Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 14 octobre 2021, n° 21/00941

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53A

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 OCTOBRE 2021

N° RG 21/00941 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UJ62

AFFAIRE :

COMMUNE DE SASSENAGE

C/

S.A. DEXIA CREDIT LOCAL

SA CAISSE FRANÇAISE DE FINANCEMENT LOCAL

Décision déférée à la cour : Renvoi après cassation

Arrêt rendu le 12 novembre 2020 par le Cour de cassation suite à l’arrêt rendu le 04 octobre 2018 par le Cour d’appel de Versailles sur le jugement rendu le 13 mai 2016 par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre

N° RG : 12/00343

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 14/10/2021

à :

Me Hélène FERON-POLONI de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocat au barreau de PARIS

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES

Me B C-D de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 04 octobre 2018

COMMUNE DE SASSENAGE

Représentée et agissant par son maire Monsieur Y Z ayant reçu délégation par délibération du conseil municipal du 15 juillet 2020

[…], place de la libération

[…]

Représentant : Me Hélène FERON-POLONI de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0187

****************

DEFENDERESSES DEVANT LA COUR DE RENVOI

S.A. DEXIA CREDIT LOCAL

N° Siret : 351 804 042 (RCS Nanterre)

[…]

[…]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Dominique LEFORT de l’AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045, Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 N° du dossier 25195

SA CAISSE FRANÇAISE DE FINANCEMENT LOCAL

N°Siret : 421 318 064 (RCS de Nanterre)

Anciennement dénommée DEXIA MUNICIPAL AGENCY

[…]

[…]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me B C-D de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 N° du dossier 004898, Me Frédéric GROS du

PARTNERSHIPS JONES DAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J001

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Septembre 2021, Madame Sylvie GUYON-NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Sylvie NEROT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Vu, faisant suite à divers prêts d’aménagement et de refinancement de la dette de la commune de Sassenage (Isère) commercialisés depuis 2004 par la société Dexia Crédit Local (ci-après : Dexia), établissement de crédit spécialisé dans les prêts au secteur public, le prêt commercialisé par cette dernière à cette commune le 20 octobre 2010, destiné à refinancer deux prêts de refinancement de 2006 et 2007, d’un montant de 4.284.738,52 euros et d’une durée de 32 ans, portant intérêts :

pendant une première phase, du 31 décembre 2010 inclus jusqu’au 31 décembre 2032 exclu, à un taux variable déterminé, de manière post-fixée, successivement pour chaque période d’intérêts de 12 mois précédant chaque date d’échéances d’intérêts, selon les modalités suivantes :

* si le cours de change EUR/CHF, constaté quinze jours ouvrés avant chaque date d’échéance d’intérêts, est supérieur ou égal à 1,40 francs suisses pour un euro, le taux d’intérêt est égal à 3,30 %,

* si le cours de change EUR/CHF, constaté quinze jours ouvrés avant chaque date d’échéance d’intérêts, est strictement inférieur à 1,40 francs suisses pour un euro, le taux d’intérêt est égal à la somme, d’une part, d’un taux de 4,20 % l’an et, d’autre part, de 50 % du taux de variation du cours de change de l’euro en franc suisse,

ou le taux de variation du cours de change EUR/CHF est égal au résultat du rapport entre (i) le cours pivot de 1,40 francs suisses pour un euro et (II) le cours de change EUR/CHF tel que publié 15 jours ouvrés avant chaque date d’échéance d’intérêts, moins 1,

pendant une deuxième phase, du 31 décembre 2032 inclus au 31 décembre 2042 exclu, à un taux fixe de 3,30 % l’an,

étant précisé qu’à la date de 2011 demeuraient en cours le prêt consentis en 2009 et ce prêt de 2010, seul prêt litigieux devant la présente cour de renvoi,

Vu l’assignation délivrée le 19 décembre 2011 par la commune de Sassenage à l’encontre de la société Dexia Crédit Local sollicitant du tribunal de grande instance de Nanterre saisi l’annulation, fondée sur le dol, des contrats de prêt souscrits les 30 novembre 2006, 06 mars 2007, 16décembre 2009 et 20 octobre 2010 et, subsidiairement, l’indemnisation de son préjudice en raison

de l’engagement de la responsabilité du dispensateur de crédit ayant manqué à ses devoirs d’information, de mise en garde et de conseil ainsi que l’annulation de la stipulation d’intérêts des prêts en cours et des clauses de remboursement anticipé de l’ensemble de ces prêts,

Vu l’intervention volontaire en la cause de la Caisse Française de Financement Local (ci-après : la X), anciennement Dexia Municipal Agency, se présentant comme le prêteur créancier de la commune, ainsi qu’expressément prévu par chacun de ces contrats inscrits à l’actif de son bilan,

Vu le jugement contradictoire rendu le 13 mai 2016 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

• déclaré recevable l’intervention volontaire de Caisse Française de Financement Local,

• déclaré irrecevable l’action en nullité de la commune de Sassenage contre les prêts consentis le 30 novembre 2006 et 06 mars 2007,

• débouté la commune de Sassenage de son action en nullité des contrats de prêt consentis les 12 décembre 2009 et 20 octobre 2010,

• déclaré irrecevable l’action en responsabilité contractuelle de la commune de Sassenage s’agissant des prêts consentis les 30 novembre 2006 et 06 mars 2007,

• débouté la commune de Sassenage de son action en responsabilité contractuelle, s’agissant des prêts consentis le 12 décembre 2009 et 20 octobre 2010,

• débouté la commune de Sassenage de son action en nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêts contenues dans les contrats de prêt consentis les 12 décembre 2009 et 20 octobre 2010,

• débouté la commune de Sassenage de ses demandes relatives aux clauses de remboursement anticipé contenues dans chacun des contrats de prêt critiqués,

• débouté la commune de Sassenage de ses demandes fondées sur l’article L.313-3 du code de la consommation,

• déclaré irrecevable l’action en responsabilité délictuelle de la commune de Sassenage contre les prêts conclus les 30 novembre 2006 et 06 mars 2007,

• débouté la commune de Sassenage de son action en responsabilité délictuelle s’agissant des prêts conclus les 12 décembre 2009 et 20 octobre 2010,

• condamné la commune de Sassenage à payer à la Caisse Française de Financement Local au titre des intérêts impayés des échéances des 31 décembre 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 la somme de 775.334,81 euros, s’agissant du prêt consenti en 2009, et la somme de 2.762.299,11 euros, s’agissant du prêt consenti en 2010,

• ordonné la capitalisation des intérêts et dit que les intérêts dus depuis au moins un an produiront eux-mêmes intérêts,

• rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

• dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

• condamné la commune de Sassenage à payer à la Caisse Française de Financement Local et à la société Dexia Crédit Local la somme de 5.000 euros, chacune, en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Vu l’arrêt contradictoire rendu le 04 octobre 2018 par la Cour d’appel de Versailles qui, saisie d’un recours par la commune de Sassenage, a :

• confirmé le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la commune de Sassenage de son action en responsabilité contractuelle, s’agissant du prêt consenti le 20 octobre 2010 et, statuant à nouveau de ce seul chef,

• condamné in solidum les sociétés Dexia Crédit Local et Caisse Française de Financement à payer à la commune de Sassenage la somme de 828.090,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice contractuel à nature de perte de chance évaluée à 30%, au titre des échéances annuelles d’intérêts de 2011 à 2015 incluse, outre les

• sommes correspondant à 30% du surcoût des intérêts échus et à échoir découlant de la hausse du franc suisse par rapport au taux bonifié, à compter du 31 décembre 2016 jusqu’au terme du prêt du 20 octobre 2010, assorti cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

• ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil,

• ordonné la compensation judiciaire des créances réciproques,

• débouté les parties de toutes plus amples demandes,

• condamné in solidum les SA Dexia Crédit Local et X à payer à la commune de Sassenage une somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’arrêt rendu le 12 novembre 2020 (pourvois n° 18-26008 et 19-10-10055 successivement formés par la X et Dexia, objets d’une jonction) par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation qui a cassé et annulé partiellement cet arrêt rendu le 04 octobre 2018 mais seulement en ce qu’il condamne in solidum les sociétés Dexia Crédit Local et X à payer la somme de 828.090 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice contractuel à nature de perte de chance évaluée à 30%, au titre des échéances annuelles d’intérêts de 2011 à 2015 incluse, outre les sommes correspondant à 30% du surcoût des intérêts échus et à échoir découlant de la hausse du franc suisse par rapport au taux bonifié, à compter du 31 décembre 2016 jusqu’au terme du prêt du 20 octobre 2010, en ce qu’il assortit cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de l’assignation, en ce qu’il ordonne la capitalisation dans les conditions de l’article 1154 du code civil, en ce qu’il ordonne la compensation des créances réciproques et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, condamnant la commune de Sassenage aux dépens et au versement de la somme de 2.500 euros à chacun de ses adversaires au titre de leurs frais non répétibles, ceci en statuant comme suit :

sur le premier moyen du second pourvoi pris en ses troisième et quatrième branche (sur le devoir de mise en garde de la société Dexia : (…)

Réponse de la cour (sur l’obligation de mise en garde)

Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016,

9. Pour retenir un manquement de la société Dexia à son obligation de mise en garde envers la commune, l’arrêt retient que le contrat de prêt du 20 octobre 2010, en spéculant sur les risques de change, comportait des risques manifestes au regard de l’indice de référence et du multiplicateur contenu dans sa formule de taux, que l’obligation de mise en garde devait porter sur les risques essentiels que faisait peser sur le coût du prêt la variation soudaine par rapport à l’euro, monnaie de paiement, de la valeur de la monnaie de compte qui est le franc suisse et que l’argumentaire de la proposition de prêt, fondé sur la stabilité historique de la parité entre les deux monnaies, ne faisait aucunement mention de l’évolution future des marchés.

Il ajoute qu’en 2013, la commune devait faire face à une réclamation d’intérêts annuels de 11,43 % puis en 2015 à un taux d’intérêts de plus de 15 %, puis de 18,30 % en 2016, et qu’à la date de la décision, la commune n’avait plus de capacité d’investissement propre, les intérêts des prêts consentis par la société Dexia captant toutes les disponibilités financières.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prêt en cause, qui avait permis le rachat d’un précédent prêt du 06 mars 2007 dont il reprenait la formule de calcul du taux, avait aggravé la situation économique de la commune et avait ainsi créé un risque d’endettement nouveau et sans préciser, dans l’affirmative, en quoi ce prêt était inadapté aux capacités financières de la commune à la date de son octroi et avait créé, de ce fait, un risque d’endettement excessif contre lequel la société Dexia devait mettre celle-ci en garde, la cour d’appel a privé sa décision de base légale,

sur le second moyen du second pourvoi pris en sa deuxième branche : (')

11. La société Dexia fait le même grief à l’arrêt, alors « qu’en retenant, d’une part, que le pourcentage au titre de la perte de chance devait s’appliquer au seul « surcoût entraîné par la dégradation du taux d’intérêts » et, d’autre part, en faisant application de ce pourcentage à l’ensemble des intérêts générés par le prêt, qui incluaient donc non seulement ledit surcoût mais également ceux dus au titre du taux de base, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs, en violation des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile »

réponse de la Cour

Vu l’article 455 du code de procédure civile

12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

13. Pour condamner les sociétés Dexia et X à payer à la commune la somme de 828.090 euros en réparation de son préjudice contractuel au titre des échéances d’intérêts de 2011 à 2015, après avoir retenu que le préjudice subi par la commune du fait du manquement de la société Dexia s’élevait à 30 % du surcoût d’intérêts dû à la dégradation du taux d’intérêt, l’arrêt applique ce coefficient de 30% à la totalité des intérêts dus pour cette période.

14. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

ledit arrêt remettant, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoyant devant la cour d’appel de Versailles autrement composée,

Vu la déclaration de saisine de la présente cour d’appel de Versailles au nom de la commune de Sassenage et l’encontre des sociétés Dexia Crédit Local et Caisse Française de Financement Local enregistrée au greffe le 12 février 2021,

Vu les dernières conclusions (n° 3) notifiées le 27 août 2021 par la commune de Sassenage représentée par son maire, monsieur Y Z, qui demande à la cour, au visa des articles 1147 du code civil, L132-1 et L313-1 et suivants du code de la consommation, L533-4 et L321-2 du code monétaire et financier et 700 du code de procédure civile,

• d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 13 mai 2016 en toutes ses dispositions,

• de débouter Dexia Crédit Local et la X de toutes demandes reconventionnelles ou contraires,

• de débouter X de ses demandes de condamnation à l’encontre de la commune de Sassenage consistant à lui régler une somme de 1.536.189,69 euros suite à la cassation partielle intervenue le 12 novembre 2020, cette somme ayant déjà été réglée par « l’appelante ».

• en conséquence, de juger que Dexia Crédit Local a gravement violé ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde et, en conséquence,

• de condamner « solidairement » la banque Dexia Crédit Local et la X à payer à la commune de Sassenage à titre de dommages et intérêts la somme de 7.897.000 euros équivalent à l’indemnité de remboursement anticipé du prêt litigieux en cours n°MPH273153EUR du 20 octobre 2010,

• de condamner « solidairement » la Société Dexia Crédit Local et la X à payer à la commune de Sassenage à titre de dommages et intérêts la somme correspondant au surcoût des intérêts d’emprunt échus et à échoir liés à la hausse du franc suisse par rapport au taux non dégradé de 3,30% jusqu’au terme du prêt MPH273153EUR du 20 octobre 2010,

• d’assortir la condamnation de l’intérêt au taux légal à compter de l’assignation,

• d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil,

• d’ordonner la compensation judiciaire des créances éventuellement réciproques,

• de condamner « solidairement » la banque Dexia Crédit Local et la X à payer à la commune de Sassenage la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• de condamner « solidairement » la banque Dexia Crédit Local et la X aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Lecoq-Vallon & Feron-Poloni,

Vu les dernières conclusions (II) notifiées le 29 juillet 2021 par la société anonyme Dexia Crédit Local priant la cour :

I. sur l’action en responsabilité pour violation des obligations précontractuelles

• de confirmer le jugement et, en conséquence, de débouter la Commune de ses demandes en dommages-intérêts,

à titre principal, sur les fautes

• en jugeant que le banquier dispensateur de crédit n’est pas tenu des obligations précontractuelles d’un prestataire de services d’investissement en raison de ce que le contrat de prêt litigieux ne saurait être requalifié en contrat financier d’option,

• en jugeant que Dexia n’est pas tenue d’une obligation de conseil ni d’une obligation générale précontractuelle d’information ni d’une obligation d’information renforcée en raison d’un intérêt personnel de la banque,

• en jugeant que le banquier dispensateur de crédit n’est tenu que d’une obligation de mise en garde si l’emprunteur est non averti et s’il y a un risque de surendettement, à l’exclusion de toute autre obligation et que cette obligation de mise en garde n’a pas été violée aux motifs :

* à titre principal, que la Commune est un emprunteur averti du risque des taux d’intérêt et de l’IRA,

*subsidiairement, que la Commune n’apporte aucune preuve d’un risque de surendettement

* plus subsidiairement, que la Commune a été mise en garde contre le risque d’augmentation des taux et de l’IRA.

• en jugeant, à titre subsidiaire, que Dexia n’a pas violé une obligation d’information précontractuelle, générale ou renforcée,

• en jugeant que Dexia n’a pas violé une obligation contractuelle d’information sur l’IRA.

à titre subsidiaire, sur les préjudices, en jugeant que :

• les préjudices invoqués se réparent sur le fondement de la perte de chance,

• la Commune ne prouve aucune perte de chance,

• les préjudices fondés sur le montant de l’IRA ou le montant des surcoûts d’intérêts à venir sont éventuels et donc non réparables,

• les préjudices fondés sur le montant de l’IRA ou le montant des surcoûts d’intérêts ne peuvent être réparés cumulativement,

• à titre plus subsidiaire, sur le montant de la perte de chance, juger que :

• la perte de chance doit être appréciée en tenant compte :

* de ce que la Commune n’a pas déposé de dossier auprès du Fonds de Soutien,

* de ce que la hausse du franc suisse et la chute des taux d’intérêt étaient totalement imprévisibles lors de la conclusion des contrats de prêt de 2006 et de 2007,

• la base de calcul de la perte de chance appliquée au surcoût d’intérêts doit prendre en compte au moins un taux dans une fourchette de 4,20% à 6% en déduction des taux d’intérêt dus par la Commune,

II . sur l’article 700 cpc et les dépens :

• de condamner la Commune à 80.000 euros envers Dexia selon l’article 700 du code de procédure civile,

• de condamner la Commune aux dépens de première instance,

• de condamner la Commune aux dépens d’appel avec distraction au profit de maître Pedroletti selon l’article 699 code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions (n° 2) notifiées le 29 juillet 2021 par la société anonyme à directoire La Caisse Française de Financement Local par lesquelles elle demande à la cour au visa des articles 542, 546 et suivants et 624 du code de procédure civile, notamment les articles 1108 (anciens) et suivants du Code civil et le Contrat de Prêt 2010 (MPH273153EUR) :

1. Sur l’action en responsabilité exercée par la Commune au titre du Contrat de Prêt 2010,

à titre principal

• de rejeter comme mal fondée l’action en responsabilité intentée par la Commune à l’encontre de Dexia Crédit Local et X au titre du contrat de prêt 2010 (MPH273153EUR),

à titre subsidiaire

• de rejeter comme éventuels les préjudices invoqués par la Commune sur le fondement du montant de l’IRA et du montant du surcoût des intérêts,

à titre encore plus subsidiaire,

• de juger que les préjudices fondés sur le montant de l’IRA ou sur le montant des surcoûts des intérêts ne peuvent être réparés cumulativement,

• de juger que la perte de chance doit être appréciée en tenant compte de ce que la Commune n’a pas déposé un dossier auprès du Fonds de Soutien, ce qui justifie un abattement de 60% sur le montant des indemnités demandées par la Commune tant au titre de l’IRA qu’au titre du surcoût des intérêts et une perte de chance inférieure à 5%,

• de juger que le taux de calcul du surcoût des intérêts sera réduit de 4,20% (en tant que taux fixe de référence de la phase indexée à taux structuré).

en tout état de cause,

• de confirmer, au besoin par substitution de motifs, la décision déférée en ce qu’elle a débouté la Commune de Sassenage de son action en responsabilité à l’encontre de Dexia Crédit Local et de X au titre du contrat de prêt 2010 (MPH273153EUR),

• de rejeter l’ensemble des demandes formulées par la Commune de Sassenage à cet égard,

en tout état de cause

• de débouter la Commune de Sassenage de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

• de condamner la Commune de Sassenage à verser à la Caisse Française de Financement Local la somme de 40.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Maître B C-D, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 07 septembre 2021,

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le périmètre de la saisine de la cour de renvoi

Evoquant l’état de son endettement depuis 1999 et l’intervention auprès d’elle, en 2004, de la société Dexia, société devenue privée à la recherche, selon elle, de rentabilité par un mode de rémunération proportionnel au risque pris par la commune à travers l’octroi de prêts dits structurés, la commune de Sassenage reprend le détail des prêts et réaménagements auxquels cette société a procédé depuis cette date pour dire qu’elle se trouve exposée, depuis, au paiement d’intérêts d’emprunt à des taux « faramineux ».

Elle soutient que la société Dexia a gravement engagé sa responsabilité en ne l’informant pas des risques d’endettement que présentaient les prêts litigieux et lui causant ainsi un préjudice financier considérable ; que, tenant pour acquis que la Cour de cassation a retenu « de manière définitive » le caractère non averti de la commune de Sassenage, elle estime que les manquements de Dexia à ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde l’exposent à devoir réparer l’intégralité du préjudice qu’elle lui a causé et lui cause encore.

Elle demande, par suite, dans le dispositif de ses dernières conclusions qui saisit la cour, que soit infirmé le jugement en toutes ses dispositions et retenue la responsabilité contractuelle de Dexia pour violation à ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde.

Il convient, cependant, de rappeler qu’en cas de cassation partielle, comme en l’espèce, dès lors qu’il n’y a pas indivisibilité ou dépendance nécessaire, les chefs non cassés subsistent, même si la cour d’appel avait prononcé une condamnation unique correspondant à des chefs de demande distincts et la cour de renvoi est donc saisie de l’intégralité du litige à l’exception des chefs de dispositif non cassés qui ont acquis l’autorité de la chose jugée.

Eu égard aux éléments de l’entière procédure et des conclusions de la demanderesse à la saisine, c’est, par conséquent, à juste titre que les sociétés Dexia et X, visant l’article 624 du code de procédure civile applicable et la jurisprudence de la Cour de cassation, soutiennent que la commune de Sassenage méconnaît la portée de l’arrêt de censure partielle rendu par la Cour de cassation.

En effet, la Commune n’est pas fondée à développer une argumentation sur ce qu’elle nomme « le scandale des emprunts toxiques dont Dexia Crédit Local est à l’origine » ou sur le fonctionnement, l’économie et les risques des contrats de prêt consentis ou encore sur leur caractère spéculatif qui permettait, à son sens, à la banque d’opacifier la concurrence et de reconstituer des marges, ceci pour conclure à l’infirmation de la décision entreprise en jugeant, selon ses termes, « que Dexia Crédit Local a manqué à ses obligations d’information de la Commune et en taisant le risque que présentaient les prêts litigieux de 2006, 2007 et 2010 et en n’informant pas la commune des caractéristiques moins favorables de ces prêts, corollaires des avantages mis en avant par la banque » dès lors que les premiers juges ont déclaré irrecevable l’action en responsabilité contractuelle et délictuelle s’agissant des contrats conclus en 2006 et 2007, comme l’action en nullité à l’encontre de ces contrats et ceux consentis en 2009 et 2010, ce que la cour d’appel a confirmé, n’infirmant le

jugement qu’en ce qu’il déboute la commune de Sassenage de son action en responsabilité contractuelle, s’agissant du prêt consenti le 20 octobre 2010.

Les deux pourvois précités ne soumettaient à la censure de la Cour de cassation que les manquements retenus à l’obligation pesant sur le prêteur lors de l’octroi du seul prêt consenti en 2010.

Elle n’a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel qu’en ses dispositions relatives à l’obligation de mise en garde de Dexia lors de l’octroi du prêt du 20 octobre 2010, énonçant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les autres griefs, lesquels concernaient, selon l’énoncé des moyens des pourvois, les devoirs de conseil (au demeurant exclu, sauf convention en ce sens, en application du principe de non immixtion rappelé par la société Dexia) et d’information en ce qu’il portait sur le risque de dégradation de la parité entre l’euro et le franc suisse en regard des caractéristiques du prêt contenues dans les pièces produites et sur l’impossibilité d’informer sur l’évolution future des marchés par hypothèse inconnue lors de la conclusion du contrat.

S’agissant du caractère averti de l’emprunteur, les sociétés Dexia et X critiquent également à juste titre la commune qui affirme que son caractère d’emprunteur non averti a été définitivement retenu par la Cour de cassation dès lors que ce caractère relève du pouvoir souverain des juges du fond, ce qu’elle énonce d’ailleurs au point 7, et que la Cour de cassation ne procède qu’à un contrôle de motivation quant aux éléments retenus par les juges du fond.

Le caractère averti ou non de l’emprunteur étant l’un des éléments conditionnant l’exigence du devoir de mise en garde, s’il devait être retenu, il se révèle indissociable de l’examen du moyen sur ce point soumis à l’appréciation de la cour de renvoi.

Il en va de même du moyen selon lequel le contrat en cause devrait être requalifié dans la mesure où, s’il devait être admis que la société Dexia était, comme le soutient la commune, un prestataire de services d’investissement, auraient vocation à trouver application les dispositions des articles L 533-11 et suivants du code monétaire et financier (en leur rédaction applicable à l’époque des faits) qui comportent des règles de bonne conduite particulières.

Sur le moyen tiré du non-respect de la banque aux obligations spécifiques incombant au prestataire de services d’investissement

La commune de Sassenage fait valoir que le prêt du 20 octobre 2010 s’analyse en un contrat financier d’option de change sur devises, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal qui en a déduit que les obligations de conseil et de mise en garde imposées aux prestataires de services d’investissement, notamment prévues aux articles L 533-11 et suivants précités, ne sont pas applicables en l’espèce.

Elle tire argument, d’une part, du fait qu’à son insu, la société Dexia l’a fait intervenir sur les marchés financiers en qualité de vendeur d’options sur l’évolution du CMS 30 (soit le Constant Maturity Swap, taux de référence des marchés financiers utilisé pour des opérations d’échange de taux fixe contre taux variable pour une période déterminée) et, d’autre part, d’une option de change sur devises, lesquelles options sont des instruments financiers de sorte que, selon elle, l’association de ces ventes d’option à la souscription des prêts (qui occultaient le risque ainsi pris) conduit à dire que les articles L 533-4 et L 321-2 du code monétaire et financier doivent trouver application.

Elle ne peut, cependant, être suivie en son argumentation, comme soutenu par ses adversaires qui se réclament de diverses décisions sur ce point rendues par la Cour de cassation et plusieurs cours d’appel, dans la mesure où le contrat en cause contient les caractéristiques essentielles d’un contrat de prêt.

Il est, par ailleurs, indifférent que le taux d’intérêt conventionnel soit assorti d’une clause d’indexation

reposant sur une différence de parité de change aléatoire dès lors que son mode de calcul était précisément défini, fixant les engagements des parties dès la conclusion du contrat, sans que ne soit requise une nouvelle manifestation de volonté de leur part.

Force est de considérer qu’il ne s’analyse pas en un instrument spéculatif pour la collectivité territoriale, tenue d’agir dans l’intérêt général local, mais en un contrat de prêt répondant à sa recherche d’un refinancement de ses investissements.

Le moyen ne peut donc prospérer, comme jugé par le tribunal, si bien que ce n’est pas en regard des règles du droit financier mais du droit régissant le contrat de prêt que doit être appréciée la responsabilité de la banque.

Sur l’engagement de la responsabilité de la banque fondée sur le manquement au devoir de mise en garde

La commune de Sassenage poursuit l’infirmation du jugement qui a considéré que le banquier n’a pas manqué à son obligation d’information et de mise en garde en énonçant que « le banquier est tenu à l’égard de ses clients non avertis d’un devoir de mise en garde lorsque le prêt comporte pour l’emprunteur un risque manifeste d’endettement excessif ou de difficultés pour faire face à son obligation de remboursement », que « le risque devait exister de façon certaine au moment du contrat et s’il s’est réalisé » et que « les éléments du dossier ont permis de constater que la commune n’a jamais eu à subir des difficultés de remboursement ni un taux dégradé s’agissant du contrat conclu en 2009 », ajoutant que l’action en responsabilité ne pouvait davantage prospérer s’agissant du contrat conclu en 2010.

Pour ce faire, affirmant que la banque s’est non seulement abstenue d’exercer son devoir de conseil au mieux de ses intérêts mais a privilégié son propre intérêt, la commune fait valoir que le devoir de mise en garde incombant au banquier se définit comme l’obligation faite au prêteur d’attirer l’attention du cocontractant sur les aspects négatifs, les risques du contrat en question et qu’il engage sa responsabilité s’il ne met pas en garde l’emprunteur sur des risques inhabituels excédant le risque normal et connu de change généré par le prêt qu’elle propose à la souscription.

Vis-à-vis de l’emprunteur, poursuit-elle, la banque est tenue à une obligation de mise en garde (dont il lui appartient de prouver qu’elle y a satisfait) à raison du risque d’endettement excessif né de l’octroi du crédit concerné, lequel devoir doit être vu comme une obligation d’information renforcée puisqu’à l’image de l’obligation d’information classique, il ne tend pas à inciter le contractant à agir dans un sens mais l’oblige à lui présenter objectivement l’opération projetée tout en soulignant les dangers et les risques susceptibles de se présenter ; l’information attendue va donc, à son sens, au delà du seul devoir d’information du banquier sur les caractéristiques du prêt et il suffit que l’emprunteur soit, comme en l’espèce, exposé à un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, peu important, selon elle, que ce prêt ait eu pour objet de refinancer un précédent prêt similaire.

Elle soutient que la banque a exploité, à chaque refinancement des prêts, l’asymétrie d’information entre elles pour lui faire souscrire des prêts qui aggravaient de plus en plus sa situation financière en sachant qu’elle l’exposait à un risque d’endettement excessif,

Ceci, précise-t-elle, que ce soit en raison :

de l’augmentation du taux d’intérêts qui, en 2010 et contrairement aux prêts précédents, ne comportait pas de phase à taux bonifié et qui s’est dégradé dès la première année de refinancement pour passer de 3,49% à 10,96 % au 31 décembre 2011, étant précisé qu’en 2007, Dexia lui a fait courir un risque d’endettement nouveau contre lequel elle s’est abstenue de la mettre en garde,

du risque de change, la banque ayant commercialisé un prêt en méconnaissance de la Charte de

bonne conduite dite Gissler de 2009 ainsi que d’une circulaire ministérielle appelant à un retour à l’équilibre des conventions avec les collectivités locales,

ou encore du montant de l’indemnité de remboursement anticipé dépassant le montant du capital à rembourser, soit, pour un capital de 4.284.738,52 euros consenti par l’emprunt de 2010, d’une indemnité au « montant astronomique » de 7.897.000 euros.

Elle entend démontrer la dégradation de sa situation en comparant la situation de sa dette, des intérêts globaux à payer, de la durée moyenne de remboursement, de son budget d’investissement et celui de son fonctionnement entre le 31 décembre 2010 et le 1er janvier 2012 si elle n’avait pas suivi les conseils de la banque et était restée sur le contrat d’origine, et affirme être actuellement dans une impasse financière.

Elle soutient, enfin, que « ces prêts » étaient inadaptés à sa capacité financière qui doit s’apprécier en regard des ressources de l’emprunteur au moment de l’octroi du prêt et non au regard de revenus futurs et éventuels, s’agissant de deniers publics en cause, mais aussi au regard du déroulement possible du contrat de prêt et à l’expiration de celui-ci en appréciant la « lourdeur » de l’endettement total.

Elle estime que Dexia, qui se prévaut, selon elle, de manière inopérante d’un « test de sensibilité », savait que les prêts qu’elle proposait n’étaient pas appropriés pour les communes de faible densité démographique, que la banque ne pouvait pas compter sur une hausse future de la fiscalité locale pour faire face à ses engagements et affirme qu’à ce jour elle n’a plus de capacité d’investissement propre.

Elle conclut que mieux informée, conseillée, mise en garde, elle aurait pu éviter de contracter tous les crédits ruineux proposés par Dexia et refinancer sa dette de manière différente sans être exposée à un risque parfaitement inutile dès lors que les prêts antérieurs à 2004 étaient en phase d’amortissement du capital.

Ceci étant exposé, il convient de rappeler que le devoir de mise en garde du dispensateur de crédit, dont la méconnaissance engage sa responsabilité, ne s’impose que si sont satisfaites deux conditions cumulatives.

Il appartient d’abord à l’emprunteur, quand bien même se prévaudrait-il de la qualité de personne non avertie et comme cela résulte notamment de la doctrine de la Cour de cassation (Cass com, 13 mai 2014, pourvoi n° 13-13843 // 29 novembre 2017, pourvoi n° 16-17802, notamment) de faire la démonstration de la certitude ou, à tout le moins, d’une forte probabilité de sa défaillance dans son obligation de remboursement du prêt consenti en raison d’un endettement excessif contre lequel il doit être mis en garde.

L’obligation de mise en garde ne s’impose pas lorsque la démonstration d’un risque d’endettement excessif n’est pas faite (Cass com, 05 février 2020, pourvoi n° 18-21444, s’agissant d’un cautionnement)

Il échet, ensuite, de procéder à une analyse concrète des éléments produits pour déterminer le caractère averti, ou pas, de l’emprunteur au jour de la conclusion du contrat, la qualité d’emprunteur non averti qui seule peut justifier l’obligation de mise en garde, ne s’appréciant pas in abstracto ni ne se présumant.

S’agissant du comportement des parties au stade précontractuel et des aspects négatifs du contrat invoqués, les sociétés Dexia et Cafill qui contestent l’ensemble des griefs articulés à leur rencontre rappellent pertinemment, en préambule de leur argumentation, que l’emprunt litigieux s’inscrit dans le contexte de la crise financière de 2008 suivie de la crise des dettes souveraines provoquant, en

particulier, une dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse à compter du deuxième trimestre 2010 le cours pivot de 1,40 ayant été franchi le 04 juin 2010 et mettent en exergue, par ailleurs, la gestion active de sa dette par la commune de Sassenage, jouissant de la liberté d’emprunter, qui s’est caractérisée par le renégociation récurrente des caractéristiques d’emprunts initialement souscrits, s’agissant du regroupement d’emprunts, du lissage dans le temps des échéances de remboursement ou des modifications portant sur le taux d’intérêt.

La société Dexia peut se prévaloir des termes du contrat du 20 octobre 2010, ci-avant explicités, qui définissaient précisément le nouveau taux d’intérêt structuré, selon deux phases et des modalités de calcul dénuées de complexité. Il permettait à la commune d’éviter de payer le taux dégradé du prêt de 2007 et de passer temporairement au taux fixe de 3,49 % pour l’échéance du 31 décembre 2010 en modifiait uniquement les clauses sur l’amortissement des prêts refinancés. La société Dexia souligne justement que le contrat de prêt de 2010, seul litigieux, ne stipule pas pour la première fois le taux d’intérêt structuré en vigueur fondé sur la parité Eur/Chf, celui-ci ayant été stipulé dans le contrat de 2006 et légèrement modifié, comme elle l’établit, dans un sens favorable à la commune par le contrat de 2007.

Il reprenait la formule de calcul du taux du contrat du 06 mars 2007 refinancé et prévoyait, comme lui, une durée précise de l’emprunt.

Elle est fondée à soutenir que ce contrat avait pour cause le déclenchement de l’indexation en raison de la hausse du franc suisse, à savoir le franchissement du cours pivot de la parité Eur/Chf à 1,40 et que la commune n’ignorait donc pas l’activation corrélative du taux d’intérêt structuré stipulé par les contrats de prêt, non litigieux, de 2006 et de 2007.

A cet égard, la commune reconnaît elle-même, dans le tableau des « intérêts échus réglés » jusqu’au 31 décembre 2020 inséré dans ses dernières écritures (page 6/56) que la société Dexia a consenti à geler à hauteur de 3,49 %, s’agissant de l’échéance au 31 décembre 2010, le taux structuré de la seconde phase du prêt consenti en 2007 dans la perspective de refinancement de ce prêt, la société Dexia précisant, quant à elle, que ce taux s’est substitué au taux de 8,15 % exigible.

En outre, si la variabilité du taux du prêt, en ce qu’il était susceptible de provoquer une majoration des mensualités ainsi qu’une augmentation de la durée de l’emprunt peut justifier une mise en garde de l’emprunteur (Cass com 28 juin 2017, pourvoi n° 16-11206), il y a lieu de considérer en l’espèce qu’au stade précontractuel le « test de sensibilité » remis par la prêteuse à la commune lors de la réunion du 09 septembre 2010, accompagné de graphiques, tout comme une proposition indicative de financement (pièces 19 et 20 de la société X) constituaient une information permettant à la commune d’apprécier l’adéquation du crédit tel qu’il lui était présenté à ses propres capacités financières dont elle avait la parfaite connaissance.

Partant de ces données, il était permis à la commune, qui plus est assistée par le cabinet d’experts financiers Finance Active mettant à sa disposition des logiciels de gestion de dette, de budget et de comptabilité, de mesurer son risque prévisible d’endettement puisqu’à titre exemplatif était envisagé le paiement d’un taux sur la fourchette d’un taux de change s’étendant de 1,15 à 2,10 qui pouvait donc varier de 3,30 % à 15,17 %.

Si la collectivité locale emprunteuse, tenue, comme le prêteur, à une obligation de bonne foi, se prévaut de la méconnaissance de ce qu’elle analyse en un devoir d’information renforcé de la prêteuse et tire argument de la Charte de bonne conduite dite Gissler entrée en vigueur le 1er janvier 2010, il y a lieu de relever qu’alors que cette Charte prévoit notamment, en son sixième engagement, que les collectivités locales s’engagent à fournir une présentation de leur politique d’emprunt et de gestion de dette, la commune ne produit pas de pièces établissant qu’elle a fourni à la société Dexia une information complète, pertinente et fidèle sur sa situation financière qui aurait contenu des données laissant suspecter un risque d’endettement excessif généré par ce contrat qui n’était qu’une

reprise de la formule de précédents prêts.

Il s’agit, pourtant, d’un élément essentiel puisque de nature à permettre au dispensateur de crédit de procéder à la vérification des données qui lui étaient fournies sur les capacités financières, la faculté de remboursement de la commune, et de mesurer le risque d’endettement excessif contre lequel cette dernière lui fait grief de ne pas l’avoir alertée.

Elle n’établit pas non plus que Dexia aurait détenu des informations sur ses ressources et charges qu’elle-même aurait ignorées.

Il y donc lieu de juger que la commune n’est pas fondée à reprocher au prêteur, comme elle le fait, d’avoir failli à son obligation d’attirer son attention sur les aspects négatifs et les risques du contrat en question en raison de l’existence de renseignements de solvabilité qu’elle aurait fournis au dispensateur de crédit, étant, de plus, rappelé que celui-ci n’est tenu à un devoir de vérification qu’en présence de renseignements comportant une anomalie manifeste.

S’agissant, surtout, de la démonstration par la commune de la certitude ou d’une forte probabilité de sa défaillance dans son obligation de remboursement du prêt consenti en raison d’un endettement excessif contre lequel la société Dexia aurait dû la mettre en garde, force est de constater qu’en dépit de la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 novembre 2020 (au point 10) et des conclusions de ses adversaires qui relèvent qu’elle procède par affirmation sans produire aucune pièce sur l’état de ses finances, cette dernière ne démontre pas, concrètement, la disproportion de ce prêt en regard de sa situation financière.

Elle s’abstient, en effet, de chiffrer précisément ses revenus et ses charges à la date du contrat litigieux ou d’expliciter ses prévisionnels de trésorerie permettant de dégager des ressources pour le service de la dette et d’établir concrètement son absence de capacité à rembourser, en raison d’une aggravation de sa situation économique du fait de la souscription du prêt litigieux qui n’a fait que restructurer, comme il a été dit, des prêts antérieurement consentis dont était reprise la formule de taux.

C’est, par conséquent, en vain que la commune tire argument de la dégradation de son taux d’endettement, à savoir le ratio de la dette par rapport aux recettes de fonctionnement, et se contente de faire état des éléments chiffrés de sa dette au titre des intérêts échus réglés jusqu’au 31 décembre 2020, dès lors que c’est à la date de la conclusion du contrat qu’il lui appartenait de fournir devant la cour des données précises sur ses capacités financières susceptible d’établir un risque d’endettement excessif qui n’est que prétendu ou, s’agissant d’une collectivité locale, ce qui pouvait être attendu de son financement, la société Dexia soutenant à juste titre que l’excès ne se confond pas avec la limitation de la capacité d’investissement évoquée par la commune.

Elle ne démontre donc pas que la société Dexia était tenue de la mettre en garde du fait que le dispensateur de crédit n’est assujetti à cette obligation qu’en présence, lors de la conclusion du contrat, d’un risque d’endettement né de l’octroi du prêt caractérisé par son excès.

Incidemment, il peut être ajouté que, non sans pertinence, les sociétés Dexia et Cafill font état d’éléments auxquels la commune ne répond pas dans ses écritures et qui tendraient à mettre à mal l’affirmation selon laquelle ce nouveau prêt de refinancement consenti en 2010 serait à l’origine d’un endettement excessif du fait de la disproportion de son engagement en regard de ses facultés financières.

Elles se prévalent, en effet, du refus de la commune de Sassenage de déposer un dossier, comme l’ont fait la très grande majorité des communes concernées par de tels emprunts structurés (soit 229 sur 235) , auprès du Fonds de soutien (créé en 2014 et doté de quelques 3 milliards d’euros), qui lui aurait permis d’obtenir une importante subvention et une prise en charge du surcoût d’intérêt. La

société X évalue à 8,7 millions d’euros l’aide que la commune aurait pu recevoir de ce Fonds.

S’agissant de l’asphyxie financière invoquée par la commune, la société Cafill produit, par ailleurs, une déclaration du maire de la commune extraite du magazine « Sassenage en pages » de l’été 2013 précisant que « les actions portées depuis huit années maintenant nous permettent de dégager près de quatre millions par an d’investissements nouveaux, sans emprunt et sans augmentation des impôts locaux » et qu’en conséquence « aujourd’hui notre budget est sain et porteur d’un avenir plus serein ».

Il s’infère de tout ce qui précède que le jugement doit être confirmé en ce qu’il déboute la Commune de Sassenage de son action en paiement de dommages-intérêts à l’encontre des sociétés Dexia et Cafill fondée sur le manquement du dispensateur de crédit à ses obligations précontractuelles.

Sur les autres demandes

L’équité commande de condamner la commune de Sassenage à verser à la société anonyme Dexia Crédit Local, d’une part, à la société anonyme Caisse Française de financement-X, d’autre part, la somme complémentaire de 20.000 euros au profit de chacune au titre de leurs frais non répétibles.

Déboutée de ce dernier chef de demande, la commune de Sassenage supportera les dépens de l’instance d’appel ayant donné lieu à l’arrêt partiellement censuré et ceux exposés dans le cadre de la présente instance sur renvoi de cassation.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Vu l’arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation qui a cassé et annulé partiellement l’arrêt rendu le 04 octobre 2018 par la présente cour d’appel de Versailles,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 mai 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles ;

Déboute la commune de Sassenage de ses entières prétentions ;

Condamne la commune de Sassenage à verser à la société anonyme Dexia Crédit Local, d’une part, à la société anonyme Caisse Française de Financement Local-X, d’autre part, la somme complémentaire de 20.000 euros au profit de chacune sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l’instance d’appel ayant donné lieu à l’arrêt partiellement censuré et ceux exposés dans le cadre de la présente instance sur renvoi de cassation, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

— signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 14 octobre 2021, n° 21/00941