Cour d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 13 janvier 2022, n° 21/00861

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 3e ch., 13 janv. 2022, n° 21/00861
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 21/00861
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Montauban, 17 février 2021
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

13/01/2022

ARRÊT N° 22/2022

N° RG 21/00861 – N° Portalis DBVI-V-B7F-N73U


CBB/CD


Décision déférée du 18 Février 2021 – Président du TJ de MONTAUBAN

Mme X

E.U.R.L. DOG’S CITY


C/

E Z


INFIRMATION


Grosse délivrée

le

à


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

3ème chambre

***


ARRÊT DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTE

E.U.R.L. DOG’S CITY prise en la personne de son représentant légal audit siège

[…]

[…]


Représentée par Me Thierry DALBIN, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

INTIMÉE Madame E Z

[…]

[…]


Représentée par Me Anna SANCHEZ-THERENE, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Octobre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. I-J, Président de chambre chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


C. I-J, président


O. STIENNE, conseiller


F. GIROT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridctionnelles

Greffier, lors des débats : M. G

ARRET :


- CONTRADICTOIRE


- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties


- signé par C. I-J, président, et par M. G, greffier de chambre

FAITS


A la suite d’une visite le 7 novembre 2020 au chenil de l’EURL Dog’s City dont la gérante est Madame Y, Madame Z a publié le 24 novembre 2020 l’avis suivant sur Google':

«'Dame désagréable.

Les mères des chiots ne sont pas présentent alors que les chiots ne sont pas sevrés. ILLEGAL !!

C’est bien simple, dès que vous demandez ne serait ce qu’une photo des parents des chiots, MME Y rentre dans une colère noire et vous menace de ne pas vous confier le chiot si vous ne lui faites pas confiance.

Après vérification des avis sur Google, la plus part sont faux. Issus de comptes douteux. Enfin, après un appel à la SPA de Montauban, je vous confirme que cette dame est connue des services et que plusieurs personnes ont déjà déposés des plaintes auprès des autorités compétentes pour fermer cet élevage.

FAITES DE MEME ET RENSEIGNEZ VOUS »


L’EURL Dog’s City a mis en demeure Mme Z de supprimer cet avis par lettre recommandée avec accusé de réception.

PROCEDURE
Par acte en date du 17 décembre 2020, l’EURL Dog’s City a assigné Madame E Z devant le juge des référés près le tribunal judiciaire de Montauban afin de la voir condamner à supprimer son avis Google sous astreinte et obtenir une provision de 12 000€ à valoir sur son préjudice lié à une atteinte à l’honneur.


Par ordonnance contradictoire en date du 18 février 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban a :


- rejeté les demandes formées par l’EURL Dog’s City ;


- rejeté la demande reconventionnelle formée par Madame Z ;


- condamné l’EURL Dog’s City à payer à Madame Z la somme de 1200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.


L’EURL Dog’s City a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 24 février 2021. L’ensemble des chefs du dispositif de la décision sont critiqués.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

L’EURL Dog’s City dans ses dernières écritures en date du 13 octobre 2021 demande à la cour au visa des articles 835 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, de':


- Infirmer partiellement l’ordonnance dont appel en ce qu’elle a :

*débouté l’EURL Dog’s City de sa demande tendant à condamner Mme Z à supprimer son avis dénigrant sur le site Google My Business de l’EURL Dog’s City sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir .

*débouté l’EURL Dog’s City de sa demande tendant à la condamnation de Mme Z à une somme provisionnelle de 12 000 € pour atteinte à l’honneur et à la considération,

*condamné l’EURL Dog’s City à payer à Mme Z la somme de 1200 € au titre des frais irrépétibles,

*condamné l’EURL Dog’s City aux entiers dépens,

*débouté l’EURL Dog’s City de sa demande au titre des frais irrépétibles,

*débouté l’EURL Dog’s City de sa demande au titre des dépens.


Et statuant à nouveau,


- condamner Madame Z à supprimer son avis dénigrant sur le site Google My Business de l’EURL Dog’s City sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,


- condamner Madame Z à verser une somme de 12 000 € à titre de provision.


- débouter Madame Z de son appel incident en dommages et intérêts pour préjudice moral,


- condamner Madame Z à la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamner Madame Z aux entiers dépens de première instance et d’appel.


Elle soutient que':


- il suffit qu’un seul grief ne soit pas avéré ou douteux pour que l’avis soit considéré dans son ensemble comme dénigrant,


- les conditions d’une critique légale ne sont pas réunies': le commerce de chiens n’est pas un sujet d’intérêt général'; les faits relayés sur l’absence des mères des chiots non sevrés sans n° d’identification sont faux (aucune illégalité)'et les avis sur Google ne sont pas issus de comptes douteux'; les plaintes à la SPA ne sont pas avérées'; et la divulgation d’un simple acte de poursuite ou une plainte est considérée comme une information dénuée de base légale et particulièrement en l’espèce où Mme Z ne produit qu’une plainte postérieure à l’assignation encore qu’il s’agisse de sa propre plainte'; quant aux attestations de témoins et la pétition (dont on ne connaît pas le sort qui lui a été réservé), elles ont été établies postérieurement à l’assignation pour les besoins de la procédure'; les voisins poursuivent la fermeture du chenil qui empêche la constructibilité de leurs terrains';


- dépourvue de base factuelle l’information n’est en outre pas exprimée avec mesure';


- Mme Z a toujours refusé de retirer cet avis dénigrant ce qui est à l’origine d’un préjudice d’atteinte à l’honneur et à la considération estimé provisionnellement à 12000€,


- elle s’oppose à la demande reconventionnelle en ce que les problèmes de santé invoqués par Mme Z n’apparaissent pas en lien avec la procédure dont il convient d’indiquer qu’elle est à l’origine par son entêtement à refuser de retirer l’avis.

Madame Z dans ses dernières écritures en date du 13 octobre 2021 demande à la cour au visa des articles 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de:


- débouter l’EURL Dog’s City de l’intégralité de ses demandes ;


- confirmer l’ordonnance de référé rendue en première instance en ce qu’elle a :

rejeté les demandes formulées par l’EURL Dog’s City ;

condamner l’EURL Dog’s City à payer à Madame E Z la somme de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.


- Infirmer l’ordonnance de référé rendue en première instance en ce qu’elle a :

rejeté la demande reconventionnelle formée par Madame E Z visant à obtenir la somme de 5000,00 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.


Statuant à nouveau :


- condamner l’EURL Dog’s City à verser à Madame E Z la somme provisionnelle de 6000,00 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi;


- condamner l’EURL Dog’s City à verser à Madame E Z la somme de 3000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;


- condamner l’EURL Dog’s City aux entiers dépens.


Elle réplique que':


- elle a voulu acquérir un chiot du chenil de l’EURL Dog’s City'; mais la gérante a refusé de lui donner des renseignements sur la filition du chien qui paraissait en mauvaise santé,


- elle a appris que des organismes tels que la SPA étaient saisis de signalements sur ce chenil et que des enquêtes étaient en cours'; ce qui l’a conduite à poster le commentaire litigieux qui n’est que la libre expression subjective d’une opinion,


- le sujet est d’intérêt général ( la condition animale),
- il existe des doutes sérieux sur la gestion de cet élevage': la SPA de Montauban a confirmé l’existence de signalements sur cet élevage de même que la DDCSPP et un témoin Mme B atteste de l’acquisition d’un chiot qui est mort trois jours après d’une maladie dont il n’était pas vacciné et Mme C atteste également de la vente d’un chiot atteint d’un vice dont il décèdera 6 mois après la vente et dont elle a avisé la DDCSPP le 26 octobre 2020 (il s’agit donc des avis négatifs invoqués dans le message posté), M. D atteste également de pratiques d’élevage non conformes, une pétition a été signée pour dénoncer les nuisances sonores et olfactives'; elle refuse de montrer les mères'; le chiot présenté sans sa mère n’était pas âgé de 8 semaines’donc pas sevré ce qui explique qu’il n’avait pas de n° d’identification;


- la base factuelle est suffisante quant au comportement agressif de la gérante, quant à la tenue de l’élevage, la santé des chiots et les témoignages positifs postés sur google n’apparaissent pas crédibles et ne sont pas vérifiables'; par ailleurs elle soutient que des inspections de la SPA ont été réalisées,


- les propos sont tenus dans des termes mesurés, ne comportant aucune accusation, ni diffamation, ni dénigrement'; elle a fait un usage juste de son droit à la liberté d’expression et de son devoir d’information du public'; l’EURL a créé un compte Google de sorte qu’elle doit admettre que des critiques soient postées.

MOTIVATION


L’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.


Les parties ont placé le litige sous le régime de la concurrence déloyale. Il convient alors de vérifier si les faits dénoncés constituent un trouble manifestement illicite qu’il appartient au juge des référés de faire cesser.


Le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire.


Donner son avis négatif voire alerter sur le défaut d’un produit ou un service relève de la libre critique et donc de la liberté d’expression et n’est pas constitutif d’un dénigrement fautif, même si la critique est générale, dès lors qu’elle porte sur un sujet d’intérêt général et, qu’elle repose sur une base factuelle suffisante sous réserve qu’elle soit exprimée dans des termes mesurés. En matière de dénigrement, contrairement à ce qui est admis en matière de diffamation, l’exception de vérité n’est pas retenue. Et il est indifférent que les faits dénoncés soient exacts, c’est l’expression de la critique qui est en jeu et doit être vérifiée.


En l’espèce, l’avis de Mme Z publié sur Google le 24 novembre 2020 était ainsi libellé':

«'Dame désagréable.

Les mères des chiots ne sont pas présentent alors que les chiots ne sont pas sevrés. ILLEGAL !!

C’est bien simple, dès que vous demandez ne serait ce qu’une photo des parents des chiots, MME Y rentre dans une colère noire et vous menace de ne pas vous confier le chiot si vous ne lui faites pas confiance.

Après vérification des avis sur Google, la plus part sont faux. Issus de comptes douteux.

Enfin, après un appel à la SPA de Montauban, je vous confirme que cette dame est connue des

services et que plusieurs personnes ont déjà déposés des plaintes auprès des autorités compétentes pour fermer cet élevage. FAITES DE MEME ET RENSEIGNEZ VOUS »


Ainsi cet avis portait sur un sujet d’intérêt général soit les conditions d’exercice d’un élevage animal.


Toutefois, cet avis comportait des informations dont Mme Z savait qu’elles ne reposaient pas sur des faits objectifs tels que l’illégalité de l’absence des mères des chiots puisqu’elle est conditionnée à l’absence de sevrage, la fausseté des avis sur Google qui seraient issus de comptes qu’elle qualifie de douteux et le dépôt de plainte auprès des «'autorités compétentes'» pour obtenir la fermeture de cet élevage. En effet, seule la diffusion d’une décision définitive n’est pas dénigrante'; au contraire, le fait d’alléguer l’existence d’un comportement illicite, sans qu’aucun procès ne soit venu étayer les propos, voire la simple affirmation de poursuites en cours ou de décisions non définitives constituent un dénigrement fautif. Dès lors les termes de cet avis ne relèvent pas de la liberté d’expression et constituent donc un trouble manifestement illicite que le juge des référés est en mesure de faire cesser.


Dans ces conditions, la décision sera infirmée et Mme Z sera condamnée à supprimer son avis sur le site Google My Business de l’EURL Dog’s City sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.


L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.


L’EURL Dog’s City sollicite la condamnation de Mme Z à lui verser la somme provisionnelle de 12 000€ à titre de dommages et intérêts pour «'atteinte à l’honneur et à la considération'» et non pour atteinte à la réputation commerciale alors qu’elle a saisi la juridiction sur le fondement du dénigrement et non de la loi du 29 juillet 1881 opérant ainsi une confusion entre les intérêts personnels de l’ EURL et ceux de sa gérante. Elle sera donc déboutée de cette demande.

PAR CES MOTIFS


La cour


- Infirme l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban en date du18 février 2021.


- Statuant à nouveau et y ajoutant:


- Condamne Mme Z à supprimer son avis sur le site Google My Business de l’EURL Dog’s City sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.


- Déboute l’ EURL Dog’s City de sa demande de dommages et intérêts.


- Condamne Mme Z à verser à l’ EURL Dog’s City la somme de 1200€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


- Condamne Mme Z aux dépens de première instance et d’appel.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. G C. I-J
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