Cour d'appel de Paris, 25 mars 2016, n° 14/17730

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Chronologie de l’affaire

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Par jérôme Peigné, Professeur À L'université Paris Cité (institut Droit Et Santé) · Dalloz · 22 mars 2024

Valérie Siranyan · Petites affiches · 23 juin 2016
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 25 mars 2016, n° 14/17730
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 14/17730
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 7 août 2014, N° 14/55552

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 25 MARS 2016

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 14/17730

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Août 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 14/55552

APPELANTE

XXX

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

XXX

XXX

N° SIRET : 535 124 382

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Sabrina LEDDA, avocat au barreau de Nanterre, toque : 1701

INTIMÉ ET APPELANT INCIDENT

Organisme CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES PHARMACIENS CNOP agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assisté de Me Olivier SAUMON, avocat au barreau de PARIS, toque : P82

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 février 2016, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre, et Mme D-E F, Conseillère, chargées d’instruire l’affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre

Mme D-E F, Conseillère

Mme B C, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Patricia PUPIER

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme Annie DABOSVILLE, présidente et par Mme Patricia PUPIER, greffière présente lors du prononcé.

La Société Enova Santé est une société commerciale qui a pour activité le développement et le maintien de la plateforme http://www.1001pharmacie.com laquelle met en relation utilisateurs et pharmaciens aux fins d’acheter et de vendre des produits de parapharmacie, et propose par ailleurs un service de livraison de médicaments, vendus par les pharmacies partenaires de la société.

Considérant que ces activités constituent des violations répétées des dispositions encadrant le commerce électronique de médicaments et donc un trouble manifestement illicite, et ayant été autorisé à assigner à heure indiquée, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) a, par acte du 22 mai 2014, fait assigner la société Enova Santé devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile, aux fins de la voir condamner à cesser le commerce électronique de médicaments sur le site internet 1001pharmacies.com, sous astreinte de 1.000 euros par jour, à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, et ordonner le retrait des pages proposant le commerce électronique de médicaments sur le site internet 1001pharmacies.com, sous la même astreinte.

Par ordonnance contradictoire du 8 août 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, retenant notamment :

— que l’action du CNOP est recevable en ce qu’il a pour mission la défense de la profession et le respect des devoirs professionnels des pharmaciens, s’agissant notamment des conditions de commercialisation en ligne des médicaments, spécialement lorsque ceux-ci sont soumis à prescription médicale ;

— qu’il ressort des articles L.4225-26 et L.5125-26 du code de la santé publique que la vente au public de tout médicaments, produits et objets mentionnés à l’article L.4211-1 du même code, même "par l’intermédiaire de maisons de commission [ou] de groupements d’achats" est réservée au monopole des pharmaciens ; que s’il s’agit d’une restriction au principe posé par les articles 34 et 35 du TFUE de libre circulation des marchandises, celle-ci se trouve justifiée par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes, dans les conditions prévues par l’article 36 du TFUE ; que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère cette restriction comme justifiée, notamment s’agissant du commerce de médicaments sur internet ; qu’il a été constaté par huissier que la société Enova Santé, dont aucun des responsables n’est pharmacien, se livre à la vente sur internet de médicaments soumis à prescription médicale et ne se limite pas à la livraison de médicaments commandés par les particuliers auprès des pharmaciens mais exerce un véritable rôle d’intermédiaire ;

— que le commerce en ligne de médicaments non soumis à prescription obligatoire est organisé par le point 20 de la directive 2011/62/CE, transposée par l’ordonnance du 19 décembre 2012, le décret du 31 décembre 2012 et l’arrêté du 20 Juin 2013, codifiés notamment aux articles L.5125-33 et R 5125-70 et suivants du code de la santé publique ; que ces textes soumettent cette activité à diverses réglementations que la société Enova Santé ne respecte pas ; que ces textes ne devaient pas faire l’objet d’une information à la Commission européenne en application des articles 8, 9 et 10 de la directive européenne 98/34/CE dans la mesure ou ils transposent directement les dispositions de la directive 2011/62/CE ;

— que la société Enova Santé ne respecte pas les dispositions de l’article L 1111-8 du code de la santé publique sur la gestion des données personnelles des clients des professionnels et établissements de santé, dans la mesure où elle recueille les données personnelles de ses clients et les confie à une société qui ne fait pas partie de la liste des hébergeurs agréés ;

a, par ces motifs :

— dit recevable l’action du conseil national de l’ordre des pharmaciens ;

— enjoint à la société Enova Santé de cesser d’offrir ou de permettre d’offrir à la vente à distance des médicaments soumis à prescription médicale obligatoire, sur le site qu’elle exploite à l’adresse http://www.1001pharmacie.com et lui a enjoint de retirer de ce site les pages proposant le commerce électronique de tels médicaments sans délai ;

— dit qu’à défaut de ce faire, elle encourra une astreinte de 1.000 euros par jour à compter de la signification de la présente ordonnance pendant une durée de trois mois, passé lequel délai il pourra être de nouveau statué ;

— enjoint à la société Enova Santé de cesser d’offrir ou de permettre d’offrir à la vente à distance des médicaments sur le site qu’elle exploite à l’adresse dans les conditions constatées par les procès-verbaux de maître Le Marec des 11, 16, 30 avril 2014, 15 et 16 avril 2014 et 6 mai 2014 et lui a enjoint de retirer de ce site les pages proposant le commerce électronique de tels médicaments sans délai ;

— dit qu’à défaut de ce faire, elle encourra une astreinte de 1.000 euros par jour à compter de la signification de la présente ordonnance pendant une durée de trois mois, passé lequel délai il pourra être à nouveau statué ;

— s’est réservé la liquidation des astreintes ;

— condamné la société Enova aux dépens et à payer au CNOP la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Enova Santé a relevé appel de cette décision par déclaration d’appel reçue le 21 août 2014.

L’appelante par ses dernières conclusions régulièrement transmises le 10 février 2016, demande à la cour de :

— la déclarer recevable en son appel ;

A titre principal :

— surseoir à statuer et inviter les parties à saisir le Conseil d’Etat de la question de l’appréciation de la validité du décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012 ;

A titre subsidiaire :

— déclarer le CNOP irrecevable dans son action et, en conséquence, le débouter de l’ensemble de ses prétentions ;

A titre encore plus subsidiaire :

— constater l’absence de trouble manifestement illicite ;

— infirmer l’ordonnance de référé en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau, dans le cadre de l’effet dévolutif :

— débouter le CNOP de l’ensemble de ses prétentions ;

En tout état de cause :

— condamner le CNOP à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Elle fonde sa demande de sursis à statuer sur le fait que les dispositions du décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 sont entachées d’illégalité en ce qu’elles sont contraires aux prescriptions impératives du droit de l’Union Européenne et plus spécialement de l’article 8 de la Directive 98/34/CE de sorte qu’il convient d’inviter les parties à saisir le Conseil d’Etat de la question de l’appréciation de la validité de ce décret.

Sur l’irrecevabilité de l’action entreprise tenant au défaut d’intérêt à agir du CNOP, l’appelante fait valoir :

— qu’elle n’est pas un pharmacien et n’est donc pas soumise aux règles déontologiques de la profession de pharmacien, qu’elle n’exerce pas un activité de vente en ligne de médicaments,

— que le CNOP n’est pas habilité par le code de la santé publique à agir à l’encontre d’un prétendu manquement aux dispositions de l’article L.1111-8 dudit code relatif à l’hébergement des données sécurisées, l’objet de ces dispositions étant manifestement la protection de l’intérêt des patients et non celle d’une profession,

— que l’action introduite par le CNOP n’a pas pour objectif de protéger l’intérêt collectif de la profession des pharmaciens mais l’intérêt des consommateurs.

Sur le caractère infondé de la demande et sur l’absence de trouble manifestement illicite, elle soutient :

— que les dispositions encadrant le commerce électronique de médicaments en France lui sont inopposables en ce qu’elles méconnaissent le droit processuel de l’Union Européenne ;

— que la société Enova n’exerce pas l’activité de commerce électronique de médicaments telle que définie par le code de la santé publique ;

— que la société Enova n’est pas un intermédiaire des pharmaciens ;

— que, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge, le mandat d’achat de médicaments offert par Enova est indissociable du service de livraison de médicaments ;

— que la société Enova ne viole pas les dispositions sur l’hébergement des données de santé.

Le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, intimé et appelant incident, par ses dernières conclusions régulièrement transmises le 29 janvier 2016, demande à la cour de :

— rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Enova Santé et le déclarer recevable en son action ;

— débouter la société Enova Santé de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

— confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance attaquée ;

Y ajoutant :

— condamner la société ENova Santé à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société ENova Santé à lui rembourser l’ensemble des frais et dépens des procédures engagées tant devant les juridictions de première instance et d’appel, y compris les frais de constats nécessités pour caractériser les faits objets des poursuites, qui seront recouvrés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

S’agissant du sursis à statuer, elle réplique que la cour n’est pas saisie d’une question préjudicielle et que la validité du décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 est sans incidence sur la présente procédure, l’ordonnance attaquée se fondant principalement sur d’autres textes.

Sur la confirmation de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a retenu l’intérêt à agir du CNOP, l’intimé fait valoir :

— que la société Enova Santé a sciemment mis en place une stratégie de contournement des règles du code de la santé publique réservant l’activité de vente de médicaments aux seuls pharmaciens,

— que dès lors, en se livrant à des activités réservées à la profession pharmaceutique qui plus est en violant les règles s’imposant à un pharmacien lorsqu’il pratique l’e-commerce de médicaments, la société Enova Santé a indubitablement porté atteinte à l’intérêt collectif de la profession de pharmacien,

— que le CNOP a donc bien intérêt à agir à l’encontre de la société Enova Santé qui participe à la proposition de médicaments en toute illicéité, activité que le législateur réserve à la profession de pharmacien.

Sur la confirmation de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a considéré que les agissements de la société Enova Santé constituaient un trouble manifestement illicite, il soutient :

— que la violation des textes généraux du code de la santé publique encadrant la vente de médicaments suffit à caractériser le caractère manifestement illicite de l’activité de la société Enova Santé, (articles L.4211-1, L.5125-25 et L.5125-26, L.1111-8 et R 1111-8 du code de la santé publique)

— que la violation des textes particuliers encadrant le commerce des médicaments par voie électronique (directive 2011/62/UE, ordonnance du 19 décembre 2012 et décret du 31 décembre 2012) constitue un trouble manifestement illicite ;

— que la société Enova Santé continue à vendre des médicaments sur internet alors qu’elle n’est pas une officine de pharmacie puisqu’il est possible à toute personne de commander via son site des médicaments, y compris ceux soumis à prescription obligatoire ;

— que la société Enova Santé viole les dispositions en vigueur soumettant le recueil et la conservation des données de santé à un agrément préalable de l’hébergeur en recueillant et conservant ces données sans recourir à un hébergeur agréé.

Sur la confirmation de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a interdit sous astreinte à la société Enova Santé de poursuivre ses agissements illicites, il soutient :

— que la société Enova Santé continue à vendre des médicaments et ce malgré l’ordonnance de référé,

— qu’elle a mis en place une stratégie juridique de contournement des dispositions protectrices de la santé publique.

SUR CE

Sur la recevabilité :

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

Aux termes des dispositions de l’article L.4231-2 du code de la santé publique, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens est le défenseur de la légalité et de la moralité professionnelle et peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession pharmaceutique.

Il n’est pas contesté que la société Enova Santé est une société commerciale qui exploite le site internet http://www.1001pharmacies.com lequel a proposé à la vente dans un premier temps des produits de parapharmacie puis des médicaments, en faisant remplir un questionnaire entier de santé (constats d’huissier des 11,15 et 16 avril , 6 mai 2014, pièces 2 et 4 de l’intimé).

Dès lors, le Conseil national des Pharmaciens qui estime que la société Enova Santé participe à la proposition à la vente de médicaments, activité que le législateur français réserve à la profession pharmaceutique et ce, selon lui, en toute illicéité par le biais de son site internet et, par la mise en place alléguée d’une stratégie de contournement, entend se soustraire aux dispositions protectrices de santé publique auxquelles les pharmaciens sont soumis pour la vente de médicaments en ligne, justifie d’un intérêt et d’une qualité à agir dès lors que les faits ainsi dénoncés sont de nature à porter un préjudice à l’intérêt collectif de la profession de pharmacien dont le CNOP assure la défense ; qu’en conséquence, le CNOP est recevable à agir ;

L’ordonnance entreprise doit être confirmée en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la société ENOVA ;

Sur le principal :

— le sursis à statuer :

Aux termes des dispositions de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

L’article 8-1 de la Directive 98/34/CE oblige impose aux Etats membres la communication immédiate à la Commission européenne de tout projet de règle technique relative aux produits et aux services de la société de l’information, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit avant que la règle ne soit incorporée au droit national ;

La cour relève que, postérieurement à l’ordonnance entreprise, le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 16 mars 2015, retient que la vente en ligne de médicaments a le caractère d’un service de la société de l’information au sens de la directive 98/34/CE, que l’arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 20 juin 2013 relatif aux Bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, en soumettant à des règles spécifiques la vente en ligne de médicaments, comporte des règles techniques au sens de l’article 8 de la directive 98/34/CE qui ne sont pas la simple transposition de la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, qu’ainsi, l’arrêté comporte des règles techniques au sens de l’article 8 de la directive, qu’il est constant que l’arrêté attaqué n’a pas fait l’objet de la procédure de notification prévue par la directive, en méconnaissance de son article 8, et l’annule en conséquence pour excès de pouvoir (pièce n°15 de l’appelante) ;

La société Enova Santé, se prévalant de l’arrêt du Conseil d’Etat précité et soutenant que l’article 3 du décret du n°2012-1562 du 31 décembre 2012 qui insère dans le code de la santé publique les articles R 5125-71 et R 5125-72 qui précisent la composition du dossier de la demande d’autorisation préalable à la création du site Internet de vente en ligne de médicaments, et fixent les conditions d’octroi de cette autorisation notamment quant aux délais, n’a pas été notifié préalablement à son adoption à la Commission Européenne en application de l’article 8 susvisé, demande à la cour de surseoir à statuer et d’inviter les parties à saisir le Conseil d’ Etat de la question de l’appréciation de la validité de ce décret.

Cependant, en l’absence de toute information sur la suite donnée au recours en annulation pour excès de pouvoir formé par requête déposée au Conseil d’ Etat le 17 septembre 2015 par la société Enova Santé et tendant à l’abrogation de l’article 3 susvisé du décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 qui insère dans le code de la santé publique les articles R 5125-71 et R 5125-72 en raison du rejet implicite d’une demande d’abrogation de ce même article adressée le 2 juin 2015 au Premier ministre (pièces n°10 et 11 de l’appelante) et de l’existence, à la date à laquelle la présente cour statue, d’un recours pendant sur la validité dudit décret, il n’y a pas lieu d’ordonner le sursis à statuer sollicité, étant observé qu’au demeurant, il n’appartient pas à la juridiction des référés d’inviter les parties à saisir le Conseil d’état d’un éventuel recours sur la validité du décret, initiative qui ne saurait être judiciairement imposée ;

Il n’y a pas lieu de surseoir à statuer.

— le trouble manifestement illicite :

Aux termes de l’article 809, alinéa 1er,, du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Le dommage imminent s’entend du « dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ;

L’article L.4225-26 du Code de la Santé Publique dispose que :

« Nul ne peut exercer la profession de pharmacien s’il n’offre toutes garanties de moralité professionnelle et s’il ne réunit les conditions suivantes :

1º Etre titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre défini aux articles L. 4221-2 à L.4221-5 ;

'3º Etre inscrit à l’ordre des pharmaciens. »

L’article L. 4211-1 du code de la santé publique a entendu réserver aux pharmaciens le commerce des médicaments notamment : 4° La vente en gros, la vente au détail, y compris par internet, et toute dispensation au public des médicaments, produits et objets mentionnés aux 1°, 2° et 3° ;

L’article L. 5125-25 du même code, en sa version applicable à l’espèce, précise qu’il est interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments et autres produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 par l’entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue. Toute commande livrée en dehors de l’officine par toute autre personne ne peut être remise qu’en paquet scellé portant le nom et l’adresse du client.

Aux termes des dispositions de l’article L. 5125-26, en sa version applicable à l’espèce « est interdite la vente au public de tous médicaments, produits et objets mentionnés à l’article L. 4211-1 par l’intermédiaire de maisons de commission, de groupements d’achats ou d’établissements possédés ou administrés par des personnes non titulaires de l’un des diplômes, certificats ou autres titres mentionnés à l’article L. 4221-1.

Enfin selon l’article L. 5125-33 du code de la santé publique : on entend notamment par « par commerce électronique de médicaments l’activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne.

L’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie.

La création et l’exploitation d’un tel site sont exclusivement réservées aux pharmaciens suivants :

1° Pharmacien titulaire d’une officine ;

2° Pharmacien gérant d’une pharmacie mutualiste ou de secours minière, exclusivement pour leurs membres,

l’article L. 5125-35 du même code précisant que la création du site internet de commerce électronique de médicaments est subordonnée à l’ouverture effective de la pharmacie ».

Ces différents textes sont conformes aux normes communautaires, la Cour de justice de l’Union Européenne dans les arrêts Apothekerkammer des Saarlandes e.a.contreSaarland et XXX du 19 mai 2009 (C-171/07 et C-172/07) ayant précisé, en un considérant 34, que les articles 43 et 48 du Traité CE ne s’opposaient pas à une réglementation nationale, qui empêche des personnes n’ayant pas la qualité de pharmaciens de détenir et d’exploiter des pharmacies, en retenant notamment «Au regard de ces risques pour la santé publique et pour l’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale, les États membres peuvent soumettre les personnes chargées de la distribution des médicaments au détail à des exigences strictes, s’agissant notamment des modalités de commercialisation de ceux-ci et de la recherche de bénéfices. En particulier, ils peuvent réserver la vente de médicaments au détail, en principe, aux seuls pharmaciens, en raison des garanties que ces derniers doivent présenter et des informations qu’ils doivent être en mesure de donner au consommateur».

La directive 2011/62/UE du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2011 a souligné : « (23)En particulier, au regard des risques pour la santé publique et compte tenu du pouvoir accordé aux États membres de déterminer le niveau de protection de la santé publique, la jurisprudence de la Cour de justice a reconnu que les États membres peuvent réserver la vente de médicaments au détail, en principe, aux seuls pharmaciens (2) .

Dès lors, et à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, les États membres devraient pouvoir imposer des conditions justifiées par la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l’information. Ces conditions ne devraient pas entraver indûment le fonctionnement du marché intérieur ».

Enfin, aux termes de l’article L.1111-8 du code de la santé publique, t oute personne qui héberge des données de santé à caractère personnel recueillies à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic, de soins ou de suivi social et médico-social, pour le compte de personnes physiques ou morales à l’origine de la production ou du recueil desdites données ou pour le compte du patient lui-même, doit être agréée à cet effet.

Il résulte des textes de droit interne sus mentionnés, qui fixent des conditions justifiées par la protection de la santé publique à la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l’information conformément aux objectifs de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE, que seuls les pharmaciens peuvent proposer à la vente des médicaments, que la pharmacie en ligne n’est que le prolongement naturel de l’officine traditionnelle et que toute personne qui recueille des données de santé à caractère personnel doit être agréée.

En l’espèce, deux constats d’huissier dressés les 11, 14, 15, 16 et 30 avril 2014 par maître Le Marec huissier de justice à Paris ( pièces 2 et 3 du CNOP) révèlent que le site internet http://www.1001pharmacies.com exploité par la société Enova Santé, qui ne justifie pas disposer d’une officine de pharmacie, propose un catalogue pré-enregistré de médicaments que le patient peut saisir en vue d’une commande ( pièce n°6 du CNOP capture d’écran), et qu’il est donc possible à toute personne de commander des médicaments par le procédé suivant décrit dans le procès verbal précité ( pièce n° 3) :

— remplir un formulaire comportant le nom des médicaments que le patient souhaite commander, selon le catalogue pré-enregistré,

— scanner le cas échéant sa prescription médicale,

— remplir un formulaire concernant ses données de santé,

— choisir où les médicaments seront livrés,

— payer en ligne la somme correspondant à la livraison et au prix des médicaments , le débit de cette deuxième somme n’intervenant qu’au moment de la livraison.

A la suite de l’annulation par le Conseil d’Etat (sa décision n° 365317 du 17 juillet 2013) annulant l’article 7 de l’ordonnance du 19 décembre 2012, l’article L. 5125-34 du code de la santé publique, modifié par la loi n° du 24 février 2014, en sa version applicable à l’espèce, est désormais ainsi rédigé « Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire ».(loi du 24 février 2014).

Or le site http://www.1001pharmacies.com permettait également de commander des médicaments soumis à prescription obligatoire.

La société Enova Santé soutient que son offre commerciale ne peut être qualifiée d’offre de vente alors qu’elle propose seulement d’exécuter un mandat d’achat et un service de livraison de médicaments, puisqu’elle est en fait mandatée pour acheter au nom de l’utilisateur des médicaments dans une pharmacie dont elle a le libre choix, puis missionnée pour les livrer à l’adresse indiquée par l’utilisateur ; qu’elle est donc mandataire de l’acquéreur des médicaments et à ce titre n’a aucun droit de propriété sur les médicaments juridiquement achetés par les acheteurs de son site et ne stocke aucun médicament, qu’elle ne procède qu’à l’avancement du paiement du prix des médicaments entre les mains des pharmacies ce qui constitue une simple facilité complémentaire accordée aux utilisateurs (page 26 de ses conclusions).

Or, il est manifestement établi par les éléments de fait de preuve versés aux débats :

— que la société Enova Santé est une société commerciale dont le président M. Y ZNeill n’est pas pharmacien inscrit à l’ordre des pharmaciens (constat d’huissier du 6 mai 2014 dans les locaux de la société Enova pièce 4 du CNOP page 5),

— que la société recueille des données de santé du patient qui sont stockées sur son site et hébergées par la société TYPHON SAS laquelle n’est pas agréée,(réponse de la directrice générale page 6 du procès-verbal du 6 mai 2014 pièce n°4 du CNOP),

— qu’elle permet aux patients par son site de se procurer des médicaments y compris jusqu’à récemment ceux soumis à prescription obligatoire,

— qu’elle perçoit elle-même le prix des médicaments, qu’il y a accord sur la chose et sur le prix et que la vente est parfaite dès que le client a rempli sa commande sur le site internet, peu important que le prix ne soit fixé que lorsque les médicaments lui sont remis par le pharmacien dans la mesure où ce prix est directement perçu du patient par la société Enova Santé.

Il s’en déduit que la société Enova Santé ne peut utilement soutenir :

— qu’elle ne vend pas elle-même en ligne les médicaments (déclaration de sa directrice générale Mme X procès-verbal de constat d’huissier du 6 mai 2014 pages 4 et 5 pièce n°4 du CNOP)

— qu’elle n’exerce pas l’activité de commerce électronique de médicaments ( page 24 et suivantes de ses conclusions,

— et qu’il « n’existe aucun mandat de vente de médicaments entre elle et les pharmaciens » dont elle ne serait pas l’intermédiaire,(page 26, 31 et suivantes ), étant relevé que l’existence d’un partenariat entre la société Enova Santé et « les pharmaciens partenaires » n’est pas contestée ( page 4 et page 6 « il existe simplement un abonnement entre nous ») et qu’elle se présente elle-même comme « une plateforme de mise en relation entre clients acheteurs et vendeurs professionnels partenaires d’Enova Santé » ( sa pièce n°3 &1.1 Généralités de ses conditions générales de vente et d’utilisation des services ) ;

Au demeurant, ainsi que le souligne à juste titre le CNOP, le législateur proscrit tout immixtion de tiers dans la relation entre patient et pharmacien (article L. 5125-25 précité).

De même ainsi que l’a relevé le premier juge et au regard des éléments de fait et de preuve sus retenus, la société Enova Santé ne peut utilement soutenir qu’elle ne se livre qu’à un simple service de livraison.

Il se déduit en effet, avec l’évidence requise en référé, des constations précédentes rappelées et détaillées dans les procès-verbaux d’huissier (pièces 2, 3 et 4 du CNOP) que la société Enova Santé qui n’est pas une officine de pharmacie, dont aucun responsable n’est pharmacien inscrit à l’ordre des pharmaciens, joue manifestement un rôle actif dans l’activité d’e-commerce en offrant à la vente à distance au public des médicaments et notamment des médicaments soumis à prescription obligatoire et en stockant, en dehors de tout agrément, des données de santé des patients qui s’adressent à elle.

Ce faisant, la société Enova Santé viole de manière flagrante les dispositions relatives à la vente de médicaments, au commerce électronique de médicaments et celles réglementant le stockage des données de santé, dispositions destinées à protéger la santé du public ce qui constitue un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés doit mettre fin, en application de l’article 809, al 1, du code de procédure civile, par toutes mesures utiles et proportionnées.

L’ordonnance attaquée doit donc être confirmée en ce qu’elle enjoint sous astreinte à la société Enova Santé de cesser d’offrir ou de permettre d’offrir à la vente à distance des médicaments y compris des médicaments à prescription médicale obligatoire, étant relevé que le CNOP justifie, par la production d’une capture d’écran de la persistance de la vente de médicaments la veille de l’audience devant la cour (pièces n°13 et 14 du CNOP), que le trouble manifestement illicite, caractérisé à la date de l’ordonnance déférée, persiste à la date à laquelle la cour statue.

La cour n’entend pas se réserver la liquidation de l’astreinte.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans les termes du présent dispositif.

La SAS Enova Santé, partie perdante, supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

Dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer et à inviter les parties à saisir le Conseil d’Etat de la question de l’appréciation de la validité du décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012,

Confirme l’ordonnance attaquée en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

Dit que la cour ne se réserve pas la liquidation de l’astreinte,

Condamne la SAS Enova Santé à verser au Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SAS Enova Santé de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne la SAS Enova Santé aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,

Le Président,

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Cour d'appel de Paris, 25 mars 2016, n° 14/17730