Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 31 mars 2022, n° 21/02463

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 31 MARS 2022

(n° , 17 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02463 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDCJT


Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Janvier 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° J202003349

APPELANTS

Monsieur M A

né le […] à […]

119, boulevard Saint V

[…]

Monsieur N Z

né le […] à […]

[…]

[…]

Représentés par Me Marie-catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010, avocat postulant

Représentés par Me Yann COLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0008, avocat plaidant

INTIMES

Monsieur O J

né le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur Q X

né le […] à […] […]

92200 NEUILLY-SUR-SEINE

S.A.S. BREEGA CAPITAL VENTURE ONE


N° SIRET : 752 370 858

[…]

[…]

S.A.S. SOLENDRO


N° SIRET : 538 919 937

[…]

[…]

Représentés par Me AJ-louis ROUYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1508, avocat postulant et plaidant

SOCIETE IASOL société de droit belge

[…]

[…]

Représentée par Me AJ-louis ROUYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1508, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 09 février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Madame Déborah CORICON, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :


- contradictoire


- rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .
**********


En 2012, MM. MM. N Z et M A ont créé la société Solendro ayant pour activité la vente en ligne de sous-vêtements masculins. Dans une perspective de croissance, ils ont ouvert progressivement le capital de leur société à des fonds d’investissements et business angels.


C’est ainsi que sont notamment entrés au capital de la société la société Breega Capital Venture One en 2014, MM. Q X et O J en 2016 et les sociétés Iasol et Y en 2017.


A l’issue de ces opérations, le capital était ainsi détenu :


- M. N Z : 16 877 actions (20,81% du capital), par ailleurs président de la société ;


- M. M A : 16 877 actions (20,81%), par ailleurs directeur général de la société;


- La société Breega Capital Venture One : 20 095 actions (24,77%) ;


- La société Iasol : 17 944 actions (22,12%) ;


- La société Y : 4 426 actions (5,46%) ;


- M. Q X : 2 585 actions (3,19%) ;


- M. O J : 1 221 actions (1,51%) ;


- M. S T : 799 actions (0,99%) ;


- La société CM Consultant : 288 actions (0,36%),


Un pacte d’associés a été signés le 16 mai 2017 par les deux fondateurs, M. X et les sociétés Breega Capital Venture One, Iasol et Y, qui prévoyait que :


- Les deux fondateurs, bien que ne détenant que 41,62% du capital, ont le droit de désigner, en dehors d’eux-mêmes qui ont la qualité d’administrateur, '4 administrateurs supplémentaires (…) parmi les autres Associés ou, en raison de leur expertise du secteur d’activité de la société, en dehors d’eux', ce qui fait 6 désignations à leur main, sur les 10 administrateurs qui composent le conseil d’administration (article 11.1) ;


- En cas de cessation de fonction non justifiée, intervenant notamment en cas de révocation pour faute lourde, chaque promettant s’engage irrévocablement à céder ses titres à leur valeur historique, définie comme le prix unitaire moyen de souscription et/ou d’acquisition par le promettant des titres concernés (article 10) ;


- La mise en oeuvre de la clause de 'bad leaver’ prévue à l’article 10, ainsi que la révocation et/ou le licenciement des fondateurs ne peuvent être adoptées qu’après accord préalable du conseil d’administration statuant à la majorité qualifiée, définie comme la majorité simple de 6 administrateurs sur 10 comprenant le vote favorable d’un représentant d’Iasol et le vote favorable d’un représentant de Breega (combinaison de l’article 11.3.1 et de l’annexe 11.3.1).


Au mois de mai 2019, un mandat était confié à la banque d’affaires Acetis dans la perspective d’une vente de la société Solendro. Des dissensions sont alors nées entre les actionnaires.


Le 26 mai 2020, la société CM Consultant et M. S T démissionnaient de leurs fonctions d’administrateurs. Le lendemain, M. Z convoquait une assemblée générale pour en nommer deux nouveaux en remplacement. Par assemblée générale du 30 mai 2020, 2 nouveaux administrateurs, non associés, ont été nommés.


Lors de l’assemblée générale ordinaire du 12 juin 2020, les comptes clos de l’exercice 2019 ont été approuvés, les mandats d’administrateurs de MM. Z, A et de la société Breega renouvelés, et celui de M. X non renouvelé.


Lors de l’assemblée générale du 15 juin 2020, les sociétés Breega et Iasol, MM. Q X et O J ont voté contre la nomination de la candidate proposée par les fondateurs, Mme U Z, associée du cabinet de conseil Accenture.

M. A et Z ont engagé une procédure de référé d’heure à heure pour qu’il soit fait injonction au signataires du pacte d’associés d’exécuter le pacte et de désigner, sous astreinte, Mme Z en remplacement de M. X.


Par ordonnance de référé rendue le 17 juillet 2020, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé et estimé que les demandes exposées par les Fondateurs relevaient de la compétence des juges du fond. Une assignation au fond devant le tribunal de commerce de Paris a donc été délivrée aux associés concernés le 17 juillet 2020. Cette procédure est toujours pendante devant le tribunal de commerce de Paris.


La société Iasol a alors décidé de convoquer une assemblée générale ordinaire le 20 juillet 2020, au cours de laquelle était votée la révocation de M. Z et la désignation de M. AI-AJ AK en qualité de nouveau président de la société.


Le commissaire aux comptes a, par courriel du 31 juillet 2020, invité les associés à trouver rapidement une solution au conflit qui les opposait, à défaut de quoi il serait contraint de déclencher une procédure d’alerte.


Par ordonnance sur requête du 4 août 2020, le Président du tribunal de commerce de Paris a désigné un mandataire ad hoc, en la personne de Maître V W, ayant notamment pour mission de participer à toutes les assemblées générales et aux conseils d’administration de la société afin de s’assurer du respect des stipulations des statuts et du pacte par l’ensemble des parties. Cette ordonnance a été rétractée par décision du 23 octobre 2020.


La société Iasol a alors décidé de convoquer une nouvelle assemblée générale ordinaire le 14 août 2020, et un conseil d’administration a été organisé le même jour à sa suite. M. A a été révoqué de ses fonctions de directeur général, les deux administrateurs nommés le 30 mai 2020 ont également été révoqués, et le mandat d’administrateur de M. X renouvelé. Le conseil d’administration a estimé qu’il s’agissait d’un fait générateur permettant de mettre en oeuvre la promesse de vente des actions de M. Z en cas de cessation des fonctions, conformément au pacte d’actionnaires.


Par ordonnance sur requête du 14 août 2020, le juge commis à la surveillance du RCS près le tribunal de commerce de Paris a refusé d’inscrire toute modification au Kbis résultant d’une assemblée générale ou d’un conseil d’administration auxquels Maître V W n’aurait pas participé, décision rétractée le 9 décembre 2020.


Le conseil d’administration du 11 septembre 2020 a estimé que la révocation de M. A constituait un fait générateur de nature à permettre la mise en oeuvre de la promesse de vente prévue au pacte en cas de cessation des fonctions.


Par exploit du 10 août 2020, MM. N Z et M A, aux côtés de la société Solendro, ont engagé une procédure à bref délai devant le tribunal de commerce de Paris, statuant au fond, afin de dire et juger inopposables pour fraude ou, subsidiairement, nulles et de nul effet les résolutions adoptées au cours de l’assemblée générale du 20 juillet 2020. Par exploit du 28 août 2020, ils ont sollicité que soient prononcées les mêmes sanctions à l’égard des résolutions adoptées par l’assemblée générale et par le conseil d’administration du 14 août 2020 et du 11 septembre 2020.


A titre très subsidiaire, il était demandé au tribunal de commerce de Paris d’indemniser le préjudice subi par Messieurs N Z et M A à raison des conditions et des conséquences de leur révocation, résultant notamment de l’application de la clause de 'bad leaver’ prévue au pacte.


A titre infiniment subsidiaire, il était demandé de requalifier la cession forcée des actions des Fondateurs en une clause pénale devant être modérée par le juge sur le fondement de l’article 1231-5 du code civil.


Le 2 novembre 2020, le conseil des intimés a adressé des conclusions de désistement pour le compte de la société Solendro. Elle a été remise dans la cause par le biais d’une intervention forcée du 6 novembre 2020.


Par jugement du 29 janvier 2021, le tribunal de commerce de Paris a jugé recevables MM. A et Z en leur action, a rejeté leurs demandes tendant à :


- A titre principal, dire et juger inopposables, en raison de leur caractère frauduleux, les résolutions prises au cours des assemblées générales de la société Solendro du 20 juillet 2020 et du 14 août 2020 et du conseil d’administration de cette même société du 14 août 2020 et du 11 septembre 2020 ;


- A titre subsidiaire, dire et juger ces résolutions nulles et de nul effet au regard, notamment, des dispositions des articles L.235-1 et L.227-9 du code de commerce ;


- A titre très subsidiaire, condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, MM. Q X et O J à leur verser (i) la somme de 1 369 200 euros chacun en indemnisation du préjudice résultant de la spoliation de leurs droits d’associés et (ii) la somme de 1 000 000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral résultant des circonstances de leur révocation; – A titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la clause de 'bad leaver’ prévue au pacte d’associés du 16 mai 2017 constitue une clause pénale et réviser cette clause en jugeant que les titres de MM. N Z et M A dans la société Solendro ne peuvent être transférés à une somme inférieure à 1 000 000 euros chacun ;


- En tout état de cause, condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, MM. Q X et O J à leur verser une somme de 600 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts visant à réparer le préjudice résultant de leur comportement abusif et déloyal depuis le mois de mai 2020 et une somme de 100 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


MM. Z et A ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 5 février 2021.

*****


Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 octobre 2021, MM. M A et N Z demandent à la cour de :


In limine litis,


- Prononcer l’irrecevabilité des demandes, fins et conclusions des sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J fondées sur la notion d’administrateur « indépendant

» et en particulier son instrumentalisation dans le cadre de la mise en 'uvre de la clause de « bad leaver » pour « faute lourde » à l’encontre de M. N Z ;


Sur le fond,


- Débouter les sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J de leur appel incident et de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;


- Confirmer le jugement rendu le 29 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a jugées recevables l’ensemble des demandes formées par Messieurs N Z et M A ;


- Infirmer le jugement du 29 janvier 2021 pour le surplus.


Statuant à nouveau,


A titre principal,


- Dire et juger qu’aux termes des statuts et du pacte d’associés du 16 mai 2017, le président et le directeur général de la société Solendro ne pouvaient être révoqués sans l’accord préalable du conseil d’administration ;


- Prononcer l’inopposabilité à MM. N Z et M A, à la société Solendro et à tout tiers intéressé, en raison de leur caractère frauduleux, des résolutions prises au cours des assemblées générales de la société Solendro du 20 juillet 2020, du 14 août 2020 et du 10 février 2021 et du conseil d’administration de cette même société du 14 août 2020 et du 11 septembre 2020 ;


A titre subsidiaire,


- Prononcer la nullité de ces résolutions au regard des dispositions des articles L.235-1 et L.227-9 du code de commerce ;


En conséquence,


- Ordonner le rétablissement de MM. N Z et M A en leurs fonctions respectives de président et de directeur général de Solendro, de membres du conseil d’administration et d’actionnaires à hauteur de 41,62% des titres de la société ;


- Ordonner le rétablissement de MM. AA E et AB D dans leurs fonctions de membres du conseil d’administration de la société Solendro ;


- Ordonner la désignation de Mme U Z au conseil d’administration de la société Solendro ;


- Ordonner à M. AI-AJ I, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, de quitter les locaux de la société et de cesser l’exercice de toutes fonctions et de tous mandats au sein de la société Solendro ;


- Procéder à la nomination, pour une durée de six mois, d’un administrateur provisoire ayant pour mission de (i) s’assurer de la pleine efficacité des dispositions de l’arrêt à intervenir et (ii) du respect des statuts et du pacte d’associés par l’ensemble des parties au présent litige, étant précisé que l’administrateur disposera de tous pouvoirs statutaires et pourra convoquer toute assemblée générale et tout conseil d’administration s’avérant nécessaires à l’exercice de ses fonctions ;


A titre très subsidiaire,
- Condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J à verser aux appelants la somme de 1 369 200 euros chacun en indemnisation du préjudice résultant de la spoliation de leurs droits d’associés ;


Subsidiairement, nommer tel expert qu’il plaira au tribunal de désigner afin de calculer le prix de cession des actions de MM. N Z et M A, au 30 juin 2020, conformément aux stipulations de l’article 10.1.2, b) du pacte d’associés aux termes duquel il est prévu qu’ « en cas de Cessation de Fonction Justifiée, la Promesse de Vente portera sur l’ensemble des Titres détenus par le Promettant qui seront Transférés à leur Valeur Réelle » ;


- Condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J à verser aux appelants la somme de 1 000 000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral résultant de la fraude et des circonstances abusives et vexatoires de leur révocation ;


A titre infiniment subsidiaire,


- Dire et juger que la clause de 'bad leaver’ prévue au pacte d’associés du 16 mai 2017 constitue une clause pénale et réviser cette clause en jugeant que les titres de MM. N Z et M A dans la société Solendro ne peuvent être transférés à une somme inférieure à 1 000 000 euros chacun ;


En tout état de cause,


- Condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J à verser aux appelants une somme de 600 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts visant à réparer le préjudice résultant de leur comportement abusif et déloyal depuis le mois de mai 2020 ;


- Condamner in solidum les sociétés Breega, Iasol, Solendro, MM. Q X et O J à leur verser une somme de 100 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;


- Condamner in solidum les intimés aux entiers dépens de l’instance, dont distraction faite au profit du cabinet GRV Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

*****


Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2022, la société BREEGA Capital Venture One, la société IASOL, M. Q X, M. O F et la société Solendro demandent à la cour de :


A TITRE LIMINAIRE :

' DÉCLARER IRRECEVABLES comme constituant des demandes nouvelles, les demandes suivantes formulées par Messieurs Z et A et visant à ce que soient ordonnés :


- rétablissement de MM. N Z et M A en leurs fonctions respectives de président et de directeur général de Solendo, de membres du conseil d’administration et d’actionnaires à hauteur de 41,62% des titres de la société ;


- rétablissement de MM. AA E et AB D dans leurs fonctions de membres du conseil d’administration de la société Solendro
- désignation de Mme U Z au conseil d’administration de la société Solendro; – injonction, sous astreinte, à M. AI-AJ I de quitter les locaux de la société et de cesser l’exercice de toutes fonctions et tous mandats au sein de la société Solendro ;


- désignation, pour une durée de six mois, d’un administrateur provisoire ayant pour mission de (i) assurer de la pleine efficacité des dispositions de l’arrêt à intervenir et (ii) du respect des statuts et du pacte d’associés par l’ensemble des parties au présent litige, étant précisé qu’il disposera de tous pouvoirs utiles et pourra convoquer toute l’assemblée générale et tout conseil d’administration s’avérant nécessaires à l’exercice de ses fonctions.


ENSUITE :

' CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 29 janvier 2021 en toutes ses dispositions SAUF EN CE qu’il a :


- considéré qu’il n’y avait pas lieu de juger nulle l’assignation délivrée le 2 septembre 2020 pour défaut de pouvoir de Messieurs Z et A pour représenter le société SOLENDRO ;


- déclaré les demandes de dommages et intérêts au titre des prétendus préjudices financier et moral invoqués par MM. Z et A recevables,

' En conséquence, INFIRMER le jugement sur ces deux points et RECEVOIR les intimées en leur appel incident.


Statuant à nouveau :


- JUGER que l’assignation délivrée le 2 septembre 2020 est nulle à l’égard de la société SOLENDRO,


- JUGER les demandes en dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et du préjudice moral formulées par MM. Z et A irrecevables,


A TITRE RECONVENTIONNEL :


- CONDAMNER solidairement MM. Z et A à verser à chacun des intimés la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi résultant du caractère abusif de la présente procédure ;


EN TOUT ETAT DE CAUSE :


- REJETER les demandes de MM. Z et A au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens,


- REJETER le surplus des demandes,


- CONDAMNER solidairement MM. A et Z à verser à chacun des intimés la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

SUR CE,

Sur l’irrecevabilité liée à la règle de l’estoppel


MM. Z et A font valoir que la faute lourde qui leur est reprochée consiste à leur faire grief de ne pas avoir convoqué le conseil d’administration pour désigner les remplaçants de la société CM
Consultant et de M. S T, administrateurs indépendants au sens du pacte d’associés, alors que les intimés avaient abandonné ce grief dans la procédure en référé.


Il ressort des conclusions produites en défense par les intimés dans le cadre de la procédure de référé engagée à l’été 2020 qu’ils ont indiqué ne pas contester la notion 'd’administrateur indépendant’ et ont demandé au président du tribunal de commerce, dans le dispositif de leurs conclusions, de 'constater que le débat ne porte pas sur la notion d’administrateur indépendant'.


Ils soutiennent désormais que la nomination de MM. D et E relevait de la catégorie des administrateurs indépendants et devait donc, à ce titre, faire l’objet d’une approbation préalable par le conseil d’administration.


Si leur position quant à la notion d’administrateur indépendant a évolué entre l’instance en référé et la présente instance, il n’en ressort pas pour autant une contradiction de nature à rendre la défense des intimés irrecevables, chacun pouvant faire évoluer ses arguments et moyens en cours d’une instance à l’autre. Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande d’irrecevabilité.

Sur l’absence de la société Solendro à la présente instance


Les intimés font valoir que la société Solendro s’est désistée de son action mais qu’elle a fait l’objet d’une assignation en intervention forcée le 6 novembre 2021 ; que les appelants ne formulent aucune demande à son égard, sauf en ce qui concerne l’article 700 du code de procédure civile.


Ils ajoutent que l’assignation délivrée à leur encontre le 2 septembre 2020, au nom de la société, est nulle puisque que la société Solendro indique être représentée par M. Z son président et M. A son directeur général, ce qu’ils ne sont plus depuis juillet et août 2020.


Ils demandent l’infirmation du jugement qui a refusé d’annuler cette assignation pour défaut de pouvoir de MM. Z et A.


Les appelants répliquent que l’absence de la société Solendro de la procédure résulte de manoeuvres des intimés. Ils demandent la confirmation du jugement sur ce point.


Il est constant que la société Solendro n’est plus demanderesse dans la présente procédure, dans la mesure où elle s’est désistée des procédures introduites par MM. A et Z, dont l’examen de la régularité des actes d’assignation n’a donc plus de pertinence, au vu du désistement ultérieur.


Cependant, la société Solendro a fait l’objet d’une assignation en intervention forcée le 6 novembre 2021 par MM. Z et A. Dans leurs dernières conclusions, les appelants formulent à l’égard de la société Solendro plusieurs demandes, comme l’inopposabilité des résolutions adoptées lors des assemblées générales des 20 juillet 2020, 14 août 2020 et 10 février 2021 et des conseils d’administration des 14 août et 11 septembre 2020, et sa condamnation in solidum sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Sa présence dans la cause en tant que défenderesse, et en tant qu’intimée en cause d’appel, est donc régulière.

Sur l’irrecevabilité de certaines demandes de MM. Z et A


Les intimés font valoir plusieurs irrecevabilités concernant les demandes formées par les appelants :


- la demande de dommages et intérêts liée au rachat à vil prix des actions : ce rachat résulte de la qualification retenues par le conseil d’administration de 'cessation des fonctions non justifiées', au sens des statuts ; or les décisions du conseil d’administration ne peuvent être remises en cause que par la société elle-même ; en outre cette demande ne peut être formée à l’encontre de M. F, qui n’est pas signataire du pacte d’associés prévoyant la clause de bad leaver ainsi qu’à l’encontre de M. Q X, qui n’est pas bénéficiaire de cette clause même s’il est signataire du pacte ;


- la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la révocation abusive ne peut être formée que contre la société que les dirigeants révoqués dirigeaient ; que les associés ne peuvent être mise en cause qu’en cas de faute personnelle commise à l’encontre du dirigeant révoqué, faute interprétée très strictement par la jurisprudence ;


- les demandes de 'rétablissement de MM. N Z et M A en leurs fonctions respectives de président et de directeur général de Solendro, de membres du conseil d’administration et d’actionnaires à hauteur de 41,62% des titres de la société ; rétablissement de Messieurs AA E et AB D dans leurs fonctions de membres du conseil d’administration de la société Solendro ; désignation de Mme U Z au conseil d’administration de la société Solendro ; injonction, sous astreinte, à Monsieur AI-AJ I de quitter les locaux de la société et de cesser l’exercice de toutes fonctions et tous mandats au sein de la société Solendro ; désignation, pour une durée de six mois, d’un administrateur provisoire ayant pour mission de assurer de la pleine efficacité des dispositions de l’arrêt à intervenir et du respect des statuts et du pacte d’associés par l’ensemble des parties au présent litige, étant précisé qu’il disposera de tous pouvoirs utiles et pourra convoquer toute l’assemblée générale et tout conseil d’administration s’avérant nécessaires à l’exercice de ses fonctions' sont nouvelles en cause d’appel.


Les appelants répliquent que ces demandes ne sont pas nouvelles au sens de l’article 564 mais constituent le prolongement logique et nécessaire de la demande d’inopposabilité pour fraude et de retour au statu quo, et sont donc l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes d’inopposabilité ou de nullité.


Ils indiquent que les tiers à un contrat ne peuvent pas faire sciemment obstacle à son exécution ; que M. F a pris part au concert frauduleux et aux exactions commises par le groupe d’associés majoritaire, tout comme Q X qui a été un des personnes moteur du conflit.


Ils indiquent enfin qu’ils ne peuvent être considérés comme forclos au sens de l’article 10.3.4 du pacte pour ne pas avoir contesté le prix dans le délai prévu ; qu’ils ne contestent pas le prix de la cession qui serait intervenue dans des conditions régulières, mais l’existence même de la cession, compte tenu de la fraude dont elle est entachée.


D’une part, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la société Solendro a été régulièrement attraite dans la cause ; qu’ainsi, les demandes d’inopposabilité ou de nullité de certaines de ses assemblées générales et de certains de ses conseils d’administrations, qui ont retenu la qualification de 'cessation des fonctions non justifiée ', sont donc recevables. Ces demandes liées à la mise en oeuvre de la clause de 'bad leaver’ sont également recevables à l’encontre de MM. G et X, dans la mesure où, même tiers à cette clause, il leur est reproché divers actes ayant contribué à la réalisation du dommage résultant de la mise en oeuvre de cette clause.


D’autre part, si la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la révocation abusive doit en principe être dirigée vers la société au sein de laquelle le mandat était exercée, elle peut également être dirigée vers les actionnaires de ladite société s’ils ont commis une faute personnelle à l’encontre du dirigeant révoqué. L’appréciation de l’existence d’une faute personnelle résulte d’un examen au fond de la demande, et ne concerne donc pas sa recevabilité.


Enfin, aux termes des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile, 'Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.'. MM. Z et A demandaient aux premiers juges de prononcer l’inopposabilité ou la nullité des résolutions adoptées lors des assemblées générales des 20 juillet et 14 août 2020 ainsi que des conseils d’administration des 14 août et 11 septembre 2020. Par suite, les demandes de rétablissement de MM. Z et A dans leurs fonctions respectives et de départ de M. H nommé nouveau Président, comme la demande de désignation d’un administrateur provisoire s’analysent comme une conséquence des demandes de rétablissement et de désignations susmentionnées. Seule la demande de désignation de Mme Z comme administrateur, dont la nomination a été refusée lors de l’assemblée du 15 juin 2021 apparaît sans lien avec les demandes formées en première instance.


Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de faire droit à la demande d’irrecevabilité de la demande de désignation de Mme U Z comme administrateur, et de rejeter les autres demandes d’irrecevabilités soulevées par les intimés.

Sur l’inopposabilité des résolutions adoptées lors des assemblées générales ses 20 juillet 2020 et 14 août 2020 ainsi que des conseils d’administration des 14 août 2020 et 11 septembre 2020, pour fraude ou, à titre subsidiaire, sur leur nullité


MM. Z et A font valoir l’existence d’un concert frauduleux organisés par les investisseurs pour les évincer et les spolier, qui résulte de diverses manoeuvres :


- Sur les irrégularités entachant la révocation des fondateurs aux assemblées générales des 20 juillet et 14 août 2020

* Les appelants font valoir qu’aux termes des articles 15 des statuts et 11.3.1.b du pacte d’associés, il est nécessaire d’obtenir l’approbation préalable du conseil d’administration pour révoquer les Fondateurs en assemblée générale ; qu’ils ont en l’espèce été révoqués en l’absence d’une telle approbation.


Ils reprochent au tribunal de commerce d’avoir écarté l’application de cette disposition dans l’hypothèse de la révocation du président, au motif que celui-ci dispose au sein du conseil d’administration d’une majorité de blocage qui reviendrait à priver l’assemblée des actionnaires de toute possibilité de le révoquer. Ils font valoir qu’il n’existe aucune contradiction entre la possibilité de révoquer à tout moment et sans préavis le président et la nécessaire approbation préalable du conseil d’administration et que la volonté des parties est très clairement exprimée dans le pacte d’associés.

* Les appelants font également valoir que l’article L. 227-1 du code de commerce qui permet la révocation d’un administrateur ou d’un membre du conseil de surveillance en toutes circonstances par l’assemblée générale ne s’applique pas aux sociétés par actions simplifiée. Ils estiment que la révocation de M. Z ne figurant pas à l’ordre du jour, l’assemblée ne pouvait décider de la voter 'sur incident de séance'.


Ils ajoutent que cet incident de séance est une mise en scène des investisseurs qui ont utilisé cette théorie des incidents de séance pour procéder à la révocation de M. Z de manière déloyale.

* Les appelants contestent enfin le raisonnement des premiers juges qui ont retenu que les décisions prises en assemblée les 20 juillet et 14 août 2020 ont été ratifiées a posteriori par le conseil d’administration, alors que le pacte et les statuts exigeaient un accord préalable; qu’en outre, la composition du conseil d’administration a été altérée en violation des statuts.


- Sur les irrégularités entachant la nomination de M. AI-AJ I


Les appelants font valoir que la nomination d’un nouveau président exigeait elle aussi l’accord préalable du conseil d’administration, et ne pouvait être ratifiée à posteriori.


- Sur les atteintes portées à la composition du conseil d’administration
Les appelants rappellent que la composition de cet organe devait leur permettre d’en conserver le contrôle et qu’aucune décision significative, telle la révocation des dirigeants, ne pouvait être prise sans son approbation préalable. Ils estiment que le renouvellement du mandat de M. X le 14 août 2020 constitue une violation des dispositions du pacte d’associés dans la mesure où les investisseurs avaient déjà épuisé leur quota de nominations, disposant déjà de 4 membres nommés à leur initiative.


Ils reprochent au tribunal d’avoir jugé que leurs droits spécifiques ne sauraient survivre à leur révocation, qui entraîne la mise en jeu de la promesse de vente alors qu’au 14 août, ils étaient toujours actionnaires, les promesses de vente n’ayant pas été levées et qu’ils pouvaient donc exercer les droits prévus au pacte.


Ils contestent la faute retenue par le tribunal à l’encontre de M. Z tenant à ce qu’il a convoqué une assemblée générale le 30 mai 2020 pour faire désigner deux administrateurs indépendants sans avoir sollicité l’approbation préalable du conseil d’administration, estimant qu’il ne s’agissait pas d’administrateurs indépendants mais d’administrateurs dont ils avaient la liberté de nomination, conformément au pacte, dès lors que ces administrateurs satisfaisaient à des critère de compétence et de secteur d’activité.


Ils contestent également avoir voulu se soustraire au vote du conseil d’administration, au motif qu’ils n’avaient pas la majorité qualifiée renforcée exigée pour une telle nomination, dès lors que le pacte obligeait les membres du conseil d’administration à voter pour le candidat présentée par les fondateurs (article 11.1.3).


Ils déduisent de toutes ces violations des statuts et des pactes et de leur mise en scène qu’une fraude est caractérisée, ce qui entraîne l’inopposabilité de l’ensemble des résolutions contestées. Ils demandent le retour au statu quo ante, à savoir leur rétablissement dans leurs fonctions respectives, le rétablissement de MM. E et D dans leurs fonctions de membres du conseil d’administration, la désignation de Mme Z au conseil d’administration, l’injonction sous astreinte à M. I de quitter les locaux de la société et cesser l’exercice de toute forme de mandat au sein de la société Solendro et la désignation pour une durée de 6 mois, d’un administrateur provisoire ayant pour mission de s’assurer de la pleine efficacité des dispositions de l’arrêt à intervenir et du respect des statuts et du pacte d’associés par l’ensemble des parties au présent litige.


Les appelants demandent à défaut d’inopposabilité la nullité de ces assemblées générales sur le fondement des articles L.235-1 et L.227-9 du code de commerce. Ils rappellent que la nullité est encourue en cas de fraude ou en cas de violation d’une clause statutaire dans le cas particulier où il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci .


Les intimés répliquent que cette demande d’inopposabilité n’a pas de sens et d’utilité, les décisions en litige restant opposables aux autres associés ; qu’elle n’est jamais retenue par la jurisprudence.


Ils demandent la confirmation du jugement qui n’a pas retenu l’existence d’une fraude ou de violations répétées des statuts et du pacte par eux, relevant au contraire la désignation irrégulière par MM. Z et A de deux administrateurs contre la volonté des autres associés pour tenter de retrouver la majorité des voix au conseil d’administration qu’ils avaient perdu suite à la démission de deux administrateurs qui étaient en désaccord avec eux.


Ils font valoir plusieurs points concernant les assemblées générales en litige :


- sur les modalités de révocation du président et du directeur général :


Ils répliquent d’une part que l’absence d’approbation préalable par le conseil d’administration n’est pas sanctionnée par la nullité de la délibération, puisque dans les sociétés par actions simplifiées, seule la violation d’une clause des statuts constituant le prolongement d’une disposition légale impérative permet le prononcé d’une nullité. Cette autorisation préalable visait seulement, selon eux, à contrôler les décisions prises par la direction, mais pas les décisions prises par les associés eux-mêmes.


Il ajoutent que s’il existe une contradiction au sein des statuts, leur lecture permet néanmoins de constater que les associés ont souhaité faire primer le principe de libre révocation des dirigeants, l’article 13.2 prévoyant que le président peut être révoqué à tout moment et sans préavis, par décision collective des associés, sans que ceux-ci aient à justifier d’un motif quelconque, modalités également applicable au directeur général selon l’article 14.1. Ils concèdent que les statuts comportent une contradiction entre l’article 18 qui donne seule compétence aux associés pour nommer ou révoquer le président et le directeur général, et l’article 15 qui prévoit que la nomination et la révocation du président et du directeur général ne peuvent être par les associés qu’après obtention de l’approbation préalable du conseil d’administration statuant à la majorité simple ; or seul le président pouvant convoquer un conseil d’administration, ces dispositions sont susceptibles de créer une situation de blocage et conférer, de facto, une sorte d’immunité au président.


Ils soutiennent enfin qu’en cas de contradiction entre les dispositions statutaires et celle du pacte d’associés, ce sont les premières qui doivent s’appliquer, et notamment l’article 13 des statuts octroyant aux associés la possibilité de révoquer leurs dirigeants à tout moment.


- Sur la ratification des révocations de MM. Z et A


Les intimés font valoir qu’en tout état de cause, ces révocations ont été approuvées par le conseil d’administration et que le vice ayant été réparé, il n’y a plus lieu à nullité.


S’agissant des conseils d’administration en litige, ils font valoir qu’il n’est pas contesté qu’ils se sont tenus dans le respect des règles édictées par le pacte, que c’est en application du pacte d’associés qu’a été mis à leur ordre du jour la question du fait générateur en cas de cessation des fonctions.


En matière de SAS, le statut des dirigeants, et notamment la question de leur révocation relève, dans le silence de la loi, de la liberté contractuelle. Ainsi, leur révocation ad nutum comme leur irrévocabilité peuvent être envisagées.


En l’espèce, il ressort des statuts de la société Solendro, et notamment de son article 13.2, que le président peut être révoqué à tout moment et sans préavis, par décision collective des associés, sans que ceux-ci aient à justifier d’un motif quelconque, et sans que celui-ci puisse prétendre à une quelconque indemnité. Aux termes de l’article 15 de ces statuts, le conseil d’administration doit donner son accord préalable, à la majorité simple, pour la nomination ou la révocation du président et du directeur général. L’article 18 relève que la décision de révocation du président ou du directeur général est de la seule compétence des associés.


Le pacte d’associés, qui prévoit en cas de conflit avec les statuts, sa prévalence sur ceux-ci, indique dans son article 11.3.1 que la question de la révocation des fondateurs ne peut être soumise à l’assemblée générale qu’après autorisation préalable du conseil d’administration statuant à la majorité qualifiée, entendu comme la majorité simple comprenant le vote favorable d’un représentant d’Iasol et d’un représentant de Breega. Par suite, la seule divergence réside dans les modalités d’acquisition de la majorité pour l’accord préalable du conseil d’administration, modalités plus contraignantes dans le pacte que dans les statuts.


Contrairement à ce qu’allèguent les intimés, les dispositions des statuts ne révèlent aucune contradiction, le principe de la liberté de révocation des dirigeants par les associés pouvant être assorti de conditions, comme, en l’espèce, la nécessité de recueillir un accord préalable du conseil d’administration. La circonstance que ce conseil d’administration soit composé, aux termes du pacte, de 10 membres dont 6 sont nommés par les fondateurs, ce qui leur donne la majorité simple et leur permet de bloquer l’accord préalable du conseil d’administration, n’est pas de nature à entacher d’incohérence ces statuts, les parties disposant d’une liberté contractuelle totale pouvant aller jusqu’à l’irrévocabilité des dirigeants.


Ce mécanisme de blocage ne peut avoir échappé aux intimés, qui sont pour l’essentiel des professionnels de l’investissement et de la prise de participation dans les sociétés, d’autant qu’ils ont affirmé la nécessité d’obtenir l’accord préalable du conseil d’administration pour la révocation des dirigeants dans les statuts et dans le pacte d’associés signé par certains d’entre eux avec les deux fondateurs. Il y a donc lieu de constater que la volonté des parties étaient bien de soumettre la possibilité pour l’assemblée générale de révoquer le président et le directeur général à l’accord préalable du conseil d’administration dont la majorité des membres leur était acquise, sans qu’une quelconque contradiction ou obscurité de ces actes n’autorise le juge à les interpréter.


Il en résulte que la révocation de M. Z le 20 juillet 2020, et celle de M. A le 14 août 2020, dont il n’est pas contesté qu’elles ont été votées en assemblée générale sans accord préalable du conseil d’administration, contreviennent aux statuts et au pacte d’associé. La circonstance que le conseil d’administration ait, postérieurement aux assemblés générales en litige, donné son accord, n’est pas de nature à régulariser la procédure de révocation, dont les termes très clairs exigent l’accord préalable.


Les appelants soutiennent que cette violation des dispositions statutaires s’inscrit dans le cadre d’un concert frauduleux menés par les investisseurs à leur encontre, dont la mise en scène d’un incident de séance lors de l’assemblée générale du 20 juillet 2020 ferait notamment partie.


Si la théorie dite des incidents de séance, qui trouve une application concrète dans l’article L. 225-105, alinéa 3 du code de commerce, autorise l’assemblée générale à voter valablement la révocation du mandat d’un administrateur ou d’un membre du conseil de surveillance de SA même si elle n’a pas été inscrite à l’ordre du jour, elle ne peut être appliquée aux SAS que si une disposition statutaire le prévoit expressément, dans la mesure où le 3ème alinéa de l’article L. 225-105 précité figure parmi les dispositions rendues inapplicables à la SAS en vertu de l’article L. 227-1, alinéa 3, du même code. En l’espèce, aucune disposition statutaire ne permettait à l’assemblée générale de la société Solendro de procéder à des révocations non inscrites à l’ordre du jour, et alors qu’en outre la société Solendro n’est pas dotée d’un conseil de surveillance. Il en résulte que la révocation de M. Z sur ce fondement le 20 juillet 2020 constitue également une violation des dispositions statutaires.


Le contexte conflictuel régnant entre les deux fondateurs et les autres actionnaires, ainsi que l’échange de courriels du 3 juin 2020, soit quelques semaines auparavant, entre MM. J, X, K et AC (administrateur choisi par la société Iasol), démontrent la volonté de ces derniers de révoquer MM. A et Z. Il ressort également de cet échange que M. AC propose de convoquer un conseil d’administration pour procéder à la révocation, ce qui démontre la connaissance qu’avaient ces actionnaires/administrateurs de ce que l’accord préalable du CA était requis. Ainsi, la proposition de M. K, représentant la société Iasol actionnaire lors de l’assemblée générale en litige du 20 juillet 2020,de révoquer sur incident de séance M. Z, ainsi que la présence à cette assemblée, sans raison particulière, de l’avocat de la société Iasol qui a pris le rôle de secrétaire de séance et est intervenu afin de qualifier la proposition de révocation de M. K d’incident de séance, constituent des manoeuvres frauduleuses destinées à permettre aux associés de mettre en oeuvre leur volonté antérieurement évoquée de révocation du président en contournant les règles des statuts et du pacte, qu’ils savaient pertinemment ne pas pouvoir respecter.


S’agissant de la révocation de M. A, il apparaît qu’elle a été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale du 14 août 2020 10h30 sans qu’aucun conseil d’administration n’ait préalablement été convoqué pour autoriser la résolution, en violation des dispositions des statuts et du pacte. Ce conseil n’a été organisé qu’à la suite de l’assemblée générale, à 12h, afin de 'ratifier’ les révocations de M. Z et A et de 'ratifier’ la nomination de M. I comme nouveau président. Le rapport établi par M. I président en vue de ce conseil d’administration confirme la parfaite connaissance qu’avaient les associés/administrateurs de ce qu’un accord préalable du conseil d’administration était nécessaire, ce rapport expliquant sans détour que les révocations de MM. Z et A par les assemblées générales des 20 juillet et 14 août 2020 n’ayant pas été préalablement autorisées par ledit conseil, il faut 'pallier le défaut d’autorisation préalable du conseil d’administration' en lui demandant 'de ratifier la révocation de M. Z et (…) de M. A'.


Il en résulte qu’à l’occasion de la révocation de M. A, les intimés ont là encore décidé, en toute connaissance de cause, de méconnaître les règles statutaires et du pacte.


Les appelant évoquent également le renouvellement du mandat d’administrateur de M. X le 14 août 2020, alors que les investisseurs avaient déjà nommé 4 des 10 membres du conseil d’administration, comme le prévoit le pacte d’associés. Il ressort des pièces du dossier que M. X est à l’origine un associé nommé administrateur par les deux fondateurs qui a ensuite, dans le conflit opposant les investisseurs aux fondateurs, pris position pour les investisseurs. Les deux fondateurs n’ont donc pas souhaité renouveler son mandat lors de l’assemblée générale du 12 juin 2020 qui devait statuer sur ce point. Ils ont ainsi, en cours de séance, indiqué que la résolution concernant le renouvellement de M. X ne serait pas soumise au vote et qu’une prochaine assemblée générale serait convoquée très prochainement pour désigner son remplaçant. Contrairement à ce que soutiennent les intimés, l’article 18.1 prévoit que le renouvellement du mandat des administrateurs relèvent de la compétence de l’assemblée générale, mais n’oblige pas les fondateurs à proposer les mêmes candidats, d’un mandat à l’autre. Par suite, MM. Z et A pouvaient, à l’expiration du mandat de M. X, décider de proposer un autre administrateur à sa place, et retirer la résolution de renouvellement sans pour autant commettre un abus. Le renouvellement du mandat de M. X le 14 août 2020 à l’initiative des investisseurs ne pouvait donc avoir lieu, ceux-ci ayant déjà 4 membres désignés par eux au conseil d’administration, conformément à ce que prévoit le pacte. La circonstance que MM. Z et A aient été, à cette date, révoqués de leurs mandats de président et directeur général, est sans incidence sur l’application dudit pacte, qui conditionne ces nominations à la détention d’une fraction du capital et non pas à l’exercice d’un quelconque mandat. Or il est constant qu’à cette date, MM. Z et A étaient toujours associés de la société Solendro.


Il en résulte que ce renouvellement intervenu le même jour que la révocation de M. A, constitue également une manoeuvre de la part des investisseurs pour évincer les deux fondateurs de la société au mépris des règles des statuts et du pacte d’associés.


Les appelants évoquent enfin la révocation par les investisseurs des deux administrateurs désignés lors de l’assemblée générale du 30 mai 2020, MM. D et E, comme manoeuvre frauduleuse. L’article 15 des statuts exige l’accord préalable du conseil d’administration pour la proposition à l’assemblée générale d’administrateurs indépendants. Ceux-ci peuvent être définis comme l’administrateur n’entretenant aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement. L’article 15-1 des statuts prévoie que le conseil d’administration sera composé de 10 membres au maximum, 'associés ou non, qui en raison de leur expertise et de leur expérience seront à même de se prononcer notamment sur la stratégie de la société' ; 'qu’en cas de vacance par décès ou démission d’un ou plusieurs sièges, le conseil d’administration peut, entre deux décisions collectives des associés délibérant sur les comptes sociaux de l’exercice, procéder à des nominations à titre provisoire', qui seront ratifiées lors de la prochaine décision collective des associés ; que 'la collectivité des associés pourra révoquer à tout moment tout membre du conseil d’administration'.


Il en résulte que M. Z, plutôt que de convoquer dans la précipitation une assemblée générale un samedi, aurait dû, en application de l’article 15.1 des statuts, convoquer un conseil d’administration afin de procéder à des nominations provisoires, dans l’attente de l’assemblée générale du mois suivant d’approbation des comptes. Cependant, il ne peut lui être reproché une violation de l’article 15 des statuts dans la mesure où les nominations envisagées ne répondent pas à la définition de l’administrateur indépendant, mais constituaient des nominations 'à la main’ des deux fondateurs en application du pacte d’associés. L’intérêt de soumettre de telles nominations, pour lesquelles les associés se sont engagés à donner un avis favorable, à un accord préalable du conseil d’administration apparaît en outre assez réduit.


En tout état de cause, en application de l’article 15.1 précité, l’assemblée générale du 14 août 2020 pouvait révoquer ces deux administrateurs dont la nomination n’avait en outre pas été effectuée conformément aux dispositions de l’article 15.1 des statuts. Cependant, ces révocations interviennent, là encore, le même jour que le renouvellement du mandat de M. X et que la révocation de M. A, tous deux contraires aux dispositions des statuts et du pacte d’associés, constituant une étape de plus dans le renversement de la gouvernance de la société Solendro dans le courant de l’été 2020.


Il résulte de tous ces événements que dans un contexte conflictuel extrême, les investisseurs ont décidé de révoquer les deux fondateurs de la société Solendro, ainsi que les administrateurs qu’ils avaient nommés, et ont, pour ce faire, utilisé des moyens déloyaux destinés à leur permettre d’échapper à l’application des règles des statuts de la société et du pacte d’associés que certains d’entre eux avaient signé. Ces manoeuvres caractérisent l’existence d’une fraude commise au détriment de MM. Z et A.


Cependant, la sanction de la fraude n’est pas l’inopposabilité des décisions prises dans le cadre de ce concert frauduleux, cette sanction ne trouvant à s’appliquer que dans le cadre de l’action paulienne, et non pas en droit des sociétés, mais la nullité des actes entachés de fraude.


La révocation de M. Z le 20 juillet 2020, et celle de M. A le 14 août 2020, qui ont été adoptées par l’assemblée générale des associés dans le cadre de manoeuvres frauduleuses visant à faire échec à l’application des règles régissant la vie de la société, doivent donc être annulées. Ceux-ci doivent donc être réintégrés dans leurs fonctions respectives de président et directeur général.


Il en résulte que la nomination subséquente de M. I en remplacement de M. Z doit être annulée ; que la mise en oeuvre de la clause de bad leaver doit également être annulée, puisqu’il n’y a pas eu de fait générateur (cessation des fonctions non justifiée) du fait de l’annulation des révocations de MM. Z et A.


Compte tenu du contexte particulièrement conflictuel qui régit les relations entre les parties, il y a lieu de nommer un administrateur provisoire, en la personne de Me L, pour une durée de 6 mois, afin de permettre la réintégration de MM. Z et A dans leurs fonctions et le départ de M. I, pour lequel il n’y a pas lieu de donner des injonctions sous astreinte.


Concernant les administrateurs, il y a également lieu d’annuler le renouvellement du mandat de M. X et la révocation de MM. D et E. Il appartiendra à MM. MM. Z et A, réintégrés, de procéder aux nominations d’un administrateur le remplaçant conformément aux dispositions du pacte.


Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les demandes formées à titre très subsidiaire et infiniment subsidiaire par les appelants, il y a donc lieu d’infirmer le jugement attaqué.

Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive


Les intimés demandent sur ce fondement que les appelants soient condamnés à leur verser à chacun d’entre eux la somme de 10 000 euros.


Les prétentions des appelants étant accueillies par la cour, il y a lieu de constater que les appelants ont usé à bon droit des voies de recours, et qu’aucun abus n’est caractérisé à ce titre. La demande sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles


Les appelants demandent à ce titre la condamnation in solidum des intimés à leur verser chacun la somme de 100 000 euros.


Les intimés demandent sur ce fondement chacun la somme de 20 000 euros.


Il y a lieu de condamner in solidum la société Breega Capital Venture One, la société Iasol, M. Q X et M. O AE, qui succombent, à payer la somme de

10 000 euros à chacun des appelants.

PAR CES MOTIFS


Déboute M. N Z et M. M A de leur demande d’irrecevabilité fondée surt la règle de l’estoppel,


Déboute les intimés de leur demande de nullité de l’assignation de la société Solendro,


Déclare irrecevable la demande tendant à 'ordonner la désignation de Mme U Z au conseil d’administration de la société Solendro',


Déboute les intimés de leurs autres demandes d’irrecevabilité,


Infirme le jugement attaqué en ce qu’il a débouté M. N Z et M. M A de leurs demandes et les a condamnés in solidum à payer la somme de 2 000 euros à la société Brega Capital Venture One, 2 000 euros à la société Iasol, 2 000 euros à M. Q X et 2 000 euros à M. O J, ainsi que les entiers dépens,


Statuant à nouveau,


Annule la délibération du 20 juillet 2020 ayant prononcé la révocation de M. N Z de son mandat de président de la société Solendro,


Annule la délibération du 14 août 2020 ayant prononcé la révocation de M. M A de son mandat de directeur général de la société Solendro,


Annule la délibération du 14 août 2020 ayant renouvelé le mandat d’administrateur de M. Q X,


Annule la délibération du 14 août 2020 ayant prononcé la révocation de MM. D et E de leurs mandats d’administrateurs,


En conséquence,


Ordonne le rétablissement de M. N Z en son mandat de président, de membre du conseil d’administration et d’actionnaire, et de M. M A en son mandat de directeur général, de membre du conseil d’administration et d’actionnaire,
Désigne Maître AF L en qualité d’administrateur provisoire pour une durée de 6 mois afin de s’assurer du rétablissement de MM Z et A en leurs fonctions, étant précisé que l’administrateur provisoire disposera de tous pouvoirs statutaires et pourra convoquer toute assemblée générale et tout conseil d’administration s’avérant nécessaire à l’exercice de ses fonctions,


Dit que la société Solendro consignera la somme de 3 000 euros à valoir comme provision sur les honoraires qui seront dus à Maître L,


Ordonne le rétablissement de MM. D et E dans leurs mandats d’administrateurs et enjoint à MM. N Z et M A de procéder à la nomination d’un administrateur remplaçant M. Q X,


Déboute M. N Z et M. M A du surplus de leurs demandes,


Déboute la société Breega Capital Venture One, la société Iasol, M. Q X, M. O AE et la société Solendro de leurs demandes reconventionnelles et de leur demande formée sur le fondement des dispostions de l’article 700 du code de procédure civile,


Condamne in solidum la société Breega Capital Venture One, la société Iasol, M. Q X et M. O AE à payer la somme de 10 000 euros à chacun des appelants, M. AG AH et M. M A,


Condamne in solidum la société Breega Capital Venture One, la société Iasol, M. Q X et M. O AE aux entiers dépens de l’instance.


La greffière La présidente
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 31 mars 2022, n° 21/02463