Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 11 février 2021, n° 18/17916

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 5, 11 févr. 2021, n° 18/17916
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/17916
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 3 décembre 2017, N° 2016051550
Dispositif : Autres décisions constatant le dessaisissement en mettant fin à l'instance et à l'action

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRÊT DU 11 FÉVRIER 2021

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/17916 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6CQ7

Décision déférée à la cour : jugement du 04 décembre 2017 -tribunal de commerce de PARIS – RG n° 2016051550

APPELANTE

SAS L’ILE DES MÉDIAS

Ayant son siège social […]

[…]

N° SIRET : 384 452 165

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine CHATAIN, avocat au barreau de PARIS, toque R137 substitué à l’audience par Me Muriel FAYAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R137

INTIMÉE

SAS ARI

Ayant son siège social […]

[…]

N° SIRET : 998 328 215

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Martine LEBOUCQ BERNARD de la SCP Société Civile Professionnelle d’avocats HUVELIN & associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R285

Ayant pour avocat plaidant Me François REYE, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 octobre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme D-E F, présidente de chambre, chargée du rapport

Mme Christine SOUDRY, conseillère

Mme Camille LIGNIERES, conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Mme A B-C

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme D-E F, présidente de chambre et par Mme A B-C, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La société l’Île des Médias est un prestataire informatique spécialisé dans le marché des bornes d’orientation tactiles, qui a conçu le logiciel Via Direct.

La société ARI a pour activité la fabrication et la vente de tout article, appareil ou matériel à base de matériaux métalliques.

La société SNCF Mobilités a souhaité mettre en place du mobilier d’information interactif et statique pour améliorer l’orientation des voyageurs dans les gares de France.

La société SNCF Mobilités a procédé à une expérimentation en 2013, pour laquelle elle a eu recours à la société l’Île des Médias.

La société SNCF Mobilités a souhaité concrétiser ce nouveau projet.

Le 25 juillet 2015, la société SNCF Mobilités a publié un avis de marché pour un appel d’offres ayant pour objet la mise en place de mobiliers d’information interactifs et statiques, incluant la « fourniture du logiciel d’orientation voyageurs nécessaire à l’exploitation des PI [points d’information voyageurs] et des BI [bornes interactives d’information] ».

Trois sociétés ont été sélectionnées par la société SNCF Mobilités à l’issue de la première partie de l’appel d’offres’pour y répondre : la société COTEP, la société SPIE-SUD EST et la société ARI.

Les candidates retenues ont disposé du cahier des charges pour élaborer leur offre au début du mois de décembre 2015 pour une date limite de dépôt des offres fixée au 8 janvier 2016.

La société l’Île des Médias a été sollicitée par les trois sociétés retenues qui recherchaient un sous-traitant pour la partie «'logiciel'» de l’appel d’offres.

Le 8 janvier 2016, la société ARI a déposé son offre technique auprès de la société SNCF Mobilités et en a informé la société l’Île des Médias.

Par courrier du 2 février 2016, la société l’Île des Médias a demandé à la société ARI, la transmission de la preuve du dépôt de l’offre comprenant sa proposition technique.

Par courrier du 10 février 2016, la société ARI a répondu à la société l’Île des Médias qu’elle n’avait pas présenté son offre au motif que celle-ci n’était pas compétitive ni dans son contenu, ni au plan financier, au regard des autres propositions dont elle disposait.

L’offre de la société l’Île des Médias a été retenue par les sociétés COTEP et SPIE-SUD EST.

Au mois de juin 2016, la société SNCF Mobilités a attribué le marché à la société ARI.

Par un courrier du 8 juillet 2016, reçu le 12 juillet de son conseil, la société l’Île des Médias a mis en demeure la société ARI de l’indemniser à hauteur de la somme de 2.492.623 euros au titre du préjudice subi par son comportement déloyal dans l’appel d’offres, et ce dans un délai de quinze jours. Cette demande est restée sans réponse.

Par acte d’huissier de justice du 17 août 2016, la société l’Île des Médias a fait assigner la société ARI devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir le paiement de la somme de 2.491.623 euros pour rupture abusive des pourparlers et sur le fondement de la concurrence déloyale et la somme de 150.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral.

Au cours de la procédure devant le tribunal de commerce, la société l’Île des Médias a soulevé un incident aux fins d’obtenir la communication par la société ARI de son offre sur la partie «'logiciel'».

Par jugement statuant sur l’incident du 4 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société ARI et rejeté la demande de la société l’Île des Médias tendant à la communication de cette offre.

Par jugement du 2 juillet 2018, statuant sur le fond, le tribunal de commerce de Paris a':

— débouté la société l’Île des Médias de l’intégralité de ses demandes';

— condamné la société l’Île des Médias à verser à la société ARI la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile';

— condamné la société l’Île des Médias aux entiers dépens.

Par déclaration du 17 juillet 2018, la société l’Île des Médias a interjeté appel de ces deux jugements.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 10 avril 2019, la société l’Île des Médias demande à la cour de':

Vu les articles 1382 et 1383 du code civil, alors en vigueur,

Vu les dispositions des articles 9,11, 74 et 133 et suivants du code de procédure civile,

Vu la sommation de communiquer demeurée du 29 avril 2017 sans effet,

— infirmer les jugements rendus par le tribunal de commerce de Paris n°2016051550 en date du 4 décembre 2017 et n°2016051550 du 2 juillet 2018 en ce qu’ils déboutent la société l’Île des Médias

de l’intégralité de ses demandes, condamne la société l’Île des Médias aux dépens ainsi qu’à payer à la société ARI la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau,

— enjoindre à la société ARI de communiquer :

'le document de présentation décrivant de manière libre les solutions proposées visée à l’article 2.3.1 point 1 « Constitution de l’offre technique » du cahier des charges, communiquée par la société ARI et constituant son offre en réponse à l’appel d’offre en question ;

'la grille de réponse reprenant toute exigence exprimée par le cahier des charges du marché n°2015/S 142-262881 du 25 juillet 2015 « Mobiliers d’information interactifs et statiques pour les gares » passé par la société SNCF Mobilités ' Direction des achats groupes et visée à l’article 2.3.1 point 2 « Constitution de l’offre technique » du cahier des charges, communiquée par la société ARI et constituant son offre en réponse à l’appel d’offre en question ;

'les mails échangés entre la société ARI et son sous-traitant lors de la finalisation de l’offre de la société ARI.

Et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir ;

— juger que la société ARI s’est rendue coupable envers la société l’Île des Médias d’actes constitutifs de rupture abusive de pourparlers et d’actes de concurrence déloyale,

— condamner la société ARI à payer à la société l’Île des Médias les sommes de :

'39.500 euros majorés des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2016 avec capitalisation au titre du préjudice financier subi du fait de la rupture abusive de pourparlers,

'2.492.623 euros HT au titre de la perte de chiffre d’affaires durant trois années ou 1.108.180,35 euros au titre de la perte de la marge brute subie du fait de la concurrence déloyale majorés des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2016 avec capitalisation,

'150.000,00 euros au titre de l’indemnisation du trouble commercial subi.

— ordonner la publication de la décision à intervenir dans le journal Les Échos et sur le site Internet http://www.clubdigitalmedia.fr dans le délai de 15 jours du prononcé de la décision à intervenir,

— débouter la société ARI de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— condamner la société ARI au paiement de la somme de 10.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de la première instance et de la procédure d’appel sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de SCP Grappotte Benetreau ;

Par conclusions notifiées par le RPVA le 11 janvier 2019, la société ARI demande à la cour de':

Vu l’article 1382 ancien du code civil,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 4 décembre 2017, rejetant en conséquence la demande de production forcée de pièces formée par la société l’Île des Médias,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 2 juillet 2017, jugeant en cela :

'qu’il n’existait aucun pourparlers entre les sociétés ARI et l’Île des Médias ; toute négociation étant exclue par la volonté de cette dernière,

'que, subsidiairement, aucune exclusivité de négociation n’avait été demandée par la société l’Île des Médias ou accordée par la société ARI,

'que plus subsidiairement, la société ARI n’a commis aucune rupture fautive de pourparlers ni aucune faute en ne retenant pas l’offre de la société l’Île des Médias,

'que la société ARI n’a commis aucun acte de concurrence déloyale,

Subsidiairement,

— dire et juger que la société l’Île des Médias ne justifie pas du montant de ses demandes et l’en débouter,

— débouter également la société l’Île des Médias de sa demande de publication de l’arrêt à intervenir,

— condamner la société l’Île des Médias à verser à la société ARI la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 septembre 2020.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de communication de pièces

La société l’Île des Médias fait valoir qu’en application des articles 9 et 15 du code de procédure civile, les parties ont l’obligation de communiquer leurs pièces, qu’en application de l’article 11 du même code si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte.

La société l’Île des Médias allègue qu’en application de ces principes, la société ARI était tenue d’apporter la preuve des faits qu’elle avançait, à savoir qu’elle aurait interrogé deux autres entreprises pour la partie «'logiciel'» de l’appel d’offres et que ces offres auraient été plus intéressantes que celle de la société l’Île des Médias. Elle ajoute qu’aucun droit de propriété intellectuelle ne serait violé en cas de communication dans la mesure où la cour n’est pas saisie d’une demande relative à un sujet de propriété intellectuelle, qu’elle n’est pas non plus saisie pour apprécier les mérites des offres mais que cette communication permettrait seulement de vérifier si l’offre de la société l’Île des Médias a été utilisée par la société ARI.

La société ARI répond que les pièces dont la communication est sollicitée contiennent des informations techniques relatives à des logiciels protégés par le droit d’auteur, en application de l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle, qu’elle ne peut par conséquent pas les communiquer sous peine de révéler des éléments de propriété intellectuelle appartenant à un tiers,

qu’en outre si cette pièce était communiquée, la cour aurait alors à apprécier la qualité technique de chaque offre.

La société ARI répond également que la demande de communication de pièce est mal fondée, voire irrecevable en ce que la société l’Île des Médias ne fait pas état des pièces dont elle demande la production, contrevenant aux articles 132 et 133 du code de procédure civile, que la société l’Île des Médias n’a pas sollicité une procédure de contrôle afin d’assurer la protection du secret des affaires, telle que celle prévue à l’article 145 du code de procédure civile transposable à la communication de pièces, que par conséquent la société ARI est privée de toute protection sur la révélation d’éléments inutiles à la solution du litige qui violerait le droit au secret des affaires.

Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, les parties ont l’obligation de communiquer leurs pièces. Cette obligation porte sur « les moyens de fait sur lesquels [les parties] fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».

L’article 132 qui énonce : « La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance. La communication des pièces doit être spontanée ».

L’article 133 dispose : « Si la communication des pièces n’est pas faite, il peut être demandé, sans forme, au juge d’enjoindre cette communication ».

Il appartient à la société l’Île des Médias qui a intenté une action en concurrence déloyale à l’égard de la société ARI d’en rapporter la preuve. Or, en l’espèce, la société l’Île des Médias demande à la société ARI sous le couvert de la procédure en cours de communiquer l’offre qu’elle a présentée lors de l’appel d’offres auxquelles elle a répondu, la grille de réponse répondant aux exigences du cahier des charges du marché et les mails échangés avec son sous-traitant lors de la finalisation de son offre au prétexte qu’elle subodore que la société ARI a repris des éléments de son offre technique.

Cette offre technique comporte des éléments de propriété intellectuelle de son sous-traitant que la société ARI ne souhaite pas communiquer librement ce qui tendrait à leur divulgation.

Si la production en justice d’éléments relevant du secret des affaires est possible dans les conditions prévues par la loi, néanmoins, en l’espèce, le fait que la société l’Île des Médias ait proposé une offre technique similaire aux trois sociétés qui ont répondu à l’appel d’offres alors qu’il est établi que la société ARI n’a pas retenu la sienne est insuffisant pour constituer un commencement de preuve que cette dernière a nécessairement copié son offre technique ce qui justifierait qu’elle communique le dossier qu’elle a proposé afin d’en vérifier la teneur.

Cette demande de communication de pièces qui a pour but d’inverser la charge de la preuve et de pallier la carence de la société l’Île des Médias dans l’administration de la preuve sera rejetée. Le jugement en date du 04/12/2017 sera confirmé sur ce point.

Sur la rupture abusive des pourparlers

La société l’Île des Médias fait valoir que si des pourparlers peuvent être librement interrompus au nom de la liberté contractuelle, c’est à la condition de le faire en respectant un devoir de loyauté, sous peine d’engager la responsabilité délictuelle de l’auteur de la rupture, que des pourparlers ont été engagés entre la société l’Île des Médias et la société ARI pour répondre à l’appel d’offres lancé par la société SNCF Mobilités dans la mesure où la société l’Île des Médias n’a pas fait qu’envoyer une offre technique et financière, mais que ladite offre a fait l’objet de nombreux échanges dès le mois de septembre 2015, afin d’élaborer une réponse conforme aux attentes de la société ARI.

La société l’Île des Médias allègue que la jurisprudence considère que le fait de mener

concomitamment des pourparlers avec une entreprise tierce, sans le dire, n’est pas constitutif d’une faute, que n’est pas non plus constitutif d’une faute dès lors qu’aucune assurance d’une négociation exclusive n’avait été donnée à l’entreprise pressentie, à la condition que les pourparlers soient conduits de bonne foi, sans que l’interlocuteur soit délibérément entretenu dans l’illusion trompeuse d’une issue nécessairement favorable pour lui, que la société ARI a mené des pourparlers avec la société l’Île des Médias en lui laissant croire qu’elle entendait en faire son sous-traitant, la maintenant dans une illusion trompeuse, dans les différents courriels qu’elle lui a envoyés, en ne lui répondant pas lorsqu’elle lui demandait de lui confirmer que les documents administratifs de sous-traitance avaient bien été déposés auprès de la SNCF Mobilités, en lui indiquant, le 8 janvier 2016 que l’offre avait été déposé et en la remerciant pour son investissement, au lieu de l’informer directement que son offre n’avait pas été pas déposée.

La société ARI répond que le principe de la liberté contractuelle permet à chacun de contracter ou de ne pas contracter, que cette règle ne souffre pas d’exception, à moins que la rupture des pourparlers soit fautive elle peut à certaines conditions engager la responsabilité de son auteur.

La société ARI fait valoir qu’il n’y a pas eu de pourparlers entre elle et la société l’Île des Médias, que les échanges entre ces deux sociétés n’ont consisté qu’en la transmission d’informations et non de pourparlers ou de négociations'; qu’en outre la société l’Île des Médias, se considérant en situation monopolistique dans la mesure où elle a été consultée par les trois participants à l’appel d’offres, n’a élaboré qu’une seule offre identique techniquement et financièrement pour ces trois participants, offre constituant un contrat d’adhésion dans la mesure où les prix étaient imposés, ce dont il résulte qu’aucune négociation n’était possible'; que les échanges ont été tellement brefs que cela exclut la qualification de pourparlers.

La société ARI fait valoir en outre qu’elle n’avait accordé aucune exclusivité de négociation à la société l’Île des Médias qu’elle était donc totalement libre de solliciter d’autres entreprises sur la partie «'logiciel'» du marché. La société ARI allègue qu’elle n’a rejeté l’offre de la société l’Île des Médias qu’en raison de l’écart incompressible qu’elle présentait, en termes financiers, avec les deux autres entreprises contactées'; qu’elle n’a en tout état de cause pas à justifier son choix ni les considérations qui l’ont guidé en raison de sa liberté contractuelle et liberté de choix du cocontractant.

Aux termes des dispositions de l’article 1382 ancien du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

En vertu du principe de la liberté contractuelle, les négociateurs doivent conserver la liberté de ne pas contracter et donc de rompre les pourparlers.

Ainsi, en soi, la rupture ne saurait être considérée comme fautive, sous réserve du respect du devoir de loyauté entre les parties.

L’abus de la liberté de rompre les pourparlers engage, en effet, la responsabilité de celui qui a pris l’initiative de la rupture dès lors que son partenaire en subit un préjudice.

Or, il en va ainsi, non seulement lorsque l’auteur de la rupture est animé d’une intention de nuire, mais aussi lorsqu’il agit avec mauvaise foi, voire lorsqu’il commet une simple faute. Celle-ci réside alors dans les circonstances qui l’entourent.

Par mail en date du 7 décembre 2015, la société ARI a fait part à la société L’île des Médias de son intérêt pour ses proposition software et a sollicité la communication de sa meilleure offre, « afin d’avancer rapidement sur la réponse à l’appel d’offres SNCF» ainsi que 'les éléments de réponse correspondant aux différentes cases du questionnaire de réponse à remplir.'

Par mail en date du 9 décembre 2015, la société ARI a sollicité de la société l’Île des Médias la communication d’information technique.

Le 16 décembre 2015, la société L’île des Médias sollicitait de la société ARI la confirmation que les documents administratifs avaient bien été renvoyés à la SNCF afin d’être déclarés immédiatement dans son groupement et a informé la société ARI qu’elle était en mesure de « fournir une grosse partie des éléments dès le 18 au soir ainsi que le budget » ;

Le 21 décembre 2015, la société ARI a communiqué à la société L’île des Médias la mise à jour des questions-réponses envoyées par la SNCF.

Le 22 décembre 2015, la société ARI a remercié la société L’île des Médias « pour le travail accompli» et a sollicité la communication de la grille de prix.

Le 23 décembre 2015, la société L’IIe des Médias a communiqué à la société ARI le bordereau des prix AO SNCF.

Le 5 janvier 2016, la société L’île des Médias a transmis à la société ARI son « Plan d’Assurance Sécurité » ainsi que sa « Convention d’Accès au Système d’Information ».

Le 6 janvier 2016, la société ARI a accusé réception des documents transmis par la société L’île des Médias.

La société l’Île des Médias reproche à la société ARI d’avoir mené des pourparlers avec elle en lui laissant croire qu’elle entendait en faire son sous-traitant, notamment par le mail du 8 janvier 2016 mais également par le mail du 7 décembre 2015.

Les courriels échangés démontrent que les deux sociétés étaient en pourparlers tendant à l’admission de la proposition technique de la société l’Île des Médias dans le projet d’appel d’offres auquel avait soumissionné la société ARI. Il ne peut être constaté qu’aucune négociation sur les prix n’était possible, dès lors que la société ARI n’a sollicité aucune réduction du tarif proposé, la phase de pourparlers pouvant être utilisée dans ce but.

Le courriel du 7 décembre 2015 de la société ARI à la société l’Île des Médias aux termes duquel elle lui demande la communication de sa meilleure offre ne constitue pas un engagement de la société ARI envers la seconde.

La société ARI a écrit le 8 janvier 2016 à la société l’Ile des Médias dans les termes suivants :

' Bonjour Alexandra,

Notre offre vient d’être déposée sur la plateforme de la SNCF.

Y Z et moi-même tenons à vous exprimer nos remerciements, à toute votre

équipe et à vous-même, pour votre engagement auprès de nous et votre réactivité.'

Lors d’un échange de courriels en date du 29 janvier 2016, la société l’Île des Médias demandait à la société ARI si elle avait des questions complémentaires concernant son offre et cette dernière lui répondait par la négative.

Par courriel du 2 février 2016 et par lettre recommandée avec avis de réception du même jour, la société l’Île des Médias interrogeait la société ARI afin de savoir si elle avait pris en compte son offre dans le cadre du projet poursuivi.

Par courrier recommandé du 10 février 2016 avec avis de réception, la société ARI répondait à la société l’Île des Médias qu’il lui était apparu à réception de son offre que celle-ci n’était pas compétitive ni dans son contenu ni au plan financier au regard des autres propositions dont elle disposait et qu’elle n’avait pas présenté son offre. La société ARI précisait que 'la confusion a sans doute été causée par le courriel malencontreux de notre collaborateur M. X du 8 janvier 2016. Celui-ci souhaitait vous remercier de votre offre même si elle n’avait pas été retenue. Si vous avez pu être mis en erreur par une formulation peut-être ambiguë de cette lettre type adressée à tous ceux qui avaient bien voulu répondre à notre sollicitation, nous vous prions de bien vouloir nous en excuser'.

La société l’Île des Médias n’a pris connaissance du fait que son offre avait été refusée que sur sa demande en date du 2 février 2016 et alors que par courriel du 8 janvier 2016, ce qui a été reconnu par la société ARI, celle-ci lui avait adressé un courrier l’informant que son offre avait été déposée sur la plate-forme de la SNCF sans lui indiquer que sa proposition de logiciel avait été refusée et n’était donc pas intégrée dans cette offre.

Le 29 janvier 2016, alors qu’elle était interrogée par la société l’Île des Médias, la société ARI n’informait pas davantage cette dernière qu’elle n’avait pas retenu sa proposition.

Si les pourparlers ont été conduits loyalement jusqu’au 23 décembre 2015, date à laquelle la société ARI a eu communication de l’offre de la société l’Île des Médias et de la grille de prix, cette dernière tout en précisant dans son courrier du 10 février 2016 qu’il lui était apparu à réception de l’offre de la société l’Île des Médias que celle-ci n’était pas compétitive ni dans son contenu ni au plan financier au regard des autres propositions dont elle disposait et qu’elle n’avait pas présenté son offre, lui a laissé croire le 8 janvier 2016, puis le 29 janvier 2016, par abstention, qu’elle avait accepté celle-ci alors qu’elle avait à cette date, en sa possession les éléments, lui permettant de faire savoir à la société l’Île des Médias le rejet de sa proposition.

En entretenant délibérément la société l’Île des Médias dans l’illusion trompeuse d’une issue qu’elle ne pouvait que croire favorable pour elle, la société ARI a commis une faute délictuelle engageant sa responsabilité.

Sur la réparation du préjudice

La société l’Île des Médias allègue avoir mobilisé trois personnes à temps complet pour répondre à l’appel d’offres de la SNCF Mobilités pour un coût moyen mensuel individuel de 10.000 euros, soit un coût total de 120.000 euros, auquel il convient d’appliquer une quote-part de 33%, qu’ainsi son préjudice s’élève à 39.000 euros concernant la rupture des pourparlers.

La société ARI réplique que les seules prétentions que la société l’Île des Médias pourraient élever sont relatives aux frais qu’elle a exposés à l’occasion des prétendus pourparlers, que force est de constater que participant en qualité de candidat sous-traitant aux deux autres groupements d’entreprise ayant répondu à l’appel d’offre, elle n’a, à l’évidence, engagé aucun frais particulier et spécifique imputable à sa « relation » avec la société ARI.

La société ARI invoquant à juste titre que seuls les frais exposés à l’occasion des pourparlers sont susceptibles d’être pris en compte au titre du préjudice qui existe au vu du dossier élaboré et communiqué par la société l’Île des Médias comme en attestent les courriels échangés entre les deux sociétés. Le fait que la société l’Île des Médias ait présenté un dossier similaire à deux autres sociétés ne supprime pas le travail réalisé mais limite le préjudice subi qui sera évalué à la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts.

Sur la concurrence déloyale

La société l’Île des Médias fait valoir que la société ARI a eu connaissance de l’offre de ses

concurrents sur la partie logicielle ce qui lui a permis ensuite de calibrer son offre au niveau du prix afin de présenter l’offre la plus compétitive, qu’elle est le leader sur le marché des bornes d’orientation tactiles grâce au logiciel VIA DIRECT qu’elle a conçu et dont elle détient les droits, qu’en répondant à l’appel d’offres en tant que sous-traitant avec les trois entreprises candidates admises à concourir par la société SNCF, elle avait ainsi la certitude d’obtenir le marché, que le caractère malhonnête de l’attitude de la société ARI réside dans le fait qu’elle lui a fait croire jusqu’au dépôt de l’offre, qu’elle serait son sous-traitant, afin qu’elle lui communique son offre sans jamais l’informer qu’elle était en concurrence avec d’autres sociétés, pour ensuite utiliser ses informations pour constituer une offre plus compétitive et remporter de façon déloyale le marché de la SNCF.

La société ARI répond que le grief de concurrence déloyale n’est pas formulé au dispositif des conclusions de la société l’Île des Médias et sollicite la confirmation du jugement sur ce point.

Sur ce,

La concurrence déloyale se définit comme la commission d’actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l’exercice de l’activité commerciale, à l’origine pour le concurrent d’un préjudice.

Le tribunal indique à juste titre que la SAS ARI n’a consenti aucune exclusivité à la société l’Île des Médias et que la société ARI était donc libre de consulter tout autre entreprise de son choix sur la partie logiciel lui permettant de répondre de manière complète à l’appel d’offres sans que ne pèse sur elle l’obligation d’en informer la société l’Île des Médias.

De plus, la société ARI a été, comme ses concurrentes, informée par la société l’Île des Médias qu’elle présentait une offre similaire aux trois sociétés qui l’avait sollicitée ce qui signifie que la société ARI n’a pas obtenu cet élément de manière déloyale.

Disposant de cette information, la société ARI savait qu’en choisissant la société l’Île des Médias, elle ne pourrait pas se distinguer de ses concurrents sur le plan du choix du logiciel ce qui l’a amenée à opter pour une autre société que la société l’Île des Médias sans qu’il puisse en être déduit qu’elle aurait utilisé les informations exposées dans la proposition de celle-ci à son insu, la société ARI n’étant pas spécialisée dans les logiciels devait nécessairement pour la partie technique avoir recours à une société spécialisée dans ce domaine.

Le fait de présenter une offre moins chère que ses concurrents ne constitue pas un acte de concurrrence déloyale. Le fait d’avoir présenté une proposition avec chaque candidat alors qu’elle n’était pas en situation de monopole sur le marché et que la société ARI a fait appel à des concurrents ne garantissait pas à la société l’Île des Médias de remporter le marché. Si elle est leader sur le marché des logiciels, ce dont elle n’atteste qu’au travers d’un document publicitaire de présentation de ses marchés, il ne peut néanmoins être retenu que ce seul critère garantissait la sélection de toute société qui la choisissait, d’autres éléments étant pris en compte lors de la procédure d’appel d’offres.

S’il a été jugé que la société ARI avait été déloyale uniquement en ne faisant pas savoir immédiatement à la société l’Île des Médias que sa proposition n’était pas retenue, cette attitude n’est pas constitutive pour autant d’un acte de concurrence déloyale, les éléments qu’elle a recueillis pour la constitution du dossier technique lui ayant été remis par la société l’Île des Médias en dehors de toute manoeuvre.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la société l’Île des Médias de ce chef.

Sur la demande au titre du préjudice pour trouble commercial

La société l’Île des Médias fait valoir que l’attribution du marché de la société SNCF Mobilités lui aurait permis de conserver son leadership sur le marché des bornes d’orientation tactiles, qu’en

attribuant le marché à la société ARI et à son sous-traitant en raison d’un comportement déloyal, ce leadership a été remis en cause, qu’il y a lieu de l’indemniser à hauteur de 150.000 euros au titre du trouble commercial ainsi subi.

La société l’Île des Médias ne démontrant pas l’existence d’un préjudice de cette nature, elle sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur la demande de publication de la décision

L’issue du litige ne justifie pas qu’il soit fait droit à cette demande.

Sur les demandes accessoires

La société ARI assumera la charge des dépens de première instance et d’appel et versera à

la société l’Île des Médias la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 4 décembre 2017, rejetant notamment la demande de production forcée de pièces formée par la société l’Île des Médias,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 2 juillet 2018,

DIT que la société ARI a commis une faute délictuelle envers la société l’Île des Médias engageant sa responsabilité dans le cadre des pourparlers relatifs à la préparation du dossier de la procédure d’appel d’offres,

CONDAMNE la société ARI à payer à la société l’Île des Médias la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice,

DIT que la société ARI n’a commis aucun acte de concurrence déloyale,

DÉBOUTE en conséquence la société l’Île des Médias de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

DÉBOUTE la société l’Île des Médias de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice pour trouble commercial,

DIT n’y avoir lieu à publication de la décision,

CONDAMNE la société ARI à payer à la société l’Île des Médias la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la société ARI aux dépens de première instance et de la procédure d’appel avec

application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la SCP Grappotte Benetreau.

A B-C D-E F

Greffière Présidente

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 11 février 2021, n° 18/17916