Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 26 septembre 2017, n° 16/19622

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 26 sept. 2017, n° 16/19622
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/19622
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 4 novembre 2015
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2017

(n° 188/2017, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 16/19622

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de Paris -

APPELANTE

La SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES INTÉRÊTS DES AUTEURS DE L’ECRIT (SOFIA),

Société civile à capital variable

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 423 194 364,

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me C D de l’AARPI Cabinet C D, avocat au barreau de PARIS, toque : C0500

INTIMÉE

SAS SIREGE

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Beauvais sous le numéro 439 73 6 9 01

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

3, place de l'[…]

[…]

Représentée par la SCP M-X, ès qualités de mandataire judiciaire de la société SIREGE

Représentée et assistée de Me Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELARL CABINET PIERRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0166

PARTIE INTERVENANTE

La SCP M – X,

Immatriculée au registre du Commerce et des sociétés de Beauvais sous le numéro 352 978 571,

Prise en la personne de Maître Z X, associé, domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELARL CABINET PIERRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0166

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 Juin 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benjamin RAJBAUT, Président

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme A B

ARRET :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par M David PEYRON, président pour M. Benjamin RAJBAUT, président empêché et par Mme A B, greffier.

***

La cour rappelle que la Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit, dénommée SOFIA, est une société civile de perception et de répartition des droits régie par l’article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Qu’elle indique être notamment en charge de la gestion du droit de prêt public, rémunération égale à 6% du prix public hors taxes des livres déclarés, versée par les fournisseurs de livres sur les ventes faites aux bibliothèques ;

Qu’elle précise rassembler plus de 8500 auteurs et 200 éditeurs qui représentent 80 % du chiffre d’affaires de l’édition française ;

Qu’ayant constaté, à l’occasion d’une procédure en recouvrement de sommes dues au titre du droit de prêt diligentée devant le tribunal de grande instance de Lille à l’encontre de la Sas SIREGE, que cette société, ayant pour objet social notamment la vente de gros et détail de tous ouvrages, diffusait sur son site internet un catalogue de livres à prix réduits, et après avoir fait procéder les 1er octobre et 6 novembre 2013 à un constat d’achat, elle l’a faite citer, par acte du 10 décembre 2013, pour qu’il lui soit ordonné sous astreinte de cesser immédiatement la commercialisation, l’exposition et la publicité de livres à un prix non conforme à la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre ;

Que la société SOFIA a interjeté appel du jugement contradictoire rendu le 5 novembre 2015 par le Tribunal de grande instance de Paris qui :

• l’a déclarée irrecevable à agir à l’encontre de la société SIREGE en cessation ou réparation d’actes dont elle prétend qu’ils contreviendraient aux dispositions de la loi du 10 août 1981 faute d’intérêt à agir,

• a débouté la société SIREGE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

• l’a condamnée aux dépens et à payer à la société SIREGE la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Qu’en cause d’appel, la Sas SIREGE ayant été placée le 5 avril 2016 sous procédure de sauvegarde, la société SOFIA a fait citer en intervention forcée son mandataire judiciaire la Scp M X en la personne de Me X ;

Qu’à l’audience de plaidoiries du 21 juin 2017, et avec l’accord de leurs avocats, la cour a donné acte aux parties de ce que par jugement du tribunal de commerce de Beauvais du 7 mars 2017, un plan de sauvegarde a été arrêté et que la Scp M X en la personne de Me X a été désignée en qualité de commissaire à l’exécution du plan et intervient désormais en cette qualité ; que toujours avec l’accord des avocats des parties, il en a été justifié par la production d’un extrait Kbis au 21 juin 2017 ;

Que dans ses dernières conclusions du 14 février 2017, la société SOFIA demande à la Cour de :

• INFIRMER le jugement rendu le 5 novembre 2015 par le Tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société SIREGE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ET, STATUANT DE NOUVEAU,

• A titre liminaire, DEBOUTER la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, de sa demande tendant à voire juger irrecevables les demandes de la SOFIA en raison de la procédure de sauvegarde,

DIRE ET JUGER que la SOFIA est recevable à agir, en tant qu’organisation de défense des auteurs de l’écrit, et à titre personnel, afin de demander la cessation des actes illicites,

En conséquence, DECLARER la SOFIA recevable et bien fondée à agir,

• Et

DIRE ET JUGER que les livres défraichis (ou provenant de retours d’office) sont soumis à la règlementation sur le prix unique du livre,

DIRE ET JUGER que livres neufs soldés sont soumis à la réglementation sur le prix unique du livre, sauf à ce que la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, prouve qu’il s’agit de soldes totaux de l’éditeur, ce qu’elle ne prouve pas,

DIRE ET JUGER que les ouvrages qu’elle qualifie d'« anciens » car ayant plus de deux ans d’ancienneté ne peuvent pas être vendus avec des remises déplafonnées, sauf à ce qu’ils n’aient pas fait l’objet d’un nouvel approvisionnement depuis moins de six mois, au sens de l’article 5 de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre et DIRE ET JUGER que la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, ne prouve pas vendre des livres qui respectent les

♦ conditions cumulatives de l’article 5 de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre et qu’en tout état de cause, la SOFIA prouve, au contraire, que la société SIREGE vend, avec des remises déplafonnées, des livres qui ne remplissent pas les conditions cumulatives de l’article 5 de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, DIRE ET JUGER que la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, en tant que détaillant, est soumise à la règlementation sur le prix unique du livre,

DIRE ET JUGER qu’il est prouvé que la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, vend de nombreux ouvrages bien en deçà du prix public de vente fixé par l’éditeur et qu’elle pratique donc ouvertement des remises supérieures à celles autorisées par la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre,

• En conséquence,

DIRE ET JUGER que la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, exerce son activité commerciale dans des conditions non conformes à la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre,

ORDONNER la cessation immédiate de la commercialisation, de l’exposition et de la publicité des livres vendus par la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, à un prix non conforme à la loi du 10 août 1981, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement,

A titre reconventionnel, DIRE ET JUGER que l’appelante n’a pas commis d’abus du droit d’ester en justice et DEBOUTER la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, de sa demande à ce titre,

• En tout état de cause,

DEBOUTER la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, de l’ensemble de ses réclamations.

ORDONNER la publication judiciaire de la décision à intervenir, pendant 30 jours consécutifs à compter du prononcé de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site de la société SIREGE à l’adresse , ainsi que la publication judiciaire de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans trois journaux français, au choix de la SOFIA et aux frais de la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 5 000 euros.

DEBOUTER la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, de sa demande tendant au versement de 20 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et CONDAMNER la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M ' X, à verser à la SOFIA la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’au paiement des entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître C D dans les conditions prévues à l’article 699 du Code de procédure civile, en ce compris les frais de constats d’huissier communiqués en pièces n° 10 et 11 ;

Que dans leurs dernières conclusions du 14 février 2017, la Sas SIREGE et la Scp M X demandent à la Cour de :

• Vu I’article L.622-21 et L.622-22 du Code de Commerce

Constater, Dire et Juger que la SOFIA n’a déclaré aucune créance au passif de la

♦ société SIREGE fondée sur la présente procédure ; Constater, Dire et Juger que les demandes formées par la SOFIA constituent des demandes directes ou indirectes en paiement de sommes d’argent, lesquelles sont irrecevables compte tenu de l’arrêt des poursuites ;

Constater, Dire et Juger que les demandes formées par la SOFIA prenant leur cause antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde sont irrecevables compte tenu de l’arrêt des poursuites dès lors qu’elles ne tendent ni à la constatation d’une créance, ni à la fixation de son montant ;

En conséquence, Déclarer la SOFIA irrecevable en l’ensemble de ses demandes;

• A titre subsidiaire, vu les articles 122, 31 et 32 du Code de Procédure Civile ;

Confirmer le jugement du 5 novembre 2015 en ce qu’il a considéré que la société SOFIA ne justifie pas de sa qualité ni de son intérêt à agir dans le cadre de la présente procédure ;

Constater, Dire et Juger que les demandes présentées par la SOFIA sont irrecevables car imposant à la Cour de statuer « in futurum '' sur des demandes indéterminées ;

En conséquence, débouter la société SOFIA de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

• A titre subsidiaire, vu I’article 2224 du Code civil ;

Constater, Dire et Juger que les demandes formées parla SOFIA fondées sur des pièces antérieures au 10 décembre 2008 sont prescrites ;

Constater, Dire et Juger que les demandes formées parla SOFIA fondées sur les pièces 7bis, 15 et 17 produites le 24 novembre 2014, et concernant des données ou factures antérieures au 24 novembre 2009 sont prescrites ;

Vu I’article 9 du Code de Procédure Civile, Vu I’article 1315 du Code Civil ;

Constater, Dire et Iuger que la pièce adverse 3 n’est pas recevable faute de garantie de l’intangibiIité de son contenu ;

Constater, Dire et juger que les pièces adverses 6, 7 et 15 concernent des données relatives à des factures émises par une société tierce non attraite à la présente procédure ;

Constater, Dire et Juger que toute action reposant sur les factures communiquées en pièces adverse 6 et 7 sont prescrites ;

Constater, Dire et Juger que la pièce adverse 8 décrite comme un 'constat d’agent assermenté’ est nulle dès lors qu’eIIe a été émise par le personnel de la SOFIA dans un domaine ne relevant pas de son agrément ;

Constater, Dire et Juger que les pièces adverses 8 et 15, le tableau de référencement (pièce adverse 7) et les extraits du logiciel de la SOFIA (pièce adverse 7) ne sont pas des modes de preuves admissibles dès lors qu’ils ont été établis de toute pièces par la SOFIA, et qu’ils empêchent un débat contradictoire et loyal ;

Constater, Dire et Juger que les pièces adverses 10 et 11 sont dépourvues de force probante pour avoir été établies au moyen de man’uvres déloyales ;

Constater que la SOFIA n’a pas accédé à la sommation de communiquer qui lui a été délivrée en première instance, En conséquence,

Prononcer la nullité des pièces adverses 8, 10, 11 et 15 lesquelles ne sont pas des preuves Ioyales ;

Ecarter les pièces adverses 3, 6, 7, 8, 10, 11 et 15 lesquelles sont dépourvues de pertinence ;

Constater, Dire et Juger que la SOFIA n’apporte pas d’éléments de preuve à l’appui de ses prétentions;

Débouter la SOFIA de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Constater que la SOFIA est mal fondée en ses demandes indéterminées et in futurum à l’encontre de la société SIREGE ;

• Reconventionnellement, et en tout état de cause, vu I’article 1382 du Code Civil ;

Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 5 novembre 2015 en ce qu’il a constaté que l’action introduite parla SOFIA constitue en soi une faute équipollente au dol ;

Constater, Dire et Juger que la SOFIA a introduit la présente procédure dans des conditions abusives ;

En conséquence, Condamner la société SOFIA à verser à la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M – X la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;

• En tout état de cause,

Confirmer le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 5 novembre 2015 en ce qu’il a alloué à la société SIREGE la somme de 20.000 euros au titre de I’article 700 du Code de Procédure civile,

Y ajoutant, condamner la SOFIA au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de I’article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d’appeI au profit de la société SIREGE, représentée par son mandataire judiciaire la société M – X, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL CABINET PIERRAT, conformément aux dispositions de I’article 699 du Code de Procédure Civile.

Que l’ordonnance de clôture est du 21 février 2017 ;

SUR CE

I – Sur les exceptions d’irrecevabilité

Considérant, en premier lieu, que la société SIREGE, qui le 5 avril 2016 a été placée sous procédure de sauvegarde, et qui observe que la SOFIA n’a déclaré aucune créance au passif de la société SIREGE fondée sur la présente procédure, soulève l’irrecevabilité de ses demandes compte tenu de l’arrêt des poursuites ;

Mais considérant qu’avec pertinence la société SOFIA observe que si l’article L.622-21 du code de commerce interrompt l’action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, elle ne formule aucune demande de cette nature mais seulement une action tendant à faire cesser des agissements illicites ; que les demandes de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de prononcé d’une astreinte, qui trouvent leur origine dans la décision qui sera rendue, doivent être considérées comme des créances postérieures au jugement d’ouverture ; que la demande de publication de l’arrêt ne tend pas à la condamnation au paiement d’une somme d’argent ;

Que la société SIREGE sera déboutée de ce premier moyen d’irrecevabilité ;

Considérant, en second lieu, que la société SIREGE demande la confirmation, pour les motifs qu’il comporte, du jugement en ce qu’il a dit que la société SOFIA ne justifiait pas de sa qualité et de son intérêt à agir ;

Que la société appelante en demande l’infirmation pour les motifs ci-après repris ;

Considérant que selon son article 8, en cas d’infraction aux dispositions de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, les actions en cessation ou en réparation peuvent être engagées, notamment par (…) toute organisation professionnelle des auteurs ;

Considérant, de première part, que la SOFIA est une société de perception et de répartition des droits au sens de l’article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dénommée organisme de gestion collective depuis la loi du 22 décembre 2016, dont l’objet principal, selon les termes de cette loi, laquelle reprend le sens du droit positif antérieur, consiste à gérer le droit d’auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, à leur profit collectif ; que le nouvel article L 321-2 de ce code, qui reprend lui aussi le sens de la jurisprudence antérieure, précise que ces organismes ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge

Que les statuts de cette société, modifiés en dernier lieu le 15 juin 2006, stipulent qu’elle prend pour nom SOFIA, Société Française des Auteurs de l’écrit ; qu’elle est composée par les auteurs d’oeuvres et par les éditeurs de ces oeuvres ; qu’elle a notamment pour objet d’une façon plus générale, la défense des intérêts matériels et moraux de ses associés ou de leurs ayant droits en vue et dans la limite de l’objet social ;

Qu’il n’est pas contesté qu’étant notamment en charge de la gestion du droit de prêt public, rémunération égale à 6% du prix public hors taxes des livres déclarés, versée par les fournisseurs de livres sur les ventes faites aux bibliothèques, elle rassemble plus de 8500 auteurs et 200 éditeurs qui représentent 80 % du chiffre d’affaires de l’édition française ;

Qu’elle constitue ainsi une organisation professionnelle des auteurs au sens de l’article 8 de la loi du 10 août 1981 ;

Considérant, de seconde part, que l’action intentée par la société SOFIA tend directement à la cessation d’infractions aux dispositions de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, prétendument commises par la société SIREGE ;

Qu’ainsi, et sans qu’il y ait lieu de rechercher son intérêt personnel et direct à agir, la société SOFIA justifie suffisamment de sa qualité à agir pour la défense collective des auteurs, au sens des dispositions légales précitées ;

Que le jugement sera infirmé en ce sens et l’action et les demandes déclarées recevables ;

II – Au fond

Considérant qu’à l’appui de ses prétentions, la société SOFIA développe tout d’abord des considérations générales sur l’applicabilité de la loi du 10 août 1981, observant que les livres défraîchis (ou provenant de retours d’office) seraient soumis à la réglementation sur le prix unique du livre, que la société SIREGE, en tant que détaillant, est soumise à cette loi ; qu’elle argumente ensuite que la société SIREGE aurait opéré une fraude généralisée, qu’elle assumerait ouvertement ne pas vendre ses livres au prix public, pratiquant des rabais de 50% sur les livres qu’elle vend ; qu’alors qu’il appartiendrait à la société SIREGE de rapporter la preuve de la conformité de ses ventes à la loi LANG, elle donne trois 'exemples’ d’infractions ; en premier lieu, celles tirées des procès-verbaux de constat des 1er octobre et 6 novembre 2013, renouvelés les 29 octobre 2013 et 3 mars 2014, par lesquels il a été procédé à deux reprises à des achats de livres à des prix illicites ; en deuxième lieu, de l’exploitation des factures communiquées par la société SIREGE devant le tribunal de Lille, permettant d’établir un tableau récapitulant une liste de plus de 9 000 titres vendus moins de deux ans après leur publication ; en troisième lieu, de factures communiquées par des bibliothèques clientes de la société SIREGE permettant d’établir qu’en 2014 cette dernière leur vendait toujours des livres de moins de deux ans avec des rabais dépassant le taux de remise autorisé par la loi Lang ;

Considérant qu’en défense, la société SIREGE soutient que la SOFIA appuie son action sur des factures émises par des tiers, lesquelles sont anciennes et prescrites, ainsi que sur des constats nuls et dénués de force probante ; qu’elle occulte délibérément les dispositions de l’article 5 de la loi du 10 août 1981 laquelle autorise les remises déplafonnées ; qu’enfin les mesures sollicitées sont manifestement excessives ;

Considérant, ceci étant exposé, qu’il ressort du site http://sirege.fr aux 8 et 9 juillet et 16 décembre 2013 qu’à ces dates cette société proposait des livres à des prix Sirege comparés aux prix publics :

date

ouvrage

auteur

éditeur

prix Sirege indiqué

prix public indiqué

8 juillet 2017

Moi aussi je t’aime

C N O

Proust

5 €

10,09 €

9 juillet 2017

[…]

E F

Presses de la Cité

13,35 €

20,28 €

9 juillet 2017

Manga

G H

Du Rouergue

3,5 €

7,10 €

16 décembre 2017

Chiner, collectionner

I J

HOEBEKE

15 €

30 €

Que par constat des 1er octobre et 6 novembre 2013 à la requête de la société SOFIA, un huissier a constaté l’achat fait par P-Q Y, agent assermenté et sous directrice de cette société sur le site internet de la société SIREGE ; que le 1er octobre 2013, madame Y a successivement cliqué sur la page Sirege Bibliothèques et Cdi, sélectionné l’auteur K L, fait apparaître plusieurs oeuvres de cet auteur, dont le roman BM Blues, créé un compte en complétant les champs d’identification au nom d’une entreprise Y, a de nouveau sélectionné l’auteur K L, puis l’oeuvre BM Blues, la page mentionnant comme éditeur Belfond, un prix SIREGE de 9 € et un prix public de 18 €, cliqué sur le bouton ajouter au panier, faisant apparaître un prix total de 15,89 € comprenant des frais de port, puis procédé au paiement par carte bancaire ; que le même jour, madame Y a sélectionné les sites de l’éditeur BELFOND et de la FNAC, où cet ouvrage était proposé à la vente respectivement aux prix de 18 € pour le premier et de 17, 10 € pour la seconde, après réduction de 5% ; que le 6 novembre 2013, le même huissier a constaté que madame Y lui remettait le colis fermé reçu par elle provenant de la société SIREGE, contenant une facture du 14 octobre 2013 et un livre d’aspect neuf du roman BM Blues de K L publié par les éditions BELFOND ; que par ailleurs, il est mentionné sur le site de l’éditeur BELFOND que cet ouvrage a été édité au mois d’octobre 2012, ce qui n’est pas contesté et est conforté par le fait que son examen fait ressortir qu’il a été imprimé au mois d’octobre 2012 et que son dépôt légal est de la même date ;

Considérant que selon l’article 1 de la loi du 10 août 1981 toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu’elle édite ou importe, un prix de vente au public… Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95% et 100% du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur ;

Qu’outre cette première réduction de 5% pouvant être pratiquée dans tous les cas, la loi prévoit deux exceptions à ce prix fixe de vente :

— dans la limite de 9%, lorsque l’achat est réalisé soit pour leurs besoins propres par certaines personnes morales telles que l’Etat ou les collectivités locales, soit par les personnes morales gérant des bibliothèques accueillant du public (article 3),

— par les détaillants sur les livres édités ou importés depuis plus de deux ans et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois (article 5) ;

Considérant qu’en défense, la société SIREGE soutient successivement :

— qu’en la forme, le constat d’huissier serait nul dès lors, de première part, qu’il n’aurait pas été réalisé par un tiers mais par un représentant de la SOFIA, madame Y étant à la fois agent assermenté et sous directrice de la SOFIA ; de seconde part, qu’il aurait été réalisé dans le cadre de manoeuvres déloyales manifestes, madame Y n’ayant pas décliné son identité réelle ni ses qualités, ayant donné des informations délibérément mensongères en s’inscrivant comme l’entreprise Y et en demandant à ce que le livre soit livré dans les locaux d’une entreprise MAKASSAR, grossiste soldeur,

— qu’au fond, s’agissant d’une vente en gros entre commerçants, la société SIREGE n’aurait alors pas eu la qualité de détaillant au sens de la loi du 10 août 1981 ;

Considérant que la société SOFIA s’oppose à ces moyens pour les motifs ci-après repris ;

Considérant, en effet, concernant les exceptions de nullité, de première part, que s’il est vrai que les manipulations d’achat sur internet n’ont pas été effectuées par un tiers mais par une salariée de la SOFIA, partie poursuivante, il est aussi constant qu’elles l’ont été sous la présence constante et ininterrompue de l’huissier de justice lequel a ainsi pu les constater et en attester la réalité ; qu’au demeurant, il n’est pas prétendu que les opérations décrites seraient inexactes ; de deuxième part, que l’appelante explique, en premier lieu, que si madame Y a été contrainte de s’identifier comme entreprise, c’est parce que le site internet de la société SIREGE ne laisse pas le choix sur cette qualification, imposant de remplir une catégorie type et de choisir entre entreprise et établissement qui sont les seuls choix possibles, en deuxième lieu, que si le livre a été livré à la société MASSAKAR FRANCE, c’est parce qu’il s’agit d’un lieu ouvert tous les jours permettant la livraison par transporteur à tout moment de la journée ; qu’en tout état de cause, les inexactitudes concernant l’identité réelle de l’acheteur et sa domiciliation ne remettent pas en cause que c’est conformément à ses conditions générales de vente que la société SIREGE a vendu et livré le livre BM BLUES de K L ; que dans ces conditions la cour rejettera les exceptions de nullité ;

Considérant, au fond, qu’il ressort des constatations ci-dessus que la société SIREGE a, le 1er octobre 2013, vendu le livre BM BLUES de K L pour la somme de 9 € alors que le prix fixé par les éditions BELFOND, était de 18 €, pratiquant ainsi un prix de vente au public égal à 50% du prix fixé par l’éditeur ; que cette remise ne rentre à l’évidence pas dans l’exception de l’article 3, tant par son montant qu’en l’absence de la qualité nécessaire de l’acheteur ; qu’elle ne rentre pas plus dans l’exception de l’article 5, dès lors que ce livre a été vendu le 1er octobre 2013, et au plus tard le 6 novembre 2013, soit moins de deux ans après son édition au mois d’octobre 2012 ; qu’il sera ajouté que l’huissier a constaté que le livre avait un aspect neuf, étant observé que la société SIREGE n’allègue nullement en l’espèce qu’il ait été 'défraîchi', une telle circonstance ne constituant au demeurant pas une exception au prix fixe du livre tel que défini par la loi du 10 août 1981 ; que si la société SIREGE allègue que s’agissant d’une vente en gros entre commerçants, elle n’aurait alors pas eu la qualité de détaillant au sens de la loi du 10 août 1981, force est de constater qu’il ne s’agit en l’espèce de la vente d’un livre unique pour une opération unique, excluant dès lors la qualification de vente en gros, la qualité de particulier ou d’entreprise de l’acheteur étant indifférente à la qualification en l’espèce de vente au détail ; qu’il sera ajouté que les conditions générales de vente reprises dans le constat d’huissier précité exposent qu’une vente peut être effectuée au profit d’un particulier ;

Que la cour estime qu’il est ainsi suffisamment démontré que, pour cette opération, la société SIREGE a enfreint les dispositions de la loi du 10 août 1981 ;

Considérant, en revanche, que la cour estime aussi que si les autres 'exemples’ d’infractions allégués par la société SOFIA démontrent que systématiquement la société SIREGE propose à la vente des livres à des prix très inférieurs à ceux fixés par les éditeurs, elle ne démontre pas suffisamment, au cas par cas, leur non conformité aux dispositions de la loi du 10 août 1981 au regard notamment de son article 5 ; que contrairement à ce qu’elle soutient, s’agissant d’une incrimination pénale, même contraventionnelle, cette preuve en incombe totalement et dans tous ses éléments à la partie poursuivante, ce qu’elle ne fait pas suffisamment en l’espèce ;

Qu’en définitive, l’infraction aux dispositions de la loi du 10 août 1981 étant établie pour la vente du 1er octobre 2013, la cour, en application de son article 8, ordonnera la cessation de ces pratiques illicites par la société SIREGE ; qu’en revanche, la poursuite de ces agissements illicites n’étant pas suffisamment établie, elle dira n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ni à la publication du présent arrêt ;

Que l’action principale étant reconnue partiellement fondée, la société SIREGE sera déboutée de toutes ses demandes ;

Que la société SIREGE succombant supportera les dépens de première instance et d’appel ainsi que les frais irrépétibles ainsi qu’il est dit au dispositif ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Déboute la société SIREGE et son commissaire à l’exécution du plan la société M ' X, de sa demande tendant à voire juger irrecevables les demandes de la SOFIA en raison de la procédure de sauvegarde,

Infirme le jugement en ce qu’il a déclaré la société SOFIA irrecevable à agir en cessation ou réparation d’actes qui contreviendraient aux dispositions de la loi du 10 août 1981,

Statuant à nouveau,

La déclare recevable à agir à ces fins,

La déclare partiellement fondée en ses demandes,

Ordonne à la société SIREGE de cesser la vente de livres à des prix non conformes à la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre ;

Dit n’y avoir lieu à prononcé d’une astreinte ou à ordonner la publication du préssent arrêt ;

Déboute la société SOFIA de toutes ses demandes et notamment de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne la société SIREGE aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés directement par Maître C D dans les conditions prévues à l’article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la société SOFIA une somme de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 26 septembre 2017, n° 16/19622