CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE BERLAND c. FRANCE, 3 septembre 2015, 42875/10

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Chronologie de l’affaire

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Par laure Laref · Dalloz · 9 juin 2021
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 3 sept. 2015, n° 42875/10
Numéro(s) : 42875/10
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Achour c. France [GC], no 67335/01, CEDH 2006 IV
Claes c. Belgique, no 43418/09, § 110, 10 janvier 2013
Gardel c. France, no 16428/05, CEDH 2009
G. c. France, no 27244/09, § 46, 23 février 2012
M. c. Allemagne, no 19359/04, CEDH 2009
Moreels c. Belgique, no 43717/09, § 43, 9 janvier 2014)
Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006 XV
Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, série A no 307 A
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire jointe au fond (Article 35-3 - Ratione materiae) ; Non-violation de l'article 7 - Pas de peine sans loi (Article 7-1 - Rétroactivité)
Identifiant HUDOC : 001-156521
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0903JUD004287510
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE BERLAND c. FRANCE

(Requête no 42875/10)

ARRÊT

STRASBOURG

3 septembre 2015

DÉFINITIF

03/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Berland c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42875/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Daniel Berland (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me J.C. Bonfils, avocat à Dijon. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue une violation de l’article 7 § 1 de la Convention.

4.  Le 31 janvier 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1987 et est actuellement placé au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Sevrey.

6.  Le 12 septembre 2007, le requérant, âgé de vingt ans, se présenta sur le lieu de travail de C.G. qui avait été son amie et qui lui avait fait connaître, à la suite de menaces et d’actes de violence, qu’elle ne voulait plus le voir. Le requérant porta plusieurs coups de couteau à C.G., qui, blessée à la gorge et au thorax, décéda d’une hémorragie massive, ainsi qu’à deux autres personnes. Le 14 septembre 2007, le requérant fut mis en examen des chefs d’assassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux autres personnes, et placé en détention provisoire. Le même jour, le préfet prit à son encontre un arrêté de placement d’office au CHS de Sevrey.

7.  Le requérant fut examiné par deux collèges d’experts psychiatres qui conclurent qu’il était atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes au sens de l’article 122-1 du code pénal (ci-après « CP », paragraphe 17 ci-dessous).

8.  Le 8 septembre 2008, le procureur de la République requit le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de l’instruction afin que celle-ci statue sur l’irresponsabilité pénale du requérant, conformément à l’article 706-20 du code de procédure pénale issu de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (ci-après « la loi du 25 février 2008 », paragraphes 18 et 20 ci-dessous).

9.  Par une ordonnance du 30 septembre 2008, le juge d’instruction constata qu’il résultait de l’information qu’il existait des charges suffisantes à l’encontre du requérant d’avoir commis les faits reprochés et qu’il y avait des raisons plausibles d’appliquer l’article 122-1 alinéa 1er du CP précité. Il ordonna la transmission du dossier par le procureur de la République au procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction.

10.  Le 18 novembre 2008, le procureur général près la cour d’appel de Dijon prit des réquisitions tendant à saisir la chambre de l’instruction afin de statuer sur l’irresponsabilité pénale du requérant pour trouble mental selon la procédure organisée par les dispositions du nouvel article 706-122 du CPP, lequel prévoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous).

11.  Par une ordonnance du 25 novembre 2008, le président de la chambre de l’instruction constata l’impossibilité médicale pour le requérant de comparaître à l’audience. Au cours de l’audience du 27 novembre 2008, son représentant fit notamment valoir que l’ordonnance du 30 septembre 2008 méconnaissait le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. Il indiqua que selon l’article 706-122 du CPP précité, la chambre de l’instruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requérant pour prononcer un internement psychiatrique, ordonné sans limitation de durée, ce qui équivalait à une condamnation pour une infraction, et au prononcé d’une peine qui n’était pas applicable à la date de commission des faits.

12.  Par un arrêt du 18 février 2009, la chambre de l’instruction déclara qu’il existait des charges suffisantes contre le requérant « d’avoir volontairement donné la mort à C.G. » et qu’il était irresponsable pénalement de ces faits au motif qu’il était atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes. Elle prononça son hospitalisation d’office conformément à l’article 706-135 du CPP issu de la loi du 25 février 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif « qu’il ressort des débats que les troubles mentaux [du requérant] compromettent la sûreté des personnes et nécessitent des soins au long cours et devant se dérouler dans un cadre hospitalier ». Elle lui fit également interdiction, pendant une durée de vingt ans, de rentrer en relation avec les parties civiles et de détenir ou porter une arme, mesures de sûreté prévues par les dispositions du nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci‑dessous). Elle renvoya la procédure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qu’il soit statué sur la responsabilité civile du requérant et sur les demandes de dommages et intérêts. Auparavant, elle s’était prononcée sur les exceptions de procédure soulevées par le représentant du requérant, dont celle relative à l’application immédiate des dispositions de la loi du 25 février 2008 et à la violation alléguée de l’article 7 de la Convention :

« (...) La déclaration de l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés ne constitue nullement une condamnation mais la constatation d’un état de fait susceptible d’avoir des conséquences juridiques (...)

(...) contrairement à ce que soutient le mémoire et contrairement au régime de la rétention de sûreté, la chambre de l’instruction ne prononce pas un internement judiciaire sans limitation de durée mais ordonne l’hospitalisation d’office de la personne dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du code de la santé publique, le régime de cette hospitalisation étant celui prévu pour les hospitalisations d’office, le préfet étant immédiatement avisé de cette décision. Ainsi, l’intéressé sera soumis au régime de l’hospitalisation d’office ne relevant que de l’autorité médicale et administrative selon l’évolution de son état de santé.

Dès lors, cette mesure s’analyse non pas en une peine mais en une mesure de sûreté. (...) La loi du 25 février 2008 ainsi que le décret du 16 avril 2008 [paragraphe 18 ci‑dessous) sont donc applicables. »

13.  Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Dans ses moyens de cassation, il fit valoir, au visa des articles 6 § 1 et 7 de la Convention, que le principe de légalité des peines faisait obstacle à l’application immédiate d’une procédure qui a pour effet de lui faire encourir des peines auxquelles son état mental ne l’exposait pas sous l’empire de la loi ancienne applicable au moment où les faits ont été commis. Il soutint que le prononcé de l’irresponsabilité pénale ne pouvait pas s’accompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonnées par l’autorité judiciaire, sauf à violer le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

14.  Devant la Cour de cassation, dans son avis, l’avocat général estima impossible de constater qu’il existait des charges suffisantes contre le requérant d’avoir « volontairement » commis les faits reprochés, dès lors que « juridiquement, l’état d’irresponsabilité pénale lié à une abolition du discernement fait obstacle à ce que la juridiction puisse se prononcer sur l’élément moral de l’infraction et par voie de conséquence sur le caractère infractionnel des faits au regard de la loi ». Il fit valoir que le législateur avait voulu que le juge d’instruction anticipe sur la déclaration d’irresponsabilité pénale et limite son appréciation aux seuls faits : « d’une telle anticipation, ne subsiste exclusivement que l’élément matériel, dépouillé de sa connotation répressive, et son  « imputation objective » à une personne, qui sert de support à la réparation au bénéfice des « victimes » et que la loi a voulu saisir en tant que tel ». Il demanda sur ce point, par voie de retranchement, la substitution du dispositif de l’arrêt de la chambre de l’instruction pour y enlever le terme « volontairement ».

15.  Par un arrêt du 14 avril 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :

« Attendu que (...) la personne mise en examen a soutenu qu’il ne pouvait être fait une application immédiate de la loi du 25 février 2008, les dispositions de l’article 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer, à l’encontre de la personne déclarée pénalement irresponsable pour cause de trouble mental, des mesures qui, par leurs effets, ont une nature de « quasi sanction pénale » et sont inscrites au casier judiciaire ;

Attendu que, pour écarter cette argumentation, l’arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, l’arrêt n’encourt pas le grief allégué dès lors que les dispositions de l’article 112-1 du code pénal prescrivant que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date de l’infraction ne s’appliquent pas aux mesures de sûreté prévues, en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par les articles 706-135 et 706-136 (...).

(...) il existe, [contre le requérant] des charges suffisantes d’avoir commis les faits d’assassinat et de violences (...) »

16.  Par une décision du 23 février 2011, que le requérant a produit avec ses observations, le préfet de Saône-et-Loire le débouta de ses demandes de sorties, seul à l’extérieur. La lettre du préfet au médecin psychiatre du CHS de Sevrey est ainsi libellée :

« (...) Par courrier en date du 12/08/2010, je vous ai informé que je sollicitais deux expertises en vue de m’assurer de la possibilité d’accorder de telles sorties.

Celles-ci, qui me sont parvenues concluent pour l’une : « l’état de santé actuel de M. Berland nous permet d’envisager des sorties seul à l’extérieur dans le cadre d’une sortie d’essai avec un protocole de réintégration dans la société qui semble indispensable ». Pour l’autre : « son état actuel permet d’envisager la possibilité de sorties, seul. On devrait se diriger progressivement vers une modalité de sortie d’essai pour consolider les projets de réinsertion ».

Par ailleurs, conformément à ses instructions, édictées à la suite du jugement de M. Berland, j’ai pris l’attache de Monsieur le procureur de la République de Dijon pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient m’amener à autoriser à l’avenir des sorties, seul à M. Berland.

Celui-ci a appelé mon attention sur les interdictions ordonnées par la cour d’appel de Dijon le 18/02/2009 à M. Berland, en application des articles 706-135 à 706-140 du code de procédure pénale (...).

Dans ces conditions, bien que les expertises laissent entrevoir la possibilité d’accorder des sorties, seul à M. Berland, il m’apparait impossible de garantir qu’il ne viendrait pas à entrer en contact lors de sorties, seul que viendrai à lui autoriser, avec les personnes constituant la partie civile. Par conséquent, je tiens à vous informer de ma décision (...) d’autoriser à l’avenir exclusivement des sorties, accompagné, à M. Berland en fonction des éléments d’appréciation que vous me ferez parvenir. »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17.  L’article 122-1 du CP était, à l’époque des faits, ainsi libellé :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »

18.  La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental comporte deux volets.

Le premier institue une rétention de sûreté dans un centre socio‑médico‑judiciaire pour les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans, et qui présentent à la fin de l’exécution de leur peine une dangerosité particulière. Cette rétention de sûreté présente des similarités avec la détention de sûreté prévue par le droit allemand et examinée par la Cour dans son arrêt M. c. Allemagne (no 19359/04, CEDH 2009). Dans celui-ci, la Cour avait rappelé que le Conseil constitutionnel français, à propos de la nature de la rétention de sûreté, avait jugé qu’elle n’était ni une peine ni une sanction mais qu’elle ne pouvait pas être imposée rétroactivement à des personnes condamnées pour des infractions commises avant son entrée en vigueur ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement, eu égard « à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction (...) » (M., précité, § 75).

Le second volet de la loi, seul en cause en l’espèce, institue une nouvelle procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Ce texte prévoit que la personne atteinte d’un trouble mental comparaît devant une juridiction d’instruction ou de jugement qui se prononce sur la réalité des faits commis, déclare qu’elle est irresponsable pénalement et prononce le cas échéant une hospitalisation d’office et/ou des mesures de sûreté (articles 706-135 et 706-136 du CPP, paragraphe 20 ci‑dessous). Auparavant, ces juridictions rendaient des décisions de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement car la personne pénalement irresponsable était assimilée à une personne contre laquelle les charges étaient inexistantes ou insuffisantes. Ces mêmes juridictions pouvaient, tout au plus, lorsqu’elles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux risquaient de compromettre l’ordre public ou la sûreté des personnes, aviser le préfet afin que celui-ci prenne une mesure d’hospitalisation d’office.

19.  Le projet de loi, en ses dispositions relatives aux auteurs d’infractions pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental, a été présenté par le ministre de la Justice à l’Assemblée Nationale comme nécessaire pour « rendre plus cohérent, plus efficace et plus transparent le traitement par l’autorité judiciaire des auteurs d’infractions déclarés pénalement irresponsables » avec une meilleure prise en compte de la douleur des victimes et un renforcement de l’efficacité du dispositif d’injonctions de soins (sur ce dernier point, la loi transfère la compétence de prononcer une hospitalisation d’office à l’autorité judiciaire) :

« Si le principe de l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental aliénant n’est plus contestable, les modalités procédurales selon lesquelles les juridictions répressives décident de l’irresponsabilité et les conséquences qu’elles en tirent, font en revanche l’objet de vives critiques depuis de longues années. Elles ont déjà conduit à modifier à plusieurs reprises les textes (...) mais n’ont toutefois pas répondu à la principale critique, qui est que le juge répressif, lorsqu’il applique les dispositions de l’article 122-1 du code pénal, soit rend une ordonnance de non-lieu qui met fin aux poursuites sans débat préalable, sans se prononcer sur les faits, sans informer les victimes des mesures prises ensuite à l’égard de l’auteur et sans statuer sur les conséquences civiles de l’acte commis, soit prononce une relaxe ou un acquittement qui sont perçus comme niant totalement la réalité des faits qui ont été matériellement commis. Afin de répondre à ces critiques, le présent projet propose de revoir dans son entier le traitement judiciaire de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par les juridictions répressives. »

20.  La procédure que le juge d’instruction doit suivre et celle devant la chambre d’instruction, devant laquelle se déroule une audience, sont organisées par les dispositions du CPP suivantes :

Article 706-120

« Lorsqu’au moment du règlement de son information, le juge d’instruction estime, après avoir constaté qu’il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés, qu’il y a des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, il ordonne, si le procureur de la République ou une partie en a formulé la demande, que le dossier de la procédure soit transmis par le procureur de la République au procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction. Il peut aussi ordonner d’office cette transmission.

  Dans les autres cas, il rend une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise qu’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. »

Article 706-122

« Lorsque la chambre d’instruction est saisie en application de l’article 706-120, son président ordonne, soit d’office, soit à la demande de la partie civile, du ministère public ou de la personne mise en examen, la comparution personnelle de cette dernière si son état le permet (...). Les débats se déroulent en audience publique (...). Le procureur général, l’avocat de la personne mise en examen et l’avocat de la partie civile peuvent poser des questions à la personne mise en examen, à la partie civile, aux témoins et aux experts (...) ».

Article 706-125

« Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal n’est pas applicable], la chambre de l’instruction rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :

1o  Elle déclare qu’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés ;

2o  Elle déclare la personne irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;

3o  Si la partie civile le demande, elle renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel compétent pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile de la personne (...), et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;

4o  Elle prononce, s’il y a lieu, une ou plusieurs des mesures de sûreté (...). »

Article 706-135
(à l’époque des faits)

« Sans préjudice de l’application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, lorsque la chambre de l’instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner, par décision motivée, l’hospitalisation d’office de la personne dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du même code s’il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les hospitalisations ordonnées en application de l’article L. 3213-1 du même code, dont le deuxième alinéa est applicable. L’article L. 3213-8 du même code est également applicable. »

Article 706-136

« Lorsque la chambre de l’instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l’encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu’elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement :

1o  Interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ;

2o  Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ;

3o  Interdiction de détenir ou de porter une arme ;

4o  Interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l’objet d’un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ;

5o  Suspension du permis de conduire ;

6o  Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis.

Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu’après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l’objet.

Si la personne est hospitalisée en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, les interdictions dont elle fait l’objet sont applicables pendant la durée de l’hospitalisation et se poursuivent après la levée de cette hospitalisation, pendant la durée fixée par la décision. »

Article 706-137

« La personne qui fait l’objet d’une interdiction prononcée en application de l’article 706-136 peut demander au juge des libertés et de la détention du lieu de la situation de l’établissement hospitalier ou de son domicile d’ordonner sa modification ou sa levée. Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministère public, le demandeur ou son avocat entendus ou dûment convoqués. Il peut solliciter l’avis préalable de la victime. La levée de la mesure ne peut être décidée qu’au vu du résultat d’une expertise psychiatrique. En cas de rejet de la demande, aucune demande ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai de six mois. » [le mot « interdiction » a été remplacé par le mot « mesure » à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2014, de la loi du no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales]. »

Article 706-139

« La méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues par l’article 706-136 est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. »

Article D. 47-29-1
Créé par Décret no 2010-692 du 24 juin 2010

« L’ordonnance aux fins d’hospitalisation d’office prise en application de l’article 706-135 du présent code est immédiatement exécutoire, sans préjudice de la possibilité de saisine du juge des libertés et de la détention conformément aux dispositions de l’article L. 3211-12 du code de la santé publique afin qu’il soit mis fin à l’hospitalisation.

À peine d’irrecevabilité, cette ordonnance ne peut faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi en cassation qu’en même temps qu’un appel ou qu’un pourvoi formé contre la décision portant déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

L’appel ou le pourvoi formé contre l’ordonnance aux fins d’hospitalisation d’office n’est pas suspensif (...) »

Article D. 47-29-3
Créé par décret no 2010-692 du 24 juin 2010

« Conformément aux dispositions de l’article 706-135 du présent code, le régime de l’hospitalisation d’office ordonnée par une juridiction en application de cet article est, s’agissant des conditions de levée et de prolongation de cette mesure, identique à celui de l’hospitalisation ordonnée par le représentant de l’État en application des articles L.3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique à l’égard d’une personne déclarée pénalement irresponsable en raison d’un trouble mental. En particulier, il ne peut être mis fin à cette hospitalisation que selon les modalités prévues par l’article L 3213-8 du code de la santé publique, et les dispositions de l’article L. 3213‑4 de ce code exigeant, sous peine de mainlevée automatique de l’hospitalisation, le maintien de cette mesure par le représentant de l’État à l’issue des délais prévus par cet article ne sont par conséquent pas applicables. »

Article D. 47-29-6
Créé par décret no 2010-692 du 24 juin 2010

« Les mesures de sûreté prévues à l’article 706-136 ne peuvent être prononcées par la juridiction que s’il apparaît, au moment où la décision est rendue et au vu des éléments du dossier et notamment de l’expertise de l’intéressé, qu’elles sont nécessaires pour prévenir le renouvellement des actes commis par la personne déclarée pénalement irresponsable, pour protéger cette personne, pour protéger la victime ou la famille de la victime, ou pour mettre fin au trouble à l’ordre public résultant de la commission de ces actes.

Ces mesures ne peuvent être prononcées à titre de sanction contre l’intéressé. »

Article D. 47-29-8
Créé par Décret no 2010-692 du 24 juin 2010

« Conformément aux dispositions du 11o bis du I de l’article 23 de la loi no 2003‑239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, le ministère public informe le gestionnaire du fichier des personnes recherchées des interdictions prononcées en application de l’article 706-136. »

Article D. 47-31

« Le procureur de la République ou le procureur général avise le service du casier judiciaire national automatisé des jugements et arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de l’instruction et les juridictions de jugement dans les cas où il a été fait application des dispositions de l’article 706-36.

Dans ce cas, lorsqu’il est informé de la levée d’une hospitalisation d’office conformément à l’article D. 47-30, le procureur de la République en avise le service du casier judiciaire national automatisé, afin que celui-ci puisse en tirer les conséquences sur la durée de validité de l’interdiction et sur sa mention aux bulletins no 1 et no 2 du casier judiciaire. »

21.  L’article 5 du décret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les articles D. 47-27 à D. 47-32 sont immédiatement applicables aux procédures en cours. Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative à la présentation des dispositions du décret no 2010-692 du 24 juin 2010 précisant les dispositions du CPP relative à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il est précisé ceci :

« Nature et fondement des mesures de l’article 706-136.

L’article D. 47-29-6 indique expressément qu’il s’agit de mesures de sûreté.

Il précise qu’elles ne peuvent être prononcées par la juridiction que s’il apparaît au moment où la décision est rendue, qu’elles sont nécessaires pour prévenir le renouvellement des actes commis par la personne, pour protéger cette personne, pour protéger sa victime ou la famille de la victime, ou pour mettre fin au trouble à l’ordre public résultant de la commission de ces actes. Il est précisé qu’elles ne peuvent être prononcées à titre de sanction contre l’intéressé.

S’agissant de mesures de sûreté et non de peines, ces dispositions sont immédiatement applicables, même si la personne a été déclarée irresponsable à la suite de faits commis avant la loi du 25 février 2008 (Crim. 16 décembre 2009). »

22.  Dans sa décision no 2008-562 DC du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel s’était prononcé sur la constitutionnalité des dispositions précitées :

« (...) les requérants (...) critiquent (...) le fait que la chambre de l’instruction, lorsqu’elle est saisie, puisse déclarer à la fois qu’il existe des charges suffisantes contre une personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et qu’elle est irresponsable pénalement ; qu’ils dénoncent dans cette procédure une confusion des fonctions d’instruction et de jugement portant atteinte à la présomption d’innocence de la personne concernée ; (...) qu’ils dénoncent, enfin, comme étant contraire au principe de nécessité des délits et des peines, la création d’une infraction réprimant la méconnaissance d’une mesure de sûreté par une personne déclarée pénalement irresponsable ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’article 706-125 du code de procédure pénale que, lorsque, à l’issue de l’audience sur l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la chambre de l’instruction estime que les charges sont suffisantes contre la personne mise en examen et que cette dernière relève de l’article 122-1 du code pénal, cette chambre n’est compétente ni pour déclarer que cette personne a commis les faits qui lui sont reprochés ni pour se prononcer sur sa responsabilité civile ; (...)

Considérant (...) que les dispositions de l’article 706-139 du code de procédure pénale, qui répriment la méconnaissance des mesures de sûreté ordonnées à l’encontre d’une personne déclarée pénalement irresponsable, ne dérogent pas aux dispositions de l’article 122-1 du code pénal en vertu desquelles l’irresponsabilité pénale d’une personne à raison de son état mental ou psychique s’apprécie au moment des faits; que, dès lors, le délit prévu par l’article 706-139 n’aura vocation à s’appliquer qu’à l’égard de personnes qui, au moment où elles ont méconnu les obligations résultant d’une mesure de sûreté, étaient pénalement responsables de leurs actes ; (...)

Considérant que la décision de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne revêt pas le caractère d’une sanction ; que, lorsque aucune mesure de sûreté prévue par l’article 706-136 du code de procédure pénale n’a été prononcée, cette information ne peut être légalement nécessaire à l’appréciation de la responsabilité pénale de la personne éventuellement poursuivie à l’occasion de procédures ultérieures ; que, dès lors, eu égard aux finalités du casier judiciaire, elle ne saurait, sans porter une atteinte non nécessaire à la protection de la vie privée qu’implique l’article 2 de la Déclaration de 1789, être mentionnée au bulletin no 1 du casier judiciaire que lorsque des mesures de sûreté prévues par le nouvel article 706‑136 du code de procédure pénale ont été prononcées et tant que ces interdictions n’ont pas cessé leurs effets ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution ; »

23.  La Cour de cassation, par un arrêt du 21 janvier 2009 (Cass crim. no 08-83.492), avait estimé que « le principe de la légalité des peines faisait obstacle à l’application immédiate d’une procédure qui a pour effet de faire encourir à une personnes des « peines » prévues à l’article 706-136 du CPP que son état mental ne lui faisait pas encourir sous l’empire de la loi ancienne applicable à la date à laquelle les faits ont été commis ». Cette jurisprudence fut modifiée par un arrêt du 16 décembre 2009, rendue en formation plénière de la chambre criminelle (No 09-85-153), dans lequel la Cour de cassation a jugé que le principe de la légalité des peines ne s’applique pas aux mesures de sûreté prévues par les articles 706-135 et 706-136 du CPP. Cette solution a été confirmée dans l’arrêt rejetant le pourvoi du requérant et maintenue ultérieurement (Cass. Crim., no 10‑88126, 12 octobre 2011). Par ailleurs, le 14 janvier 2014, la Cour de cassation a décidé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’hospitalisation d’office prévue par l’article 706-135 du CPP :

« Les dispositions contestées, destinées à concilier la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux, la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, et l’exercice de libertés constitutionnellement garanties, ne méconnaissent, en elles‑mêmes ni le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, ni le principe d’égalité devant la loi, ni l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public, l’intérêt des victimes étant pris en compte en application des articles 706-135 et suivants du code de procédure pénale » (No 13‑82787). »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

24.  Invoquant l’article 7 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l’application rétroactive de la loi du 25 février 2008. La partie pertinente de cette disposition est ainsi libellée :

« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

A.  Sur la recevabilité

25.  Le Gouvernement estime que les mesures prononcées à l’égard du requérant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne constituent pas des « peines » au sens de l’article 7 de la Convention et que la requête devrait être déclarée irrecevable comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

26.  Le requérant ne partage pas l’avis du Gouvernement et soutient que la déclaration d’irresponsabilité pénale et les mesures de sûreté qui l’accompagnent constituent une « peine » à laquelle le principe de non rétroactivité énoncé par l’article 7 § 1 seconde phrase a vocation à s’appliquer.

27.  La Cour estime que l’exception d’incompétence ratione materiae, dans les circonstances de l’espèce, est étroitement liée à la substance du grief du requérant au titre de l’article 7 de la Convention. Elle décide donc de la joindre au fond. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur l’applicabilité de l’article 7 de la Convention

1.  Thèses des parties

28.  Le Gouvernement soutient que l’hospitalisation d’office et les mesures prononcées en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne constituent pas des peines au sens de l’article 7 de la Convention car elles n’interviennent pas à la suite d’une condamnation pénale. La déclaration d’irresponsabilité pénale et le constat de l’existence de charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits reprochés par la juridiction d’instruction n’équivalent pas à une appréciation de culpabilité ; seule l’imputabilité matérielle des faits à la personne poursuivie est recherchée. C’est ce qui différencie, selon le Gouvernement, ces mesures de la détention de sûreté en droit allemand examinée par la Cour dans l’arrêt M., précité.

29.  Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne répondent pas aux autres critères dégagés par la Cour pour caractériser une peine (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, série A no 307‑A ; M., précité). En effet, elles sont qualifiées en droit interne de « mesures de sûreté » et l’ensemble des travaux ayant abouti à leur adoption démontre que ce terme était utilisé dès le départ. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont également confirmé que ces mesures n’avaient pas le caractère d’une sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus). De plus, selon le Gouvernement, cette qualification correspond au but et à la nature de ces mesures. Il s’agit « d’améliorer la prise en charge médicale et judiciaire des auteurs d’infraction atteints de troubles mentaux ou qui présentent un profil dangereux » (Assemblée Nationale, rapport fait sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, 12 décembre 2007) et de garantir la sécurité des personnes ainsi que de préserver l’ordre public. Le Gouvernement souligne que, contrairement à une peine, ces mesures n’ont pas de fonction répressive, mais préventive et curative ; cette finalité ressort à l’évidence de la seule rédaction de l’article 706-135 du CPP. Ainsi, en l’espèce, la mesure d’hospitalisation d’office a été prononcée au regard de deux expertises psychiatriques concluant à l’abolition du discernement du requérant et la chambre de l’instruction l’a justifiée par les troubles mentaux du requérant qui « compromettent la sûreté des personnes et nécessitent des soins au long cours à l’hôpital ». Ces mesures visent non à punir, mais à prévenir la commission d’une nouvelle infraction et à protéger la société, impératif conventionnel rappelé par la Cour à plusieurs occasions selon le Gouvernement (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, CEDH 2002‑VIII). Il compare ces mesures aux ordonnances de mise à disposition avec internement dans un établissement de soins existant aux Pays-Bas (Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, § 66, 11 mai 2004).

30.  En ce qui concerne le régime juridique des mesures de sûreté, le Gouvernement fait valoir qu’il n’est pas le même que celui des peines. Tout d’abord, le régime de la mesure d’hospitalisation est strictement identique à celui d’autres hospitalisations sous contraintes prononcées dans un cadre non pénal. Ainsi, contrairement à la situation jugée dans l’affaire M., la présente espèce n’a pas trait à une peine d’emprisonnement d’une durée illimitée. L’hospitalisation dans un établissement spécialisé, tout comme les autres mesures prévues à l’article 706-36, sont strictement encadrées ; à la différence des peines, elles ont un caractère provisoire et peuvent être modifiées ou levées en cours d’exécution si les raisons qui ont justifié leur prononcé ont disparu. Leur levée est conditionnée au résultat d’une expertise psychiatrique, ce qui démontre leur finalité curative et préventive. Enfin, le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations résultant de ces mesures fait l’objet non pas d’une révocation, comme dans le cas d’une peine, mais d’une infraction autonome.

31.  Le Gouvernement déduit de ce qui précède que les mesures litigieuses n’étaient pas soumises au principe de non rétroactivité.

32.  Le requérant soutient que la déclaration prévue à l’article 706-125 du CPP avoisine une déclaration de culpabilité. Avant la loi du 25 février 2008, il n’y avait aucune forme de jugement puisque l’intéressé était reconnu ne pas pouvoir être coupable, le juge d’instruction déclarant n’y avoir lieu à le poursuivre devant aucune juridiction. De même, aucune interdiction judiciaire passible d’une sanction ne pouvait être prononcée en cas d’irresponsabilité pénale. Depuis, l’intéressé est renvoyé devant une juridiction pour un procès public, au terme duquel il est déclaré qu’il existe des charges suffisantes contre lui d’avoir commis les faits et cette déclaration fait l’objet d’une inscription au casier judiciaire en cas de prononcé de mesures de sûreté. Le requérant estime qu’il s’agit bien d’une condamnation pénale. À cela, il ajoute que la chambre de l’instruction est désormais tenue par la loi d’ordonner l’hospitalisation d’office de l’intéressé, sans limitation de durée, alors qu’il s’agissait d’une simple faculté pour le préfet sous l’ancien régime.

33.  Quant à la possibilité de demander le relèvement des mesures de sûreté au juge de la liberté et de la détention, le requérant explique qu’il s’agit du régime de droit commun de toutes les peines accessoires d’interdiction en matière pénale, dont le condamné peut toujours demander le relèvement en cours d’application à la juridiction qui a prononcé la condamnation.

34.  Le requérant conteste que l’hospitalisation serait de droit commun et dépendrait uniquement du corps médical. Il en veut pour preuve la décision du préfet du 23 février 2011 (paragraphe 16 ci-dessus). Il affirme que celle‑ci démontre que son régime de détention est très proche d’une incarcération puisqu’il ne dépend plus uniquement du corps médical mais est, au contraire, soumis au véto du procureur, son adversaire, par l’intermédiaire du préfet. Il dit se incarcéré médicalement, selon un concept nouveau créé par la loi du 25 février 2008.

35.  Enfin, le requérant estime que le fait que la violation des mesures de sûreté est assortie d’une peine fixée à l’avance est, au contraire de ce qui est soutenu par le Gouvernement, le critère déterminant pour considérer que ces mesures sont des peines au sens de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

36.  La Cour rappelle que la notion de « peine » contenue dans l’article 7 § 1 de la Convention possède, comme celles de « droits et obligations de caractère civil » et d’« accusation en matière pénale » figurant à l’article 6 § 1, une portée autonome. Pour rendre effective la protection offerte par l’article 7, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch, précité, § 27).

37.  Le libellé de l’article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » consiste à déterminer si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. D’autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, § 28, et M., précité, § 120). La gravité de la mesure n’est toutefois pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernée (Welch, précité, § 32, et Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006‑XV).

38.  La Cour a pu établir, dans sa jurisprudence, une distinction entre une peine, telle que la détention de sûreté prévue en droit allemand (M., précité ; et paragraphe 18 ci-dessus), et une mesure de sûreté échappant à l’article 7 de la Convention, comme l’inscription d’une personne sur un fichier judiciaire d’auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Gardel c. France, no 16428/05, CEDH 2009). Elle rappelle qu’elle a jugé que la détention de sûreté était une peine, en retenant notamment qu’elle avait été ordonnée après une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifié et qu’elle visait davantage un but punitif que préventif, ainsi qu’en attestent son exécution dans une prison ordinaire, l’absence de soins spécialisés pour réduire la dangerosité de la personne concernée, la durée illimitée de la détention, son prononcé par les tribunaux et son exécution déterminée par les tribunaux de l’application des peines qui font partie du système de la justice pénale (M., précité, §§ 124 à 131).

Cette distinction doit cependant être utilisée avec prudence tant les législations pénales des États membres établies en vue de protéger la société contre les risques posés par les délinquants dangereux diffèrent. Le même type de mesure peut être qualifié de peine dans un État et de mesure de sûreté à laquelle ne s’applique pas le principe de légalité des peines dans un autre (M., précité, §§ 74 et 126).

39.  En l’espèce, la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses, à savoir l’hospitalisation d’office et les mesures de sûreté ordonnées conformément à l’article 706-136 du CPP, doivent s’analyser comme des peines auxquelles le principe de non rétroactivité énoncé par l’article 7 § 1, seconde phrase, a vocation à s’appliquer.

40.  Eu égard aux critères établis dans sa jurisprudence, il incombe d’abord à la Cour de déterminer si les mesures litigieuses ont été imposées à la suite d’une condamnation pour une infraction. À cet égard, la Cour note d’emblée que ces mesures ont été ordonnées par la chambre de l’instruction après que celle-ci eut déclaré le requérant pénalement irresponsable pour cause de trouble mental. Si elle a déjà considéré qu’une déclaration d’irresponsabilité pénale prononcée par une cour d’assises n’empêchait pas que l’intéressé puisse se prévaloir de la qualité de victime pour faire valoir son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (G. c. France, no 27244/09, § 46, 23 février 2012), il faut rappeler que, sous l’angle de l’article 7 § 1, l’appréciation d’une peine dépend du point de savoir si la mesure imposée l’est à la suite d’une condamnation pénale. En l’espèce, la Cour observe que la chambre de l’instruction a rendu un arrêt par lequel elle a déclaré, d’une part, qu’il existait des charges suffisantes contre le requérant d’avoir commis les faits reprochés et, d’autre part, qu’il était irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes. Cette juridiction a pris soin de préciser que « (...) la déclaration de l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés ne constitue nullement une condamnation mais la constatation d’un état susceptible d’avoir des conséquences juridiques (...) » (paragraphe 12 ci-dessus). Auparavant, le Conseil constitutionnel avait considéré que la « déclaration de l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés » ne constitue pas une « appréciation sur la commission de ces faits » et que « la décision de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne revêt pas le caractère d’une sanction » (paragraphe 22 ci-dessus ; voir, a contrario, la détention de sûreté qui est prononcée « après une condamnation par une juridiction », paragraphe 18 ci-dessus, et, a contrario, par exemple, l’affaire Achour c. France [GC], no 67335/01, CEDH 2006‑IV dans laquelle le requérant alléguait que sa condamnation pour récidive se fondait sur une application rétroactive de la loi pénale, contraire à l’article 7 de la Convention).

41.  La Cour observe également que le débat qu’ont eu les juridictions internes sur le constat par la chambre de l’instruction de « l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits » lorsque celle-ci appliquait l’article 706-125 du CPP a été réglé par la Cour de cassation, qui a considéré nécessaire de soustraire le mot « volontairement » de cette déclaration, de manière à ce que l’élément moral normalement constitutif d’une infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas d’abolition du discernement de la personne poursuivie. L’avocat général avait en effet fait valoir que l’état d’irresponsabilité pénale faisait obstacle à ce que la juridiction puisse se prononcer sur le « caractère infractionnel » des faits au regard de la loi ; il ajoutait que seul l’élément matériel de l’infraction, « dépouillé de sa connotation répressive » pouvait être apprécié dans une telle situation (paragraphe 14 ci-dessus).

42.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les mesures litigieuses prononcées à l’égard du requérant, déclaré pénalement irresponsable pour cause de trouble mental, n’ont pas été ordonnées après condamnation pour une « infraction ». Elle rappelle à cet égard qu’elle a déjà considéré que les internements prévus par la loi de défense sociale en Belgique, à l’égard des personnes atteintes de troubles mentaux et déclarées pénalement irresponsables, ne pouvaient être appréhendés sous l’angle de l’article 5 § 1 a) de la Convention, faute de « condamnation » (Claes c. Belgique, no 43418/09, § 110, 10 janvier 2013 ; Moreels c. Belgique, no 43717/09, § 43, 9 janvier 2014).

43.  En outre, pour ce qui est de la qualification en droit interne des mesures prononcées à l’encontre du requérant conformément à l’article 706‑135 et 706-136 du CPP, la Cour relève qu’en France, elles ne sont pas considérées comme des peines auxquelles s’applique le principe de non rétroactivité. Si la mesure d’hospitalisation d’office prévue à l’article 706‑135 du CPP n’est pas explicitement désignée par la loi comme une mesure de sûreté, le législateur a qualifié comme telles celles qu’institue l’article 706-136. La circulaire du 8 juillet 2010 a précisé que les mesures visées à l’article 706-136 du CPP ne peuvent être prononcées à titre de sanction (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour de cassation juge depuis son arrêt du 16 décembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines (paragraphe 23 ci-dessus).

44.  En ce qui concerne la nature et le but de l’hospitalisation d’office, la Cour observe qu’elle ne peut être ordonnée que si une expertise psychiatrique a établi que les troubles mentaux de la personne déclarée irresponsable « nécessitent des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Il s’agissait donc en l’espèce à la fois de permettre au requérant, admis dans un centre hospitalier spécialisé, et non dans une prison ordinaire, (a contrario, M., précité, arrêt dans lequel la Cour rappelle qu’atteindre l’objectif de prévention de la criminalité implique des soins particuliers dans des établissements spécialisés, §§ 127‑129) de se soigner et de prévenir le renouvellement de son acte. La Cour note au surplus que, comme l’indiquent les articles 706‑135, D. 47-29-1 et D. 47-29-3 du CPP, le régime de l’hospitalisation d’office est le même que celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État dans le département (voir, par exemple, Patoux c. France, no 35079/06, § 45, 14 avril 2011). Elle retient également que la levée de l’hospitalisation peut être demandée à tout moment au juge des libertés et de la détention, conformément aux dispositions du code de la santé publique (article D. 47‑29-1 du CPP, paragraphe 20 ci-dessus). Ce juge statue alors sur avis d’un collège constitué de deux psychiatres et d’un représentant de l’équipe hospitalière prenant en charge le patient et après avoir en outre recueilli deux expertises établies par des psychiatres. La Cour en déduit que l’hospitalisation d’office, dont la durée n’est pas déterminée à l’avance, a un but préventif et curatif dénué de caractère répressif, et que cette mesure ne constitue pas une sanction. La Cour n’a relevé à cet égard aucune indication de la part du requérant qui pourrait l’incliner à qualifier une telle mesure de peine. En effet, la seule lettre du préfet adressée aux médecins du CHS dans lequel il est interné (paragraphe 16 ci-dessus) démontre avant tout que son état a évolué et que sa dangerosité est évaluée régulièrement ; par ailleurs, il n’a pas justifié avoir saisi le juge des libertés et de la détention pour demander la levée de cette mesure.

45.  Concomitamment à sa décision portant déclaration d’irresponsabilité pénale, la chambre de l’instruction a prescrit deux autres mesures de sûreté, à savoir, l’interdiction pendant vingt ans d’entrer en contact avec les parties civiles et de détenir une arme. À ce titre, la Cour note qu’en vertu de l’article D. 47-29-6 du CPP, ces mesures ne peuvent être prononcées que si elles sont nécessaires pour la prévention du renouvellement des actes commis par la personne déclarée pénalement irresponsable, la protection de cette personne, celle de la victime ou de la famille de la victime ou la cessation du trouble à l’ordre public (paragraphe 20 ci-dessus). Ces mesures sont prononcées à l’issue d’une expertise psychiatrique, et ne doivent pas empêcher les soins dont la personne bénéficie. La Cour note encore que si ces mesures sont limitées dans le temps, ce qui en ferait des peines selon le requérant, ce dernier peut saisir le juge des libertés et de la détention pour demander leur mainlevée ou leur modification, lequel se prononce au vu des résultats d’une expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP, paragraphe 20 ci-dessus). Il en résulte, pour la Cour, que le prononcé des mesures litigieuses, et le contrôle de leur application par le juge, ont un objectif préventif. Le requérant n’a au demeurant apporté aucun élément concret de nature à démontrer que ces mesures auraient pour but de le punir ; il n’a pas justifié de la saisine du juge ou a fortiori d’un refus de celui-ci de prendre en compte l’évolution de son trouble mental et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Enfin, la Cour relève que si le requérant s’expose à une peine d’emprisonnement de deux ans et au paiement d’une amende en cas de méconnaissance des mesures litigieuses, une autre procédure doit alors être engagée (mutatis mutandis, Gardel, précité, § 44) et les sanctions ne s’appliquent, selon l’article 706-139 du CPP, que « sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal », c’est-à-dire à l’égard des personnes qui, au moment où elles ont méconnu les interdictions, sont pénalement responsables de leurs actes (paragraphe 22 ci-dessus).

46.  Eu égard à tout ce qui précède, la Cour estime que la déclaration d’irresponsabilité pénale et les mesures de sureté qui l’accompagnent ne constituent pas une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la Convention, et doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer.

47.  L’article 7 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce et la Cour retient l’objection du Gouvernement. En conséquence, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à la majorité, la requête recevable ;

2.  Joint au fond, à l’unanimité, l’exception soulevée par le Gouvernement de l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec la Convention ;

3.  Dit, par cinq voix contre deux, que l’article 7 n’est pas applicable et qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Zupančič à laquelle se rallie la juge Yudkivska.

M.V.
C.W.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ, À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1.  Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collègues de la majorité dans cette affaire certes limite.

2.  En surface, l’affaire dépend de la question de savoir si la rétroactivité concernait une sanction pénale, c’est-à-dire une peine, ou si elle concernait seulement une mesure de sécurité thérapeutique imposée au requérant. Dans le second cas, la mesure aurait été prise dans l’intérêt du requérant et s’apparenterait à l’hospitalisation sans consentement dont peut faire l’objet un malade mental ordinaire, raison pour laquelle la question de la rétroactivité ne se poserait pas.

3.  La majorité estime que la rétroactivité de la loi adoptée le 25 février 2008 était acceptable, cette loi concernant selon elle un traitement plutôt qu’une peine – bien qu’elle soit entrée en vigueur quatre mois et treize jours après la commission de l’acte constitutif en principe d’une infraction pénale commis par le requérant dans un état de démence. Il semble donc que tout dépende de la question de savoir si la mesure en cause était ou non une sanction pénale.

4.  Le requérant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de l’arrêt de la majorité) que le principe de légalité consacré à l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) devait être considéré comme un obstacle à la mesure prononcée à son égard – qu’il considérait comme une sanction – étant donné que l’ancienne loi, en vigueur au moment de la commission de l’infraction, ne prévoyait pas un tel internement direct en hôpital psychiatrique.

5.  Il est bien sûr éminemment acceptable que, une fois établi qu’un malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable, le système juridique réagisse. Dans la plupart des autres pays, il existe des dispositions prévoyant l’application de mesures de sécurité lorsque la personne est déclarée non coupable pour cause de démence. Il est même surprenant que le système français n’ait pas mis en place de telles dispositions avant le 25 février 2008. Le système en vigueur jusqu’à cette date était lourd : l’individu était d’abord acquitté par le juge d’instruction et ce n’était qu’après cela que le préfet pouvait prononcer son internement en hôpital psychiatrique.

6.  En d’autres termes, je n’ai rien à redire aux paramètres de la loi du 25 février 2008. Il semblerait que le seul léger obstacle dans cette affaire concerne la rétroactivité de cette loi. Comme c’est bien souvent le cas, les questions de droit épineuses ne se posent qu’une fois que l’on a déterminé que l’affaire repose sur d’autres prémisses tacites.

7.  En l’affaire Achour c. France (citée dans l’arrêt), j’avais souscrit à l’avis de la majorité. Il s’agissait aussi dans cette affaire d’un problème de rétroactivité, mais la rétroactivité était celle d’une loi sur les conséquences du multirécidivisme. La Cour de Cassation avait alors établi de manière très pertinente une distinction entre rétroactivité in rem et rétroactivité ad hominem. En d’autres termes, elle avait estimé que la rétroactivité qui portait sur le fait que l’individu soit multirécidiviste concernait l’intéressé personnellement (ad hominem), et non ses infractions (ad rem), et que dès lors, il fallait distinguer le fait d’être un multirécidiviste du fait d’avoir commis plusieurs infractions pénales en récidivant. Elle pouvait ainsi considérer qu’il n’y avait pas de rétroactivité étant donné que, entre la dernière infraction qu’il avait commise et l’entrée en vigueur de la loi, le requérant était resté un multirécidiviste : récidiviste un jour, récidiviste toujours.

8.  Il semble donc que nous soyons face à un problème sous-jacent qui n’a pas encore été traité dans la doctrine pénale – et encore moins résolu. La question récurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni seulement pour l’acte qu’il a commis ou, au contraire, parce qu’il est un meurtrier, un incendiaire, un violeur, etc.

II

9.  C’est à ce stade que la question prend son épaisseur. Il y a une différence essentielle entre les implications de la procédure pénale et celles d’une procédure civile ordinaire. Dans le second cas, il est aisé de séparer l’objet du litige civil de la subjectivité du défendeur. Même dans les cas de responsabilité délictuelle, pour prendre un exemple plus difficile s’approchant du droit pénal, le défendeur peut devoir verser des dommages et intérêts parce qu’il a été négligent, imprudent, etc., mais cela n’emporte pas de conclusions sur l’ensemble de sa personnalité. Ainsi, l’enjeu dans les procédures civiles est clairement dissociable de la personnalité du défendeur (l’auteur du fait dommageable). Dans les autres cas de procédure civile, l’enjeu objectif du procès a peu ou pas de lien avec la subjectivité (la personnalité) du défendeur.

10.  Il en va différemment dans les procédures pénales. Dans ces procédures, la responsabilité pénale, la culpabilité, l’imputation de l’infraction, etc., sont directement liées à la personnalité de l’accusé. Le droit pénal explore méticuleusement la question de savoir si l’acte objectivement imputable à l’accusé est réellement l’expression subjective de sa personnalité dans son ensemble : légitime défense de soi ou d’un tiers, contrainte, démence, erreur de fait, etc., sont autant de raisons qui, comme en l’espèce, brisent le lien de causalité entre la personnalité de l’accusé et l’acte constitutif en principe d’une infraction pénale. Pour revenir à la comparaison avec la responsabilité civile, même la responsabilité civile délictuelle est plus objective car il n’est pas nécessaire pour qu’elle soit établie qu’existe un lien étroit entre le dommage et la personnalité de son auteur. Pour cette raison, on dit parfois que l’infraction pénale est un délit civil auquel s’ajoute le péché. Ainsi, bien des actes aujourd’hui constitutifs d’infractions étaient par le passé des délits civils. La somme à payer en réparation de ces actes était appelée wergeld[1].

11.  De plus, dans les procédures civiles, l’auteur du dommage peut être jugé coupable et condamné à verser une réparation mais, une fois cette réparation versée, l’affaire est définitivement close. Il ne peut donc pas y avoir de récidivisme ou de multirécidivisme dans le cadre de la responsabilité civile délictuelle, quand bien même l’auteur du dommage réitérerait sa conduite répréhensible. En droit, on ne le considère jamais comme étant intrinsèquement un auteur de dommage.

12.  En droit pénal et en procédure pénale, la personnalité de l’accusé (l’auteur de l’acte) et la question de sa responsabilité pénale sont inextricablement liées. À son stade monocentrique dans la procédure, la responsabilité pénale dépend exclusivement de l’attitude (personnelle) subjective dans l’affaire de l’accusé (attitude qui n’est même pas examinée dans les affaires civiles). De plus, au stade polycentrique du prononcé de la peine, tout dépend des circonstances atténuantes ou aggravantes et d’autres traits de la personnalité de la personne reconnue coupable.

13.  Pour cette raison, il est parfois difficile, en droit pénal et en procédure pénale, de distinguer la responsabilité pénale de la personne pour l’acte en lui-même (per se) de sa personnalité. D’une part nous avons l’acte pénal, qui doit être solidement lié à la personnalité de son auteur, et d’autre part nous avons la personnalité en elle-même. De même que la présente affaire, l’affaire Achour c. France illustre cette question insaisissable : in rem ou ad hominem ?

14.  La sanction pénale lato sensu, elle aussi, qu’elle soit punitive ou autre, dépend largement de la personnalité même de l’accusé/auteur de l’acte. Si elle est en fait punitive, le gouvernement ne peut prétendre qu’elle ne l’est pas (Blokhin c. Russie, no 47152/06, arrêt de section du 14 novembre 2013, affaire pendante devant la Grande Chambre). De plus, si, dans les procédures civiles, le paiement de dommages et intérêts met définitivement fin à l’affaire, dans les procédures pénales, le criminel condamné doit aller en prison. Ainsi, là encore, la sanction pénale, quelle qu’elle soit, est indissociable de la personnalité de l’auteur de l’infraction.

15.  La situation dans ce cas précis est donc ambigüe. L’« imputation objective » des faits par le juge d’instruction dépendait de l’acte de l’accusé en lui-même. Puis, une fois cet acte (actus reus) objectivement établi, la « démence » au sens pénal du terme (mens rea) dépendait de la personnalité de l’intéressé (maladie mentale). Pour autant, ce n’est là que l’exacerbation de la dualité de la procédure pénale elle-même, où le constat de culpabilité est strictement distinct des critères d’imposition de la peine.

16.  Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’en droit pénal et en procédure pénale, les accusés sont punis non seulement pour ce qu’ils ont fait (l’acte) mais aussi et surtout pour ce qu’ils sont (l’être).

17.  Dans l’affaire fameuse Robinson v. California, que j’ai déjà évoquée dans Achour c. France, l’ordonnance de la ville de Los Angeles incriminait (ad hominem) l’état (status) de toxicomane. La Cour suprême des États‑Unis a alors jugé qu’il était inacceptable de considérer un état comme une infraction (status crime) : il doit toujours y avoir un acte de l’accusé entraînant sa responsabilité pénale. Ainsi, la question de savoir si quelqu’un est puni pour ce qu’il est (l’être) ou pour ce qu’il a fait (l’acte) a été réglée – en surface. Cependant, ni la Cour suprême des États-Unis ni aucune autre juridiction ni même la doctrine pénale ne sont jamais parvenues à expliquer pourquoi le principe de légalité des peines et des délits consacré par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme dépend toujours de l’acte de l’accusé et semble ne pas tenir compte du fait évident que la personnalité de l’auteur de l’acte est au cœur de la procédure pénale.

18.  La raison à cela, comme je l’ai expliqué dans Achour c. France, est pragmatique. L’acte de l’accusé est déterminé en termes de lieu, de temps et de mode opératoire. Il n’en va pas de même de son état. Celui-ci perdure, n’a pas de lieu si ce n’est au sein de la personnalité de l’intéressé, et n’a pas forcément de mode opératoire cohérent.

19.  Ainsi, l’acte peut aisément être poursuivi, défendu, contesté, etc., au contraire de l’état. (Ce constat vaut même pour la question prédéterminée de la démence, en tant que maladie mentale cause de l’acte, laquelle peut donner lieu à une querelle d’experts psychiatres qui ne parviennent pas à une conclusion certaine.) Sans cette raison, il serait bien plus sensé de déclarer l’accusé innocent ou coupable strictement, non quant à son acte instantané mais quant à sa personnalité sur la durée. Après tout, c’est la personnalité qui est punie. Pour le formuler autrement, c’est cette « personnalité durable » qui est envoyée en prison, l’acte n’en est que le symptôme. Or la maladie ne peut pas être traitée séparément du corps du patient.

III

20.  Le problème se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour ainsi dire à la frontière entre des affaires de responsabilité classique pour l’acte d’une part et des affaires où l’essence de l’auteur de l’acte est déterminante d’autre part. Pour n’en citer que quelques unes, les affaires Blokhin c. Russie (susmentionnée) et De Tommaso c. Italie (no 43395/09), toutes deux pendantes devant la Grande Chambre, ou encore M. c. Allemagne (citée dans l’arrêt) et avant elle Achour c. France (susmentionnée et citée dans l’arrêt), entre autres, étaient des affaires dans lesquelles la dangerosité de l’auteur de l’acte était le facteur déterminant. Dans les affaires de délinquance juvénile, comme l’affaire Blokhin, la doctrine parens patriae prétend cibler la personnalité du jeune délinquant pour le réadapter (réadapter sa personnalité, son être). Dans la présente affaire aussi, l’État prétend que l’internement forcé en hôpital psychiatrique pour une durée indéterminée est au bénéfice du requérant. Cette théorie de l’assistance profitable (parens patriae) repose sur l’idée qu’il n’y a pas de conflit entre l’intérêt de l’État et celui de la personne « bénéficiant » de cet internement. À mon avis, la Cour devrait regarder au-delà de ces apparences. Ces affaires montrent aussi à l’évidence que la frontière entre l’acte et l’être est floue.

21.  Ce type d’incertitude n’est pas acceptable, et il se pose donc la question de savoir comment le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme doit réagir pour protéger le requérant et l’état de droit. D’une manière ou d’une autre, toutes ces affaires ont trait à l’article 7 de la CEDH, c’est-à-dire au principe de légalité. Ce principe concernant, pour les raisons exposées ci-dessus, le temps, le lieu et le mode opératoire de l’infraction, il nécessite expressément un acte pour que la sanction soit légale et acceptable.

22.  La position prise dans l’affaire M. c. Allemagne, consistant à dire que la prolongation rétroactive de mesures de sécurité n’est pas acceptable au regard de l’article 7 de la CEDH, était parfaitement correcte. Toutefois, bien que la présente affaire et l’affaire M. c. Allemagne soient essentiellement les mêmes, l’arrêt adopté par majorité en l’espèce s’écarte de ce précédent en son paragraphe 38 en estimant sans plus d’explication que le cas d’espèce s’en distingue – alors que c’est là qu’aurait dû résider le cœur de l’appréciation du grief. Ainsi, ce qui est punitif de l’autre côté du Rhin est, de manière surprenante, curatif de ce côté-ci du fleuve.

23.  De plus, dans des décisions déjà postérieures à la loi du 12 février 2008 et au décret du 16 avril de la même année (qui rendait les dispositions de la loi applicables immédiatement), la Cour de Cassation a estimé le 21 janvier 2009 que la mesure était punitive avant d’opérer un soudain revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard, le 16 décembre 2009.

24.  Cela atteste de l’opacité chronique et généralisée de la situation juridique. Dans le contexte de cette fiction, clairement, la « sanction » est permise pour l’acte pénalement répréhensible de l’accusé, tandis que seul le « traitement » est admissible en ce qui concerne son être (sa personnalité).

25.  C’est donc la logique inverse qui s’est appliquée, logique par laquelle la majorité maintient avec son arrêt le fiat légaliste, c’est-à-dire que, en s’appuyant sur des motifs très formalistes, elle conclut que la situation subie par le requérant en l’espèce n’était pas une sanction mais un traitement. Considérant donc que la situation est différente de celle de l’affaire M. c. Allemagne, elle juge la rétroactivité admissible. Ainsi, elle déclare au paragraphe 38 de l’arrêt : « Cette distinction doit cependant être utilisée avec prudence tant les législations pénales des États membres établies en vue de protéger la société contre les risques posés par les délinquants dangereux diffèrent. Le même type de mesure peut être qualifié de peine dans un État et de mesure de sûreté à laquelle ne s’applique pas le principe de légalité des peines dans un autre (M. c. Allemagne, précité, §§ 74 et 126). »

26.  On s’attendrait donc à un raisonnement convaincant qui permettrait de comprendre pourquoi cette différence si difficile à expliquer et à justifier s’applique en France alors qu’elle ne s’appliquait pas en Allemagne. Or, aux paragraphes 40, 41 et 42, la seule explication que l’on trouve est que « la Cour estime que les mesures litigieuses prononcées à l’égard du requérant, déclaré pénalement irresponsable pour cause de trouble mental, n’ont pas été ordonnées après condamnation pour une ‘infraction’ ».

27.  En d’autres termes, la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne doivent pas être illusoires et théoriques et son intention de voir au-delà des apparences ont été sacrifiées pour un monument de formalisme juridique reposant sur l’absence du mot « infraction », alors même que « ces mesures ont été ordonnées par la chambre de l’instruction [criminelle !] après que celle‑ci eut déclaré le requérant pénalement irresponsable pour cause de trouble mental » (paragraphe 40). Compte tenu de cette distinction formaliste, il n’est pas étonnant que la Cour de Cassation ait changé d’avis en moins de dix mois.

IV

28.  Il reste à expliquer pourquoi j’étais d’accord avec la majorité pour conclure que la rétroactivité n’était pas un problème dans l’affaire Achour c. France, contrairement à ce qui est le cas ici. Dans l’affaire Achour, on a considéré que le fait que le délinquant soit toujours (demeure) un multirécidiviste permettait l’application rétroactive de la loi sur le multirécidivisme.

29.  Pourquoi alors suis-je d’avis qu’en l’espèce le fait que le requérant soit malade mental – puisqu’il semble qu’il était malade depuis le début – ne devrait pas permettre à la Cour d’accepter les quatre mois et treize jours de rétroactivité ? Tout d’abord, parce que s’il s’était agi purement et simplement d’une hospitalisation sans consentement (l’hospitalisation forcée dont peut faire l’objet n’importe quel malade mental), il ne se serait évidemment pas posé de problème quant au moment précis de l’internement. Ensuite, parce que, contrairement à ce qui fut le cas dans l’affaire Achour, la question n’a jamais été posée en termes de continuité (poursuite dans le temps) de l’état de dangereux malade mental du requérant (argument ad hominem). Enfin, et surtout, parce que dans l’affaire Achour, le fait que le requérant était toujours un multirécidiviste découlait de ce qu’il avait commis à plusieurs reprises des actes pénalement répréhensibles et que cela avait été juridiquement établi par plusieurs condamnations définitives.

30.  Dans notre affaire, premièrement, l’internement prononcé par la chambre d’instruction criminelle n’était pas une hospitalisation sans consentement ; c’est une mesure qui a été imposée au requérant par une instance pénale. Deuxièmement, la Cour de Cassation n’a jamais raisonné en termes d’hospitalisation sans consentement (l’hospitalisation forcée dont peut faire l’objet n’importe quel malade mental) : l’internement découlait clairement de l’« imputation objective » des faits au requérant, c’est-à-dire du constat fait par le juge pénal que le requérant avait effectivement commis les actes en question. Troisièmement, alors que dans l’affaire Achour il y avait plusieurs actes prouvés constitutifs d’infractions pénales, il n’y en a aucun dans la présente affaire : le requérant n’a agi qu’une fois et il avait l’excuse de la maladie mentale, de sorte qu’il n’a été reconnu coupable d’aucune infraction.

31.  De surcroît, la simple conclusion d’un juge d’instruction et d’une chambre d’instruction ne vaut pas condamnation. La question de l’équité de la procédure n’a pas été soulevée, mais puisque « l’imputation objective » a été déterminante pour l’issue de l’affaire (internement en hôpital psychiatrique), il faut bien voir qu’il y a, là aussi, un problème majeur.

32.  En toute hypothèse, tant qu’il n’y a pas eu de procès équitable conforme à l’article 6 de la Convention, on ne peut considérer que la simple « imputation objective » des faits au requérant suffit à établir qu’il a commis un acte pénalement répréhensible : la présomption d’innocence tient toujours ! Pareil acte n’ayant donc pas été établi par un juge dans le cadre d’un procès équitable, il demeure impossible de dire que le requérant a été privé de sa liberté en conséquence d’une infraction.

33.  De plus, les juges français et la Cour ont considéré que la mesure prise (pour employer un terme neutre) n’était pas une sanction. Or, si l’on va au-delà des apparences et que l’on accorde au requérant un droit qui n’est pas seulement théorique et illusoire, force est de conclure que l’internement dans un service psychiatrique pour criminels aliénés est souvent bien pire qu’une simple incarcération : de nombreuses affaires dans notre jurisprudence en attestent (voir par exemple la récente affaire Zaichenko c. Ukraine (no 2), no 45797/09). De surcroît, la durée de cet internement est, contrairement à une incarcération de droit commun, illimitée. Compte tenu de cela, dire en l’espèce que le requérant n’a pas été puni est tout simplement faux.


[1] Je dois cette idée à feu le professeur Harold Berman de la faculté de droit de Harvard. Pour plus de détails, voir son livre Law and Revolution: the Formation of the Western Legal Tradition, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1985.

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE BERLAND c. FRANCE, 3 septembre 2015, 42875/10