Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 7 février 2017, n° 15/02566

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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1Harcèlement moralAccès limité
www.legisocial.fr · 8 septembre 2017

2Harcèlement sexuel d’ambiance ou environnemental et enquête de l’employeur et du CHSCT.
Village Justice · 25 avril 2017

A l'occasion d'une dénonciation de faits de harcèlement sexuel, la cour d'appel d'Orléans a recouru à la notion de harcèlement sexuel d'ambiance ou environnemental pour accorder une indemnisation à une salariée ayant dénoncé un harcèlement sexuel à son encontre (Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 7 février 2017 n° 15/02566). Au-delà de la nouveauté de cette notion, l'arrêt de la cour d'appel est intéressant en ce qu'il apporte un éclairage sur les mesures à mettre en œuvre au sein de l'entreprise face à la dénonciation de tels faits. Pour la cour d'appel d'Orléans, le harcèlement …

 

3Harcèlement sexuelAccès limité
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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, ch. soc., 7 févr. 2017, n° 15/02566
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 15/02566
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Tours, 30 juin 2015
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COURD’APPELD’ORLÉANS CHAMBRE SOCIALE PRUD’HOMMES GROSSES le 7 février 2017 à

SELARL CAPSTAN AVOCATS

SELARL 2BMP

XXX

DÉFENSEUR DES DROITS

EXPEDITIONS le 7 février 2017 à

SA LA NOUVELLE REPUBLIQUE DU CENTRE OUEST

V H

rédacteur : VR

ARRÊT du : 07 FÉVRIER 2017 N° : 64/17 N° RG : 15/02566 DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURS en date du 01 Juillet 2015 – Section : ENCADREMENT

ENTRE

APPELANTE

SA LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE DU CENTRE OUEST, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège

XXX

XXX

représentée par M. Filippe PENO, directeur des Ressources humaines, assisté de Me Pascal GARCIA de la SELARL CAPSTAN AVOCATS, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE

ET

INTIMÉE

Madame V H

XXX

XXX comparante en personne, assistée de Me Philippe BARON de la SELARL 2BMP, avocats au barreau de TOURS

PARTIES INTERVENANTES

XXX, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège

XXX

XXX

représentée par Mme Gisèle AMOUSSOU, chargée de mission

LE DÉFENSEUR DES DROITS

XXX

XXX

représenté par Mme Sandra BOUCHON, juriste

Après débats et audition des parties à l’audience publique du 03 novembre 2016

LA COUR COMPOSÉE DE Monsieur Hubert de BECDELIEVRE, président de chambre,

Monsieur Jean-Louis BERSCH, conseiller,

Madame Valérie ROUSSEAU, conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier.

Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 17 janvier 2017 prorogé au 24 janvier 2017 puis au 7 février 2017, Monsieur Hubert de BECDELIEVRE, président de chambre, assisté de Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier, a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Madame V H a été engagée par la Nouvelle République du Centre Ouest, ayant son siège à Tours, le 6 juin 1989 en qualité de rédactrice remplaçante, par un premier contrat à durée déterminée courant jusqu’au 31 Août 1989. Plusieurs contrats à durée déterminée se sont succédé, avec des affectations variables, en premier lieu à Niort, puis à Tours. Elle est embauchée par contrat à durée indéterminée en qualité de rédactrice 1er échelon le 1er Juillet 1990, son poste étant fixé à Blois. Elle devient rédactrice 2e échelon le 1er Avril 1994 avec plusieurs changements d’affectation : Chinon, Bourges puis à compter du 1er Juin 2001, elle est attachée à la rédaction de Châteauroux, où elle restera jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Son dernier salaire mensuel brut s’élevait à 3 936,92 € y inclus les primes. La convention collective nationale applicable est celle des journalistes. Madame H a subi des arrêts de travail successifs à compter du 18 janvier 2013 jusqu’à son licenciement. La Médecine du travail l’a déclarée inapte temporaire au poste de journaliste/secrétaire de rédaction le 16 juin 2014 puis inapte définitive le 30 juin 2014.

Plusieurs postes ont été proposés en reclassement. Le médecin du travail ne les a pas estimés compatibles avec l’ état de santé de la salariée, selon son courrier du 7 juillet 2014 à la direction. Madame V H a refusé ces postes et a été convoquée à un entretien préalable le 21 juillet 2014 puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 25 juillet 2014.

Contestant ce licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Madame V H a saisi le conseil de prud’hommes de Tours, section encadrement, le 5 Août 2013, aux fins de voir :

— à titre principal, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

— à titre subsidiaire, la nullité du licenciement ;

— à titre infiniment subsidiaire, déclarer le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société à lui payer les sommes de :

— indemnité de congés payés (mémoire) ;

—  8 674,88 € d’indemnité compensatrice de préavis ;

—  867,49 € à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;

—  103 436 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  10 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral et sexuel.

Il était également demandé la remise sous astreinte de bulletins de salaire, de documents de fin de contrat rectifiés outre une somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que de se réserver la faculté de liquider l’astreinte et l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La société s’est opposée aux demandes et a réclamé une somme de 1 500€ pour frais de procédure. L’association AVFT demandait au conseil de prud’hommes de déclarer son intervention recevable et bien fondée et de condamner la Nouvelle République du Centre Ouest à lui verser 2 500 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et 1 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 1 er Juillet 2015, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud’hommes de Tours, section encadrement a :

— constaté la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre Madame H et la Nouvelle République du Centre Ouest aux torts exclusifs de cette dernière ;

— condamné la Nouvelle République du Centre Ouest à payer à Madame H les sommes de :

—  10 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et sexuel ;

—  66 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  8 674,88 € à titre d’indemnité de préavis ; – 867,49 € à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;

—  1 100 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

— condamné la Nouvelle République du Centre Ouest à payer à l’AVFT les sommes de :

—  2 500€ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

—  1 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— ordonné la remise à Madame H d’un bulletin de paie afférent aux créances salariales, de l’attestation Pôle emploi rectifiée, d’un certificat de travail dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, et sous astreinte de 15 € par jour de retard et par document postérieurement que le conseil se réserve le droit de liquider.

La Nouvelle République du Centre Ouest a relevé appel de la décision le 10 Juillet 2015.

DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et observations visées par le greffier et soutenues oralement à l’audience, qui sont ci-après résumées.

1 ) Ceux de l’appelante

La SA Nouvelle République du Centre Ouest fait valoir les moyens suivants :

À titre préliminaire

Elle expose que le conseil a fait droit aux demandes de Madame H aux motifs que la société

ne se serait pas saisie suffisamment tôt des alertes de la salariée. Pourtant selon elle, il a 'constaté les actions régulièrement menées après chaque alerte de Madame H et proportionnées au regard des faits rapportés’ et 'relevé l’argumentation de la société démontrant l’absence du moindre élément probant de harcèlement sexuel et moral'. Le conseil de prud’hommes n’a pas, à son avis, tiré les conséquences des éléments développés par la société et a éludé notamment les résultats du rapport d’enquête effectué auprès de l’équipe rédactionnelle. Il a rendu un jugement à charge.

En fait, sur l’histoire contractuelle, la Nouvelle République du Centre Ouest indique qu’elle a été fondée par d’anciens résistants le 1er septembre 1944 et qu’elle occupe 477 salariés dont 178 journalistes. Reprenant l’histoire contractuelle des parties, elle rappelle outre le parcours professionnel de Madame H, ses fonctions de représentante du personnel de mars 2005 à octobre 2010 (DP) et de 2007 à 2012 en qualité de représentante syndicale au CE, évoque des courriers de 2003 et 2004 échangés entre les parties et faisant état de désaccords.

Sur l’origine des difficultés rencontrées

La Nouvelle République du Centre Ouest indique que la salariée, antérieurement à son arrêt de maladie du 18 janvier 2013, n’a jamais émis par écrit des réserves ou critiques sur ses conditions de travail, son premier courrier à l’adresse du CHSCT datant du 15 mai 2013. Le courrier transmis le 14 avril 2012 auprès de la commission paritaire ne fait état que de son point de vue 'au sujet de la polyvalence locale SR'.

Le CHSCT, après avoir refusé l’intervention des directeurs des relations sociales du groupe et de la rédaction, qui souhaitaient informer de la création d’une commission d’enquête et d’analyse dans le département de l’Indre, décide de désigner le Cabinet D avec pour mission :

— d’identifier et caractériser les souffrances individuelles et collectives entraînant une dégradation du travail et une souffrance au travail ; en rechercher et analyser les facteurs et les manifestations ; aider le CHSCT à faire des propositions de prévention.

Une telle décision était surprenante compte tenu des actions déjà mises en oeuvre par la direction dès novembre 2012 et la réception des premières accusations de Madame H. La Nouvelle République du Centre Ouest a été contrainte d’assigner le CHSCT en annulation de sa délibération au regard de l’absence de risque grave et avéré devant le tribunal de grande instance qui déboutait la société par ordonnance du 27 Août 2013. Le rapport était réalisé et déposé par le Cabinet D le 10 Janvier 2014 et, selon la Nouvelle République du Centre Ouest, ne confirmait pas l’existence d’un risque grave pour la santé des salariés au sens de la jurisprudence.

La cour d’Appel d’Orléans a annulé la délibération du CHSCT par arrêt du 23 juin 2014.

Parallèlement à l’instruction de l’expertise par le Cabinet D, le président du directoire a décidé de créer une commission d’enquête et d’analyse dans le département de l’Indre dans laquelle, aux côtés des membres de la hiérarchie de l’entreprise, figuraient le président du CHSCT, le médecin du travail et une rédactrice juridique. Ladite commission a auditionné 26 personnes de l’équipe rédactionnelle de Châteauroux, 15 hommes et 11 femmes et a conclu qu’il n’ y avait pas de harcèlement sexuel dans l’entreprise. Le rapport de la commission a été adressé à Madame H, et communiqué au CHSCT et à l’inspecteur du travail le 16 décembre 2013.

En droit, la société fait valoir en vertu de l’article L.1154-1 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à un harcèlement sexuel et moral, il incombe au salarié d’établir des faits permettant de présumer de l’existence d’un harcèlement. L’employeur doit alors prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers. Le harcèlement ne se présume pas il doit être étayé.

Madame H n’établit pas les agissements de harcèlement sexuel ou moral.

Sur le harcèlement sexuel

Elle invoque une agression au cours de l’année 2011 de la part d’un de ses collègues de travail qui aurait tenté de l’embrasser. Elle ne dévoile que tardivement les faits et le nom de l’agresseur, Monsieur T AB. Les faits se seraient déroulés le 18 décembre 2011, or, selon l’appelante, le salarié en cause était absent ce jour là.

Madame H verse aux débats un planning préparatoire alors que, selon Monsieur S qui établit une attestation, le planning de présence du personnel est établi à partir de deux documents le premier 'fourni par le responsable du secrétariat de rédaction, uniquement pour les secrétaires de rédaction, et le second par la direction départementale pour les rédacteurs, le photographe et le personnel administratif. Toutefois, ces deux calendriers sont régulièrement modifiés. Les modifications sont alors portées dans un document unique Kronos outil informatique de gestion ..'.

Le planning produit par la société fait foi. Il est corroboré par le bulletin de salaire du salarié qui conteste les faits. Aucun élément ne laisse présumer de la véracité des faits.

Concernant les autres faits allégués par Madame H, ils ne reposent que sur ses écrits. Elle invoque des propos déplacés tenus en sa présence, des conversations d’ordre privé dans des termes particulièrement vulgaires et offensants, la présence d’un tableau de photographies à caractère plus ou moins obscène. En premier lieu aucune des pièces qu’elle produit ne vient étayer ces faits et la société ne saurait être tenue de rapporter la preuve contraire.

En second lieu, ces propos vulgaires ou à connotation sexuelle, ne lui étaient pas personnellement destinés. Elle ne saurait donc invoquer des faits de harcèlement sexuel qui supposent des comportements qui sont imposés à la victime, qui sont répétés et qui présentent une connotation sexuelle. Trois attestations de collaboratrices et une attestation de Monsieur Y confirment l’absence de harcèlement sexuel. Les réponses aux questions posées aux collaborateurs lors de l’enquête attestent de l’absence de harcèlement sexuel.

Le harcèlement sexuel allégué n’est pas constitué.

Sur le harcèlement moral

Madame H invoque un état de souffrance au travail, n’ayant pas son origine exclusivement dans les faits de harcèlement sexuel mais également dans les dégradations des conditions de travail. Ces dégradations se seraient accélérées en mai 2009, avant le plan social qu’avait connu l’entreprise qui avait décidé de supprimer 10 contrats à durée déterminée. Elle se serait trouvée confrontée à une très grosse différence d’aptitude envers les localiers polyvalents affectés au secrétariat de rédaction, et qui aurait eu pour conséquence une diminution de la cohésion dans

le groupe SR. Cela aurait entraîné des conséquences sur les rapports avec les correspondants livrés à eux mêmes, ne reconnaissant plus les secrétaires de rédaction comme des interlocuteurs valables.

Ces faits ne sont pas de nature à étayer un harcèlement moral. Le Cabinet D dans son rapport n’a pas conclu à des faits de harcèlement moral mais au fait que les salariés ne se sentaient pas reconnus dans leur travail et que leurs compétences n’étaient pas utilisées. L’annulation de la délibération du CHSCT du 31 mai 2013 par la cour d’appel d’Orléans vient contredire les conclusions de ce rapport précisant que certaines personnes souffriraient de 'burn out'.

Le personnel de la rédaction de Châteauroux a refusé de répondre aux questions du Cabinet D et a simplement lu une déclaration écrite indiquant qu’il n’existait pas de harcèlement sexuel et moral et pas de dégradations des conditions de travail. Les salariés indiquent subir collectivement les conséquences du litige existant entre Madame H et la direction. Il n’existe aucun fait de harcèlement moral.

Sur l’altération de l’état de santé de Madame H

La Nouvelle République du Centre Ouest conteste la réalité de l’altération de la santé mentale de la salariée. Elle ne produit aucune pièce permettant d’étayer ses accusations. À titre anecdotique, elle informe son responsable hiérarchique, Monsieur Q K, qui lui faisait part de son soutien, qu’elle allait devoir subir des explorations médicales, des désordres physiologiques étant à déplorer, lesquels ne sont pas en relation directe avec les accusations de harcèlement moral ou sexuel.

Sur les demandes subsidiaires de Madame H

L’obligation de reclassement se définit comme la nécessité de rechercher par tous moyens s’il n’est pas possible de préserver l’emploi du salarié. Il ne s’agit pas d’une obligation de résultat. À la suite du diagnostic d’inaptitude définitive établi par le médecin du travail, la Nouvelle République du Centre Ouest proposera 10 postes à Madame H qui seront refusés. Madame H avait soulevé que deux postes, susceptibles de lui convenir, ne lui avaient pas été proposés : un poste de rédacteur au Pôle Ville de Poitiers qui n’était pas disponible à l’époque du licenciement car il était en attente de validation budgétaire et de réorganisation et un poste aux rotatives qui ne pouvait être proposé à Madame H car il correspond à des salariés ayant la qualification d’imprimeurs. La Nouvelle République du Centre Ouest sollicite l’infirmation du jugement et le débouté de Madame H de toutes ses demandes.

La Nouvelle République du Centre Ouest conclut à l’irrecevabilité de l’intervention de l’AFVT en raison de l’absence de faits de harcèlement sexuel ou moral et partant de l’absence d’intérêt légitime à agir. Elle conclut au débouté de ses demandes.

Concernant l’intervention du Défenseur des droits, la Nouvelle République du Centre Ouest conclut à ce qu’elle soit considérée comme infondée aux motifs que le Défenseur des droits a pour mission de lutter contre les discriminations et que cela ne concerne pas le harcèlement sexuel.

Elle demande à la cour de :

— infirmer le jugement entrepris ;

— dire irrecevables et non fondées les prétentions de Madame H au titre du harcèlement sexuel et moral ;

— dire sans objet et non fondée la demande de résiliation judiciaire ;

— dire irrecevables et non fondées les prétentions de Madame H au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

— la débouter de ses entières prétentions ;

— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit aux demandes de l’association AVFT ;

— constater que le harcèlement sexuel et moral n’est pas constitué ;

— débouter l’AVFT de ses entières prétentions ;

— rejeter les observations du Défenseur des droits ;

— constater qu’aucun harcèlement sexuel ni moral ni aucune discrimination n’est constitué ;

— juger son intervention comme non fondée ;

— statuant de nouveau,

— condamner Madame H à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

2 ) Ceux de l’intimée

Madame Z les moyens ci-après résumés :

— elle sollicite à titre principal de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, à titre subsidiaire la nullité du licenciement et à titre infiniment subsidiaire dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

— sur la résiliation judiciaire du licenciement à titre principal et la nullité du licenciement à titre subsidiaire, elle objecte pour l’essentiel que Madame H a toujours été une journaliste aux compétences professionnelles reconnues, elle s’est réalisée dans les tâches qui lui ont été confiées et a grimpé les échelons jusqu’à atteindre le statut de secrétaire de rédaction à l’agence de Châteauroux. Les échanges de courriers de 2003 et 2004 sont dus à l’attitude de l’employeur qui s’apparentait à une rétrogradation au retour du congé individuel formation de l’intimée. À la fin de 2011, l’attitude d’un collègue, Monsieur T X, va ébranler les conditions des travail de cette dernière jusqu’alors satisfaisantes ;

— sur le harcèlement sexuel : à plusieurs reprises celui- ci tenta de l’embrasser sur la bouche puis le 18 décembre 2011 chercha à l’embrasser de force en la bloquant contre un mur. Elle l’a repoussé et ne dénonça pas son attitude à la direction par sentiment de culpabilité. La direction produit un planning et une feuille de paie indiquant que M. X était absent ce jour là, un dimanche, à la rédaction. L’intimée fait valoir qu’elle ne pouvait pas réaliser seule le journal à la rédaction et qu’il convenait que deux salariés au moins soient sur les lieux. Le planning de M. X a été selon elle modifié par la direction. On constate sur sa fiche de paie que seul le jour du 18 décembre a été modifié. À la fin de l’été 2012, l’ambiance de travail se dégrade au sein des locaux de la Nouvelle République. Les collègues vont tenir des propos et avoir des comportements sexistes. Des collègues masculins mettent en place un petit jeu consistant à s’insulter quotidiennement de 'petite bite', 'enculé de mes deux'… Deux d’entre eux s’insultent en bruitant des rapports sexuels. Lesdits collègues affichent des photos de femmes aux seins nus en fond d’écran d’ordinateurs et sur un mur près du secrétariat de la rédaction, une collection de photographies mettant en scène des journalistes dans des positions suggestives. Madame H est témoin de propos vulgaires et offensants à l’égard des femmes 'je vous ferai une photo bien dégueulasse de sa chatte en gros plan'. Après avoir prévenu M. S, l’intimée enlève de l’ancien tableau de découpage les photographies à caractère obscène le 6 octobre 2012. Les propos vulgaires à caractère sexuel vont continuer.

Le 22 novembre, le journaliste, O P, après avoir raccroché d’une conversation avec la journaliste Mélanie Courtois, réagit dans les termes suivants 'quelle sale pute, celle là, si elle croit que ça va me donner envie de lui mettre un doigt, elle se trompe'. Madame H va apposer les affiches de la campagne gouvernementale de sensibilisation au harcèlement sexuel en entreprise ; elle avertit par courriel le bureau syndical du SNJ-CGT. Le 26 novembre M. S intervient à la conférence de rédaction du 26 novembre sur le harcèlement sexuel, invitant les journalistes à lire les affiches sur le sujet. Le lendemain de celle-ci, M. E, un journaliste, arrache les affiches sur le harcèlement sexuel du mur de la rédaction en ajoutant que 'ça lui pète les couilles de voir ça'. Le 29 novembre, le harcèlement sexuel est évoqué lors de la réunion mensuelle entre la direction et les délégués du personnel journaliste. Au début de l’année 2013, deux de ses collègues impliqués dans les propos concernés, reçoivent une promotion. Tentant d’avoir une conversation avec M. K, son rédacteur en chef, celui ci lui fait comprendre qu’elle 'casse l’ambiance’ ;

— sur le harcèlement moral, la dégradation des conditions de travail s’est accélérée en mai 2009 à l’occasion d’un plan social ayant conduit à la suppression de 10 contrats à durée déterminée structurels présents à la rédaction. Elle s’est retrouvée confrontée, comme l’ensemble des journalistes, à de grosses différences d’aptitude entre les localiers polyvalents affectés ponctuellement au secrétariat de la rédaction, ce qui eu pour effet une diminution de la cohésion du secrétariat. Les différences d’aptitude ont eu des conséquences sur les rapports du secrétariat de rédaction avec les correspondants qui ont été livrés à eux mêmes, les secrétaires de rédaction ne pouvant pas les renseigner, les orienter et les former. Madame H sera placée en arrêt de maladie à compter du 18 janvier 2013. Elle écrit un courrier au CHSCT le 19 Avril 2013 pour solliciter qu’une enquête soit diligentée. Madame H entretient des échanges épistolaires soutenus avec le CHSCT, l’inspecteur du travail, dont un courrier à celui-ci du 11 juillet 2013 adressé en copie à la direction de la Nouvelle République du Centre Ouest, au CHSCT et au médecin du travail notamment. Le CHSCT désigne le Cabinet D pour procéder à une expertise sur les conditions de travail dans le quotidien. En janvier 2014, l’inspection du travail adressait un courrier à Madame H dans lequel il indiquait que la direction de l’entreprise avait manqué à ses obligations en matière de prévention des risques professionnels. Le Cabinet D déposait un rapport le 10 janvier 2014 concluant à l’existence d’un 'burn out’ découlant de l’organisation du travail. La Nouvelle République du Centre Ouest dresse un portrait négatif de l’intimée, la présentant comme une collègue s’isolant volontairement et justifiant son comportement par des problèmes familiaux notamment l’état de santé de son fils. En réalité l’isolement constaté de Madame H relève du choix de cette dernière de se retirer de la vie collective pour ne pas souffrir de l’ambiance délétère du service. L’appelante verse 3 attestations de salariés, dont deux n’étant pas en mesure de témoigner : Madame I a été embauchée postérieurement au départ en arrêt de maladie de Madame H ; Madame d’G ne peut témoigner du mur de photographies car elle a été embauchée après la dépose de celui ci ;

— sur l’altération de la santé mentale de Madame H, le médecin traitant a diagnostiqué un 'burn out', syndrome anxio-dépressif d’épuisement professionnel, et a prescrit des anxiolytiques. La journaliste évoquera ses difficultés devant le médecin contrôleur de la sécurité sociale, qui manifesta l’intention de prévenir le médecin du travail. Le docteur J de l’hôpital Bretonneau à Tours établira ses conclusions par écrit expliquant la pathologie de la salariée. L’intimée soutient que le harcèlement moral, mené par la hiérarchie, a eu pour conséquence la dégradation de son état de santé et son inaptitude au poste de travail ;

— sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, l’intimée indique que l’employeur doit faire au titre de la jurisprudence des efforts de reclassement suffisants et qu’il doit apporter

la preuve de l’impossibilité de reclassement. Elle a été déclarée 'inapte définitive au poste de journaliste-secrétaire de rédaction', après étude de poste réalisée le 24 juin 2014 à la rédaction de Châteauroux. L’employeur a opéré une recherche de reclassement et lui a proposé des postes que Madame H a été contrainte de refuser car ils auraient eu pour effet de modifier les conditions de travail de la concluante (CDD, temps partiel..) Mais la Nouvelle République du Centre a omis de lui proposer deux postes disponibles, un poste de rédacteur au pôle ville de Poitiers et un poste aux rotatives. Elle n’a pas procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Madame H reprend l’intégralité de ses prétentions initiales, sauf à porter à la somme de 3 500 euros sa demande au titre des frais irrépétibles.

3 ) L’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) intervient volontairement en cause d’appel

Elle demande à la cour de :

— réformer le jugement en ce qu’il a déclaré que la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et dire que la résiliation judiciaire produit les effets d’un jugement nul et en tirer les conséquences de droit ;

— confirmer le jugement déféré dans ses condamnations au profit de L’AVFT.

4 ) Le Défenseur des droits a présenté des observations devant la cour d’appel

Il considère que :

— Madame H a subi des agissements de harcèlement sexuel au sens de l’article L.1153-1 du code du travail ;

— la Nouvelle République du Centre Ouest a manqué à son obligation de sécurité de résultat en la matière ;

— la rupture du contrat de travail de la réclamante doit s’analyser en licenciement nul car constitutif d’une mesure de rétorsion pour avoir dénoncé lesdits agissements. MOTIFS DE LA DÉCISION

L’appel régularisé dans les formes et délais légaux est recevable en la forme,

Sur l’existence d’un harcèlement sexuel

En vertu de l’article L.1153-1 du code du travail :

'Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers'.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige 'le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles'.

En l’espèce, Madame V H invoque les faits suivants :

— une agression sexuelle par un collègue le 18 décembre 2011 : les faits décrits par la salariée ne sont corroborés par aucune pièce et ne peuvent être retenus ;

— des propos sexistes, orduriers et outrageants de la part de ses collègues, des affichages de photographies à connotation sexuelle sur les ordinateurs et sur un mur de l''open space'. Pour étayer ses affirmations, la salariée décrit des faits qui se sont déroulés partir de l’été 2012 au sein de l’équipe de rédaction. Elle a ôté du mur des photographies suggestives pour les remplacer par des affiches de sensibilisation à la lutte contre le harcèlement sexuel, celles ci étant à leur tour arrachées par un collègue ;

— elle produit par ailleurs le rapport du Cabinet D désigné par le CHSCT de la Nouvelle République du Centre Ouest dans sa délibération du 31 mai 2013 constatant des faits graves pour la santé des salariés depuis le plan de sauvegarde de l’emploi de 2009 ;

— le CHSCT, sur le fondement de l’article L.4614-12 du code du travail a mandaté le Cabinet D, organisme agréé par le Ministère du Travail pour les expertises, avec pour mission de : 'analyser les situations de travail afin d e produire un diagnostic des conditions de travail et des facteurs de risques professionnels, notamment psychosociaux auxquels peuvent être exposés les salariés des services rédactionnels de La Nouvelle République'. Cette délibération, bien qu’annulée par la suite par la cour d’appel d’Orléans, donnera lieu à réalisation de l’enquête.

Le rapport d’enquête, déposé le 10/01/2014, constate une forme de communication violente à la rédaction de Châteauroux ne permettant pas à une personne ayant un autre avis de l’exprimer. Il relève en effet que le 12 novembre 2013, jour prévu pour l’entretien, les journalistes de la rédaction font lire par l’un d’entre eux une déclaration indiquant qu’il n’y avait pas de harcèlement sexuel à la rédaction de Châteauroux, avant de quitter collectivement la salle. Certains salariés en désaccord avec leurs collègues ont demandé à être entendus hors du lieu de travail. Selon le rapport’Ces réactions sont le signe d’une carence organisationnelle non parlée et non analysée’ et renvoient également à l’intégration des femmes dans un milieu de travail masculin qui doit passer par une conformité aux valeurs viriles. Elles favorisent la désignation d’un bouc émissaire, (telle Madame H qui dénonce les dysfonctionnements)'.

L’exposition de photographies n’est pas contestée par l’employeur et se trouve confirmée par l’une des attestations qu’il verse aux débats, celle de Monsieur Y, qui parle 'd’une trentaine de clichés visibles de tous et ne portant atteinte à la dignité de personne'. Les faits allégués par Madame V H sont également établis par le rapport déposé par la Commission d’étude et d’analyse, mise en place par l’appelante. Cette commission a enquêté sur les faits de harcèlement et auditionné 26 salariés de la rédaction du département de l’Indre et notamment de Châteauroux les 3 et 4 septembre 2013. Il ressort de ce rapport que les salariés reconnaissent la réalité des propos à connotation sexuelle bien qu’ils ne les qualifient pas de faits de harcèlement sexuel : « Certaines blagues peuvent être lourdes..Elle m’a dit une fois 'plus ça va plus je viens au travail à reculons'. À l’automne 2012, nous venions de traverser un moment difficile (l’épisode L M). Tout le monde s’est lâché sur les blagues, certainement un peu trop’ '..On ne peut nier les blagues grivoises entre nous, même les filles y participaient.

Lorsque ses affiches (rappelant la loi) ont été enlevées, elle a pleuré'…'Beaucoup de blagues grivoises’ 'Des propos graveleux mais ça ne me gênait pas'…'Une équipe de jeunes CDD, un vestiaire de foot'.

Ils témoignent également de l’isolement de Madame H et de la difficulté de l''open space’ pour celle ci et pour tous en général.

Madame V H expose qu’après la note de la direction relative au harcèlement sexuel le 17/01/2013, lors de la réunion autour de la galette des rois le même jour, ses collègues se sont moqués de ladite note sans que la direction ne réagisse. Il est constant qu’elle a subi un arrêt de maladie dès le lendemain pour ne plus revenir à son travail. Sur ce point, Madame V H produit également des éléments médicaux au soutien de ses allégations :

— le protocole de soins établi le 10 juin 2013 indique 'burn out, 18.01.2013 ; épuisement sévère; syndrôme anxio dépressif..Psychothérapie..'. Des anxiolytiques sont prescrits. Concernant les effets du harcèlement sexuel supposé sur la salariée, force est de constater une altération sévère de son état de santé ;

— le compte rendu retraçant les échanges de deux entretiens, les 17/04 et 29/05 2013, au centre de consultation de souffrance au travail du CHRU de Tours, rédigé par le Docteur J qui indique que : « se pose la question de ce milieu de travail perverti avec des collègues journalistes, d ans le besoin de montrer de prouver leur virilité. Ce mécanisme de défense, provocateur et non régulé est sans doute l’expression d 'un malaise professionnel profond, qu’ils ne peuvent exprimer. La non régulation détourne un problème collectif en un problème individuel et personnel 'c’est le problème de V’ permettant d’occulter complètement la problématique de travail et excluant celui qui n’adhère pas. Cette atteinte à la dignité provoque une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face..».

Madame V H sera licenciée le 25 juillet 2014 sans avoir repris son travail, les différents postes proposés à titre de reclassement n’étant pas adaptés à sa pathologie, selon le médecin du travail.

Il résulte de l’ensemble des éléments versés aux débats que Madame V H établit avoir été soumise à des blagues vulgaires, à connotation sexuelle avec apposition de photographies suggestives et que son état de santé a été considérablement altéré par ces événements. La salariée établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à son encontre.

L’employeur fait valoir que les faits invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement sexuel et sont justifiés par des éléments objectifs à tout harcèlement. La Nouvelle République du Centre Ouest conteste l’existence de faits de harcèlement sexuel mais reconnaît l’existence de blagues potaches à connotation sexuelle. Elle produit aux débats, outre les documents relatifs à l’historique de la relation contractuelle, notamment le rapport d’enquête analysé ci dessus, les commentaires de la société sur le rapport d’D, les attestations de divers salariés rapportant la qualité de l’ambiance conviviale au sein de la rédaction de Châteauroux, l’échange de courriels entre Monsieur K et Madame V H, les 1er février et 19 mars 2013 indiquant 'l’existence de quelques désordres physiologiques'. Elle ne conteste pas la dégradation de l’état de santé de la salariée mais soutient qu’elle est liée à des désordres physiologiques et non aux conditions de travail.

Effectivement, le courriel adressé par la salariée à Monsieur K le 19 mars 2013 fait état de quelques désordres physiologiques.

La journaliste se défend de l’existence d’un mal être à l’origine exclusive de son arrêt de travail et consécutif aux faits de harcèlement dénoncés. Mais ce courriel, adressé à un responsable qui lui avait, selon la salariée, reproché de 'casser l’ambiance’ ne peut établir à lui seul l’absence de harcèlement sexuel. Il est combattu par les éléments médicaux clairs et sans ambiguïté sur l’origine du syndrome anxio dépressif dont elle a souffert.

Deux des attestations versées aux débats ne sont pas probantes puisqu’elles ont été rédigées par deux salariées, Mesdames C et d’G, embauchées après le départ de Madame V H, ou après que les photographies à connotation sexuelle aient été enlevées du mur de la rédaction. Celles de Monsieur B de Madame F, sont écrites en termes quasi identiques et précisent que le comportement de l’ensemble de ses collègues est très correct et convivial et que le mur était composé de clichés ne portant aucunement atteinte à la dignité humaine.

La Nouvelle République du centre Ouest affirme être intervenue sur la question du harcèlement sexuel d’abord oralement, le 26 novembre 2012 en conférence de rédaction, puis le 29 novembre 2012 en réunion avec les représentants du personnel. Elle fait ensuite diffuser une note sur ce sujet le 17 janvier 2013 à tous les collaborateurs. Ce point n’est pas contesté. Elle fait état de l’enquête diligentée qu’elle estime complète et objective. Cependant, il a été constaté supra que les faits critiqués pouvaient donner lieu à plusieurs interprétations: blagues potaches ou agression.

De plus, ainsi que l’a relevé le Cabinet D, il convient d’observer que la méthodologie de l’enquête réalisée par la Nouvelle République du Centre Ouest et ses conclusions ont personnalisé le conflit et mis en cause publiquement la personnalité et la vie privée de la salariée plaignante, ce qui a conduit l’équipe, mise en position de défense, à dénigrer la salariée. Que cette enquête conduite par l’employeur, dans des conditions particulières, ait conclu à l’absence de harcèlement sexuel ne permet pas d’écarter la réalité des agissements mentionnés. En effet, l’employeur a considéré que la salariée, qui ne supportait plus ces 'plaisanteries’ répétées avait une 'attitude autoritaire … qui a fait d’elle une personne difficile à vivre’ et qu’elle était devenue fermée, intolérante…

Les faits ne sont pas contestés dans leur matérialité puisque le rapport de la commission d’étude et analyse confirme l’existence de propos grivois, expressions salaces.., mais dans leur interprétation. Ce que certains individus trouvent humoristique et ne portant pas atteinte à la dignité peut être blessant et humiliant pour d’autres et notamment en ce qui concerne les plaisanteries à connotation sexuelle dirigées à l’encontre des collègues de sexe féminin.

Le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. C’était le cas en l’espèce. L’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par V H sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement sexuel est établi.

La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Les dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail sont les suivantes : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

Madame V H indique qu’à compter du plan social en 2009 ayant entraîné la suppression de postes, les conditions de travail se sont dégradées entraînant outre un surcroît de travail, une mésestime de soi et d’autres collègues. Elle produit aux débats les pièces énoncées ci-dessus au soutien du harcèlement sexuel.

Il résulte de ces éléments qu’en 2009 un plan social a supprimé des postes de journalistes, que les fonctions d’ouvriers du livre ont été également supprimées, que l’employeur a dû pour compléter l’effectif faire appel à des journalistes dénommés localiers polyvalents pour aider les rédacteurs, et qu’enfin est intervenue une nouvelle forme de travail de type 'multi média'. Tout ceci a engendré une nouvelle organisation du travail, les journalistes étant obligés de se consacrer à des tâches ne correspondant, pas selon eux, aux tâches traditionnelles des journalistes et sacrifiant la qualité du travail aux nécessités de la priorité : faire sortir le journal chaque jour.

L’intensité de travail s’est accrue provoquant du stress, un cumul d’heures de travail, le travail s’est morcelé. Cela a entraîné une perte de l’estime de soi. Le travail n’est pas reconnu par la direction.

Elle parle dans son courrier au président du directoire du 11 juillet 2013 de l’importance de son stress, de 'la violence faite à elle même, la devise ordre, rigueur, méthode me suit depuis mes débuts à Niort.. Bâcler le travail, sur la matière première du journal, les textes, comme je suis obligée de le faire aujourd’hui est pour moi un déchirement, une véritable renonciation..'. Pour éviter cela, elle cumule les heures de travail au détriment de sa vie privée. Elle indique que sa santé mentale a été minée jour après jour.

Dans un courrier du 12 avril 2012 à la commission paritaire elle abordait ces points, vus sous l’angle de l’organisation des rédactions et non du point de vue de sa souffrance personnelle.

Le Cabinet D a, quant à lui, rendu des conclusions concernant la souffrance au travail des journalistes auditionnés qui reprennent les mêmes causes de souffrance au travail dans des termes comparables à ceux employés par Madame V H. À titre d’exemple, au chapitre 'burning out’ page 51 du rapport, l’auteur indique que certaines personnes entendues souffrent aujourd’hui d’épuisement professionnel diagnostiqué par leur médecin traitant. 'Plusieurs raisons peuvent conduire à l’épuisement professionnel. Parmi elles figure en bonne place la volonté de continuer à faire un travail de qualité..Certaine s difficultés bien que verbalisées restent inaudibles. Les récents changements ne sont plus des objets de débat car décrétés comme irréversibles. La surcharge de travail, la polyvalence au secrétariat de rédaction, le fait que tout le monde ne maîtrise pas le logiciel pour monter les vidéos, tous ces sujets sont évoqués mais sans réelle perspective d’amélioration sans doute parce que les directions départementales n’ont aucune marge de manoeuvre..Ne pas être entendus fait émerger un sentiment d’impuissance qui débouche sur une forme particulière de souffrance: les problèmes ne peuvent pas trouver de solution satisfaisante..'. Sont encore nommées la souffrance de ne plus pouvoir compter sur la solidarité, chacun étant renvoyé à ses tâches et à sa solitude, la crainte d’un nouveau plan social, la rareté des manifestations de reconnaissance.

Les propos attestant d’une dégradation des conditions de travail sont nombreux. À propos de Châteauroux, 'la violence des rapports sociaux est symptomatique d’une détérioration de l’organisation du travail et d’une impossibilité de discuter..'.

Tous ces faits ont été décrits par Madame H comme la touchant personnellement et dégradant ses conditions de travail. Il résulte des développements ci-dessus que la salariée a établi des faits précis laissant présumer de l’existence d’un harcèlement moral.

Le harcèlement moral ne résulte pas forcément d’agissements intentionnels de la part des dirigeants mais découle d’agissements répétés, dans lesquels est incluse l’organisation du travail,

ayant pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer l’ état de santé du travailleur.

À l’inverse, l’appelante ne conteste pas la réorganisation de l’entreprise mais conteste l’existence d’une dégradation des conditions de travail et d’un harcèlement moral.La SA LA Nouvelle République du Centre Ouest conteste avec vigueur le rapport établi par le cabinet externe, qui lui paraît notamment, insuffisamment étayé, contradictoire et ne comportant pas de données chiffrées. Le cabinet a entendu 31 journalistes alors que la rédaction en compte 189.

Elle s’appuie sur les pièces précédemment énoncées pour démontrer que les conditions de travail ont été modifiées pour prendre en compte l’évolution des technologies et la mutation de la presse, en mettant en place notamment le 'bi-média’ (journal papier et journal sur le web) qui suppose une organisation et des méthodes de travail différentes. Elle relève notamment que les suppressions de poste ont été peu nombreuses, que la majorité des promotions ont eu lieu au sein des ex-journalistes et que les conditions de mobilité du personnel, stigmatisées par l’intimée, ont toujours existé dans la culture d’entreprise.

Elle justifie qu’elle a fait des choix stratégiques dans l’intérêt de la pérennité de l’entreprise en vertu de son pouvoir de direction. Pour autant, le harcèlement moral ne résulte pas forcément d’agissements intentionnels de la part des dirigeants mais découle d’agissements répétés, dans lesquels est incluse l’organisation du travail, ayant pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer l’état de santé du travailleur. L’appelante ne justifie pas qu’elle ait prise en compte dans sa réorganisation, l’état de santé de son personnel.

À cet égard, elle ne conteste pas que les risques psycho sociaux ne sont pas mentionnés dans le document unique d’évaluation des risques professionnels. Elle ne justifie d’aucun dialogue ni d’aucun accompagnement du personnel parallèlement à la réorganisation de l’entreprise, malgré les doléances formulées par la salariée. La SA La Nouvelle République du Centre Ouest indique, dans une réponse à l’inspecteur du travail du 10/12/2013, qu’une commission d’étude sur les organisations des rédactions a été mise en place dès le 28/03/2012, ces travaux ayant été suspendus en attente de nouveaux élus à la suite des élections des instances représentatives du personnel et de l’expertise du Cabinet D. Cela sous-entend que l’employeur avait conscience des difficultés et risques psychosociaux engendrés par la réorganisation de l’entreprise. Pour autant, l’employeur ne donne aucune explication sur les objectifs, conclusions et actions de la commission d’étude visée ci-dessus.

Les attestations des quatre salariés, précédemment évoquées, qui ne se plaignaient d’aucun harcèlement moral, ne peuvent suffire à elles seules à contredire une dégradation des conditions de travail attestée par l’audition d’un nombre conséquent de journalistes (31). Le lien entre la dégradation des conditions de travail et l’altération de l’état de santé de Madame V H est avéré. L’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral est établi.

Sur les dommages-intérêts

L’article L.1152-4 du code du travail oblige l’employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral ; l’absence de faute de sa part ou le comportement fautif d’un autre salarié de l’entreprise ne peuvent l’exonérer de sa responsabilité à ce titre.

Il résulte des articles L.1152-1, L.1152-4 et L.4121-1 du code du travail que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

C’est le cas en l’espèce.

La Nouvelle République du Centre Ouest a pris des mesures telles l’affichage de la campagne contre le harcèlement sexuel, la diffusion d’une note sur celui ci auprès des salariés, l’évocation du sujet en réunions de rédaction et avec les délégués du personnel. Elle a diligenté une enquête sur le harcèlement sexuel dans l’entreprise. Cependant, l’enquête sur le harcèlement sexuel a été menée de façon maladroite car susceptible de compromettre le retour de Madame V H, identifiée comme accusatrice. L’employeur n’a pas analysé les déclarations des salariés évoquant des blagues à connotation sexuelle afin d’en tirer des conclusions sur leur impact psychologique. Surtout, la direction de la Nouvelle République du Centre Ouest, faute d’avoir pris la mesure de la souffrance ressentie, conduisant à la dégradation de l’état de santé de Madame V H, n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée qui l’ avait pourtant alertée de son mal être. Elle n’a pas suffisamment pris en compte les doléances de la salariée, minimisant manifestement le comportement inapproprié et les agissements harcelants de certains salariés de la rédaction de Chateauroux.

Il est ainsi établi qu’elle n’a pas satisfait à son obligation de sécurité.

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes a alloué à Madame V H la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à titre de réparation du harcèlement sexuel et moral.

Sur la résiliation du contrat de travail

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur. Pour voir sa demande prospérer, le salarié doit établir que l’employeur a commis des manquements graves à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l’espèce, il résulte des développements ci-dessus que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de sécurité, ce qui a conduit à ce que se poursuive le harcèlement sexuel dont se plaignait la salariée. Dès lors, ce seul manquement justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur. La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée sur ce point.

En conséquence, Madame V H est en droit d’obtenir l’indemnité compensatrice de préavis qui n’est pas contestée dans son montant ainsi que des dommages-intérêts qui doivent être fixés en fonction de son âge, de son ancienneté, 23 ans, des circonstances de son licenciement et des conséquences dommageables qu’elle a subies.

Les premiers juges ont octroyé la somme de 66 000 euros qui apparait réparer l’entier préjudice.

Leur décision sera confirmée sur ce point.

Sur la recevabilité de l’AVFT

L’AVFT, dont l’article 2 des statut prévoit qu’elle agit pour faire disparaître les violences patriarcales de toute nature, notamment sexuelles, dont les femmes sont les principales victimes, est recevable à intervenir volontairement dans la présente instance. Le harcèlement moral et sexuel à l’égard de Madame V H étant caractérisé, la décision du conseil de prud’hommes qui lui alloué la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des congés payés afférents sera confirmée.

Sur l’intervention du Défenseur des droits

Les dispositions de l’article 33 de la loi organique du 2011 prévoient que le défenseur des droits peut lui même demander à présenter des observations écrites ou à être entendu par les juridictions; dans ce cas, son audition est de droit. Ainsi, contrairement à ce que soutient l’appelante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’existence d’une discrimination, la cour doit prendre acte de l’intervention du Défenseur des droits.

Sur les autres demandes

L’équité commande de condamner la SA La Nouvelle République du Centre Ouest à payer à Madame V H la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelante qui succombe sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS La Cour, statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

A, en la forme, l’appel de La Nouvelle République du Centre Ouest à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Tours le 1er juillet 2015 ;

DÉCLARE recevables les interventions volontaires de l’association AVFT et du Défenseur des droits ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

AJOUTANT,

CONDAMNE la SA La Nouvelle République du Centre Ouest à payer Madame V H la somme de 2 500 euros (DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS) en application de l’article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SA LA Nouvelle République du Centre Ouest aux dépens.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier

Mireille LAVRUT H. de BECDELIÈVRE

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Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 7 février 2017, n° 15/02566