Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 21 avril 2022, n° 21/00238

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 12

ARRET DU 21 AVRIL 2022

(n° , 10 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00238 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC3ZK


Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Novembre 2020 – JIVAT Tribunal judiciaire de PARIS


- RG n° 19/06155

APPELANT

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTION

[…]

[…]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0302 substitué par Me Olivier SAUMON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082

INTIMEES

Madame C Y épouse O-P-F

[…]

[…]

née le […] à Paris

représentée par Me Pascale BILLING, avocat au barreau de PARIS, toque : E0834

Z O-P

prise en la personne de son représentant légal Madame C Y veuve O-P-F

[…]

[…]

née le […] à […]

représentée par Me Pascale BILLING, avocat au barreau de PARIS, toque : E0834 CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

[…]

[…]

non représentée

CAISSE REGIONALE ASSURANCE MALADIE ILE DE FRANCE

[…]

[…]

non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme C COSSON, Conseillère, chargée du rapport et Mme


Sylvie LEROY, Conseillère.


Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme C COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente

Mme Sylvie LEROY, Conseillère

Mme Sophie BARDIAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eva ROSE-HANO

ARRÊT :


- réputé contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 24 mars 2022, prorogé au 31 mars 2022, puis au 21 avril 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par C COSSON, Conseillère faisant fonction de présidente et par Eva ROSE-HANO, Greffière présente lors du prononcé.


Le 13 novembre 2015, M. A O-P-F assistait au concert des Eagles of Death Metal dans la salle de concert du Bataclan lorsque un commando armé a fait irruption et a ouvert le feu sur les personnes présentes. M. A O-P-F a été grièvement blessé ; il est décédé dans les heures qui ont suivies.


Par jugement rendu le 12 novembre 2020, la JIVAT :


- a dit que M. A O-P-F avait été victime d’un acte de terrorisme et que Mme C Y épouse O-P-F, Z O-P, Mme X
O-F et M. E F avaient droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale en application des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances,


- a ordonné l’expertise médicale confiée au docteur M-N, de Mme C Y épouse O-P-F et de Z O-P,


- a condamné le FGTI à payer, en deniers ou quittances, provisions non déduites et avec intérêts au taux légal à compter de la décision :


- à Mme C Y épouse O-P-F en qualité d’ayant droit de M. A O-P-F, les sommes de 100.000 € au titre des souffrances endurées incluant la demande formée au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente et 30.000 € au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’acte de terrorisme,


- à Mme C Y épouse O-P-F en son nom propre, les sommes de 60.000 € au titre du préjudice d’affection incluant la demande formée au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude, 20.000 € au titre du préjudice moral exceptionnel permanent des victimes d’actes de terrorisme et 561.802,67 € au titre du préjudice économique,


- à Mme C Y épouse O-P-F ès qualités de représentante légale de Z O-P, les sommes de 60.000 € au titre du préjudice d’affection incluant la demande formée au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude, 20.000 € au titre du préjudice moral exceptionnel permanent des victimes d’actes de terrorisme et 6.361 € au titre du préjudice économique,


- à Mme X O- F et à M. E F les sommes de 35.000 € à chacun au titre du préjudice d’affection incluant la demande formée au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude et de 20.000 € à chacun au titre du préjudice moral exceptionnel permanent des victimes d’actes de terrorisme,


- a déclaré le jugement commun à la CPAM des Hauts de Seine et à la CRAMIF,


- a condamné le FGTI aux dépens et à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes de 2.000 € à Mme C Y épouse O-P-F et de 500 € à chacun à Mme X O- F et à M. E F,


- a ordonné l’exécution provisoire à concurrence de la moitié des indemnités allouées et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,


- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.


Le FGTI a relevé appel de cette décision en ce qui concerne les sommes allouées à Mme C Y épouse O-P-F et à Z O-P.


Par conclusions notifiées par la voie électronique le 30 août 2021, le FGTI demande à la cour :


- de le juger recevable en son appel,


- de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,


- de fixer la réparation des souffrances endurées ante-mortem incluant le préjudice d’angoisse à la somme de 35.000 €,


- de rejeter la demande au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches,
- de surseoir à statuer sur les demandes présentées au titre du préjudice d’affection,


- à titre subsidiaire, d’allouer de ce chef à Mme Y la somme de 50.000 € et à Z O-P celle de 45.000 €,


- de fixer le PESVT à 17.500 € pour Mme Y et à 12.500 € pour Z O-P,


- de surseoir à statuer sur le préjudice économique du chef du décès de M. A O-P-F, par Mme Y et de dire que du même chef, il ne revient aucun solde disponible à Z O-P,


- de dire que viendront en déduction les provisions déjà perçues et d’ordonner, sauf sursis à statuer, le remboursement du trop perçu,


- de débouter Mme Y en son nom propre et ès qualités de représentante légale de Z O-P, de toutes ses demandes plus amples ou contraires,


- de débouter Mme Y en son nom propre et ès qualités de représentante légale de Z O-P, de ses prétentions fondées sur les dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile.


Par conclusions d’intimée valant appel incident notifiées par la voie électronique le 3 juin 2021, Mme C Y épouse O-P-F en son nom propre et ès qualités de représentante légale de Z O-P, sollicite de la cour :


- l’infirmation du jugement entrepris en sa disposition relative aux souffrances endurées par M. A O-P-F et la condamnation du FGTI à lui payer en sa qualité d’ayant droit la somme de 200.000 € de ce chef,


- la confirmation du jugement en ce qui concerne leur PESVT,


- l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives à l’indemnisation du préjudice d’attente et d’inquiétude et la condamnation du FGTI à leur payer à chacune la somme de 20.000 € de ce chef,


- l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives à l’indemnisation du préjudice d’affection et la condamnation du FGTI à leur payer à chacune la somme de 100.000 € de ce chef,


- l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives au préjudice économique,


- sur le préjudice économique subi entre le 13 novembre et le 31 décembre 2015 :


- la condamnation du FGTI à payer à Z O-P la somme de 1.550 € et à Mme C Y celle de 4.650,70 €,


- à titre principal sur le préjudice économique subi à compter du 1er janvier 2016 :


- la condamnation du FGTI à payer à Z O-P la somme de 26.529,73 € et à Mme C Y celle de 1.349.002,96 €,


- à titre subsidiaire sur le préjudice économique subi à compter du 1er janvier 2016:


- sur la base d’une perte de chance de 90 % de M. A O-P-F de percevoir la somme de 70.012 € au titre de ses revenus de 2016, la condamnation du FGTI à payer à Z O-P la somme de 15.359,91 € et à Mme C Y celle de 1.052.124,40 €,
- à titre très subsidiaire sur le préjudice économique subi à compter du 1er janvier 2016 :


- la condamnation du FGTI à payer à Mme C Y la somme de 675.475,64 €,


- à titre infiniment subsidiaire sur le préjudice économique subi à compter du 1er janvier 2016, si la cour confirmait la décision entreprise :


- la rectification de l’erreur matérielle figurant en page 12 de la décision et la fixation à la somme de 583.788,74 € du montant du préjudice de Mme C Y,


- qu’elle dise que les indemnités allouées par le FGTI ne présentent aucun caractère de subsidiarité,


- qu’elle déboute le FGTI de sa demande de sursis à statuer ainsi que de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,


- qu’elle condamne le FGTI à payer à Mme C Y la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance,


Ni la CPAM des Hauts de Seine, ni la CRAMIF à qui la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelant ont été signifiées à personne morale le 25 mars 2021 n’ont constitué avocat. Le présent arrêt est réputé contradictoire en ce qui les concerne.


L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 décembre 2021.


CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Sur l’action successorale

Sur les souffrances endurées


Pour allouer au titre des souffrances endurées par M. A O-P-F la somme de 100.000 €, la JIVAT a pris en compte les blessures dues aux quatre balles reçues par cette victime, les conditions de son évacuation, l’absence de traitement des lésions, le retentissement psychique des faits, la confrontation directe aux actions des terroristes, la mort de personnes autour de lui, le fait qu’il n’ait pas connu le sort des proches avec qui il se trouvait, l’impossibilité de s’enfuir, la détresse et l’angoisse dues à la conscience de sa mort inéluctable et des conséquences de celle-ci pour ses proches.


Le FGTI considère que ce préjudice a été surévalué et offre la somme de 35.000 €.


Les ayants droit de M. A O-P-F soutiennent que ce préjudice a été sous-évalué et sollicitent la somme de 200.000 €.


Sur ce,

M. A O-P-F qui se trouvait avec un ami dont il a été séparé et dont il ignorait le sort, a été confronté à la violence de l’action terroriste et à la vue de gens morts ou blessés autour de lui.


Il a reçu 4 projectiles :


- au niveau de l’arête nasale et de la pommette droite avec une fracture des os propres du nez,


- sur le bord externe de l’avant bras gauche avec une plaie tangentielle avec lésion tendineuse,
- au travers de l’épaule gauche causant un fracas osseux,


- en thoracique latéral gauche au niveau du creux axillaire qui a été responsable d’un fracas costal postérieur gauche, d’un hémopneumothorax gauche avec plaie pulmonaire, d’une fracture de l’apophyse postérieure de la 10ème vertèbre thoracique.


Il a été évacué par les services de police assez rapidement après le début de la tuerie qui a commencé peu après 21 h 40, dans des conditions nécessairement difficiles puisque dans l’urgence et sans l’aide de services de secours qui ne pouvaient alors intervenir à l’intérieur du Bataclan.


Il a été pris en charge par des secouristes dans la courette de l’immeuble du 9 rue Oberkampf. Il a été en mesure de dire quelques mots à sa fille, Z, qui lui a téléphoné à 22 h 44 puis est rapidement tombé en arrêt cardio-respiratoire. Il n’a pu faire l’objet de soins et son décès est consécutif à un hémo-pneumothorax gauche et à une spoliation sanguine par hémorragie pleurale gauche.

M. G H, un des secouristes qui, à sa demande, l’a aidé en sortant son téléphone de sa poche, a indiqué qu’il avait été marqué par la force émanant de son regard, par sa volonté de répondre à sa fille et d’essayer de vivre et par sa tristesse due à sa conscience de ne pouvoir survivre à la gravité de ses blessures.


L’ensemble de ses souffrances, tant physiques que morale en ce comprises les souffrances dues à la conscience de sa mort imminente, est réparé par la somme de 140.000 €. Le jugement entrepris est en conséquence infirmé de ce chef et il est précisé que cette somme, tout comme celle de 30.000 € relative au PESVT, non critiquée, est alloué à Mme C Y au titre de l’action successorale.

Sur les préjudices propres des victimes par ricochet

Sur le préjudice d’attente et d’inquiétude

Mme C Y reproche au premier juge d’avoir lié l’indemnisation du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches de la victime directe à l’indemnisation du préjudice d’affection. Elle réclame tant pour elle même que pour sa fille Z la somme de 20.000 € à chacune.


Le FGTI fait valoir que ce poste de préjudice n’est pas un préjudice autonome et que son indemnisation s’appréhende dans le cadre d’une majoration du préjudice d’affection de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.


Sur ce,


Le préjudice d’attente et d’inquiétude est constitué par l’inquiétude éprouvée par les proches de la victime directe qui pensent ou savent que celle-ci se trouve exposée à un péril de nature à la mettre en danger, pendant la période de temps où ils demeurent dans l’incertitude quant à son sort. Il ne se confond pas avec le préjudice d’affection.


En l’occurrence, Mme C Y savait que son compagnon assistait au concert des Eagles of Death Metal en compagnie de son ami, I J. Elle a été informée de la fusillade ayant eu lieu au Bataclan vers 22 heures lorsque la femme de ce dernier l’a appelée pour savoir si elle avait eu des nouvelles de A. Après 22 heures, elle a appris par l’appel téléphonique passé par leur fille, Z, qu’il était blessé. Ni elle, ni Z n’ont ensuite eu de ses nouvelles.


Vers 23 heures, I J a téléphoné à sa femme à qui il a dit qu’il se trouvait sur le toit. Mme C Y a pensé que A se trouvait avec lui. Ce n’est qu’à 16 h 30, le lendemain, après une nuit passée à appeler les hôpitaux et à tenter d’obtenir des nouvelles, que l’Institut Médico Légal l’a prévenue du décès de son compagnon.


L’angoisse éprouvée pendant plus de 16 heures par Mme C Y et sa fille Z, âgée de 11 ans et donc à même de comprendre la gravité de la situation, sans nouvelle de leur compagnon et père dont elles savaient qu’il était blessé, est réparée par la somme de 12.000 € à chacune. Le jugement entrepris est en conséquence infirmé de ce chef.

Sur le préjudice d’affection


Le préjudice d’affection étant distinct du préjudice corporel des victimes par ricochet causé par l’atteinte à leur intégrité psychique causée par les faits litigieux, c’est à tort que le FGTI reproche au JIVAT d’avoir rejeté sa demande de sursis à statuer dans l’attente des conclusions du médecin expert qu’il a désigné.

Mme C Y a rencontré M. A O-P-F en août 2002. Le couple a eu une enfant, née en 2004 et s’est pacsé le 1er juin 2012. Un mariage posthume a été célébré le 24 juin 2017.


Le préjudice d’affection de Mme C Y et de Z O-P est réparé par la somme de 50.000 € à chacune. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme


Pour allouer à Mme C Y et à Z O-P la somme de 20.000 € à chacune au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme, le PESVT, la JIVAT a retenu que :

'Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent aux proches de Monsieur A O-P-F de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et à la réitération de passages à l’acte de même nature.'


Le FGTI fait appel de cette disposition. Il fait valoir que le PESVT est un préjudice extra-patrimonial atypique issu d’une décision de son conseil d’administration qui a pris en compte, après une étude épidémiologique réalisée en 1987, une prévalence du syndrome de stress post-traumatique chez les victimes d’actes de terrorisme. En 2014, le FGTI a décidé de déconnecter ce préjudice spécifique de l’état séquellaire des victimes pour en faire une majoration forfaitaire et symbolique, accordée aux victimes directes et aux proches des victimes décédées en complément de la réparation intégrale prévue par la loi. Il considère que ce poste de préjudice échappe en conséquence au contrôle du juge.


Il reproche au premier juge de n’avoir ni justifié, ni caractérisé l’existence d’un poste de préjudice permanent exceptionnel distinct de ceux d’ores et déjà indemnisés, préjudice qui ne saurait seulement résulter de l’événement en cause. Il ajoute que la résonnance majeure et durable dans l’opinion publique et dans les média de façon durable ne constitue pas un préjudice indemnisable relevant de sa mission au sens des dispositions de l’article L 422-1 alinéa 1er du code des assurances.


Il sollicite en conséquence l’infirmation de la décision et qu’il soit constaté que les sommes de 17.500

€ pour Mme C Y et de 12.500 € pour Z O-P qu’il offre en majoration des indemnités déjà allouées, réparent intégralement le préjudice subi.

Mme C Y en réponse soutient que le tribunal a parfaitement caractérisé ce poste de préjudice et qu’eu égard aux circonstances du décès de la victime directe, c’est à juste titre qu’il leur a été alloué la somme de 20.000 € à chacune.
Sur ce,


Aux termes des dispositions des articles L 126-1 et L 422-1 du code des assurances, le FGTI est tenu d’assurer à la victime directe d’un acte de terrorisme la réparation intégrale de son dommage. Au regard du principe d’individualisation qui gouverne l’indemnisation du préjudice corporel, le FGTI n’est pas fondé à soutenir que le PESVT qu’il offre d’indemniser, échappe au contrôle du juge. Il y a lieu en conséquence de rechercher quel est le dommage réparé à ce titre qui n’a pas déjà été indemnisé.


En l’occurrence, il résulte de la motivation du JIVAT reprise par l’intimée qu’il n’a pas été individualisé un préjudice subi par la victime mais qu’a été indemnisé à ce titre le fait générateur.


Il s’ensuit que Mme C Y tant à titre personnel qu’ès qualités, n’établit pas avoir subi à ce titre un dommage non réparé à un autre titre. Le FGTI maintenant son offre au titre du PESVT, la somme de 17.500 € est allouée à Mme C Y et celle de 12.500 € à Z O-P et le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur le préjudice économique

Mme C Y calcule le préjudice économique en retenant une première période allant du 13 novembre au 31 décembre 2015 au cours de laquelle elle déduit une part d’auto consommation de M. A O-P-F de 20 %, une part de consommation de l’enfant mineure de 25 % mais ne prend pas en compte ses propres revenus. La deuxième période commence le 1er janvier 2016 pour se terminer le 31 décembre 2020. Elle retient une part d’autoconsommation du défunt à hauteur de 30 % et la part de consommation de l’enfant mineure à hauteur de 20 %. Les revenus pris en compte sont les revenus de 2016, c’est à dire les revenus prévisibles de M. A O-P-F et les revenus connus de Mme C Y pour cette année. Enfin, à compter du 1er janvier 2021, la perte est capitalisée à l’aide du barème de capitalisation issu de la Gazette du Palais 2020 au taux de 0 %.


Le FGTI pour sa part fait valoir que le préjudice doit être calculé sur la base des revenus 2015, soit 29.149,50 € pour M. A O-P-F et 30.316 € pour Mme C Y, d’une part d’autoconsommation du défunt de 30 % et d’une part de consommation de l’enfant mineure de 30 %. Il établit un décompte pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019 et déduit les revenus connus pour chacune de ces années de Mme C Y. Au motif que le revenu de l’année 2020 de cette dernière n’est pas fourni, il n’effectue aucun calcul pour cette période. A compter du 1er janvier 2021, il procède par capitalisation par application du barème BCRIV publié en 2018 mais soutient qu’en raison du montant cumulé des pensions d’invalidité dont bénéficie Mme C Y, supérieur à ce qu’était son revenu en 2015, elle ne subit aucune perte économique du fait du décès de son époux. Il évalue le préjudice de Z O-P selon la même méthode à la somme de 34.622,56 € dont il déduit la rente B d’un montant total de 71.339,48 € et le capital décès B d’un montant de 179.478 €, de sorte qu’il ne revient aucune indemnité à l’intéressée.


Il prétend que le contrat PRAXIS souscrit par Mme C Y auprès de la MAIF qui prévoit des garanties en cas de décès, a vocation à s’appliquer, les indemnités y afférentes constituant des indemnités à recevoir qui doivent être déduites du préjudice économique.


Sur ce,

M. A O-P-F avait 39 ans à son décès pour être né le […]. Il était titulaire depuis le 28 février 2014 du diplôme de formateur professionnel pour adulte et a travaillé en qualité de responsable marketing pour la société Maison Internationale de l’Informatique du 1er mars 2014 au 15 avril 2015 pour un salaire net imposable cumulé de 12.640,13 € en 2015.
Il a quitté son emploi après avoir obtenu une rupture conventionnelle de son contrat de travail et s’est déclaré en profession libérale à compter du 16 octobre 2015. Il avait pris des contacts avec plusieurs sociétés dont les dirigeants ont attesté des missions qu’ils lui avaient confiées pour la fin de l’année

2015 et pour l’année 2016. Ainsi, M. S-T U pour Micropole Institut a indiqué qu’il aurait dû animer une formation de 3 jours intitulé Concevoir le Design et l’Ergonomie d’un site Web, du 16 au 18 décembre 2015 puis à 5 reprises aux mois de février, avril, juin, septembre et décembre

2016 au tarif de 650 € HT / jour. M. K L, gérant de la société PLB Consultant, a fait état de l’accord passé à la fois sur l’animation de formation et du conseil en analyse d’audience pour son site Web via Google Analytics, soit 64 jours d’animation de formations en 2016 pour une somme globale de 36.000 €. Il a précisé que d’autres missions étaient susceptibles de lui être proposées en cours d’année. Le gérant de la SARL LKO a fait connaître qu’il avait été confié à M. A O-P-F 79 jours de formation pour 47.600 € HT.


La perte de revenu subie par Mme C Y et Z O-P devant être évaluée au jour de la décision qui la fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date, Mme C Y est fondée à soutenir que M. A O-P-F était dans une dynamique de reconversion professionnelle, que l’année 2015 en ce qui le concerne n’est pas représentative et que le préjudice économique doit en conséquence être calculé sur les revenus prévisibles qui auraient été les siens.


Au vu des pièces justificatives produites, rappelées ci-dessus, la cour retient un revenu du foyer de :


- 70.012 € en ce qui concerne M. A O-P-F (chiffre d’affaire de 93.350 € – 25 % au titre des charges fixes) + 30.316 € (revenu de Mme C Y en 2015, avis d’impôt sur le revenu à l’appui) = 100.328 €. De cette somme doit être déduite la part d’autoconsommation de M. A O-P-F qui, au regard des revenus de la famille et de sa composition, est de 30 % (30.098,40 €) puis les revenus de Mme C Y (30.316 €) = 39.913,60 €.


Au regard des désaccords des parties sur la méthode à appliquer et sur les sommes servant de base aux calculs, il y a lieu de capitaliser de façon viagère la perte du foyer, seule méthode permettant de prendre en compte le risque de décès de la victime directe à compter du 14 novembre 2015, si l’attentat n’était pas survenu. Il est utilisé le barème publié à la Gazette du Palais 2020 au taux de 0 % qui apparaît le plus approprié conformément à la demande de Mme C Y.


Le préjudice s’établit en conséquence à 1.627.516,95 € (39.913,60 € x 40,776 euro de rente viager pour une femme de 45 ans, Mme C Y étant plus âgée que son mari pour être née le […]).


Les parties admettent que le préjudice économique de l’enfant restant à charge du couple perdurera jusqu’à l’âge de 25 ans. Compte tenu de son âge, sa part est fixée à 20 % de la perte annuelle du foyer, soit la somme annuelle de 7.982,72 € (39.913,60 € x 20 %).


Le préjudice de Z O-P s’établit à : 7.982,72 € x13,987 (euro de rente à 11 ans arrêté à 25 ans) = 111.654,30 €. De cette somme doit être déduite la rente éducation versée par B d’un montant total de 85.167,50 €, de sorte que l’indemnité complémentaire revenant à Z O-P est de 26.486,80 €.


Le préjudice de Mme C Y qui est égal à la perte du foyer, après déduction de la perte subie par sa fille, est donc de 1.515.862,65 € (1.627.516,95 € – 111.654,30 €). Ce préjudice est partiellement réparé par le capital décès versé par B pour 179.478 € et le capital décès versé par la CPAM des Hauts de Seine pour 3.400,88 €, soit une indemnité complémentaire revenant à Mme C Y de 1.332.983,77 € (1.515.862,65 € – [179.478 € + 3.400,88 €).
Les indemnités journalières versées par la CPAM, la pension d’invalidité reçue de la CRAMIF et la rente invalidité versée par la société Generali à Mme C Y n’étant pas des conséquences du décès n’ont pas lieu de s’imputer sur le préjudice. Il en est de même du capital décès versé par la MAIF au titre du contrat PRAXIS Solutions. En effet, il ressort tant des conditions générales du contrat que du courriel de la MAIF en date du 8 juillet 2016 que la somme de 5.000 € versée à ce titre a une nature forfaitaire.


Il n’y a pas davantage lieu de surseoir à statuer comme le demande le FGTI dans la mesure où d’une part cet organisme dont les obligations ne sont pas subsidiaires, est tenu à la réparation intégrale du préjudice et où d’autre part la FILIA-MAIF par courrier du 31 mars 2020 a indiqué au conseil de Mme C Y :

'Mme Y bénéficie de notre contrat PRAXIS solutions. L’indemnisation du préjudice patrimonial est bien prévue au contrat (page 28), mais ledit contrat précise également (page 32) :

- le principe du versement d’une avance : 'en cas de responsabilité totale ou partielle d’un tiers, quel qu’il soit, nous versons les indemnités à titre d’avance sur la réparation attendue de ce tiers ou de son assureur ou de tout organisme assimilé ou substitué à ce tiers ou à son assureur'.

- cette avance ne s’applique pas si les dommages corporels sont couverts par le FGTI.

Tel est bien le cas en l’espèce, la MAIF n’est pas en mesure de verser une indemnité à Mme Y pour le préjudice patrimonial. L’indemnisation de ce préjudice incombe au FGTI.'


Quelle que soit la pertinence de cette position, il n’en reste pas moins que la FILIA- MAIF qui n’est pas dans la cause, n’a versé et ne veut verser, aucune indemnité au titre de ce contrat à Mme C Y. Le risque de double indemnisation ne peut donc se réaliser.

Sur les autres demandes


En cause d’appel, il est alloué à Mme C Y la somme de 4.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


Statuant dans les limites de l’acte d’appel,


Infirme partiellement le jugement rendu le 12 novembre 2020 par la juridiction de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme du tribunal judiciaire de Paris,


Statuant à nouveau,


Dit que le préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes par ricochet est un préjudice autonome,


Alloue à Mme C Y, en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l’exécution provisoire non déduites :


- au titre de l’action successorale, la somme de 140.000 (cent quarante mille) euros en réparation du préjudice de souffrances incluant le préjudice d’angoisse de mort imminente de M. A O-P-F,


- au titre de son préjudice d’attente et d’inquiétude la somme de 12.000 (douze mille) euros,


- au titre de son préjudice d’affection la somme de 50.000 (cinquante mille) euros,
- au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme la somme de 17.500 (dix sept mille cinq cents) euros,


- au titre de son préjudice économique la somme de 1.332.983,77 euros (un million trois cent trente deux mille neuf cent quatre vingt trois euros soixante dix sept centimes),


Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,


Dit que la somme de 30.000 (trente mille) euros en réparation du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme subi par M. A O-P-F, a été allouée à Mme C Y au titre de l’action successorale,


Alloue à Z O-P représentée par Mme C Y, en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l’exécution provisoire non déduites :


- au titre de son préjudice d’attente et d’inquiétude la somme de 12.000 (douze mille) euros,


- au titre de son préjudice d’affection la somme de 50.000 (cinquante mille) euros,


- au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme la somme de 12.500 (douze mille cinq cents) euros,


- au titre de son préjudice économique la somme de 26.486,80 euros (vingt six mille quatre cent quatre vingt six euros quatre vingt centimes),


Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,


Rejette la demande de sursis à statuer présentée par le FGTI,


Confirme pour le surplus le jugement entrepris,


Y ajoutant,


Alloue, en cause d’appel, à Mme C Y la somme de 4.500 (quatre mille cinq cents) euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,


Laisse les dépens d’appel à la charge du Trésor Public.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code des assurances
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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 21 avril 2022, n° 21/00238