Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 21 février 2020, n° 17/23205

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 21 févr. 2020, n° 17/23205
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/23205
Sur renvoi de : Cour de cassation, 17 octobre 2017, N° 1262F@-@D
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRÊT DU 21 FEVRIER 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/23205 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VZK

Décisions déférées à la Cour :

Arrêt du 18 Octobre 2017 -Cour de Cassation de PARIS – RG n° 1262 F-D

Arrêt du 05 Mars 2015 – Cour d’appel de PARIS – RG n° 13/02822

Jugement du 11 Octobre 2012 du Tribunal de Commerce de Lyon – RG n° 2009J03463

DEMANDERESSE A LA SAISINE

Société VELATI SRL

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

assistée de Me Sadreddine RACHID, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : R241

DÉFENDERESSE A LA SAISINE

Selarl MJ Alpes venant aux droits de Me Jean Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard

[…]

[…]

représenté par Me Pierre ECHARD-JEAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1562

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 Décembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise BEL, Présidente de chambre

Mme Agnès COCHET-MARCADE, Conseillère

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Mme Françoise BEL, Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Faits et procédure

Le 5 avril 2002, la société de droit italien Velati, qui fabrique et commercialise des machines industrielles destinées au travail de la viande, a conclu avec la société Établissements Poulard (la société Poulard) un « contrat d’agence pour l’étranger » à durée indéterminée, la première octroyant à la seconde l’exclusivité sur le territoire français pour la vente des machines outils et des installations de production fabriquées par elle.

Ce contrat prévoyait un commissionnement de 25 % sur les ventes au profit de l’agent.

Par lettre du 4 décembre 2009, la société Velati, souhaitant modifier son mode de distribution en France, a mis fin au contrat la liant à la société Poulard.

Reprochant à la société Velati la rupture brutale de leur relation commerciale, la société Poulard l’a assignée, le 22 décembre 2009, en dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

La société Poulard ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires par jugements du tribunal de commerce de Vienne des 22 décembre 2009 et 23 février 2010, son administrateur judiciaire puis son liquidateur judiciaire sont intervenus à l’instance.

Par jugement du 11 octobre 2012, le tribunal de commerce de Lyon a dit que la société Velati avait rompu brutalement ses relations commerciales avec son agent, la société Poulard et qu’elle avait commis ainsi une faute au sens de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

En conséquence, il l’a condamnée à payer à la société Poulard, représentée par M. X, en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 386.000 euros HT à titre de dommages et intérêts.

La société Velati a interjeté appel de ce jugement.

Elle a fait valoir, pour la première fois en cause d’appel, que la rupture d’un contrat d’agent commercial n’entrait pas dans le champ d’application de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

Par arrêt du 5 mars 2015, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement.

Ayant relevé que la société Poulard n’intervenait pas seulement en qualité d’agent commercial de la société Velati (qualité résultant de l’article 1er du contrat), mais également en qualité de distributeur ( ainsi que cela se déduisait, selon la cour d’appel, de l’article 4.2 du contrat, du grief fait par la société Velati à la société Poulard de rester redevable d’un solde de factures impayées de ventes de pièces détachées et d’un courrier du 10 novembre 2009 de la société Velati), la cour d’appel a retenu que la rupture de la relation relevait de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce et non de l’article L.134- 11 du même code, ce texte ne « concernant que les contrats portant sur la seule qualité d’agent commercial ».

Sur le fond, la cour d’appel a retenu que les manquements reprochés à la société Poulard n’étaient pas suffisamment graves pour la priver du préavis auquel elle avait droit, préavis qu’elle a estimé à un an.

La société Velati a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 18 octobre 2017 la Cour de cassation 'casse et annule sauf en ce que, confirmant le jugement, il prend acte de l’intervention volontaire de M. X, en qualité de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard, l’arrêt rendu le 5 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée'.

La Cour de cassation, au visa des articles L. 134-11 et L. 442-6 I 5° du code de commerce, a relevé que pour dire que la société Velati a commis une faute au sens de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce et rejeter le moyen qui soutenait que la rupture d’un contrat d’agent commercial n’entrait pas dans le champ d’application de cet article, l’arrêt, après avoir relevé que la mission confiée à la société Poulard de promouvoir, pour le compte de la société Velati, la conclusion de contrats de vente des machines-outils et des installations de production fabriquées par cette dernière, correspondait à la mission de l’agent commercial, retient que la société Poulard n’intervenait pas seulement en qualité d’agent commercial mais également en qualité de distributeur, s’agissant de la vente des pièces détachées ; qu’il en déduit que la relation contractuelle relève, non pas de l’article L. 134-11 du code de commerce qui concerne les contrats portant sur la seule qualité d’agent commercial, mais de l’article L. 442-6 I 5° de ce code ; qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne s’applique pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant et qu’elle avait constaté que l’article 1er du contrat du 5 avril 2002 confiait à la société Poulard une mission d’agent commercial, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

La société Velati a saisi la présente cour de renvoi par déclaration du 15 décembre 2017.

Moyens et prétentions des parties

Par conclusions sur renvoi après cassation partielle déposées et notifiées le 25 septembre 2019, la société Velati Srl demande à la cour au visa de l’article L. 442-6 du code de commerce, de :

A titre principal

— constater l’existence dans le même document contractuel litigieux de deux rapports contractuels distincts, d’une part, un mandat d’agent commercial portant sur la vente des machines-outils et des installations de production et, d’autre part, un contrat de distribution portant sur les pièces de rechange.

— constater que la société Poulard a fait valoir ses droits devant le tribunal de commerce de Lyon

uniquement au titre d’une prétendue rupture brutale de relation commerciale établie et sur le seul fondement de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

— constater que la société Poulard a, par ailleurs, définitivement perdu son droit à réparation au titre de son statut d’agent commercial par application de l’article L.134-12 du code de commerce.

— dire et juger que la rupture du contrat d’agent commercial par la société Velati ne peut pas être sanctionnée sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

— dire et juger que la rupture sans préavis de l’autre contrat, soit celui de distribution portant sur les pièces de rechange, est justifiée en raison des manquements graves commis par la société Poulard et, donc, que la société Velati n’a commis aucun abus dans l’exercice de sa faculté de résiliation du contrat,

— dire et juger qu’il n’existe aucun de lien de causalité entre la rupture du contrat et l’état de cessation de paiements de la société Poulard,

— dire et juger que les circonstances de la rupture ne sont pas vexatoires,

— débouter la société Poulard de toute ses demandes,

— ordonner la restitution à la société Velati de la somme de 386.000 euros,

— si par impossible la cour de céans devait considérer que la rupture sans préavis n’est pas justifiée, il est demandé :

Subsidiairement,

— dire et juger que le préjudice prévu par l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce doit, en l’espèce, être calculé uniquement sur la moyenne annuelle sur une base de 7 ans du chiffre d’affaires total découlant du contrat de distribution sur les pièces détachées, soit la somme de 109.784 euros et sur la base de la marge brute contractuelle de 30% y afférente, soit 32.935 euros sur une année,

— dire et juger que le préavis d’une année est excessif et injustifié au regard de la durée septennale des relations entre les parties et, donc, le réduire à un maximum de 6 mois;

— constater que le montant du préjudice fixé à hauteur de 386.000 euros par le tribunal de commerce de Lyon est disproportionné et injustifié ;

— ramener le montant dudit préjudice à de plus justes proportions ;

— ordonner le remboursement du surplus à son profit après déduction du nouveau montant du préjudice fixé par la cour ;

En conséquence,

— réformer intégralement le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 11 octobre 2012,

— condamner la Selarl MJ Alpes mandataire liquidateur de la société des Etablissements Poulard à lui restituer la somme de 10.000 euros payée sur la condamnation en 1re instance au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que la somme de 2.000 euros payée sur la condamnation en appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la Selarl MJ Alpes mandataire liquidateur de la société des Etablissements Poulard à lui

verser la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la Selarl MJ Alpes ès qualités aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Velati critique le jugement de première instance en ce que le tribunal s’est abstenu de vérifier si le contrat qui liait les parties et qu’il qualifiait lui-même ainsi que la société Poulard, d’agence commerciale, entrait ou non dans le champ de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce, de faire application des dispositions dudit contrat selon lesquelles l’une ou l’autre des parties s’autorisait en cas d’inexécution fautive par l’autre partie de ses obligations d’en décider la rupture immédiate, de constater l’existence de deux relations contractuelles distinctes au sein du même document contractuel (soit d’une part un mandat d’agent commercial et d’autre part un rapport de distribution) et de se prononcer sur la rupture de ces deux contrats en appliquant à chacun les clauses, règles et chiffres d’affaires qui leurs sont spécifiques.

Elle considère que la société Poulard l’a assignée sur le seul fondement des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce alors que le contrat du 5 avril 2002 les liant est un contrat d’agent commercial auquel les dispositions de cet article ne s’appliquent pas.

Elle conteste les affirmations de la société Poulard selon lesquelles elle aurait agi uniquement en qualité de distributeur et non en qualité d’agent commercial. Elle fait valoir qu’il existe deux contrats distincts, d’une part le contrat d’agent commercial, contrat principal, par lequel la société Poulard s’engageait pour son compte à promouvoir la conclusion de ventes de machines-outils et d’installation de production, et d’autre part le contrat de distribution d’achat et de revente de pièces détachées qui est accessoire.

Elle soutient alors que la société Poulard a perdu son droit à réparation au titre du contrat d’agent commercial et que le présent litige doit désormais être jugé uniquement sur la prétendue rupture brutale du contrat de distribution.

Elle considère qu’elle pouvait rompre la relation sans préavis en raison des manquements graves de la société Poulard qui a arrêté d’exécuter son contrat d’agence commerciale, ne prospectant plus la clientèle, ne vendant plus de machine-outil, négligeant ses prestations auprès de la clientèle et qu’elle l’avait alertée depuis le mois de juin 2008 sur la nécessité de régulariser les retards de paiement inhérents à la livraison des pièces détachées.

Elle conteste le préjudice allégué par la société Poulard rappelant que celui-ci est inhérent à la brutalité de la rupture et non à la rupture. Elle ajoute que la relation ayant duré 7 ans, un préavis de 6 mois est suffisant et que la marge brute contractuelle est de 30% pour les pièces détachées. Elle critique l’attestation de l’expert-comptable fournie par l’intimée considérant que celle-ci ne fait pas la distinction entre l’activité d’agent commercial et celle de distributeur.

Elle soutient enfin que la situation économique de la société Poulard était déjà très obérée lors de la rupture de leurs relations qui n’a pas provoqué son placement en redressement judiciaire et considère que les conditions de la rupture ne sont pas vexatoires.

Par conclusions sur renvoi après cassation partielle déposées et notifiées le 3 décembre 2019 la Selarl MJ Alpes venant aux droits de M. Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard, demande au visa de l’article L. 442-6 du code de commerce à la cour de :

— dire et juger infondé l’appel interjeté par la société Velati à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 11 octobre 2012,

En conséquence,

— débouter la société Velati de l’intégralité de ses conclusions, prétentions, fins et moyens,

— constater qu’intervenant quasi-exclusivement en qualité de distributeur de la société Velati, elle a bien été victime d’une rupture brutale de la relation commerciale établie qui liait les parties, laquelle dépassait largement du cadre du contrat, qui était pour sa part limité à la vente d’un type de produits défini,

— dire et juger que l’article L.442-6 du code de commerce est parfaitement applicable au présent litige, au regard de la réalité de la relation des parties et de l’absence de commissions dans les mois et années ayant précédé la rupture,

— confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 11 octobre 2012, en ce qu’il a condamné la société Velati à lui payer, ès qualités, la somme de 386.813 euros hors taxes, en compensation du préjudice résultant de la rupture 'abusive’ de la relation commerciale établie, outre intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2009, date de la mise en demeure,

— et, y ajoutant, condamner la société Velati à lui payer, ès qualités, la somme de 50.000 euros, à titre de dommages-intérêts complémentaires, en compensation du préjudice résultant des conditions particulièrement vexatoires dans lesquelles la rupture est intervenue, faisant perdre toute crédibilité commerciale à la société Ets Poulard, la clientèle ayant été informée de la rupture avant même cette société, outre intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2009, date de la mise en demeure,

— condamner la société Velati à lui payer, ès qualités, la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, avec recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le liquidateur judiciaire fait valoir en substance que l’arrêt rendu le 18 octobre 2017 par la Cour de cassation pose la question de la qualification et de la teneur exacte de la relation ayant lié les parties, afin d’appliquer à chaque composante de cette relation le régime juridique qui lui est propre au-delà des qualifications adoptées par les parties, étant précisé que seules les commissions versées au titre d’une activité d’agent commercial doivent être écartées pour l’application des dispositions de l’article L. 442-6 du code commerce.

Il soutient que la relation entre les parties à la date de la rupture n’était plus une relation d’agent commercial, mais ne portait que sur de la revente de pièces détachées ou de la fournitures de prestations de maintenance, et que l’intégralité de la relation, qui ne relève donc pas du droit spécial de l’agent commercial mais du droit commun, doit alors être soumise aux dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce.

Il explique que la part de l’activité rémunérée au moyen de commissions s’est avérée marginale voire inexistante au cours des dernières années de la relation ayant lié les parties, celle-ci ne représentant plus que 3% du chiffre d’affaires en 2008 et que cette relation relève donc bien de l’application des dispositions de droit commun.

Il considère alors que la société Velati a rompu brutalement au mois de novembre 2009, confirmé dans un courrier du 4 décembre 2009 et sans préavis aucun, une relation commerciale établie depuis plusieurs années.

Il explique que cette rupture sans préavis a privé immédiatement la société Poulard d’une partie importante de son chiffre d’affaires, et qu’étant en état de cessation des paiements, elle a été placée en redressement judiciaire le 22 décembre 2009.

Il réplique à la société Velati qu’antérieurement à la rupture, celle-ci n’a adressé à la société Poulard aucun reproche quant au respect de ses obligations et que la lettre de rupture du 4 décembre 2009 ne fait référence à aucun manquement. Il explique que la baisse des ventes de machines-outils est due à la conjoncture économique de 2008 qui a conduit les acteurs du marché à différer leurs investissements et que la société Velati n’a jamais opposé de difficultés face aux retards de paiement passagers que sa co-contractante a pu rencontrer.

Il évalue le préavis qui devait être accordé à la société Poulard à un an en raison de la période de la rupture en pleine crise financière, de la nature des produits distribués, la société Velati étant l’un des leaders du marché, et de sa dépendance vis-à-vis de celle-ci, son chiffre d’affaires étant réalisé quasi-totalement avec la société Velati. Il sollicite donc la somme de 386.813 euros représentant une année de marge brute.

Il ajoute que les conditions particulièrement vexatoires de la rupture dont la société Poulard a eu connaissance via sa clientèle qui avait été avertie par la société Velati de la cessation de leur relation alors qu’elle n’en était pas elle-même informée, justifie l’allocation de la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts.

A l’audience du 18 décembre 2019, l’ordonnance de clôture du 26 septembre 2019 a été révoquée, la cour étant saisie sur renvoi après cassation, la présente affaire est régie par les dispositions de l’article 905 du code de procédure civile. La clôture de la procédure a été à nouveau ordonnée à l’audience du 18 décembre 2019 par mention au dossier, avis étant verbalement donné aux parties présentes, l’ensemble des conclusions des parties étant accepté aux débats.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions signifiées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

A titre liminaire, il convient de considérer que les mentions dans le dispositif des écritures des parties tendant à voir la cour 'constater’ ou 'dire et juger’ ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile mais un résumé des moyens invoqués à l’appui de leurs demandes et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur celles-ci.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa version applicable aux faits de l’espèce,

'I. Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° 'De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. … Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.'

L’article L. 134-1 du même code prévoit que l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux.

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne s’applique pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant, la durée de préavis devant être respectée à cette occasion étant fixée par l’article L. 134-11 du code de commerce.

Il ressort des éléments versés aux débats qu’un seul et même contrat en date du 5 avril 2002 à effet du 1er janvier 2003 est en cause.

Ce contrat stipule à l’article 1er que 'La délégatrice [la société Velati] confère à l’agent [les Ets Poulard], qui accepte, la tâche de promouvoir pour son compte la conclusion de contrats de vente des machines-outils et des installations de production de sa fabrication, selon le détail de l’annexe1 du présent contrat'. L’article 2 précise que la zone de compétence et droit d’exclusivité est la France. L’article 4 'pièces détachées’ prévoit : '4.1 Les pièces détachées que la Velati srl vend directement à l’Agent pourront subir une augmentation jusqu’à 30% ce qui correspond au prix actuel que nous pratiquons à la clientèle française. 4.2 Exclusions – Sur la vente de pièces détachées aux clients qui jusqu’à présent ont fait l’objet de commandes directes, il ne vous sera reconnu aucun pourcentage. Au fur et à mesure où ces clients passeront par votre bureau, la Velati sera déchue de ce droit'.

La question qui se pose à la cour est la qualification du contrat et de savoir si celui-ci confie à la société Velati une mission d’agent commercial.

La société Poulard soutient que la relation nouée avec la société Velati n’était pas ou n’était plus une relation d’agent commercial impliquant que l’une des parties intervienne au nom et pour le compte de l’autre et qu’elle soit rémunérée au moyen de commissions, mais ne portait que sur la revente de pièces détachées ou la fourniture de prestations de maintenance.

La société Velati fait quant à elle valoir qu’il existe deux contrats distincts, un contrat d’agent commercial et un contrat de distribution, celui concernant l’achat et la revente de pièces détachées dans le cadre des opérations de maintenance qui devaient être effectuées auprès des clients étant de nature accessoire au contrat principal d’agent commercial.

La mission confiée à la société Poulard par l’article 1er du contrat en cause est une mission d’agent commercial, ce qui n’est pas discuté par les parties.

Il n’est pas contesté par la société Velati que ledit contrat (article 4.2) prévoit également une activité de distribution de pièces détachées confiée à la société Poulard, la société Velati ayant en outre fait grief à cette dernière de rester redevable d’un solde de factures impayées de ventes de pièces détachées, et lui ayant envoyé un courrier du 10 novembre 2009 selon lequel à partir du mois de novembre, elle procédera à la livraison des pièces détachées ainsi qu’à la facturation directe du client.

Aussi, en présence d’un contrat dit 'complexe’ aux termes duquel le cocontractant se voit confier une mission d’agent commercial ainsi qu’une mission de distributeur (pour la vente des pièces détachées des machines, objet du contrat d’agence commerciale), l’application du statut d’agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée.

Néanmoins, la société Poulard qui soutient que son activité était essentiellement celle de distributeur de pièces détachées pour justifier l’application des dispositions de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce, ne verse au débat aucun élément venant conforter ses affirmations selon lesquelles cette activité serait prépondérante à celle d’agent commercial, ce que la société Velati conteste.

En effet, l’attestation que la société Poulard verse au débat établie par la société d’expertise comptable Boucaud & Associés le 19 décembre 2009 fait état des chiffres d’affaires réalisés par cette dernière au cours des exercices 2002 à 2008 et précise que 'la quasi-totalité du chiffre d’affaires provient ou est lié à la société Velati' sans pour autant indiquer quelle est la part de l’activité accomplie en qualité d’agent commercial de la société italienne soit la promotion pour son compte de

la conclusion de contrats de vente de machines-outils et d’installations de production et celle en tant que distributeur de pièces détachées.

De même, les déclarations de l’administrateur judiciaire de la société Poulard ainsi résumées dans le jugement du 23 février 2010 du tribunal de commerce de Vienne prononçant la liquidation judiciaire de cette société : 'très rapidement, en raison de la perte du contrat de distribution avec le groupe Velati (dont la notification de la résiliation est intervenue en date du 9 décembre 2009), représentant 85 % du chiffre d’affaires, le gérant avait indiqué à l’administrateur que la seule alternative à la liquidation judiciaire serait de trouver un candidat', si elles évoquent un 'contrat de distribution', ne peuvent être considérées comme démontrant que l’activité de distribution de pièces détachées était prépondérante à celle d’agent commercial, étant relevé que la lettre de rupture du mois de décembre 2009 évoquée par l’administrateur notifie la révocation du contrat d’agence.

Il ressort d’ailleurs de l’attestation de la société Romano Cecca, 'comptable agréé’ de la société Velati que l’activité d’agent commercial de la société Poulard était prépondérante du début d’exécution du contrat jusqu’en 2007 à l’exception de l’exercice 2006 et que la facturation de ventes de pièces détachées uniquement ne concerne que les exercices 2006 et 2009. Il convient à cet égard de relever qu’il ne ressort d’aucun élément versé aux débats que la baisse voire l’absence d’exécution par la société Poulard de ses prestations d’agent commercial depuis l’exercice 2007 et dont elle se prévaut pour considérer que l’activité d’agent commercial était devenue marginale, résulte d’un accord entre les parties.

Il s’infère de ce qui précède que le contrat conclu entre les sociétés Velati et Poulard est un contrat d’agent commercial dont la tâche du mandataire est de promouvoir pour le compte de la société Velati la conclusion de contrats de vente de machines-outils et d’installations de production de sa fabrication et pour prestations accessoires la fourniture de pièces détachées. En conséquence, les dispositions de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce ne sont pas applicables à la cessation des relations entre la société Poulard et son mandant et les demandes de Selarl MJ Alpes, ès qualités de liquidateur de la société Poulard, au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sont rejetées.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a fait application des dispositions de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce et condamné la société Velati au paiement de dommages et intérêts en raison de la rupture brutale de relations commerciales établies au préjudice de la société Poulard.

La société Velati demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu’elle a versées en vertu du jugement assorti de l’exécution provisoire.

Cependant, le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Velati.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire

La Selarl MJ Alpes, ès qualités de liquidateur de la société Poulard, sollicite également l’allocation de dommages et intérêts de 50.000 euros en raison des circonstances de la rupture, indiquant que la société Poulard a appris par ses clients la décision de la société Velati de mettre fin à leur relation commerciale.

Néanmoins il résulte des pièces versées au débat que la société Velati a informé dès le 10 novembre 2009 qu’elle procéderait à la livraison des pièces détachées ainsi qu’à la facturation, soit antérieurement au courrier circulaire daté du 23 novembre 2009 qu’elle a envoyé aux clients pour les informer que toute demande de pièces détachées, nouvelles machines et assistance technique doivent

être faites directement auprès d’elle, ce courrier circulaire ayant été adressé pour information par la société Velati à la société Poulard par courriel du 26 novembre 2009.

Aucune faute de la société Velati n’étant démontrée, la Selarl MJ Alpes, ès qualités de liquidateur de la société Poulard, est déboutée de sa demande à ce titre.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

M. Y, ès qualités, qui succombe sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. La société Velati et la Selarl MJ Alpes, ès qualités de liquidateur de la société Poulard, seront déboutés de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, dans la limite de sa saisine sur renvoi après cassation,

Infirme le jugement entrepris sauf en sa disposition ayant rejeté la demande de dommages et intérêts complémentaires de la société Etablissements Poulard,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déboute la Selarl MJ Alpes venant aux droits de M. Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard, de ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Selarl MJ Alpes venant aux droits de M. Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard de sa demande,

Déboute la société Velati de sa demande ;

Rejette toute demande autre ou plus ample,

Condamne la Selarl MJ Alpes venant aux droits de M. Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulard, aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 21 février 2020, n° 17/23205