLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 juin 2017, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine MÉTADIEU, Président, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine MÉTADIEU, Président

Madame Martine CANTAT, Conseiller

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

— contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.

***********

Statuant sur le contredit formé le 7 février 2017 par [T] [B] à l’encontre du jugement rendu le 24 janvier 2015 par le conseil de prud’hommes de PARIS qui s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de PARIS ;

Vu les conclusions déposées à l’audience, visées par le greffier et soutenues oralement par [T] [B] qui demande à la cour de :

— requalifier son contrat de prestation en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein

— déclarer recevable son contredit

— 'annuler le jugement’ déféré

— juger que la juridiction compétente est le conseil de prud’hommes de PARIS

— évoquer l’affaire et renvoyer les parties à une audience ultérieure pour conclure et communiquer leurs pièces

— condamner la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [V] [J] et l’Ags Cgea d’Ile de France Ouest solidairement à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions déposées à l’audience, visées par le greffier et soutenues oralement par la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [V] [J] en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL TAKE EAT EASY qui demande à la cour de :

In limine litis,

— constater l’absence de contrat de travail entre la SARL TAKE EAT EASY et [T] [B]

— juger que le contrat de prestations de services ne peut être qualifié de contrat de travail

— confirmer le jugement déféré

— se déclarer incompétent soit au profit du tribunal de commerce de Paris soit au profit de la procédure d’arbitrage

A titre subsidiaire,

— juger infondée la demande de résiliation judiciaire et débouter [T] [B] de l’intégralité de ses demandes

Dans tous les cas,

— condamner [T] [B] au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions déposées à l’audience, visées par le greffier et soutenues oralement par l’AGS CGEA D’ILE DE FRANCE OUEST qui demande à la cour de :

— confirmer le jugement déféré

Par conséquent,

A titre principal,

— lui donner acte de ce qu’elle s’associe aux explications de la société et de ses mandataires judiciaires

— juger que [T] [B] ne démontre pas sa qualité de salarié

— constater l’incompétence du conseil de prud’hommes de PARIS au profit du tribunal de commerce de PARIS

— prononcer sa mise hors de cause

A titre subsidiaire,

— débouter [T] [B] de l’ensemble de ses demandes

En tout état de cause,

— débouter [T] [B] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive faute de justifier de son préjudice

Sur sa garantie,

— dire que s’il y a lieu à fixation, celle ne pourra intervenir que dans les limites de sa garantie légale

— juger qu’en tout état de cause, sa garantie telle que prévue par l’article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues au titre de l’exécution du contrat de travail au sens de l’article L.3253-8 du même code, les astreintes, dommages-intérêts mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l’employeur ou article 700 étant ainsi exclus de sa garantie

— juger qu’en tout état de cause sa garantie est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds défini à l’article D-3253-5 du code du travail ;

La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties

SUR CE LA COUR,

[T] [B] expose qu’il a travaillé du 20 octobre 2014 au 26 octobre 2015 pour le compte de la SARL TAKE EAT EASY en qualité de coursier cycliste pour des livraisons de repas, que les parties ont conclu un contrat de prestation de services le 4 novembre 2014, mais qu’en réalité il était placé dans une relation de travail salarié, et que c’est la SARL TAKE EAT EASY qui a pris l’initiative de mettre fin aux relations contractuelles le 26 octobre 2015.

Le 14 janvier 2016, [T] [B] a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de voir dire requalifier le contrat de prestation de services en contrat de travail à durée indéterminée et dire la rupture du contrat constitutive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La SARL TAKE EAT EASY a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire le 30 août 2016.

La SELAFA MJA prise en la personne de Maître [V] [J] en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL TAKE EAT EASY ayant soulevé l’incompétence du conseil de prud’hommes, c’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement déféré.

MOTIFS

Aux termes de l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce même code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu’ils emploient.

Il règle les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.

Selon l’article L.8221-6 du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription, notamment les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.

L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans les conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Dans ce cas la dissimulation d’emploi salarié est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur mentionnées à l’article L.8221-5…

Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination, lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.

L’existence d’un lien de subordination n’est pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation.

Au cas présent, il ressort des pièces communiquées et il n’est pas contesté que [T] [B] a été immatriculé en qualité d’auto-entrepreneur à compter de septembre 2014 pour exercer l’activité principale «'Autres activités de poste et de courrier'», étant observé qu’il n’existe en outre aucun contrat de travail apparent entre les parties.

[T] [B] fait valoir que :

— il a été mis en contact avec la SARL TAKE EAT EASY par l’intermédiaire de la société DROP consultant en recrutement pour cette dernière,

— il s’est immatriculé au mois de septembre pour faire des livraisons tests avant le lancement officiel de la société,

— lors de la réunion de recrutement il a été informé de ce que son code APE n’était pas le bon ce qui l’a conduit à le faire modifier en «Autres activités de course et poste»,

— il a travaillé quasi-exclusivement pour la SARL TAKE EAT EASY,

— il ne pouvait pas organiser son travail à sa convenance et était à l’entière disposition de l’entreprise durant les plages horaires convenues.

Il relate que le smartphone qui lui était fourni devait être chargé avec l’application allumée, que les propositions de livraison étaient anonymes et s’affichaient sous forme de numéro, que ce n’est qu’après avoir cliqué sur le bouton «accepter » qu’il obtenait les informations de départ et d’arrivée de la course, qu’il ne pouvait pas choisir les clients ni refuser les courses sous peine de sanctions, qu’il devait rendre compte des difficultés qu’il pouvait rencontrer lors d’une livraison, que le 'répartiteur’ prenait alors la décision finale, en réattribuant le cas échéant la livraison.

Il indique en outre que les conditions de paiement étaient imposées unilatéralement par la SARL TAKE EAT EASY, qu’il ne pouvait pas développer une clientèle personnelle et enfin que la société a mis fin à la relation contractuelle en bloquant son compte 'sans plus amples formalités'.

La SELAFA MJA prise en la personne de Maître [V] [J] mandataire liquidateur de la SARL TAKE EAT EASY précise que [T] [B] était à la tête de sa propre affaire personnelle et recherchait activement des clients sur les réseaux sociaux, qu’il s’est manifesté auprès de la société, qu’il a été en possession, avant la conclusion du contrat de prestation, de l’ensemble de la documentation lui permettant de prendre sa décision en toute connaissance de cause, que c’est [T] [B] qui a accompli seul l’ensemble des formalités administratives et que par conséquent le contrat liant les parties était exclusif de tout lien de subordination.

Elle souligne le fait que [T] [B] établissait des factures laissant apparaître le montant de la TVA en règlement des prestations effectuées par ses soins, la rémunération étant fixée d’un commun accord, qu’il ne justifie d’aucun lien hiérarchique ou de discipline, que la SARL TAKE EAT EASY était une plate-forme de mise en relation par voie numérique, à charge pour [T] [B] de rechercher des clients, de développer et pérenniser cette relation clients, et que le système de 'strikes’ n’est pas un système de sanctions s’agissant de simples remarques dans le but de vérifier si les clauses du contrat de prestations étaient bien respectées et enfin qu’il avait la possibilité de travailler pour le compte d’autres entreprises.

Le contrat de prestations de services conclu par les parties est composé de conditions générales et de conditions particulières, seules les premières étant versées aux débats.

Il en résulte notamment que':

— le prestataire choisit librement les plages horaires disponibles à l’intérieur desquelles il s’engage à effectuer une ou plusieurs livraisons et peut modifier une plage horaire au maximum 72 heures avant son commencement,

— le prestataire exerce son activité de livraison en qualité d’entrepreneur indépendant et doit remettre à la société lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution l’attestation de déclarations sociales mentionnant le paiement des cotisations sociales et contributions de sécurité sociale lui incombant,

— au plus tard à 11 h15 pour une plage horaire du midi et au plus tard à 18 h 30 pour une plage horaire du soir, le prestataire s’engage à être en possession de son propre matériel de livraison comprenant en particulier son vélo, son kit de réparation, son casque, son gilet ou brassard réfléchissant, le sac de livraison équipé d’un sac isotherme mis à sa disposition par la société pour des impératifs de qualité et d’hygiène, et son smartphone chargé avec l’application allumée,

— à défaut de valider dans les cinq minutes de sa notification la proposition de livraison qui lui est faite via l’application, le prestataire est automatiquement réputé la refuser et la livraison est alors redirigée vers un autre livreur,

— pour chaque plage horaire intégralement prise en charge et chaque livraison effectuée conformément à la convention, le prestataire a droit à la rémunération définie d’un commun accord dans les conditions particulières (7,5 € par course selon la facturation communiquée),

— la société peut sans mise en demeure procéder à la résiliation avec effet immédiat de la convention en cas de manquement grave du prestataire à ses obligations, tel que':

— ne pas effectuer de manière répétée et après acceptation les livraisons dans le délai imparti, sauf cas de force majeure,

— ne pas disposer du matériel requis pour le service de livraison ou disposer d’un matériel qui ne répond pas aux normes légales et réglementaires, notamment en matière de sécurité,

— avoir, de manière avérée, adopté un comportement irrespectueux ou impoli à l’égard des partenaires de la société, de leurs dirigeants ou membres du personnel ou à l’égard d’un client,

— avoir, de manière avérée, adopté un comportement dangereux (non-respect des règles de circulation routière, ébriété…),

— ne pas être en ordre au regard des obligations sociales ou fiscales qui s’imposent au prestataire,

— ne pas avoir respecté l’une des stipulations de l’article 10 concernant les obligations fiscales,

— ne pas disposer d’une assurance couvrant les risques liés à l’exécution de la convention ainsi que les dommages causés ou subis par le prestataire,

— abandonner l’exécution de ses obligations issues des présentes à un tiers ou céder, à titre onéreux ou non, les droits qui découlent de la convention, sauf le cas échéant à faire réaliser la prestation par ses propres salariés,

— hormis ces cas, chacune des parties peut mettre fin à la convention moyennant le même préavis dont la durée augmente en fonction de celle du contrat, lequel est conclu pour six mois et tacitement reconduit à l’issue pour une durée indéterminée,

— l’application est dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel tant par la société que par le client de la position du prestataire et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci dans le cadre de l’exécution de la convention.

— le prestataire est libre de conclure avec toute autre entreprise un contrat similaire ou équivalent, la société TAKE EAT EASY ne disposant d’aucune exclusivité.

Ces stipulations ne sont pas en soi révélatrices du lien de subordination allégué ni même d’une dépendance économique du prestataire, dans la mesure où il n’est lié à la société TAKE EAT EASY par aucune clause d’exclusivité ou de non-concurrence et reste libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaite travailler, ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaite pas travailler.

Par ailleurs, il doit être relevé que le prestataire travaille avec son propre matériel, la société ne fournissant contre caution que le sac de livraison équipé d’un sac isotherme et si nécessaire le smartphone.

[T] [B] verse aux débats plusieurs échanges avec la société TAKE EAT EASY :

— courriel du 17 décembre 2014 aux termes duquel il fait part de son stress concernant les temps de trajet proposé par l’application : 'Je n’ai volontairement pas de compteur de km ou de vitesse sur mon vélo pour éviter de faire la course avec moi-même. Depuis une semaine mes livraisons sont faites avec deux minutes ou plus de retard sur ce que propose l’application contre une ou deux minutes d’avance lorsque j’ai commencé avec vous. Je trouve ça stressant…' , ce à quoi il lui est répondu le lendemain : 'La vitesse se recalcule tous les jours, si tu prends l’habitude de rouler moins vite cela se mettra à jour tout seul. Il est bien évident que ta sécurité passe avant tout, nous préférons que tu aies 5 minutes de retard plutôt que de prendre des risques…',

— courriel du 12 janvier 2015 : 'Bonjour à tous! Nous manquons cruellement de grands sacs sur le dos de nos livreurs pour le moment! Il est donc OBLIGATOIRE de passer chez dropit prendre un grand sac à dos (les BLAHOL). Ces sacs sont non seulement plus grands mais ont aussi un branding Take Eat Easy ce qui est très important pour continuer notre croissance. Vous pourrez en profiter pour prendre une casquette et une veste pour les plus anciens'.

Ces courriels montrent que dans le cadre de la relation tripartite entre le restaurateur, le coursier à vélo et le client, le service de livraison de repas était nécessairement organisé, mais ils n’établissent pas que la société TAKE EAT EASY déterminait unilatéralement les conditions d’exécution du travail du livreur puisque celui-ci choisissait librement ses plages horaires d’activité comme son trajet puisqu’il n’était pas tenu de suivre le trajet suggéré.

Rien ne permet de constater une intégration des livreurs à l’équipe support des salariés de la société TAKE EAT EASY, dès lors que les rares contacts entre les premiers et les seconds sont exclusivement téléphoniques et que les «'drinks'» mensuels et événements divers organisés par la société TAKE EAT EASY afin de réunir les coursiers’ne revêtent aucun caractère obligatoire.

Il doit encore être relevé que le prestataire travaille avec son propre matériel, la société ne fournissant contre caution que le sac de livraison équipé d’un sac isotherme et si nécessaire le smartphone.

Le système de «strikes», critiqué par [T] [B], a été mis en place à partir du 4 mars 2015, et était dans un premier temps prévu dans trois cas :

— en cas de désinscription à un «'shift'» sans venir,

— une désincription moins de 72 heures à l’avance;

— une impossibilité de travail à cause d’un problème mécanique (crevaison ou batterie du téléphone qui n’est pas bien chargé.

Le 23 juin 2016, une clarification lui a été apportée à sa demande concernant les modalités d’attribution des «strikes» à savoir :

— un «'strike'» en cas de désinscription tardive, de connexion partielle au «'shift'» (en dessous de 80 % du «'shift'»), d’absence de réponse à son téléphone «'wiko'» ou «'perso'» pendant le «'shift'», d’incapacité de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison,

— deux «'strikes'» en cas de «'No-show'» (inscrit mais non connecté)

— trois «'strikes'» en cas d’insulte d’un client ou autres comportements graves.

Sur une période d’un mois glissant, un «'strike'» ne porte à aucune conséquence, le cumul de deux «'strikes'» entraîne une perte de bonus, le cumul de trois «'strikes'» entraîne un 'coup de fil’ au coursier 'pour discuter de la situation et de [sa] motivation à continuer à travailler comme coursier partenaire de TAKE EAT EASY’ et le cumul de quatre «'strikes'» conduit à la désactivation du compte et la désinscription des «'shifts'» réservés.

Ce système gradué d’incitation a une fiabilité optimale qu’il ne soit pas évoquée dans les conditions générales du contrat de prestations de services a bien été appliqué à [T] [B] ainsi qu’il ressort de ses fiches de statistiques, étant observé qu’il n’a eu aucune incidence sur la rupture de la relation contractuelle.

Si de prime abord un tel système est évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur, il ne suffit pas dans les faits à caractériser le lien de subordination allégué, alors que les pénalités considérées, qui ne sont prévues que pour des comportements objectivables du coursier constitutifs de manquements à ses obligations contractuelles, ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou non sur un «'shift'» proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion.

En effet, aucune pénalité n’était prévue en cas de non-inscription sur un «'shift'», ni même en cas de désinscription dans un délai de prévenance raisonnable d’au moins 48 heures.

La liberté totale de travailler ou non dont a bénéficié [T] [B] qui lui permettait, sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d’une relation salariale.

Il s’ensuit que [T] [B] manque à rapporter la preuve qu’il fournissait des prestations à la société TAKE EAT EASY dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination à l’égard de celle-ci, et spécialement dans un lien de subordination juridique permanent.

Il n’est donc nullement établi que les parties étaient liées par un contrat de travail.

Il convient par conséquent de rejeter le contredit, de dire que [T] [B] n’était pas lié à la société TAKE EAT EASY par un contrat de travail, de confirmer le jugement entrepris, de dire que le litige ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes de PARSI, de renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris, la cour estimant n’y avoir lieu d’évoquer et le mandataire liquidateur défendeur au contredit n’étant pas recevable à solliciter le renvoi aux fins de poursuite de l’instance selon la procédure d’arbitrage.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de [T] [B] qui succombe en sa demande et de la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [V] [J] mandataire liquidateur de la SARL TAKE EAT EASY.

PAR CES MOTIFS

Rejette le contredit formé par [T] [B]

Dit que [T] [B] n’était pas été lié à la société TAKE EAT EASY par un contrat de travail'

Confirme le jugement déféré

Dit le conseil de prud’hommes de Paris incompétent pour connaître du litige'

Dit n’y avoir lieu à évocation'

Renvoie l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris'

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile'

Laisse les frais du présent contredit à la charge de [T] [B].

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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