Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 3 mars 2017, n° 16/03893
Chronologie de l’affaire
Commentaire • 1
Sur la décision
Référence : | CA Paris, pôle 5 - ch. 2, 3 mars 2017, n° 16/03893 |
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Juridiction : | Cour d'appel de Paris |
Numéro(s) : | 16/03893 |
Décision précédente : | Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre 3ème section, 28 janvier 2016, N° 13/07820 |
Dispositif : | Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée |
Sur les parties
- Président : Colette PERRIN, président
- Avocat(s) :
- Cabinet(s) :
- Parties :
Texte intégral
Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRET DU 03 MARS 2017
(n°41, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 16/03893
Décision déférée à la Cour : jugement du 29 janvier 2016 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3e chambre 3e section – RG n°13/07820
APPELANTE
S.A.S. PATISSERIE E. LADUREE, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé
XXX
59700 MARCQ-EN-BAROEUL
Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque L 18
Assistée de Me Martine KARSENTY plaidant pour la SELARL J. – P. KARSENTY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R 156
INTIMES
Mme Z X
XXX
XXX
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING – DURAND – LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque P 480
Assistée de Me Isabelle SALEIRO substituant Me J K, avocat au barreau de PARIS, toque W 01
M. B Y
XXX
XXX
S.A. D E, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
XXX
XXX
R e p r é s e n t é s p a r M e M a t t h i e u B O C C O N – G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistés de Me Yvan DIRINGER plaidant pour la SCPA BENAZERAF – MERLET, avocat au barreau de PARIS, toque P 327
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l’affaire a été débattue le 7 décembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Colette PERRIN, Présidente
Mme Sylvie NEROT, Conseillère
Mme Véronique RENARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme F G
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Colette PERRIN, Présidente, et par Mme F G, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
La société Pâtisserie E. Ladurée qui appartient au groupe I, a pour activité la fabrication de pâtisseries.
Madame Z X est antiquaire et décoratrice. Elle expose qu’en 2002, monsieur H I, fondateur du groupe éponyme lui a demandé de concevoir le décor du magasin et salon de thé XXX.
Elle indique avoir réalisé à cette fin des croquis et des esquisses, qu’elle aurait remis à la société Panetude, société du groupe I ayant notamment pour activité l’agencement de magasins et de locaux, et ce afin que celle-ci les transcrive sous ses instructions en plans exécutables par les entreprises.
Elle ajoute qu’il lui a été demandé de concevoir, de la même façon et suivant le même fonctionnement, le décor du magasin Ladurée M de L.
Toujours selon madame X, la société Panetude a assuré, sous sa direction artistique, la maîtrise d''uvre du chantier du salon de thé-magasin Ladurée Bonaparte notamment à l’aide des dessinateurs qu’elle emploie et d’un logiciel de dessin assisté par ordinateur dont elle dispose.
Le 1er octobre 2005, a été constitué la société Z X, agence de décoration d’intérieur dirigée par madame X et ayant pour activité la décoration de magasins et surfaces aménageables.
Par convention cadre du 13 juillet 2006, la société Pâtisserie E. Ladurée a désigné la société Z X comme prestataire de services agréé afin de réaliser la conception et le suivi de la réalisation de l’agencement et de la décoration du design intérieur des locaux de ses filiales et des sociétés tierces titulaires de licences Ladurée et en exécution de cette convention, madame X indique avoir notamment conçu entre 2006 et 2008, les décors de Ladurée Ginza Mitsukoshi situé au Japon.
Elle indique avoir conçu dans ces différents lieux non seulement les agencements et décors, mais aussi pratiquement l’intégralité du mobilier ainsi que la plupart des éléments de décors.
Le 17 novembre 2008, la société Pâtisserie E. Ladurée a notifié à la société Z X la résiliation du contrat du 13 juillet 2006.
Suite à divers désaccords sur cette résiliation, un protocole transactionnel a été conclu le 21 juillet 2009 entre madame Z X, la société Z X et les sociétés du groupe I, dont la société Pâtisserie E. Ladurée, aux termes duquel il a été notamment prévu que : 'Sous réserve des dispositions de l’article 4.2 Z X et Madame Z X renoncent, au jour de la signature du présent protocole, au profit exclusif de Pâtisserie E. Ladurée et des autres sociétés du Groupe I, à l’intégralité des droits de propriété intellectuelle, sauf le droit moral d’auteur, qu’elles détiennent sur toute création, objet, 'uvre d’art, décor, concept, plan réalisés directement ou indirectement avec, et/ou en collaboration et/ou pour toutes les enseignes des sociétés du Groupe I et notamment 'LADUREE', 'PAUL’ et 'CHATEAU BLANC’ ainsi que pour Panétude. (…) Pâtisserie E. Ladurée et les autres sociétés du Groupe I respecteront le droit moral de Madame Z X dans toutes les représentations qu’elles feront de ses 'uvres '.
Le 5 décembre 2012 est paru aux Editions du Chêne un ouvrage intitulé 'L’Esprit décoration Ladurée’ de monsieur B Y, portant sur les décors des établissements Ladurée présentés à l’aune de l’influence des styles 'Marquise de Pompadour', 'Napoléon III’ et 'Madeleine Castaing'.
Indiquant que cet ouvrage contient de multiples photographies des salons Bonaparte de Paris, M de L, et Ginza de Tokyo, ainsi que du salon Ladurée de Nihombashi qui serait composé d’éléments de décor identiques à ceux qu’elle a conçus pour le salon Bonaparte, et ce sans qu’elle soit créditée en qualité d’auteur, madame Z X a, selon acte d’huissier du 17 mai 2013, fait assigner monsieur B Y, ainsi que les sociétés D E et Pâtisserie E. Ladurée, aux fins de voir constater l’atteinte portée à son droit moral d’auteur et obtenir réparation des préjudices subis.
Une médiation décidée par le juge de la mise en état n’a pas abouti et d’autres tentatives pour trouver un accord ont également échoué.
Par jugement du 29 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Paris, sans assortir sa décision de l’exécution provisoire, a :
— dit que les décors du salon à l’étage du magasin Ladurée Bonaparte à Paris, du salon noir et du salon Opéra du magasin Ladurée M à L, du salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo sont protégés au titre du droit d’auteur,
— dit que Madame Z X est l’auteur de ces décors,
— déclaré irrecevable le surplus des demandes au titre du droit d’auteur,
— dit que dans l’ouvrage 'L’esprit décoration Ladurée', la présence des photographies p.158 et 159 montrant le salon bleu du magasin Ladurée Bonaparte de Paris, p.106 et p.107 montrant le salon noir et p.111 montrant le salon Opéra du magasin Ladurée M de L, p.4, p. 33 et p.40 montrant le salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo, sans mention que Madame Z X est l’auteur de ces décors, porte atteinte au droit moral d’auteur de celle-ci,
— condamné les sociétés Pâtisserie E. Ladurée et D E, et Monsieur B Y in solidum à payer une somme de 15.000 euros à Madame Z X au titre du préjudice résultant des atteintes au droit moral d’auteur,
— ordonné à la société D E d’insérer dans les exemplaires de l’ouvrage 'L’esprit
décoration Ladurée’ déjà imprimés et commercialisés, un encart mentionnant que madame
Z est la créatrice des décors :
— du salon bleu du magasin Ladurée Bonaparte de Paris, montrés dans les photographies
p.158 et 159,
— du salon noir et du salon Opéra du magasin Ladurée M de L, montrés dans
les photographies p 106, p107 et p111,
— du salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo p4, p 33 et p40 et ce, sous astreinte de 100 euros pas manquement constaté passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, étant précisé que chaque ouvrage dans lequel l’encart n’est pas inséré constitue un manquement,
— ordonné à la société D E, en cas de nouveau tirage de l’ouvrage postérieur au
jugement, d’y intégrer une mention comportant en substance les mêmes renseignements et ce, sous astreinte de 100 euros pas manquement constaté passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, étant précisé que chaque ouvrage omettant la mention constitue un manquement,
— s’est réservé la liquidation des astreintes,
— ordonné la publication du jugement dans deux périodiques au choix de madame Z X et aux frais in solidum des défendeurs dans la limite de 3.500 euros H.T. par publication,
— rejeté le surplus des demandes,
— condamné in solidum les sociétés Pâtisserie E. Ladurée et D E, et monsieur B Y aux dépens dont distraction au profit de Maître J K en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
— condamné in solidum les sociétés Pâtisserie E. Ladurée et D E et Monsieur B Y à payer une somme de 8.000 euros à Madame Z X au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— dit que la société Pâtisserie E. Ladurée devra garantir la société D E de toutes les condamnations prononcées à son encontre.
La société Pâtisserie E. Ladurée d’une part et monsieur Y et la société D E, d’autre part, ont respectivement interjeté appel de ce jugement par déclarations au greffe en date des 11 février 2016 et 19 février 2016, et les procédures ont été jointes le 17 mars 2016.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 septembre 2016,auxquelles il est expressément renvoyé, la société Pâtisserie Ladurée demande à la cour, au visa des articles L. 113-1 et L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle de :
A titre principal,
— dire et juger que madame Z X ne peut invoquer la présomption prévue par
l’article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle, et qu’elle ne rapporte pas la preuve de la qualité d’auteur qu’elle invoque,
En conséquence,
— infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré madame X recevable à agir,
— déclarer madame Z X irrecevable en ses demandes et la débouter de celles-ci,
A titre subsidiaire,
— dire et juger que les décors et éléments de mobilier revendiqués par madame Z X sur le fondement du droit d’auteur n’ont pas de forme précise et ne sont pas originaux,
En conséquence,
— infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que huit décors étaient des 'uvres de l’esprit
protégeables au titre du droit d’auteur,
— débouter madame Z X de l’ensemble de ses demandes,
A titre plus subsidiaire,
— dire et juger que les photographies objets du litige sont focalisées sur des détails mobiliers des décors revendiqués,
En conséquence,
— infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que huit photographies figurant dans l’ouvrage constituaient une atteinte au droit à la paternité de madame X,
— débouter madame Z X de l’ensemble de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire,
— réduire à de plus justes proportions l’indemnisation du préjudice subi par madame Z
X,
— débouter madame Z X de ses demandes accessoires,
En tout état de cause,
— condamner madame Z X à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner madame Z X aux entiers dépens.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 21 novembre 2016, auxquelles il est expressément renvoyé, madame Z X demande à la cour de :
— confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a déclaré irrecevables ses demandes relatives aux reproductions des décors figurant en pages 21, 22, 26, 46, 56, 91, 145, 156, 157, 19, 32, 38, 39, 52, 53, 64, 65, 161, 110, 124, 154, 62, 103, 122 de l’ouvrage 'L’Esprit décoration Ladurée',
En conséquence,
— l’infirmer en ce qu’elle a déclaré irrecevable le surplus de ses demandes au titre du droit d’auteur,
Statuant à nouveau,
— dire et juger qu’il a également été porté atteinte à son droit moral du fait de la reproduction des décors qu’elle a conçus dans l’ouvrage 'L’Esprit décoration Ladurée’ figurant en pages 21, 22, 26, 46, 56, 91, 145, 156, 157, 19, 32, 38, 39, 52, 53, 64, 65, 161, 110, 124, 154, 62, 103, 122, sans mention de son nom,
En conséquence,
— condamner in solidum la société D E, monsieur B Y et la société Pâtisserie E. Ladurée à lui payer à la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts,
— condamner la société D E à l’insertion dans chaque exemplaire commercialisé de l’ouvrage 'L’Esprit décoration Ladurée’ d’un bandeau ou encart mentionnant le nom de madame Z X en tant que créatrice des décors des salons Ladurée Bonaparte, M et Ginza sous astreinte de 1.000 euros par manquement constaté, passé un délai de trente jours à compter de la signification du jugement (sic),
— condamner la société D E à la mention, dans chaque exemplaire à paraître de l’ouvrage 'L’Esprit décoration Ladurée’ de son nom en tant que créatrice des décors des salons Ladurée Bonaparte, M et Ginza sous astreinte de 1.000 euros par manquement constaté,
— ordonner la publication du jugement à intervenir (sic) dans quatre journaux ou revues de son choix, aux frais de la société D E, de monsieur B Y et de la société Pâtisserie E. Ladurée pris in solidum, ainsi que sur la page d’accueil du site internet www.laduree.fr édité par la société Pâtisserie E. Ladurée dans les quinze jours à compter de la signification du jugement (sic),
— réserver au tribunal de grande instance de Paris (sic) la liquidation de l’astreinte,
En tout état de cause,
— condamner in solidum la société D E, monsieur B Y et la société Pâtisserie E. Ladurée à lui payer à la somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir (sic),
— condamner (…..) aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 24 novembre 2016, auxquelles il est expressément renvoyé, la société D E et monsieur Y demandent à la cour de :
— confirmer le jugement en ce qu’il a constaté, s’agissant des pièces de mobiliers et des éléments de décoration représentés sur les photographies en cause, que Z X ne revendique plus en être l’auteur et n’apporte pas, en tout état de cause, la preuve de sa qualité d’auteur, et s’agissant des décors de la véranda et de l’espace de vente à emporter du magasin Ladurée Bonaparte, de l’espace de vente du magasin Ladurée Harrod’s, du salon aux perles, du salon aux entrelacs du magasin Ladurée Ginza et du salon de thé Ladurée Nihombashi, que Z X ne démontre pas qu’ils sont originaux et accessibles à la protection au titre du droit d’auteur, et en ce qu’il a en conséquence déclaré irrecevables les demandes de Z X portant sur les 24 photographies reproduites aux pages 19, 21, 22, 26, 46, 53, 56, 52, 91, 110, 124, 130, 131, 145, 156, 157, 161,
— l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,
— débouter madame Z X de toutes ses demandes,
— à titre subsidiaire, condamner la société Ladurée à garantir la société D E de toutes condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre,
— condamner madame Z X à leur verser la somme de 10.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner m adame Z X aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée le 24 novembre 2016.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant que madame Z X revendique des droits d’auteur sur l’agencement, les décors et scénographies et les designs intérieurs (en ce compris le mobilier destiné à la vente à emporter et celui garnissant les salons de thé) de trois magasins/salons de thé Ladurée ; que plus précisément elle indique être l’auteur, dans le magasin Ladurée Ginza à Tokyo, de l’espace vente à emporter, du salon P-Q, du salon aux perles et du cabinet aux entrelacs, dans le magasin Ladurée Bonaparte à Paris, de l’espace vente à emporter, du salon bleu du 1er étage et de la véranda, et dans le salon de thé Ladurée M à L, du salon noir, de l’espace pâtisserie vente à emporter, et du salon Opéra, ainsi que de certains éléments du décor du salon Ladurée Nihombashi à Tokyo qui serait une réplique du salon Ladurée Bonaparte à Paris ;
Que contestant l’appréciation du tribunal qui a retenu que les pièces versées aux débats par madame X établissaient qu’elle était l’auteur de l’aménagement de trois des magasins sus-indiqués, les appelantes contestent la titularité des droits d’auteur de madame X, en faisant valoir en substance que les décors des magasins ont été divulgués sous le nom LADUREE, que l’intimée ne peut donc se prévaloir d’aucune présomption et qu’il lui appartient d’apporter la preuve de la création des éléments de mobiliers et des décors qu’elle revendique ;
Considérant, ceci exposé, que madame X, qui ne conteste pas que les oeuvres concernées par le présent litige ont été divulguées sous le nom LADUREE, ne revendique pas le bénéfice de la présomption de titularité instaurée par l’article L113-1 du code de la propriété intellectuelle de sorte que les arguments des appelants sur ce point sont inopérants, mais entend démontrer par les pièces qu’elle verse aux débats, sa qualité d’auteur desdites oeuvres dès lors que la présomption de titularité au profit de la société Pâtisserie E. Ladurée est une présomption simple susceptible d’être renversée par la preuve contraire ;
Considérant que la convention signée le 13 juillet 2006 entre la société Z X et la société Pâtisserie E. Ladurée indique en son préambule que :
'Compte tenu de l’expérience acquise par la société Z X dans la conception et du suivi de la réalisation de l’aménagement et de la décoration des Magasins sous enseigne LADUREE, notamment des Magasins LADUREE de PARIS BONAPARTE et L M, et afin d’assurer l’unité du réseau LADUREE, le respect du concept, de l’image, de l’enseigne et de la marque LADUREE, la société PATISSERIE E. LADUREE désigne la société Z X en qualité de PRESTATAIRE de services agrée afin qu’elle réalise la conception et le suivi de la réalisation de l’agencement, de la décoration et du design intérieurs des locaux de ses filiales et sociétés tierces titulaires de licences LADUREE' ;
Qu’aux termes du protocole d’accord transactionnel signé le 21 juillet 2009 entre, d’une part, notamment la société Patisserie E.Ladurée et, d’autre part, la société Z X et madame Z X, lequel rappelle en préambule que madame Z X intervient depuis de nombreuses années, de manière très ponctuelle, à la demande de I SAS, pour réaliser des prestations de décoration et acheter des objets de décoration destinés aux points de vente des sociétés du groupe I, qu’en 2002, madame Z X a réalisé une partie du décor de Ladurée Bonaparte sur la rive gauche, et qu’a été signé le 13 juillet 2006, entre Patisserie E. Ladurée et Z X un contrat de prestation de service en vue de la réalisation de l’agencement, de la décoration et du design intérieur des points de vente Ladurée, selon des lettres de mission signées pour chacun des projets Ladurée exploités par Pâtisserie E. Ladurée, ses filiales ou ses licenciés,
il est indiqué :
article 3 : 'sans reconnaissance d’une quelconque responsabilité à quelque titre et en quelque qualité que ce soit, I règle à Z X, à titre de dommages-intérêts dans le cadre du protocole, une indemnité transactionnelle et définitive pour solde de tout compte de 420.000 euros (…)',
article 4-1 :'Sous réserve des dispositions de l’article 4.2 Z X et Madame Z X renoncent, au jour de la signature du présent protocole, au profit exclusif de Pâtisserie E. Ladurée et des autres sociétés du Groupe I, à l’intégralité des droits de propriété intellectuelle, sauf le droit moral d’auteur, qu’elles détiennent sur toute création, objet, 'uvre d’art, décor, concept, plan réalisés directement ou indirectement avec, et/ou en collaboration et/ou pour toutes les enseignes des sociétés du Groupe I et notamment ' LADUREE', 'PAUL’ et 'CHATEAU BLANC'» ainsi que pour Panétude. (') Pâtisserie E. Ladurée et les autres sociétés du Groupe I respecteront le droit moral de Madame Z X dans les représentations qu’elles feront de ses 'uvres',
article 4-2 : 'Les renonciations mentionnées ci-dessus ne concernent pas le décor type du bar LADUREE 13 rue de Lincoln à Paris (…)';
Que si la reconnaissance de la qualité d’auteur ne peut résulter d’un contrat, il n’en reste pas moins que la société Ladurée, qui n’explique pas pourquoi elle a accepté de signer un tel protocole d’accord avec madame X, se contredit au détriment de cette dernière en contestant à ce jour la qualité d’auteur qu’elle revendique ;
Considérant, en tout état de cause, que madame X a versé aux débats de nombreuses pièces tels que des croquis, plans, devis, factures, demandes d’acomptes adressées à la société Panetude entre le 12 décembre 2007 et le 17 novembre 2008, courriers, extraits de sites internet, articles de presse, emails, dossier de presse, photographies, interview donnée par monsieur O I et attestations des 27 avril 2009, 28 avril 2009 et 10 octobre 2016, d’où il résulte qu’elle a bien conçu et réalisé la décoration et l’aménagement d’ensemble des salons de thé Ladurée Ginza au Japon, Bonaparte à Paris et Harrolds L ainsi que le tribunal l’a justement relevé ;
Considérant, néanmoins, que la société Ladurée, la société D E et monsieur B Y démontrent que certains des éléments revendiqués n’ont pas été conçus ni réalisés par madame X ; qu’il en est ainsi des meubles ou éléments de décoration qui ont été achetés, dupliqués, rénovés, déplacés, ou réalisés par des tiers (tels par exemple le panoramique de la véranda du salon Bonaparte, les lustres, statues, bibelots, objets d’art, miroirs, gravures et encadrements, sièges, fauteuils et guéridons, boiseries, papiers peints, frises murales, escaliers, moquettes ou encore la décoration du salon Nihombashi) sur lesquels madame X ne peut donc prétendre avoir des droits d’auteur ;
Considérant qu’il est constant que les dispositions de l’article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par le droit d’auteur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales c’est-à-dire qu’elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur ;
Que les éléments sus-visés étant exclus, il subsiste en l’espèce qu’en faisant le choix de l’aménagement, au sein du magasin Ladurée Ginza, d’un salon dit 'salon P-Q’ comportant un mélange de styles, 18e siècle pour la décoration des murs recouverts de reproductions de boiseries peintes du château de Fontainebleau, des plafonds moulurés et de la moquette fleurie, et Napoléon III pour le mobilier, au sein du magasin Ladurée Bonaparte, d’un salon dit 'salon bleu’ dans lequel se mélangent les meubles de style Napoléon III et la couleur bleue et foisonnent des bibelots et des photographies, évoquant une maison particulière, et au sein du magasin Ladurée M, d’un salon dit 'salon noir’ dans lequel la couleur noire prédomine du sol au plafond et contraste avec l’or des lustres, et comportant des sculptures de femmes et de très nombreux miroirs disposés, l’ensemble de ces éléments conférant à la pièce une ambiance singulière de temple féerique et de cabinet de curiosité ainsi qu’ un salon dit 'salon Opéra’ monochrome aux inspirations 19e siècle dans lequel le rouge orangé répond à l’acajou des meubles et des murs, le tout rappelant un intérieur bourgeois et confortable, madame X a crée au sein de ces trois magasins des salons 'P-Q, bleu, noir et Opéra’ qui portent l’empreinte de sa personnalité et doivent en conséquence bénéficier de la protection par le droit d’auteur ;
Considérant, en revanche, concernant l’espace vente à emporter, le salon aux perles et le cabinet aux entrelacs du magasin Ladurée Ginza, que la cour relève, pour le premier de ces lieux, que l’intimée n’identifie dans ses dernières écritures aucune des reproductions qu’elle incrimine et pour les suivants que les représentations litigieuses (une seule pour le cabinet aux entrelacs) ne concernent que des éléments isolés ou des vues extrêmement partielles qui, ainsi que l’a relevé à juste titre le tribunal, ne permettent pas d’en apprécier l’originalité de sorte que ces créations ne peuvent accéder à la protection par le droit d’auteur ; que concernant la véranda et l’espace de vente du magasin Ladurée Bonaparte, madame X ne peut se contenter de renvoyer la cour à prendre connaissance des pièces qu’elle produit (des photocopies noir et blanc de mauvaise qualité de photographies des décors revendiqués), aux reproductions litigieuses ou encore aux déclarations qui ont été faites dans la presse 'afin de se convaincre de leur originalité’ sans démontrer en quoi, au-delà de ses simples descriptions ou ses affirmations, ces décors portent l’empreinte de sa personnalité ; qu’il en est de même de l’espace de vente à apporter du magasin Ladurée M pour lequel ni la vue d’ensemble à laquelle madame X renvoie la cour (pièce 68) ni le simple détail de frise contenu en page 197 de l’ouvrage litigieux auquel elle renvoie également, ne permettent de caractériser son apport créatif ;
Considérant que madame X ajoute en page 101 de ses dernières écritures que le salon de thé Ladurée Nihombashi à Tokyo constitue une réplique du salon Ladurée Bonaparte à Paris et que la comparaison de son décor avec celui des salons Bonaparte à Paris démontre clairement que ses 'uvres ont été répliquées, en violation de son droit moral; qu’elle se réfère plus précisément dans ses dernières écritures à l’appui de ses prétentions, aux reproductions de l’ouvrage litigieux figurant en pages 154 et 159 montrant une partie du salon Nihombashi et du salon Bonaparte, 166 montrant des fauteuils crapauds du salon, 100 montrant une applique en métal et 104 un lustre en cristal, sans autre précision, pour en déduire que le salon Nihombashi à Tokyo reproduit 'quasiment à l’identique’ la décoration du salon bleu Ladurée Bonaparte à Paris ;
Que, cependant, en l’état de ces éléments, notamment des reproductions très partielles auxquelles renvoie madame X, et étant précisé qu’elle ne prétend pas avoir été chargée de la décoration du salon Nihombashi, que la cour n’est pas en mesure d’apprécier, ni les reproductions alléguées du salon Bonaparte de Paris ni encore moins l’originalité des éléments de décors revendiqués ; que les demandes de ce chef doivent donc être également rejetées ;
Considérant en définitive que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a considéré que la décoration et l’aménagement d’ensemble du salon bleu à l’étage du magasin Ladurée Bonaparte à Paris, du salon noir et du salon Opéra du magasin Ladurée M à L, ainsi que du salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo sont protégeables au titre du droit d’auteur, sauf à rappeler que la condition d’originalité requise est une condition de fond permettant d’accéder à la protection par le droit d’auteur et non pas une condition de recevabilité et que l’action de madame Z X doit en conséquence être déclarée bien fondée de ces chefs ;
Considérant que selon l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle :
' L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne (…)'.
Qu’en l’espèce madame Z X fait valoir que son nom n’apparaît nulle part dans l’ouvrage ' L’Esprit décoration Ladurée’ alors que ce dernier reproduit 32
photographies ayant pour objet principal les décors qu’elle a conçus ou des répliques de ces décors ;
Considérant, sur ce point, et ainsi que l’a jugé le tribunal, que seules les photographies présentant une vision d’ensemble de la décoration et des aménagements des pièces pour lesquelles la protection au titre du droit d’auteur à été retenue (soit les photographies p.158 et 159 du salon bleu du magasin Bonaparte de Paris, p.106 et p.107 du salon noir, et p.111 du salon Opéra du magasin Ladurée Harrolds de L, et p.4, p. 33 et p.40 du salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo ) peuvent être concernées par la demande de l’intimée; que les arguments de la société Ladurée selon lesquels madame X ne peut invoquer une atteinte à son droit moral du fait de photographies qui ne reproduisent que des détails ou des éléments de mobilier sont donc sans objet ;
Qu’il n’est pas contesté que l’ouvrage litigieux, ne comporte aucune mention du nom de madame Z X en qualité d’auteur ;
Que, dès lors, les atteintes au droit à la paternité de madame X sont constituées du chef des huit représentations retenues qui reproduisent des éléments de décoration protégés ;
Considérant que l’intimée forme un appel incident en sollicitant l’augmentation des dommages-intérêts qui lui ont été alloués par les premiers juges ; que toutefois, elle ne produit aucun élément nouveau en appel qui serait de nature à modifier le montant de la réparation qui lui a été allouée au titre des atteintes à son droit moral d’auteur exactement fixé par les premiers juges à la somme de 15.000 euros en considération du nombre de reproductions retenues et du nombre d’exemplaires vendus de l’ouvrage incriminé s’élevant à 2.563 selon l’éditeur et 2.654 selon l’appelante ; que le jugement sera donc également confirmé de ce chef, la société Ladurée ne pouvant sérieusement soutenir que madame X a accepté, dans le protocole transactionnel du 21 juillet 2009 de restreindre son droit à la paternité ;
Considérant que le jugement sera en outre confirmé en ce qu’il a ordonné la publication de la décision dans les conditions qu’il a fixées et ordonné l’insertion d’un encart mentionnant que madame Z X est la créatrice des décors concernés dans les nouveaux tirages de l’ouvrage incriminé, mais sera en revanche infirmé en ce qu’il a dit que cette insertion devra figurer dans les ouvrages déjà imprimés et commercialisés, (à l’exclusion cependant des ouvrages déjà achetés par des consommateurs), cette mesure apparaissant disproportionnée au regard des faits de l’espèce ;
Considérant que la société Patisserie E. Ladurée ne conteste pas devoir sa garantie
à la société D Livres des condamnations prononcées à l’encontre de cette dernière, laquelle résulte en tout état de cause des termes du contrat de commande et de cession de droits d’auteur conclu le 30 mars 2012 entre l’éditeur et la société PATISSERIE E.LADUREE et portant sur l’ouvrage intitulé 'L’Esprit décoration Ladurée’ qui prévoit en son article 10 que cette dernière 's’engage à faire son affaire personnelle de toutes réclamations et/ou procédures, quels qu’en soient les formes, objet et nature formées contre l’éditeur qui se rattacheraient, directement ou indirectement, à la réalisation et/ou l’exploitation de l’oeuvre (…)' ;
Considérant que la société Patisserie E.Ladurée, la société D E et monsieur B Y, parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Considérant enfin, que madame Z X a dû engager en cause d’appel des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 29 janvier 2016 entre les parties par le tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu’il a ordonné à la société D E d’insérer dans les exemplaires de l’ouvrages 'L’esprit décoration LADUREE’ déjà imprimés et commercialisés, un encart mentionnant que Madame Z est la créatrice des décors du salon bleu du magasin Ladurée Bonaparte de Paris, montrés dans les photographies p.158 et 159, du salon noir et du salon Opéra du magasin Ladurée M de L, montrés dans les photographies 106, p.107 et p.111, du salon P-Q du salon de thé Ladurée Ginza à Tokyo p.4, p. 33 et p.40, et ce sous astreinte de 100 euros pas manquement constaté passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, étant précisé que chaque ouvrage dans lequel l’encart n’est pas inséré constitue un manquement.
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Ordonne à la société D E, en cas de nouveau tirage de l’ouvrage postérieur à la présente décision, d’y intégrer une mention comportant en substance les mêmes renseignements, et ce sous astreinte de 100 euros pas manquement constaté passé un délai de 45 jours à compter de la signification du présent l’arrêt, étant précisé que chaque ouvrage omettant la mention constitue un manquement.
Dit que la mesure de publication ordonnée par le tribunal tiendra compte du présent arrêt.
Condamne in solidum les sociétés Pâtisserie E. Ladurée et D E ainsi que monsieur B Y à payer à madame Z X une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette le surplus dans demandes.
Condamne in solidum, les sociétés Pâtisserie E. Ladurée et D E ainsi que monsieur B Y aux dépens dont distraction qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
Textes cités dans la décision
Le Visual Merchandising (VM) représente l'ensemble des techniques d'aménagement des magasins. C'est l'art de mettre en œuvre la dimension identitaire à travers une scénarisation des points de vente. L'expression Visual Merchandising est née aux États-Unis dans les années ‘50 avec l'imprégnation de l'art dans le commerce. Andy Warhol a réalisé les premières vitrines à New York, après les années de la dépression il était nécessaire donner un boost à l'économie avec des vitrines eye-catching. L'industrie repose sur l'image de marques, chaque marque est unique et représente votre …