Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 17 janvier 2022, n° 19/01039

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Me Vincent Raffin · consultation.avocat.fr · 26 avril 2022

L'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Bordeaux, le 17 janvier 2022 (RG n°19/01039), est l'occasion de revenir sur les règles applicables en matière de responsabilité des centres équestres consécutivement à la chute d'un cavalier lors d'une leçon ou d'une promenade. Il est acquis, en jurisprudence, que la responsabilité contractuelle d'une structure équestre peut être engagée sur le fondement des dispositions de l'article 1231-1 du Code civil (anciennement 1147), en cas de manquement à son obligation de prudence et de diligence. Il s'agit, selon une jurisprudence constante et …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 17 janv. 2022, n° 19/01039
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 19/01039
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 8 janvier 2019, N° 16/08273
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE


--------------------------

ARRÊT DU : 17 JANVIER 2022

N° RG 19/01039 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K4LO

C X

D E épouse X

H X

G X

c/

SAS LES ECURIES BORDELAISES venant aux droits de la SARL SEMABELE

SA GAN ASSURANCES

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE DE TOULON

SA GMF ASSURANCES


Nature de la décision : AU FOND


Grosse délivrée le :

aux avocats


Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 janvier 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 16/08273) suivant déclaration d’appel du 22 février 2019

APPELANTS :

C X

né le […] à […]

D E épouse X

née le […] à […]

H X

né le […] à […]

G X

née le […] à […]

représentés par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS – LACOSTE – JANOUEIX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Nathalie MOULINAS, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE

INTIMÉES :

SAS LES ECURIES BORDELAISES, venant aux droits de la SARL SEMABELE, exerçant sous le nom commercial 'L’Oxer de Bellevue', domiciliée […], inscrite au RCS de BORDEAUX sous le […], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis […], […]

SA GAN ASSURANCES, inscrite au RCS de PARIS sous le n°542 063 797, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis […]

représentées par Maître Bénédicte DE BOUSSAC DI PACE de la SELARL BENEDICTE DE BOUSSAC DI PACE, avocat au barreau de BORDEAUX

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE DE TOULON, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis […]

non représentée, assignée à personne habilitée

SA GMF ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis […]

non représentée, assignée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 novembre 2021 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Vincent BRAUD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Roland POTEE, président,


Vincent BRAUD, conseiller,


Bérengère VALLEE, conseiller,

Greffier lors des débats : D SAIGE

ARRÊT :


- réputé contradictoire


- prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE


Le 6 septembre 2012, C X a été victime de deux chutes de cheval à l’occasion d’un cours collectif d’équitation au centre équestre l’Oxer de Bellevue, à Mérignac, en Gironde, géré par la société à responsabilité limitée Semabele, assurée auprès de la société GAN Assurances. Alors qu’il était remonté à cheval après la première chute, il a été gravement blessé en tombant la seconde fois.


Par ordonnance du 27 janvier 2014, rendue à la demande d’C X, D E, son épouse, ainsi qu’H X et G X, leurs enfants (tous quatre étant ci-après dénommés les consorts X), contre la société Semabele, GAN Assurances, la Caisse nationale militaire de sécurité sociale de Toulon et la société GMF Assurances, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné une expertise médicale d’C X confiée au docteur Z ainsi qu’une expertise vétérinaire du cheval confiée à M. A, aucune provision n’étant en revanche allouée à la victime.


Le docteur Z a déposé son rapport d’expertise médicale le 16 juillet 2014 et le docteur B, désigné en remplacement de M. A, a rendu son rapport le 1er décembre 2015.


Par actes d’huissier des 15, 16 et 23 juin et 29 juillet 2016, les consorts X ont assigné la société Semabele, GAN Assurances, la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et GMF Assurances devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins notamment d’obtenir la condamnation de la société Semabele (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), garantie par son assureur GAN Assurances, à réparer leurs préjudices résultant de 1'accident du 6 septembre 2012.

Par jugement réputé contradictoire en date du 9 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :


- débouté les consorts X de l’ensemble de leurs demandes,


- débouté la Caisse nationale militaire de ses demandes,
- dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamné les consorts X aux entiers dépens de la procédure.


Par déclaration du 22 février 2019, les consorts X ont interjeté appel du jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 5 novembre 2021, C X, D X, H X et G X demandent à la cour de :


- déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par les consorts X,


- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 9 janvier 2019,


STATUANT À NOUVEAU,


- déclarer la Société Les Écuries bordelaises venant aux droits de la société Semabele (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), responsable de l’accident survenu à C X,

En conséquence,


- condamner la société Les Écuries bordelaises (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), venant aux droits de la société Semabele, garantie par son assureur GAN Assurances, solidairement à payer à :


C X la somme de 152 890 euros ventilée comme suit :


- le déficit fonctionnel temporaire : 5 890 euros,


- le déficit fonctionnel permanent : 56 000 euros,


- le retentissement sur la carrière professionnelle : 18 000 euros,


- le préjudice esthétique : 3 000 euros,


- le pretium doloris : 35 000 euros,


- le préjudice d’agrément : 35.000 euros,


D X la somme de 52 976 euros ventilée comme suit :


- le préjudice d’affection : 30 000 euros,


- le préjudice économique : 22 976 euros,


G X la somme de 19 200 euros ventilée comme suit :


- le préjudice d’affection : 15 000 euros,


- le préjudice économique : 4 200 euros,


H X la somme de 15 500 euros ventilée comme suit :


- le préjudice d’affection : 15 000 euros,
- le préjudice économique : 500 euros,


- condamner la société Les Écuries bordelaises, venant aux droits de la société Semabele garantie par GAN Assurances, solidairement, à tous les dépens de l’instance en ce y compris les frais d’expertise médicale et technique s’élevant à 6 546,67 euros,


- condamner la société Les Écuries bordelaises venant aux droits de la société Semabele garantie par GAN Assurances, solidairement, au paiement de la somme de 14 220 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 4 novembre 2021, la société par actions simplifiée Les Écuries bordelaises, exerçant sous le nom commercial l’Oxer de Bellevue, venant aux droits de la société à responsabilité limitée Semabele, et la société anonyme GAN Assurances demandent à la cour de :


- déclarer mal fondé l’appel interjeté par les consorts X à l’encontre du jugement rendu le 9 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux,


- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,


- condamner les consorts X à verser à la société Les Écuries bordelaises, venant aux droits de la société Semabele, et GAN Assurances la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,

À titre infiniment subsidiaire,


- déclarer qu’C X a commis une faute en relation directe et certaine avec son accident,


- déclarer que la société Semabele, aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société Les Écuries bordelaises, n’a engagé sa responsabilité à l’égard d’C X qu’à hauteur de 25

%,


- déclarer que la société Semabele, aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société Les Écuries bordelaises, et GAN Assurances ne sont tenues d’indemniser les consorts X de leurs préjudices qu’à hauteur de 25 %.


La Caisse nationale militaire de sécurité sociale de Toulon n’a pas constitué avocat. La déclaration d’appel et les conclusions d’appelants et d’intimées lui ont été régulièrement signifiées.


La société anonyme GMF Assurances n’a pas constitué avocat. Les conclusions d’intimées lui ont été régulièrement signifiées.


L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2021 et l’audience fixée au 22 novembre 2021.


Par conclusions déposées le 22 novembre 2021, les consorts X demandent à la cour de révoquer l’ordonnance de clôture prononcée le 8 novembre 2021 et de prononcer une nouvelle ordonnance de clôture, afin d’assurer le contradictoire à l’égard de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale de Toulon à laquelle leurs dernières écritures n’ont été signifiées que le 9 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la clôture de l’instruction :


Au regard de l’accord des parties exprimé à l’audience, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de révoquer l’ordonnance en date du 8 novembre 2021, et de reporter la clôture de l’instruction au jour de l’audience.

Sur la responsabilité de la société Semabele :


Aux termes de l’article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.


En vertu de ce texte, un centre équestre est tenu d’une obligation de sécurité qui n’est qu’une obligation de moyens et il ne peut être déclaré responsable de la chute d’un élève que s’il a manqué à son obligation de prudence et de diligence. Cette obligation de moyens est cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux.


Selon les intimées, c’est à la fin de la détente, vers 20 heures 45, que le cheval Urfaut d’Helby faisait un écart, entraînant une première chute d’C X. Le moniteur, I J, demandait alors à C X s’il allait bien et l’invitait à souffler quelques minutes. Ce dernier exprimait son souhait de remonter sur le cheval. I J proposait aux élèves qui le souhaitaient d’aller sauter un obstacle isolé, C X ne participant pas à cet exercice. Celui-ci était au fond de la carrière, aux côtés de K L, lorsqu’Urfaut d’Helby faisait à nouveau un écart. C X tirait alors sur les rênes, provoquant le cabrage du cheval et sa seconde chute.


Les consorts X imputent à faute à la société Semabele une succession d’événements, qu’ils estiment à l’origine de l’accident :


Le cheval Urfaut d’Helby, jeune cheval de 4 ans, n’aurait pas dû être confié à C X, âgé de 56 ans, qui était en position de remise en selle, et dont l’école savait qu’il avait la main dure ;


Aucun des enseignants n’était diplômé en éducation et travail des jeunes chevaux ;


Le cheval Urfaut d’Helby a été donné à C X sans les consignes de monte nécessaires, notamment sur l’usage des éperons et de la cravache, puisque le moniteur a confondu deux chevaux et n’a pas jugé utile de rectifier son erreur même après la première chute ;


C X a été isolé au travail sur le plat dans une reprise d’obstacle, et donc non surveillé ;


L’éclairage n’était pas conforme aux préconisations des Haras nationaux.


Sur le choix du cheval confié à C X, l’expert judiciaire constate qu’à la date du 10 mars 2015, Urfaut d’Helby ne présente pas de particularité médicale, d’affection locomotrice ou de comportement le classant parmi des chevaux dangereux, vicieux ou susceptible de présenter un facteur de risque, autre que courant, pour son cavalier. Pour se prononcer sur le comportement de l’animal au moment des faits, il a recueilli les témoignages des moniteurs ainsi que des élèves ayant eu à le monter. Aucun ne fait état d’un comportement particulièrement dangereux ou différent des autres chevaux du même âge chez Urfaut d’Helby. L’expert conclut que rien ne confirmait la dangerosité du cheval à l’époque des faits, celui-ci étant appréhendé comme un jeune cheval de quatre ans aux caractéristiques comparables à ce que l’on peut attendre d’un jeune cheval, ne présentant pas de danger particulier ni de différence avec les autres chevaux.


Or, C X était un cavalier expérimenté, détenteur depuis 1992 du niveau de galop 7, diplôme qui sanctionne le niveau le plus élevé dans la pratique de l’équitation en amateur. Selon O-P Q, sapiteur, du galop 4 au galop 7, le cavalier apprend à prendre possession de la motricité de son cheval pour pouvoir réellement en disposer à partir du galop 7. Ce dernier stade est aussi celui où il apprend à éduquer un jeune cheval. Il est donc possible de recourir à de jeunes chevaux pour l’enseignement à des cavaliers du niveau de galop 7, dans certaines conditions : niveau suffisant du cavalier, volonté de sa part de recevoir cet enseignement, comportement du cheval adapté au niveau du cavalier, contexte adapté à ces différents paramètres.


Au sein de la société Semabele, C X avait monté à plusieurs reprises des chevaux jeunes : Titeuf de Lascave à 3 et 4 ans, Tchatcha à 4 ans, […] à 4 ans.


Par ailleurs, le docteur B note que la taille du cavalier et celle de sa monture lui paraissent s’accorder aujourd’hui comme elles devaient s’accorder au moment de l’accident. Relevant qu’Urfaut d’Helby avait été monté à 18 heures par un autre élève cavalier avant la reprise avec C X à 20 heures 15, sans incident particulier et dans une reprise de niveau inférieur (galop 5/6 tandis qu’C X est titulaire d’un galop 7), l’expert précise que le fait d’avoir été monté précédemment permet, en principe, pour tout cheval d’être « défraîchi » et de moins être porté aux « sautes d’humeur ». Enfin, le programme de la séance avait été allégé pour C X qui relevait d’une précédente chute, trois mois auparavant.


Dans ces circonstances, I J, enseignant dûment diplômé de la reprise du 6 septembre 2012, a pu estimer, comme il était habilité à le faire, que le profil de cavalier d’C X s’accordait avec la monte du cheval Urfaut d’Helby.


Au regard du comportement de l’animal tel qu’il est précédemment décrit, le fait qu’aucun des enseignants ne soit diplômé en éducation et travail des jeunes chevaux n’apparaît pas en lien de causalité direct avec l’accident. L’enseignant encadrant, I J, possédait la qualification requise.


Il en est de même des conditions d’éclairage dénoncées par les appelants, comme l’ont exactement relevé les premiers juges.


Le professeur O-R S, consulté par les consorts X, allègue un défaut de surveillance au motif qu’un enseignant ne peut avoir l''il partout et mélanger dans la même reprise plusieurs cavaliers avec un objectif et un cavalier isolé avec un autre objectif. Le défaut de vigilance du moniteur alors présent n’est toutefois pas démontré dans les faits.


Sur le défaut de consigne, en revanche, les intimées ne prétendent pas qu’aucune instruction particulière ait été donnée à C X sur la conduite d’Urfaut d’Helby. L’expert retient que l’attribution de ce cheval a été le fait d’une confusion entre Ulior d’Helby et Urfaut d’Helby, mais qu’I J a estimé ne pas devoir rétablir l’ordre des montes en évaluant ces deux chevaux comparables dans leurs profils (âge, gabarit et même provenance d’élevage). Or, selon M N, enseignant du centre équestre qui a encadré C X à 140 reprises depuis 2008, ce dernier a une main très dure. Le travail des jeunes chevaux avec un cavalier ayant la main dure est pourtant déconseillé (documentation produite en pièce no 9 par les appelants). En outre, il est constant qu’C X était muni d’une cravache et d’éperons.


Le docteur B conclut que malgré une pratique ancienne, l’équitation d’C X semble présenter quelques caractéristiques propres à déclencher des réactions de défense de sa monture, quel qu’en soit l’âge. L’usage désordonné ou abusif des aides (cravache et éperons), en situation d’urgence, est susceptible de provoquer une réaction de défense, ainsi que M N l’a décrit dans son témoignage.


Par suite, les appelants sont fondés à reprocher au moniteur du centre équestre de n’avoir pas donné à C X la consigne de monter Urfaut d’Helby sans cravache ni éperons, ou tout du moins de « mollir » ses actions de mains, tout particulièrement lorsqu’C X a voulu remonter après une première chute. En omettant de donner à son élève de telles consignes, qu’appelaient le jeune âge de la bête et les caractéristiques de l’équitation du cavalier, et qui s’imposaient plus encore après une première chute, la société Semabele a manqué à son devoir de prudence, nonobstant l’expérience de cavalier de la victime.


Les intimées imputent à faute à C X d’avoir eu la main dure sur un jeune cheval, défaut dont il n’a pas cru bon de se corriger. Elles demandent que la société Semabele soit exonérée de sa responsabilité à concurrence de 75 %.


Si M N déclare avoir fait souvent la remarque à C X que ce dernier avait la main trop dure, I J ne semble pas avoir relevé cette particularité. Le défaut reproché à C X, élève du centre équestre, est d’autant moins fautif que la société Semabele ne soutient pas qu’aucun exercice lui ait été donné pour l’amoindrir. La responsabilité de la société Semabele apparaît donc entière.

Sur la réparation du préjudice d’C X :

Aux termes des conclusions médico-légales du docteur Z, C X, né le […], a présenté le 6 septembre 2012 un traumatisme thoracique majeur consécutif à une chute de cheval.


Du 7 au 10 septembre 2012, il était hospitalisé pour la suite de la prise en charge en réanimation.


Du 10 au 27 septembre 2012, il était hospitalisé à l’unité de soins continus de la MSP Bagatelle, puis dans le service de cardiologie, en raison d’un épanchement péricardique de faible abondance et d’extra-systoles en salves.


Du 28 au 29 septembre 2012, il était réhospitalisé à l’unité de soins continus devant la d é g r a d a t i o n d e s o n é t a t r e s p i r a t o i r e d a n s u n c o n t e x t e d e c h o c s e p t i q u e s u r pleuro-pneumopathie droite à staphylocoque méthicillino-sensible compliquée de défaillance multi-viscérale.


Du 29 septembre au 19 octobre 2012, il était hospitalisé en réanimation médicale à l’hôpital Saint-André :

' ventilation mécanique assistée jusqu’au 11 octobre ;

' épuration extra-rénale continue jusqu’au 20 octobre 2012.


Du 20 octobre au 3 novembre 2012, il était hospitalisé dans le service de réanimation polyvalente du service de chirurgie thoracique au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Du 3 novembre au 4 décembre 2012, il était hospitalisé dans le service de néphrologie de l’hôpital Pellegrin pour poursuivre la prise en charge d’une insuffisance rénale aiguë avec nécessité d’une hémodialyse. L’hospitalisation a été compliquée d’une broncho-pneumopathie et d’une colite pseudomembraneuse.


Du 4 décembre 2012 au 9 janvier 2013, il était hospitalisé dans le centre de réadaptation fonctionnelle Châteauneuf.


C X regagnait son domicile le 9 janvier 2013 avec récupération progressive d’une autonomie.


L’expert conclut ainsi que suit :


Déficit fonctionnel temporaire total du 7 septembre 2012 au 9 janvier 2013 puis du 2 mai au 6 mai 2013


Déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % du 10 janvier 2013 au 1er mai 2013 puis du 7 mai au 30 juin 2013


Déficit fonctionnel temporaire partiel de 40 % du 1er juillet 2013 au 5 septembre 2013, date de consolidation,


Déficit fonctionnel permanent de 32 %


Préjudice esthétique temporaire de 2/7


Préjudice esthétique définitif de 2,5/7


Souffrances endurées de 6/7


Préjudice d’agrément.


Le rapport du médecin expert, contre lequel aucune critique médicalement fondée n’est présentée et ne peut être retenue, constitue une base valable d’évaluation du préjudice corporel subi.


Considérant l’âge de la victime (57 ans à la consolidation), la violence du traumatisme, la nature des lésions, le traitement médical mis en oeuvre pour y remédier, la rééducation suivie, la nature de l’infirmité, la gêne affectant la vie quotidienne, l’impossibilité ou les difficultés de se livrer à certaines activités physiques, la cour possède les éléments d’appréciation suffisants pour fixer le préjudice comme suit en tenant compte des principes suivants posés par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale et 31 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, modifiée par l’article 25, paragraphes III et IV, de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 :


Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers et les recours subrogatoires des tiers payeurs s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.


Conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales, ou lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie ; en ce cas, l’assuré social victime peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée, ou par préférence au tiers payeur dont elle n’a reçu qu’une indemnisation partielle.


Cependant, si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice.

Sur les préjudices patrimoniaux :

Sur les préjudices patrimoniaux temporaires :

Sur les dépenses de santé actuelles :


Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.


Ces dépenses correspondent aux dépenses prises en charge par l’organisme social. La Caisse nationale militaire de sécurité sociale de Toulon a conclu en première instance au remboursement de la somme de 213 350,68 euros correspondant aux frais qu’elle a été contrainte d’exposer dans l’intérêt de son assuré C X (pièce no 15 des appelants).


Ce poste de préjudice n’étant constitué que des débours du tiers payeur, il ne revient à la victime aucune indemnité complémentaire.

Sur les préjudices patrimoniaux permanents :

Sur l’incidence professionnelle :


Ce poste de préjudice vise à indemniser, non la perte de revenus liée à l’invalidité consécutive à l’accident, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail et à l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé imputable au dommage, ou encore le préjudice subi résultant de l’obligation d’abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une activité professionnelle imposé par la survenance d’une infirmité.


C X sollicite à ce titre une indemnité de 18 000 euros. Il fait valoir qu’il devait entrer dans la réserve militaire pour remplir des missions Sentinelle. Les intimées lui opposent à raison qu’il ne justifie pas de ce projet.

Sur les préjudices extrapatrimoniaux :

Sur les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Sur le déficit fonctionnel temporaire :


Ce poste inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément,

éventuellement le préjudice sexuel temporaire.


C X sollicite les indemnités suivantes :
Déficit fonctionnel temporaire total du 7 septembre 2012 au 9 janvier 2013 puis du 2 mai au 6 mai 2013 : 3 150 euros,


Déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % du 10 janvier 2013 au 1er mai 2013 puis du 7 mai au 30 juin 2013 : 2 100 euros,


Déficit fonctionnel temporaire partiel de 40 % du 1er juillet 2013 au 5 septembre 2013, date de consolidation : 640 euros.


Il convient d’y faire droit.

Sur les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Sur le déficit fonctionnel permanent :


Il est rappelé que ce poste de préjudice vise à indemniser la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel de la victime résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-psychologique, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.


Il s’agit, pour la période postérieure à la consolidation, de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu’elle conserve.


C X sollicite à ce titre une indemnité de 56 000 euros qui n’appelle aucune contestation de la part de la société GAN Assurances et de son assurée.

Sur le préjudice esthétique permanent :


C X sollicite à ce titre une indemnité de 3 000 euros que la société GAN Assurances n’entend pas contester.

Sur les souffrances endurées :


Ce poste d’indemnisation comprend les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation.


C X sollicite à ce titre une indemnité de 35 000 euros que la société GAN Assurances ne conteste pas davantage.

Sur le préjudice d’agrément :


Ce poste de préjudice répare l’impossibilité, les limitations ou les difficultés pour la victime de poursuivre régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.


Le professeur Z retient des limitations des possibilités sportives.


C X sollicite à ce titre une indemnité de 35 000 euros. Il fait valoir qu’il était très sportif et que toute idée de sport, d’encadrement sportif, de jardinage doit être abandonnée au regard de la diminution de sa capacité respiratoire, de l’altération de sa fonction rénale et de la perte de

mobilité de son bras gauche.


Les intimées lui opposent qu’il ne produit aucune pièce aux débats au soutien de sa demande ; elles admettent néanmoins que la victime a 35 ans de pratique équestre. Ce chef de préjudice sera réparé par l’octroi d’une indemnité de 10 000 euros.


Les postes de préjudice seront récapitulés comme suit :


Dépenses de santé actuelles : 213 350,68 euros


Déficit fonctionnel temporaire : 5 890 euros


Déficit fonctionnel permanent : 56 000 euros


Préjudice esthétique permanent : 3 000 euros


Souffrances endurées : 35 000 euros


Préjudice d’agrément : 10 000 euros


Total : 323 240,68 euros.


C X recevra en définitive en réparation de son préjudice, après déduction de la créance des tiers payeurs, la somme totale de 109 890 euros à laquelle seront condamnées in solidum les Écuries bordelaises, venant aux droits de la société Semabele, et la société GAN Assurances.

Sur les demandes de D E épouse X :


Les victimes indirectes ou par ricochet sont indemnisées du préjudice causé par les blessures d’un proche à la condition qu’il soit en relation de causalité directe et certaine avec le dommage corporel subi par la victime directe.

Sur les préjudices patrimoniaux :


D X expose que son plan de carrière a été stoppé et qu’elle souffre de fréquents moments de dépression ; qu’elle est à ce jour victime d’une récidive de la maladie de Horton, sous forme de pseudopolyarthrite rhizomélique ; que le traitement, au moment de l’accident, nécessitait un repos important auquel elle a dû renoncer, ayant utilisé son mi-temps thérapeutique pour être auprès de son époux ; qu’elle est aujourd’hui reconnue invalide de catégorie 1 par les médecins de la caisse primaire d’assurance maladie et a dû diminuer son temps de travail à 90 % en raison des douleurs et de la fatigue inhérente à cette maladie ; que le 30 avril 2019 elle a accepté la rupture conventionnelle proposée par son employeur, qui était motivée par son état de santé ; que la perte de revenus consécutive à l’arrêt de son plan de carrière s’élève à 5 300 euros (13,25 mois × 200 euros), outre 2 676 euros de frais spécifiques ; que le préjudice lié à la récidive peut être évalué à 15 000 euros.


Les intimées lui opposent à raison qu’elle ne justifie pas du lien entre l’interruption de sa carrière et l’accident de son mari, alors que la rupture conventionnelle serait motivée au premier chef par une rechute de la maladie de Horton.

Sur le préjudice extrapatrimonial :
Le préjudice d’affection éprouvé par D X du fait des affres ressenties pendant les hospitalisations de son mari et des séquelles dont il souffre, justifie l’octroi d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes d’G X :

Sur le préjudice extrapatrimonial :


G X, âgée de 19 ans au jour de l’accident, expose qu’ayant quitté la maison familiale pour s’installer à Pau où elle commençait ses études, elle n’a pas pu bénéficier du soutien de ses parents. Par trois fois, elle a été informée que la vie de son père était menacée. Elle a souffert de la dégradation de l’état physique de son père.


Son préjudice d’affection justifie l’octroi d’une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur le préjudice patrimonial :


G X sollicite le remboursement des frais de route qu’elle a exposés en péage et en carburant, pour revenir toutes les fins de semaine auprès de ses parents, soit 15 allers et retours à 280 euros. Les intimées lui opposent cependant à raison que sa demande n’est appuyée d’aucun justificatif.

Sur les demandes d’H X :

Sur le préjudice extrapatrimonial :


H X, âgé de 20 ans au jour de l’accident, éprouve un préjudice d’affection justifiant l’octroi d’une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur le préjudice patrimonial :


H X expose qu’il devra repasser son permis « conduite avec remorque » auquel il a échoué en septembre 2012 par manque de concentration, et sollicite à ce titre une indemnité de 500 euros. Les intimées lui opposent cependant à raison que sa demande n’est appuyée d’aucun justificatif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :


Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Les sociétés intimées en supporteront donc la charge.


En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, les sociétés Les Écuries bordelaises et GAN Assurances seront condamnées in solidum à payer la somme de 3 000 euros aux consorts X.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,


Révoque l’ordonnance de clôture en date du 8 novembre 2021 ;
Prononce la clôture de l’instruction à la date du 22 novembre 2021 ;


Infirme le jugement ;


Statuant à nouveau, et y ajoutant,


Déclare la société Les Écuries bordelaises (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), venant aux droits de la société Semabele, entièrement responsable de l’accident survenu à C X ;


Condamne in solidum la société Les Écuries bordelaises (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), venant aux droits de la société Semabele, et la société GAN Assurances à payer à :

' C X la somme de 109 890 euros ventilée comme suit :


- Déficit fonctionnel temporaire : 5 890 euros,


- Déficit fonctionnel permanent : 56 000 euros,


- Préjudice esthétique permanent : 3 000 euros,


- Souffrances endurées : 35 000 euros,


- Préjudice d’agrément : 10 000 euros,

' D X la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d’affection,

' G X la somme de 6 000 euros au titre du préjudice d’affection,

' H X la somme de 6 000 euros au titre du préjudice d’affection ;


Condamne in solidum la société Les Écuries bordelaises (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), venant aux droits de la société Semabele, et la société GAN Assurances aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise médicale et technique ;


Condamne in solidum la société Les Écuries bordelaises (centre équestre de l’Oxer de Bellevue), venant aux droits de la société Semabele, et la société GAN Assurances à payer à C X, D X, H X et G X ensemble, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame D SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,
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Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 17 janvier 2022, n° 19/01039