Cour d'appel de Paris, Pôle 2 chambre 2, 7 mars 2014, n° 13/01546

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 ch. 2, 7 mars 2014, n° 13/01546
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/01546
Importance : Inédit
Sur renvoi de : Cour de cassation, 25 septembre 2012, N° 08/3807
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 novembre 2022
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Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 2

ARRET DU7 MARS 2014

(n° 2014 – , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/01546

Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation en date du 26 septembre 2012 – RG 11-17.738- emportant cassation d’un arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES en date du 10 février 2011 – RG 09/7555 – sur appel d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE du 04 Septembre 2009 – RG 08/3807.

APPELANT

SANOFI PASTEUR MSD agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Florence MONTERET- AMAR, avocat au barreau de PARIS, toque : P184

INTIMES

Madame [A] [N] agissant tant en son nom personnel qu’es qualité d’héritière de Mr [V] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Philippe CERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0091

Mademoiselle [B] [N] agissant tant en son nom personnel qu’es qualité d’héritière de Mr [V] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Philippe CERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0091

Mademoiselle [T] [N] agissant tant en son nom personnel qu’es qualité d’héritière de Mr [V] [N]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Philippe CERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0091

CPAM DES [Localité 1] prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087

Organisme CARPIMKO

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Marc VAN BENEDEN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Anne VIDAL, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l’article 785 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre

Madame Françoise MARTINI, conseillère

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Monsieur François LE FEVRE

ARRET :

— contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Anne VIDAL, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***************

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

[V] [N] a été vacciné contre l’hépatite B en décembre 1998 et janvier et juillet 1999. En août 1999, il a été pris de tremblements intermittents du pied gauche puis de périodes d’asthénie importante. Les troubles étant devenus plus importants, il a consulté un neurologue en novembre 2000 qui a diagnostiqué une sclérose en plaques. A la suite de l’aggravation de son état, [V] [N], Mme [A] [N], son épouse, et Mlles [B] et [T] [N], ses filles, (les consorts [N]) ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société SANOFI PASTEUR, au contradictoire de la société CARPIMKO, caisse de retraite et de prévoyance, et de la CPAM des [Localité 1], pour voir dire, à la suite d’un rapport d’expertise médicale judiciaire, qu’il existe de fortes présomptions quant à l’existence d’un lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques.

Par jugement en date du 4 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre a retenu que la sclérose en plaques était en lien avec le défaut des vaccins produits par la société SANOFI PASTEUR et a ordonné un complément d’expertise pour faire le point sur l’aggravation de l’état de santé de [V] [N].

Par arrêt en date du 10 février 2011, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement qui lui était déféré, sauf en ce qu’il avait rejeté la demande de provision de [V] [N], et il a débouté [V] [N], la CARPIMKO et la CPAM des [Localité 1] de toutes leurs demandes. Il a retenu que s’il existait bien des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, il n’en demeurait pas moins que le défaut de sécurité objective du produit, au sens de l’article 1386-4 du code civil, n’était pas démontré, ce qui ne permettait pas de retenir la responsabilité du producteur.

La Cour de cassation, suivant arrêt du 26 septembre 2012 rendu après le décès de [V] [N], au contradictoire de Mme [A] [N] et de Mlles [B] et [T] [N], a cassé cette décision en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris. Elle a considéré, au visa des articles 1386-4 et 1353 du code civil, que la cour d’appel de Versailles, en se déterminant par une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, après avoir admis l’existence de présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, sans examiner si les circonstances particulières qu’elle avait retenues ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées à [V] [N], n’avait pas donné de base légale à sa décision.

La cour d’appel de Paris a été saisie à la requête de la société SANOFI PASTEUR suivant déclaration de saisine en date du 25 janvier 2013.

— ---------------------

La société SANOFI PASTEUR, en l’état de ses dernières conclusions signifiées le 20 août 2013, demande à la cour d’infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en toutes ses dispositions et de :

A titre principal, au visa de l’article 31 du code de procédure civile,

Constater l’absence d’intérêt à agir des consorts [N] et les déclarer irrecevables en leurs demandes,

A titre subsidiaire, au visa des articles 1386-2 et suivants du code civil,

Dire que les consorts [N] n’apportent pas la démonstration d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B HBVAX DNA 10 reçue par [V] [N] et la sclérose en plaques qu’il a développée et les débouter en conséquence de toutes leurs demandes,

Dire que les consorts [N] n’apportent pas la démonstration d’un défaut du vaccin HBVAX DNA 10 et les débouter en conséquence de toutes leurs demandes,

En tant que de besoin, saisir la Cour de justice de l’Union Européenne de la question préjudicielle suivante :

« Dans la mesure où l’article 6 de la directive 85/374 CEE dispose que le produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l’usage du produit qui peut être attendu et du moment de sa mise en circulation,

Dans la mesure où la loi de transposition dans le droit français n°98-389 du 19 mai 1998 de la directive 85/374 a introduit dans les mêmes termes dans le droit français la définition de ce qui doit être qualifié de produit défectueux,

Le Juge national peut-il caractériser le défaut du produit au regard des seules circonstances propres au demandeur ' »,

Surseoir à statuer dans l’attente de la réponse à cette question préjudicielle,

Très subsidiairement,

Dire que la société SANOFI PASTEUR sera exonérée de toute responsabilité en application des dispositions de l’article 1386-11 alinéa 4 du code civil,

Condamner les consorts [N] à lui payer une somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir les moyens suivants :

Sur la recevabilité des demandes : les consorts [N] ne font pas connaître le montant de l’indemnisation qu’a reçue [V] [N] ' qui avait saisi la Direction Générale de la Santé et l’ONIAM d’une demande sur le fondement de l’article L 3111-9 du code de la santé publique, sa vaccination s’inscrivant dans le cadre des vaccinations obligatoires des personnels de santé ' et que eux-mêmes sont en situation de recevoir au titre de leurs préjudices moraux en suite du décès de [V] [N], de sorte que la cour n’est pas en mesure d’examiner leurs demandes ;

Sur la preuve du lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques : il appartient aux consorts [N] de rapporter cette preuve par tous moyens, notamment au regard d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants constitués par des éléments positifs caractérisés et non par de simples hypothèses ; or, l’analyse des indices peut être la suivante : il n’existe pas de lien scientifiquement démontré entre la vaccination contre l’hépatite B et l’apparition d’affections démyélinisantes ; le fait que [V] [N] ait été indemnisé par l’Etat en application de l’article L 3111-9 du code de la santé publique ne constitue pas un élément de présomption, l’indemnisation répondant à un mécanisme de solidarité et non de responsabilité ; les conclusions des experts judiciaires, formulées en 2005, doivent être relativisées en ce qu’elles prennent pour acceptable l’étude [G] publiée en septembre 2004, alors que cette étude, dont les conclusions restent isolées, a fait ensuite l’objet de critiques unanimes ; la prétendue concomitance entre le vaccin et l’apparition des premières manifestations de la maladie constitue un critère qui perd de sa pertinence dès lors que les causes du déclenchement de la sclérose en plaques restent inconnues ; il en est de même du critère de l’absence de risque personnel et familial puisque 92 à 95% des personnes malades n’ont pas d’antécédent familial ;

Sur la preuve d’un défaut du vaccin en lien de causalité avec le dommage : l’article 1386-4 du code civil pose l’exigence d’un défaut objectif du produit qui doit s’apprécier de manière abstraite, au regard de ce que peut attendre le grand public et non la personne précise qui l’a acquis ; la Cour de cassation retient ainsi que le défaut du produit est constitué par l’inversion du rapport bénéfice-risque ou par des lacunes dans la présentation et dans l’information du produit ; il ne peut être tiré des motifs de la cassation que les présomptions retenues pour établir le lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques suffiraient à démontrer le défaut du produit ; en l’espèce, il n’y a pas d’inversion du rapport bénéfice-risque au regard de l’absence d’éléments suffisants sur l’étiologie de la sclérose en plaques, du risque significatif de contamination par l’hépatite B de [V] [N] en raison de sa profession de masseur kinésithérapeute et du fait qu’il ne présentait aucun risque en l’absence d’antécédent de sclérose en plaques ; il n’y a pas non plus de défaut d’information et l’apparition sur la notice d’utilisation du produit à partir de janvier 2000 de mentions sur les effets indésirables très rares de sclérose en plaques ne permet pas de retenir l’existence d’un défaut du vaccin dès lors que ces modifications ne reposent sur une démonstration publiée d’une augmentation du risque de sclérose en plaques au décours de la vaccination ;

Sur l’exonération de responsabilité : il convient de faire application des dispositions de l’article 1386-11 qui prévoient que le producteur est responsable de plein droit, à moins qu’il ne prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit a été mis en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut, ce qui est encore le cas à ce jour.

Mme [A] [N] et Mlles [B] et [T] [N], agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité d’héritières de [V] [N], en l’état de leurs dernières écritures signifiées le 21 juin 2013, concluent à la confirmation du jugement et demandent à la cour de :

Dire qu’il existe des présomptions précises, graves et concordantes d’un lien de causalité entre les doses de vaccin HBVAX DNA 10 administrées à [V] [N] et la sclérose en plaques dont il se trouvait atteint,

Déclarer la société SANOFI PASTEUR entièrement responsable des suites dommageables de cette vaccination du fait du défaut de ce vaccin commercialisé par cette société,

Débouter la société SANOFI PASTEUR de toutes ses demandes,

La condamner à leur verser une somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [N] font valoir les éléments suivants :

Sur la recevabilité de leurs demandes : l’article L 3111-9 du code de la santé publique réserve un recours subrogatoire à l’ONIAM de sorte que les indemnités versées se déduiront nécessairement des sommes allouées par le tribunal ; au demeurant, ils ont versé aux débats l’intégralité des justificatifs des indemnisations servies par l’ONIAM qui ne réparent pas l’intégralité des préjudices subis ;

Sur la responsabilité de la société SANOFI PASTEUR : aucune donnée scientifique n’exclut l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ; depuis les arrêts de la Cour de cassation de mai 2008, le rôle causal du vaccin peut être démontré par des présomptions graves, précises et concordantes, constituées par deux critères cumulés, d’une part la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie, d’autre part l’absence d’autres facteurs connus d’antécédents personnels ou familiaux sur le plan neurologique, critères qui ont été retenus par les experts ; la responsabilité du fabricant doit s’analyser au regard des indications mentionnées à l’époque de l’administration du vaccin dans le dictionnaire VIDAL de survenue exceptionnelle de scléroses en plaques ; si la délivrance de l’AMM suppose que les autorités sanitaires ont admis un rapport bénéfice-risque favorable, il n’en demeure pas moins que, pour [V] [N], le rapport a été inversé ; il doit être déduit de la décision de la Cour de cassation, que le défaut de sécurité du produit résulte nécessairement de la constatation d’un lien de causalité, par l’effet des présomptions graves, précises et concordantes, entre la vaccination contre l’hépatite B et la maladie.

La société CARPIMKO, par conclusions signifiées le 21 juin 2013, sollicite la confirmation du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu’il a considéré que la sclérose en plaques dont [V] [N] était atteint était due à un défaut des vaccins produits par la société SANOFI PASTEUR et réclame la condamnation de cette société à lui verser la somme de 234.926,39 €, assortie des intérêts au taux légal, correspondant aux indemnités journalières et aux arrérages de rente d’invalidité totale versés à [V] [N] jusqu’au [Date décès 1] 2011 dans le cadre du régime d’invalidité décès, outre une somme de 2.000 €.

La CPAM des [Localité 1], aux termes de ses conclusions signifiées le 28 novembre 2013, demande à la cour de :

Débouter la société SANOFI PASTEUR de toutes ses prétentions et confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre,

En conséquence, condamner la société SANOFI PASTEUR à lui verser la somme de 135.552,04 € au titre du remboursement des prestations versées pour le compte de [V] [N], sous réserve des prestations non encore connues à ce jour, outre les intérêts sur la somme de 125.417,01 € à compter de la première demande, soit le 8 septembre 2008, et à compter de ses dernières écritures pour le surplus, avec anatocisme en application de l’article 1153 du code civil, ainsi que la somme forfaitaire de 1.015 €, sur le fondement de l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Condamner également la société SANOFI PASTEUR à lui verser une somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité des demandes des consorts [N] :

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L 3111-9 du code de la santé publique que la réparation d’un dommage imputable à une vaccination obligatoire est supportée par l’Etat, lequel est subrogé, à concurrence de la somme payée, dans les droits et actions de la victime contre les responsables du dommage ; mais que ce même article n’exclut pas le recours de la victime à l’encontre du tiers responsable sur la base du droit commun ;

Qu’il est avéré que [V] [N] a été vacciné dans le cadre de la vaccination obligatoire des personnels de santé, à raison de l’exercice de la profession de kinésithérapeute, et qu’il a saisi la Direction générale de la Santé puis l’ONIAM d’une demande d’indemnisation de ses préjudices ; qu’il ressort des pièces produites aux débats (lettre de la DGS du 22 juillet 2002 et avis de l’ONIAM du 12 octobre 2007) qu’il a perçu une rente viagère transformée en capital et majorée en 2007 en raison de l’aggravation de son état de santé ; que la société SANOFI PASTEUR en déduit que les consorts [N] ont nécessairement reçu un complément d’indemnisation, après 2007, au regard de l’aggravation puis du décès de [V] [N] et qu’ils seraient irrecevables, pour défaut d’intérêt à agir en réparation d’un préjudice déjà intégralement réparé ; mais que les consorts [N] affirment produire l’intégralité des justificatifs des sommes versées par l’ONIAM dont il ressort qu’elles ne couvrent pas l’intégralité de leurs préjudices, que la preuve contraire n’est pas rapportée, et qu’il convient en conséquence de déclarer l’action poursuivie par les consorts [N] recevable pour obtenir réparation de leurs préjudices supérieurs aux indemnités reçues ;

Sur l’imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B :

Considérant que les consorts [N] recherchent la responsabilité de la société SANOFI PASTEUR pour défaut du produit sur le fondement des dispositions de l’article 1386-4 du code civil, applicables à l’espèce puisque la vaccination incriminée a été administrée après l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant en droit français la directive n°85/374 du 25 juillet 1985 ;

Que la mise en jeu de la responsabilité du producteur suppose que le demandeur prouve, d’une part l’administration du produit, l’existence du dommage et le lien de causalité entre celles-ci, d’autre part le défaut du produit défini comme n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

Que les preuves mises à la charge du demandeur peuvent être apportées par présomptions, à la condition que celles-ci soient graves, précises et concordantes, le défaut du vaccin et l’imputabilité du dommage ne pouvant se déduire de l’absence de certitude scientifique sur l’innocuité du produit ;

Considérant qu’il est avéré et qu’il n’est plus contesté devant la cour que [V] [N], exerçant la profession de kinésithérapeute, a été vacciné contre l’hépatite B par l’administration du vaccin HBVAX DNA 10 produit par la société SANOFI PASTEUR en une série de trois injections en date des 26 décembre 1998, 29 janvier 1999 et 8 juillet 1999 ;

Qu’il ressort des constatations et investigations des experts judiciaires désignés en référé, les Dr [F] et [U], ainsi que des témoignages de proches que [V] [N] s’est plaint d’une asthénie importante et inhabituelle au cours du mois d’août 2009 et qu’il a ressenti des tremblements intermittents du pied gauche ; qu’en décembre 1999, il a présenté un tableau clinique associant des troubles de la déglutition, une dysarthrie, une hémiparésie gauche, des paresthésies de la main et du pied gauches régressant spontanément, puis, en mai-juin 2000, des troubles sensitifs de la main droite rapidement régressifs, des troubles urinaires et des troubles de l’équilibre intermittents, avec une asthénie intense ; qu’à la suite de divers examens, il était conclu, le 4 novembre 2000, que les épisodes présentés étaient des épisodes neurologiques déficitaires évoluant par poussée et probablement en rapport avec une sclérose en plaques ; que [V] [N] a ensuite été hospitalisé à plusieurs reprises à l’hôpital de [1], notamment en janvier et février 2001 pour une hémiparésie droite puis une hémiplégie droite, une dysarthrie et des troubles de la déglutition ; qu’il a commencé, en mai 2001, un traitement par interféron Bêta-1-a, traitement spécifique de la sclérose en plaques, qu’il a arrêté en mai 2002 ;

Que les experts judiciaires concluaient, le 1er mars 2005, que [V] [N] souffrait d’une sclérose en plaques, maladie chronique et évolutive qui ne lui permettait plus, depuis le 20 janvier 2001, d’exercer une activité professionnelle et qui était à l’origine, depuis la consolidation constatée au 6 mai 2004, d’une incapacité permanente partielle de 65% ;

Que le Dr [Y], expert désigné par l’ONIAM en juillet 2007, notait une aggravation de l’état de santé de [V] [N] puisqu’il était à l’époque atteint d’un déficit fonctionnel de 90% avec nécessité d’une tierce personne 24h sur 24 ;

Que [V] [N] est décédé le [Date décès 1] 2011 ;

Considérant que les expert judiciaires, après avoir indiqué que [V] [N] ne présentait aucun antécédent personnel le prédisposant à la maladie et qu’il n’existait pas d’antécédents de maladie neurologique dans sa famille, et après avoir rappelé la littérature médicale concernant les rapprochements entre la sclérose en plaques et la vaccination, ont retenu que la maladie dont souffrait [V] [N] n’était pas liée par un rapport de causalité démontrable à l’administration du vaccin HBVAX DNA mais ont conclu leur rapport ainsi :

« L’analyse de la littérature à ce jour ne permet pas de démontrer de façon certaine et directe que l’administration du vaccin HBVAX DNA est la cause génératrice de la sclérose en plaques. Toutefois, le lien temporel entre la vaccination et le début des symptômes de la maladie de M. [N] ne peut être exclue de la réflexion. Les études épidémiologiques publiées à ce jour ne démontrent pas de manière certaine l’absence de relation de causalité chez un individu en particulier. » ;

Que, pour dire que l’imputabilité de la vaccination dans la survenance de la maladie ne pouvait être totalement exclue, les experts se sont référés – dans leur annexe I faisant le point sur la littérature et les études médicales – à une publication du Pr HERNAN concluant à un triplement du risque de sclérose en plaques associé au vaccin recombinant contre l’hépatite B chez l’adulte, et ont retenu qu’il fallait tenir compte des résultats de cette étude et les accepter comme vrais ; mais qu’il ressort des éléments scientifiques produits par la société SANOFI PASTEUR, d’une part que cette étude est isolée, de nombreuses autres études, tant nationales qu’internationales ayant été menées sur la question et ayant conclu à l’absence de relation entre la vaccination et la sclérose en plaques, d’autre part que, dès sa publication, en septembre 2004, soit quelques mois seulement avant le dépôt du rapport d’expertise, cette étude a été très controversée dans le monde scientifique en raison notamment du très petit nombre de cas analysés et de l’existence de failles méthodologiques ; qu’une étude de De Stefano ayant réanalysé les données de l’étude [G] a pu conclure, en sens contraire, à l’absence de risque accru de sclérose en plaques suivant la vaccination contre l’hépatite B ; que les autorités sanitaires ont toutes jugé que l’étude [G] reposait sur l’analyse d’un trop petit nombre de patients vaccinés présentant par ailleurs des facteurs de risques pour l’hépatite B et qu’elle ne permettait pas de soutenir l’hypothèse d’une association entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ; que dès lors, cette étude isolée et contredite ne peut sérieusement fonder les conclusions expertales – au demeurant fort prudentes puisqu’elles rappellent les réserves émises par le Comité Technique des Vaccinations – sur l’existence d’un lien scientifique entre le vaccin et la maladie ;

Considérant que les consorts [N] se prévalent de la concomitance chronologique entre la vaccination et l’apparition de la maladie et de l’absence d’antécédents neurologiques personnels et familiaux soulignés par les experts dont ils soutiennent qu’ils constituent des critères qui, cumulés, doivent être reconnus comme des présomptions, graves, précises et concordantes du lien de causalité entre le vaccin et la maladie ;

Mais que force est de constater, au regard des multiples études médicales citées par la société SANOFI PASTEUR, que l’étiologie de la sclérose en plaques est actuellement inconnue, qu’il s’agit d’une affection caractérisée au niveau physiopathologique par l’atteinte de la myéline du système nerveux central entraînant l’apparition de plaques de démyélinisation à la suite d’un processus immunologique méconnu, probablement très hétérogène ; qu’il est admis, à la suite du dernier éclairage donné par le Pr [J] dans une publication citée par la société SANOFI PASTEUR et aux termes d’études cliniques d’un groupe de neurologues français publiées en 2008, qu’il existe une dissociation entre les poussées cliniques et la date d’apparition des lésions observées à l’imagerie médicale, leurs travaux concluant en effet que, lors de l’apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique a probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant ; qu’au regard de ces éléments, le critère de la proximité temporelle entre l’apparition des premiers symptômes décrits par [V] [N] et par sa famille et sa vaccination perd de sa pertinence et qu’il ne peut en être tiré d’argument sérieux en faveur d’un lien de causalité ;

Que, par ailleurs, l’ignorance de l’étiologie de la sclérose en plaques empêche de considérer que l’absence d’autres éventuelles causes de la maladie chez [V] [N] et l’absence d’antécédents neurologiques personnels constitueraient des éléments de présomption graves, précis et concordants en faveur du lien de causalité avec la vaccination ; qu’il en est de même de l’absence d’antécédents familiaux, les études épidémiologiques faisant ressortir que 92 à 95% des malades atteints de la sclérose en plaques n’ont aucun antécédent dans leur famille ;

Que la prise en charge par l’Etat de l’indemnisation de la maladie de [V] [N] ne peut constituer un élément en faveur de l’existence d’un lien de causalité reconnu, le régime d’indemnisation des dommages invoqués par des personnes soumises à vaccination obligatoire répondant à des critères propres ne faisant pas de la démonstration d’un lien de causalité direct et certain entre le vaccin et la maladie un préalable nécessaire à l’indemnisation ;

Qu’il convient enfin d’observer qu’à l’issue des nombreuses études nationales et internationales citées par la société SANOFI PASTEUR et évoquées dans les expertises réalisées dans des affaires similaires versées aux débats et à la suite des diverses mesures d’enquêtes et de surveillance renforcée mises en 'uvre par les autorités sanitaires, il n’existe aucun consensus scientifique en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques et que l’ensemble des autorités sanitaires nationales (Commission Nationale de Pharmacovigilance et Académie Nationale de Médecine) et internationales (Comité consultatif sur la Sécurité des vaccins de l’OMS et Institute of Medecine) ont écarté l’association entre un risque d’atteinte démyélinisante centrale ou périphérique et la vaccination contre l’hépatite B ;

Qu’ainsi, les éléments avancés par les consorts [N] et retenus par le tribunal, qu’ils soient pris isolément ou ensemble, ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir l’existence d’un lien de causalité entre la maladie présentée par [V] [N] et sa vaccination ;

Que le jugement doit en conséquence être infirmé en toutes ses dispositions et les consorts [N] déboutés de toutes leurs demandes, de même que la CARPIMKO et la CPAM des [Localité 1] ;

Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l’article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

sur renvoi de la cour de cassation,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [A] [N] et Mlles [B] et [T] [N], agissant tant en leur nom personnel qu’ès qualité d’ayants-droit de [V] [N], de toutes leurs demandes ;

Déboute également la CARPIMKO et la CPAM des [Localité 1] de toutes leurs prétentions ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [A] [N] et Mlles [B] et [T] [N], agissant tant en leur nom personnel qu’ès qualité d’ayants-droit de [V] [N] aux entiers dépens de première instance, d’appel et de l’arrêt cassé, avec admission, pour ceux d’appel, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 chambre 2, 7 mars 2014, n° 13/01546