Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 10 décembre 2021, n° 21/06258

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 8, 10 déc. 2021, n° 21/06258
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/06258
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 10 DECEMBRE 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06258 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNNU

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Mars 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 20/54826

APPELANTE

L’association de consommateurs CONFEDERATION DE LA CONSOMMATION DU LOGEMENT ET DU CADRE DE VIE agissant poursuites et diligences de son Président M. X-Y Z domicilié en cette qualité audit siège.

[…]

[…]

Représentée par Me X-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Assistée par Me Charles CONSTANTIN-VALLET de la SELARLU CONSTANTIN-VALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1759

INTIMEE

Société LABORATOIRES FORTE PHARMA, société anonyme de droit monégasque, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[…]

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me X-Christophe ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque :

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 novembre 2021, en audience publique, Rachel LE COTTY, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Florence LAGEMI, Président,

X-Christophe CHAZALETTE, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier.

La société Laboratoires Forté Pharma (ci-après la société Forté Pharma) se présente comme un laboratoire pharmaceutique spécialisé notamment dans les compléments alimentaires et, plus particulièrement, sur « le segment minceur » dans le circuit des pharmacies et parapharmacies.

La confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie (ci-après la CLCV) est une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée à cette fin.

La société Forté Pharma a développé et commercialisé à partir de 2003 un complément alimentaire dénommé « Calori Light », ayant pour objet d’aider à capter les matières grasses ingérées au cours d’un repas. Selon les mentions figurant sur son emballage, il permet de capter 50% des matières grasses des aliments ingérés, grâce à un mélange de fibres de cacao et d’oranges appelé le complexe Fibrocaptol.

Soutenant que la société Forté Pharma se rendait coupable de pratiques commerciales déloyales et trompeuses en usant d’allégations mensongères pour altérer le comportement du consommateur, la CLCV l’a assignée, le 10 juillet 2020, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il constate l’existence d’un trouble manifestement illicite et, en conséquence, ordonne le retrait et l’interdiction desdites allégations. Elle a également sollicité des provisions à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.

Par ordonnance du 16 mars 2021, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé et condamné la CLCV aux dépens.

Par déclaration du 1er avril 2021, celle-ci a relevé appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 13 octobre 2021, elle demande à la cour de :

• infirmer intégralement l’ordonnance entreprise ;

En conséquence, statuant à nouveau,

• juger que la société Forté Pharma, dans le cadre de la commercialisation, présentation, promotion et publicité du complément alimentaire Calori Light, manque aux bonnes pratiques et à la diligence professionnelle ;

• juger que la société Forté Pharma, dans le cadre de la commercialisation et de la présentation du complément alimentaire Calori Light, a recours à des allégations, indications et présentations fausses, mensongères, trompeuses et de nature à induire en erreur les

• consommateurs concernant les effets et les résultats attendus de l’utilisation de ce complément alimentaire, ainsi que concernant les résultats et les principales caractéristiques de tests et contrôles effectués sur celui-ci ; juger que la société Forté Pharma, dans le cadre de la commercialisation et de la présentation du complément alimentaire Calori Light, a recours à une allégation de santé interdite au sens du règlement 1924/2006/CE ;

• juger que la méthode de commercialisation et de présentation mise en oeuvre par la société Forté Pharma, dans le cadre de la commercialisation et de la présentation du complément alimentaire Calori Light, altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique des consommateurs ;

• en conséquence, juger que la société Forté Pharma a commis et continue de commettre une pratique commerciale déloyale et trompeuse dans le cadre de la commercialisation du complément alimentaire Calori Light, qui constitue tant un trouble manifestement illicite qu’un dommage imminent ;

• en conséquence, ordonner toutes les mesures conservatoires et de remise en état de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite et le dommage imminent ;

• ordonner la cessation de la commercialisation du complément alimentaire Calori Light dans son état actuel, comprenant notamment l’ancien et le nouvel emballage du produit, et la modification immédiate de l’ensemble des supports de présentation, de commercialisation et de publicité du produit ;

Pour ce faire,

• ordonner le retrait et interdire pour l’avenir toute publicité, toute présentation, sur l’ensemble des supports de vente, de présentation ou de publicité du produit faisant mention d’éléments trompeurs ou de nature à induire en erreur le consommateur sur l’efficacité et les résultats attendus du produit Calori Light et, notamment des affirmations, allégations et indications suivantes :

• « Captez 50% des matières grasses » ;

« 2 gélules de calorilight = – 50% des matières grasses » ; « Calorilight contribue à : / 1. Capter 50% des matières grasses / 2. Alléger vos repas » ;

« Allégez vos repas » ou « Allégez vos repas ! » ;

« Prendre 2 gélules au cours du repas que vous souhaitez alléger » ou « prendre 2 gélules Calorilight au cours du repas à alléger » ;

« limiter la prise de poids » ou « limiter la prise de poids pendant les fêtes » ;

« je suis gourmande et souhaite me faire plaisir tout en contrôlant mes calories. Je fais régulièrement des repas d’affaires trop riches et déséquilibrés, des repas copieux en famille ou entre amis » pour déterminer le profil de consommateur à qui s’adresse le produit ;

ainsi que de toutes les allégations et mentions qui auraient le même sens, ensemble ou détachées ;

• ordonner le retrait et interdire pour l’avenir toute publicité, toute présentation, sur l’ensemble des supports de vente, de présentation ou de publicité du produit faisant mention d’éléments trompeurs ou de nature à induire en erreur le consommateur sur les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le produit Calori Light et, notamment des affirmations, allégations et indications suivantes :

• « Scientifiquement testé » ;

« efficacité prouvée » ;

« une efficacité prouvée sur la capture des graisses : 2 gélules = – 50% de matières grasses contenues dans 30g de foie gras ou 42g de crème fraiche » ;

ainsi que de toutes les mentions ou formulations qui auraient le même sens, ensemble ou détachées ;

• ordonner le retrait de la vente et le rappel des invendus du complément alimentaire Calori Light, dans son ancien emballage et dans son nouvel emballage, eu égard aux éléments trompeurs et de nature à induire le consommateur en erreur ;

• ordonner le retrait de l’ensemble des supports de présentation comportant les références et présentations trompeuses et de nature à induire en erreur relatives à l’efficacité et aux résultats attendus du produit Calori Light ainsi qu’aux résultats et principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le produit Calori Light et interdire pour l’avenir ces références sur l’ensemble des supports de présentation ;

• ordonner l’exécution par la société Forté Pharma de l’ensemble de ces mesures conservatoires et de remise en état dans un délai de deux semaines à compter de la signification de la décision et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour et par infraction constatée, l’infraction étant constituée par chaque boîte mise en vente, chaque publicité diffusée et plus généralement par chaque présentation du produit comportant les mentions dont il sera ordonné la suppression ;

• ordonner la publication, aux frais de la société Forté Pharma, de la décision à intervenir sur la page d’accueil de son site internet (https://www.Fortepharma.com/fr), dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision et pour une durée minimum de 3 mois, sous astreinte de 2.000 euros par manquement, lequel est constitué par chaque journée où la publication ordonnée dans les conditions sus-énoncées n’est pas effective ;

• juger que les manquements de la société Laboratoires Forté Pharma ne souffrent d’aucune contestation sérieuse au même titre que les préjudices en résultant pour elle ;

• en conséquence, lui accorder une provision de 400.000 euros en raison de son préjudice d’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs ;

• lui accorder une provision de 100.000 euros en raison de son préjudice associatif ;

• en tout état de cause, débouter la société Forté Pharma de l’ensemble de ses demandes ;

• enfin, condamner la société Forté Pharma à lui verser la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

• condamner la société Forté Pharma aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 octobre 2021, la société Forté Pharma demande à la cour de :

• à titre principal, confirmer intégralement l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

renvoyé les parties à se pourvoir au fond ;

dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes tendant à voir ordonner le retrait et interdire pour l’avenir toute publicité, toute présentation, sur l’ensemble des supports de vente, de présentation ou de publicité du produit faisant mention d’éléments trompeurs ou de nature à induire en erreur le consommateur sur l’efficacité et les résultats attendus du produit Calori Light, ;

dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de provisions ;

condamné la CLCV aux entiers dépens ;

rejeté le surplus des demandes ;

A titre subsidiaire,

• dire et juger disproportionnées les mesures conservatoires et de remise en état sollicitées, notamment :

la demande de retrait de la vente et de rappel des invendus du complément alimentaire

Calori Light ; la demande de publication en première page de son site internet de la décision à intervenir ;

• dire et juger que la demande de dommages-intérêts est infondée dans son principe et son montant ;

En conséquence,

• débouter la CLCV de l’intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,

• condamner la CLCV à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

• condamner la CLCV aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 octobre 2021.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR,

Sur l’existence de pratiques commerciales déloyales

Selon l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Le caractère illicite de l’acte peut résulter de sa contrariété à la loi, aux stipulations d’un contrat ou aux usages.

Aux termes de l’article L. 121-1 du code de la consommation :

« Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.

Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7 ».

Parmi les pratiques commerciales déloyales se trouve la pratique commerciale trompeuse, qui est

définie à l’article L. 121-2 du code de la consommation :

« Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : […]

2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

[…]

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, notamment au regard des règles justifiant l’apposition des mentions « fabriqué en France » ou « origine France » ou de toute mention, signe ou symbole équivalent, au sens du code des douanes de l’Union sur l’origine non préférentielle des produits, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ».

Il ressort de ces textes qu’une pratique commerciale déloyale est interdite par la loi et, par conséquent, constitutive d’un trouble manifestement illicite autorisant le juge à prendre des mesures appropriées pour la faire cesser au sens de l’article 835 du code de procédure civile.

Le juge des référés ne saurait cependant interdire une pratique commerciale que si elle est manifestement déloyale, c’est-à-dire si l’ensemble des éléments convergent sans aucun doute possible vers l’illicéité.

En l’espèce, l’emballage du produit litigieux comporte les mentions suivantes : « Allégez vos repas – Captez 50% des matières grasses », « 2 gélules de calorilight = – 50% de matières grasses » ; « Calorilight contribue à : 1. Capter 50% des matières grasse / 2. Alléger vos repas », « prendre 2 gélules au cours du repas que vous souhaitez alléger », « mon profil : je suis gourmande et souhaite me faire plaisir tout en contrôlant mes calories. Je fais régulièrement des repas d’affaires trop riches et déséquilibrés, des repas copieux en famille ou entre amis ».

La CLCV soutient que la société Forté Pharma use d’allégations manifestement mensongères et trompeuses pour commercialiser et promouvoir le produit Calori Light, qui ont pour effet d’altérer de manière significative le comportement économique du consommateur.

Sur l’allégation « scientifiquement testé »

En premier lieu, l’allégation « scientifiquement testé » figurant sur l’emballage du produit serait manifestement mensongère et trompeuse dès lors que le produit fini, Calori Light, n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique, seul le Fibrocaptol ayant fait l’objet d’études scientifiques, alors qu’il ne serait pas même établi que ce complexe de fibres est effectivement un ingrédient du produit fini.

Elle ajoute que la société Forté Pharma a modifié l’emballage du produit depuis le début de la procédure, le nouvel emballage comportant la mention « scientifiquement testé – Fibrocaptol » au lieu de « scientifiquement testé », ce qui serait un aveu de la société Forté Pharma quant à l’absence d’étude scientifique portant sur le produit fini.

La société Forté Pharma produit cependant des études scientifiques réalisées par le laboratoire de technologie pharmaceutique industrielle de l’université de Bordeaux, qui démontrent l’efficacité du complexe Fibrocaptol, constitué de fibres de cacao et d’orange, dans la captation des matières grasses contenues, notamment, dans le foie gras et la crème fraîche.

Il résulte de la liste des ingrédients figurant sur l’emballage du produit Calori Light que les fibres d’orange et de cacao constituent les seuls ingrédients du produit, à l’exception des excipients (gélatine et colorants) et des anti-agglomérants, qui ne possèdent pas de principe actif.

Le Fibrocaptol, mélange de fibres d’orange et de cacao, est par conséquent le seul composant actif du produit Calori Light, la circonstance que son nom n’apparaisse pas expressément parmi les ingrédients mentionnés sur l’emballage étant indifférente dès lors cet emballage fait par ailleurs expressément référence au produit Fibrocaptol et à sa composition en le décrivant comme « une association exclusive de fibres d’orange et de cacao », information ainsi clairement portée à la connaissance du consommateur.

En outre, les études visées sur l’emballage du produit, à savoir « CL 09/2003 – Calorilight – Etude de l’efficacité in vitro de capture de foie gras, de graisse de canard, d’huile » et « CL 03/2004 – Calorilight – Etude de l’efficacité in vitro de capture des lipides contenus dans la crème fraîche » concernent bien le produit fini Calori Light, ainsi que le mentionne expressément la seconde étude qui précise que : « Nous avons effectué des essais de capture de lipides contenus dans de la crème fraîche avec le contenu des gélules Calorilight ».

Il ne relève pas des pouvoirs du juge des référés de porter une appréciation sur la validité des résultats avancés par ces études, la cour ne pouvant que constater qu’elles existent et que leurs conclusions sont conformes aux allégations de l’intimée.

Sur l’allégation « Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses »

L’appelante soutient en second lieu que l’allégation « Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses » est manifestement mensongère dès lors qu’elle procède d’une double extrapolation des résultats des études scientifiques réalisées, extrapolation portant sur la nature des aliments ingérés et leur quantité.

Elle relève que les études scientifiques n’ont été réalisées que sur du foie gras et de la crème fraîche et sur des quantités limitées. Il ne pourrait donc en être déduit une captation de 50% des matières grasses sur tous les aliments, quelles que soient les quantités.

De même, les études scientifiques ont été réalisées in vitro, de sorte qu’elles ne sauraient garantir un résultat certain pour le consommateur, les conditions exactes d’interaction entre le produit et un organisme humain ne pouvant être reproduites en laboratoire. La société Forté Pharma ne pourrait donc utiliser une allégation commerciale promettant un résultat chiffré obtenu sur tous les aliments, sauf à tromper le consommateur.

Enfin, la CLCV fait valoir que l’impossibilité de toute promesse de résultat certain est confirmée par la posologie indiquée du produit, laquelle varie entre deux et quatre gélules en fonction de la corpulence de la personne et de la richesse du repas.

Cependant, comme l’expose l’intimée, les études scientifiques réalisées in vitro sont autorisées, notamment par le règlement (CE) n° 353/2008 de la Commission du 18 avril 2008 fixant les dispositions d’exécution relatives aux demandes d’autorisation d’allégations de santé, qui, au point 5 de son annexe, dispose que « sont considérées comme des données scientifiques pertinentes toutes les études, réalisées ou non sur l’être humain, publiées ou non, qui sont liées à l’allégation de santé sollicitée et ont examiné la relation entre la denrée alimentaire et l’effet allégué ».

La société Forté Pharma produit en outre plusieurs autres études, s’ajoutant à celles visées ci-dessus, qui portent sur de l’huile ou sur de la garniture de pizza quatre fromages, et qui confirment l’efficacité du produit Calori Light ou Fibrocaptol dans la captation des matières grasses, y compris par comparaison avec d’autres produits.

Certes, les quantités et matières testées restent par nature limitées. Cependant, l’appelante ne produit de son côté aucune pièce démontrant l’absence d’efficacité du produit ou le mensonge allégué sur les résultats promis.

Le caractère manifeste du mensonge ou de la tromperie justifiant l’intervention du juge des référés n’est donc pas établi.

Sur l’existence d’une allégation de santé interdite

La CLCV soutient, en troisième lieu, et de façon nouvelle à hauteur d’appel, que l’allégation « Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses » est une allégation de santé interdite par le règlement (CE) 1924/2006 du Conseil du 20 décembre 2006, dont l’utilisation serait par conséquent déloyale.

Contrairement à l’objection de l’intimée, il s’agit d’un moyen nouveau non d’une prétention nouvelle, les prétentions de la CLVC, qui tendent à l’interdiction des allégations utilisées par la société Forté Pharma dans le cadre de la commercialisation du produit Calori Light et à l’octroi de provisions, étant inchangées, peu important qu’elle ait, dans le dispositif de ses conclusions, demandé à la cour de « juger que la société Forté Pharma, dans le cadre de la commercialisation et de la présentation du complément alimentaire Calori Light, a recours à une allégation de santé interdite au sens du règlement 1924/2006/CE », ce qui ne constitue pas une prétention mais un moyen.

Ce moyen nouveau est donc recevable en appel en application de l’article 563 du code de procédure civile.

Le règlement (CE) 1924/2006 du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires détermine les conditions dans lesquelles les allégations de santé, en principe interdites, peuvent être autorisées et prévoit une liste des allégations autorisées à l’échelle européenne.

Aux termes de l’article 2. 2. 5) de ce règlement, est une « allégation de santé » : « toute allégation qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé ».

Aux termes de l’article 10.1 du règlement, « les allégations de santé sont interdites sauf si elles sont conformes aux prescriptions générales du chapitre II et aux exigences spécifiques du présent chapitre et si elles sont autorisées conformément au présent règlement et figurent sur les listes d’allégations autorisées visées aux articles 13 et 14 ».

Aux termes de l’article 13 du règlement :

« 1. Les allégations de santé qui décrivent ou mentionnent :

[…]

c) sans préjudice de la directive 96/8/CE, l’amaigrissement, le contrôle du poids, la réduction de la sensation de faim, l’accentuation de la sensation de satiété ou la réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire,

et qui sont indiquées dans la liste prévue au paragraphe 3 peuvent être faites sans être soumises aux procédures établies aux articles 15 à 19, si elles :

i) reposent sur des preuves scientifiques généralement admises ; et

ii) sont bien comprises par le consommateur moyen.

2. Au plus tard le 31 janvier 2008, les États membres fournissent à la Commission des listes des allégations visées au paragraphe 1 ainsi que les conditions qui leur sont applicables et les références aux justifications scientifiques pertinentes.

3. Après consultation de l’Autorité, la Commission adopte, conformément à la procédure visée à l’article 25, paragraphe 2, une liste communautaire des allégations autorisées visées au paragraphe 1, ainsi que toutes les conditions nécessaires pour l’utilisation de ces allégations, au plus tard le 31 janvier 2010. »

Le règlement (UE) n° 432/2012 de la commission du 16 mai 2012 établit la liste des allégations de santé autorisées portant sur les denrées alimentaires, visée à l’article 13, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1924/2006.

L’allégation « « Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses » est une allégation de santé dès lors qu’elle implique une relation entre le produit Calori Light et la santé, la diminution des matières grasses ingérées au cours d’un repas ayant une incidence directe sur la santé.

En outre, elle fait référence au « contrôle du poids » et à la « réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire » et entre donc dans les prescriptions de l’article 13.1 c) précité.

Il n’est pas contesté par l’intimée qu’elle ne figure pas sur la liste des allégations autorisées figurant en annexe du règlement (UE) n° 432/2012.

Elle est donc interdite.

A cet égard, il résulte de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 20 octobre 2020 (Crim., 20 octobre 2020, pourvoi n° 19-81.207, publié) produit par la CLCV que la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) du Doubs a engagé des poursuites contre la société CERP, une société qui commercialisait le produit Calori Light, pour « usage d’une allégation de santé non autorisée dans l’étiquetage d’une denrée alimentaire, en l’espèce en commercialisant sur le territoire national un produit importé, à savoir cinq-cent-soixante-trois boîtes de complément alimentaire « Calori Light », comportant sur son étiquetage et sa notice, l’allégation non autorisée : « Captez 50 % des matières grasses ».

La société CERP a été déclarée coupable d’utilisation d’une allégation de santé non autorisée dans l’étiquetage d’une denrée alimentaire par un arrêt de la cour d’appel de Dijon du 11 octobre 2018 et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, qui est donc définitive.

La société Forté Pharma, qui ne conteste pas le recours à une allégation de santé ni l’absence de celle-ci sur la liste annexée au règlement n° 432/2012, fait valoir qu’elle n’était pas partie au procès pénal et que la société CERP, qui commercialise son produit, n’a pas été condamnée pour pratique commerciale trompeuse mais pour usage d’une allégation de santé non autorisée, infractions qui relèvent de textes et de régimes différents. L’appelante ne pourrait donc déduire de cette condamnation pénale de nature contraventionnelle, de façon automatique, un délit de pratique commerciale trompeuse. Elle ajoute que la CLCV ne rapporte pas la preuve d’une altération substantielle du comportement économique du consommateur.

Si la décision de la cour d’appel de Dijon ne s’impose pas à la présente juridiction dès lors qu’elle ne concernait pas la société Forté Pharma, il n’en demeure pas moins que l’allégation « Captez 50 % des matières grasses » figurant sur le produit Calori Light a été déclarée interdite par une décision pénale définitive, ce qui corrobore le caractère manifestement illicite de l’allégation.

Ainsi que le soutient l’appelante, il résulte de l’article L. 121-1 du code de la consommation précité que les pratiques commerciales déloyales sont interdites et qu’une pratique commerciale est déloyale « lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle » et qu’elle « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ».

Dès lors, s’il n’est pas établi, avec l’évidence requise en référé, que la pratique commerciale litigieuse est mensongère, il est en revanche établi qu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle en ce qu’elle comporte une allégation de santé interdite.

L’utilisation de l’allégation interdite « Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses » a nécessairement eu pour effet d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur en lui promettant un résultat certain et particulièrement ambitieux. En effet, la promesse de n’absorber que 50% des matières grasses consommées lors d’un repas, et particulièrement d’un repas « riche » et « copieux », est à l’évidence de nature à convaincre le consommateur d’acheter ce produit, surtout s’il s’agit d’un consommateur vulnérable aux promesses de résultat faites en matière de minceur.

La circonstance que le produit soit sur le marché depuis de nombreuses années n’est pas de nature à exonérer la société Forté Pharma de ses obligations dès lors que l’emballage de la boîte Calori Light a évolué au fil du temps et que l’allégation «Allégez vos repas/captez 50% des matières grasses » n’était pas présente dans les premières années de commercialisation.

L’existence d’une pratique commerciale déloyale est donc établie, constituant un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser.

Sur les mesures conservatoires et de remise en état

Afin de mettre un terme à la pratique commerciale déloyale constatée, il sera ordonné à la société Forté Pharma de cesser la commercialisation du complément alimentaire Calori Light dans son état actuel et, par conséquent, de supprimer la mention « Allégez vos repas – Captez 50% des matières grasses » de l’emballage ainsi que de l’ensemble des supports de présentation, de commercialisation et de publicité du produit.

Cette injonction sera assortie d’une astreinte de 100 euros par infraction constatée, l’infraction étant constituée par chaque boîte mise en vente, chaque publicité diffusée et chaque support de présentation non modifié du produit.

Il y a lieu également d’ordonner le rappel des invendus, comme le sollicite la CLCV, cette mesure étant la conséquence directe de l’interdiction de toute vente d’un produit revêtu de l’emballage litigieux.

La société Forté Pharma, qui invoque le caractère disproportionné de cette mesure, ne fait état d’aucune difficulté logistique particulière et ne produit aucune évaluation, même approximative, de son coût.

Elle dénonce une « mise à mort du produit » recherchée par la CLCV, mais il est rappelé que les mesures provisoires ordonnées ne tendent nullement à l’interdiction du produit lui-même, qui est licite et autorisé à la vente, seul son emballage et sa présentation sur les différents supports de communication posant difficulté.

En l’absence de toute preuve d’une disproportion entre le manquement constaté et les conséquences économiques et financières des mesures ordonnées pour l’intimée, ce moyen ne peut être retenu.

Afin toutefois de permettre à la société Forté Pharma de s’organiser et de rappeler les produits

invendus, un délai de six mois lui sera accordé à compter de la signification de l’arrêt, l’astreinte courant à l’expiration de ce délai et pendant un délai de six mois, au-delà duquel il pourra être à nouveau statué par le juge de l’exécution.

Par ailleurs, le trouble manifestement illicite étant suffisamment réparé par la suppression, pour l’avenir, de la mention litigieuse et le rappel des invendus, il n’y a pas lieu d’ordonner la publication du présent arrêt.

Sur la demande de provisions

Selon l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

La CLCV invoque deux préjudices : un préjudice d’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs et un préjudice associatif. Elle sollicite à ce titre des provisions de 400.000 euros et de 100.000 euros.

La demande de dommages et intérêts provisionnels pour atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs ne peut qu’être rejetée, en l’état des pièces produites par l’appelante, qui ne permettent pas de déterminer le montant non contestable de l’obligation de la société Forté Pharma. En effet, extrapolant les données d’un tableau produit en première instance, la CLCV explique qu’elle « estime » que le chiffre d’affaires résultant des ventes de produit est de près de 4 millions d’euros pour la période 2017-2019, que les gains retirés par Forté Pharma de la pratique commerciale critiquée sont donc « nécessairement très importants » et que son préjudice correspond à « environ 10% du chiffre d’affaires résultant de la vente du produit sur la période 2017-2019 ».

Ces éléments imprécis et insuffisants ne permettent pas, à eux seuls, d’évaluer le préjudice d’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs allégué, étant rappelé, au surplus, que le produit n’a fait l’objet d’aucune plaine de consommateurs.

La demande de provision sera en conséquence rejetée.

En revanche, il résulte de l’ensemble du dossier produit par l’association de consommateurs qu’elle a dû engager des frais importants pour faire constater les pratiques commerciales déloyales reprochées à l’intimée et mobiliser des moyens humains et matériels pour faire cesser ces pratiques. Ces frais, distincts des sommes allouées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, justifient l’allocation d’une provision de 10.000 euros.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Forté Pharma, partie perdante, sera tenue aux dépens de première instance et d’appel et condamnée au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

Constate que la société Laboratoires Forté Pharma s’est rendue coupable d’une pratique commerciale déloyale dans le cadre de la commercialisation du produit Calori Light, qui constitue un trouble manifestement illicite ;

En conséquence,

Ordonne à la société Laboratoires Forté Pharma de supprimer la mention « Allégez vos repas – Captez 50% des matières grasses » de l’emballage du produit Calori Light, ainsi que de l’ensemble des supports de présentation, de commercialisation et de publicité du produit ;

Ordonne le rappel des invendus, à ce jour, du complément alimentaire Calori Light ;

Assortit ces injonctions d’une astreinte de 100 euros par infraction constatée – l’infraction étant constituée par chaque boîte mise en vente et/ou chaque publicité diffusée et/ou chaque support de présentation non modifié du produit ;

Dit que cette astreinte courra pendant un délai de six mois, passé un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt, et qu’au-delà de ce délai, il pourra être à nouveau statué par le juge de l’exécution ;

Rejette les autres demandes de mesures provisoires ou de remise en état formées par la confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie, ainsi que sa demande de publication ;

Rejette la demande de provision pour préjudice d’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs formée par la confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie ;

Condamne la société Laborataires Forté Pharma à payer à la confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie une provision de 10.000 euros au titre de l’indemnisation à valoir sur son préjudice associatif ;

Condamne la société Laborataires Forté Pharma aux dépens de première instance et d’appel ;

La condamne à payer à la confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 10 décembre 2021, n° 21/06258