Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 2 février 2022, n° 21/09001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 2 F''VRIER 2022

(n° , 19 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09001 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDU2C (absorbant le N° RG 21/09369)


Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Avril 2021 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2019058288

APPELANTE

Société Y Z, de droit belge, prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social

[…]

[…]


Représentée par Me Olivier LAUDE de Laude Esquier Champey, avocat au barreau de PARIS, toque : R144,


Assisté de Me hakim BOULARBAH, avocat au barreau de BRUXELLES

INTIMES

Monsieur LE MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES, […], élisant domicile

DGCCRF

[…]

[…]


Agissant en vertu des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce en vigueur au moments des faits.


Représenté par Mme Virginie BEAUMENIER, Directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,


Assistée de M. A B, inspecteur de la consommation et de la répression des fraude, Mme C D, agent chargé du contentieux civil et Mme G H, agent chargé du contentieux civil.

Société SCABEL,société anonyme de droit belge prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social

[…]

[…]

inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le n°BE0655.767.906


Représentée par Me Martine LEBOUCQ BERNARD de la SCP HUVELIN & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R285,


Assistée de Me I DUPONT et de Me Dimitri DE SART de INTAKT LAW, avocats du barreau de BRUXELLES

SA coopérative GROUPEMENT D’ACHAT DES CENTRES EDOUARD LECLERC (X)

prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CRETEIL, sous le numéro B 642 007 991

ASSOCIATION DES CENTRES DISTRIBUTEURS E.LECLERC ( ACDLEC) prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social

[…]

[…]


Représentées par Me Charles-Hubert OLIVIER de SEPTIME AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029,


Assisté de Me Gilbert PARLEANI de APG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0036

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 03 Novembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme I-J K, Présidente, Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme I-J K, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Sihème MASKAR

ARRET :


- Contradictoire,
- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,


- signé par Mme I-J K, Présidente, et par Mme Meggy RIBEIRO, Greffière placée, présente lors du prononcé par mise à disposition.

***

FAITS ET PROC''DURE

1. La société Y Z (ci-après « la société Y ») est une société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles, centrale de négociation des prix et d’achats fondée par le groupe Leclerc, coopérative de commerçants d’origine française, et le groupe Rewe, coopérative de commerçants d’origine allemande.

1. La société Scabel est une société de droit belge ayant son siège à Bruxelles qui exerce un rôle d’intermédiaire entre la société Y et les centrales d’achat régionales françaises et portugaises de la société Leclerc. Elle assure également un rôle de prestataires de services administratifs et techniques pour la société Y.

1. Le ministre de l’économie, des finances (ci-après « le Ministre ») exerce une mission de contrôle et de protection générale de l’ordre public économique, notamment en sanctionnant le comportement des entreprises qui serait caractéristique d’un déséquilibre significatif.

1. La société Groupement d’achat des centres E Leclerc (ci-après « la société X ») est la centrale d’achat nationale du groupe Leclerc qui négocie les contrats-cadre annuels avec les fournisseurs français, lesquels sont mis en oeuvre par les centrales d’achat régionales.


L'association des centres distributeurs E Leclerc (ci-après « l’ACDLEC ») est en charge 1. de la stratégie de long terme du Mouvement E.Leclerc et a été à l’initiative de l’alliance entre les enseignes E. Leclerc et Rewe en Europe.


Entre 2016 et 2018, le Ministre a mené une enquête qui l’a conduit à émettre des soupçons de 1. mise en oeuvre de pratiques possiblement restrictives de concurrence menées en Belgique par la société Y à l’égard de fournisseurs établis en France.

1. Les pratiques reprochées sont doubles : l’obligation pour les fournisseurs d’accepter des baisses de prix sans contrepartie, contraires à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce et, l’obligation de choisir le droit belge comme loi applicable aux négociations conduites en commun en Belgique par les sociétés E. Leclerc et Rewe, motivée par la volonté de contourner les dispositions du droit français.


Le Ministre estime que ces pratiques ont été confirmées par des opérations de visite et saisies 1.

(ci-après OVS) pratiquées les 27 et 28 février 2018 dans les locaux de la société X et de l’ACDLEC.


Les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC contestent les pratiques ainsi reprochées.1.

10.Par actes d’huissier en date du 19 juillet 2019 et du 27 septembre 2019, le Ministre a assigné devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC au visa de l’ancien article L.441-6 du code de commerce à l’effet de voir notamment :

* dire et juger que les pratiques de ces 4 sociétés consistant à :
- imposer à quinze de ses fournisseurs en 2016 et 2017, l’application de la loi belge au contrat conclu dans l’objectif de leur refuser le bénéfice des dispositions d’ordre public prévues par le titre IV du livre IV du code de de commerce français , notamment celles permettant la libre négiociation du contrat sur la base des CGV du fournisseur, d’une part, et


- imposer, par la mise en oeuvre de mesures de rétorsion organisées et de grande ampleur, à quinze de ces fournisseurs, en 2016 et 2017, de fortes déflations du prix 3xnet de l’année précédente et sans aucune contrepartie, d’autre part

sont constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

* condamner in solidum ces 4 sociétés à une amende civile de 117,30 millions d’euros ;

* enjoidre à ces 4 sociétés de cesser les pratiques susvisées ;

* condamner in solidum ces 4 sociétés à des mesures de publication du jugement.

11.Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris, a statué sur l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC en ces termes :


- Déboute la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z de sa demande en interprétation préjudicielle sur l’applicabilité de la matière civile et commerciale au présent litige ;


- Déboute la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z et la société anonyme de droit belge SCABEL de leur demande en interprétation préjudicielle sur l’applicabilité de l’article 7.2 au présent litige ;


- Déboute la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z de sa demande en interprétation préjudicielle sur le lieu du dommage ;


- Déboute la société anonyme de droit belge SCABEL, la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENT D’ACHATS DES CENTRES E. LECLERC (X) et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) de leur demande en interprétation préjudicielle sur la légitimité du Ministre à se prévaloir de l’article 7.2 en tant que victime indirecte ;


- Déboute la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENT D’ACHATS DES CENTRES E.LECLERC (X) et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) de leur demande en interprétation préjudicielle sur l’article 8.1 du Règlement Bruxelles Ibis ;


- Dit recevable mais mal fondée l’exception d’incompétence soulevée par la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z, la société anonyme de droit belge SCABEL, la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENT D’ACHATS DES CENTRES E.LECLERC (X) et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) ;


- Se déclare compétent pour statuer sur le respect de l’article L442-6 (devenu L442-1 I) sur le territoire français dans le cadre du présent litige ;


- Renvoie les parties à l’audience collégiale de la 3ème chambre du 26 mai 2021 à 14 heures pour conclusions au fond de la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z, la société anonyme de droit belge SCABEL, la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENTS D’ACHATS DES CENTRES E. LECLERC (X) et l’Association des Centres Distributeurs E. LECLERC (ACDLEC) ;
- Déboute le Ministre de l’Economie et des Finances de sa demande de jonction de l’incident au fond ;


- Déboute la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENTS D’ACHATS DES CENTRES E.LECLERC (X) et l’Association des Centres Distributeurs E. LECLERC (ACDLEC) de leurs demandes de dommages et intérêts ;


- Dit que le greffe procèdera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé réception adressée exclusivement aux parties ;


- Dit qu’en application de l’article 84 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte contre la présente dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;


- Condamne la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z, la société anonyme de droit belge SCABEL, la SA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENTS D’ACHATS DES CENTRES E. LECLERC (X), et l’Association des Centres Distributeurs E. LECLERC (ACDLEC) in solidum aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 226,58 € dont 37,55 €de TVA ;


- Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a engagés ;


- Réserve les autres demandes.

12.Par déclarations des 18 et 21 mai 2021, les sociétés Scabel et Y ont respectivement interjeté appel de ce jugement.

13.Les deux sociétés ont été autorisées à assigner à jour fixe, le Ministre, la société X et l’ACDLEC.

14.Vu les dernières conclusions de la société Y déposées et notifiées le 25 octobre 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de Paris de :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu les articles 4.1, 7.1, 7.2 et 8.1 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 avril 2021,

Vu les articles 83 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,


- Ordonner la jonction des deux instances enrôlées devant la cour d’appel de Paris sous les RG n°21/09001 et 21/09369,


Et, après jonction :


- Déclarer la société de droit belge Y recevable et bien fondée en son appel,


En conséquence,


- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 15 avril 2021 en toutes ses dispositions,


Et, statuant à nouveau,


A titre principal et in limine litis,


- Déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent pour connaître de l’action du Ministre en ce qu’elle est dirigée contre la société Y, société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles,


A défaut,


- Poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :

« La matière « civile et commerciale » définie à l’article 1er, paragraphe 1 du Règlement

n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la

compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-elle être interprétée comme intégrant dans son champ d’application la procédure judiciaire – et la décision judiciaire rendue à son issue – (i) intentée par le Ministre français de l’économie et des finances sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° (ancien) du Code de commerce français à l’encontre d’une société belge, (ii) qualifiée d’action « autonome » par le Ministre français de l’économie et des finances, (iii) visant à faire constater et cesser des pratiques constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et à voir condamner l’auteur allégué de ces pratiques à une amende civile, (iv) sur la base d’éléments de preuve obtenus au moyen d’opérations de visites et de saisies mises en oeuvre en application de l’article L. 450-4 du Code de commerce français ' »


En cas de réponse positive à cette question préjudicielle, faire application du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, et,


- Dire et Juger qu’en application de l’article 4.1 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris n’est pas compétent pour connaître de l’action du Ministre en ce qu’elle est dirigée contre la société Y, société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles,


A titre subsidiaire,


- Dire et juger qu’en application de la règle spéciale de compétence prévue à l’article 7.2 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, le tribunal de commerce de Paris n’est pas compétent pour connaître de l’action du Ministre dirigée contre la société Y, société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles,


A défaut,


- Poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes, en application de l’article 267 TFUE :

1. « La « matière délictuelle ou quasi délictuelle » définie à l’article 7.2 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-elle être interprétée comme intégrant dans son champ d’application l’action du Ministre français de l’économie et des finances fondée sur l’article L. 442-6, I, 2° (ancien) du Code de commerce visant à faire cesser des pratiques commerciales dont il n’est pas directement victime et à demander le prononcé d’une amende civile à titre de sanction non corrélée à la réparation d’un quelconque préjudice ' » ;

2. « Dans l’affirmative, la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » au sens de l’article 7, paragraphe 2 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle vise, dans le cas d’une action intentée par une autorité publique agissant au nom de l’ordre public économique, le lieu où serait subi un trouble économique généré par un préjudice subi par d’autres personnes, victimes directes du fait dommageable, et le lieu où un dommage serait subi par la filière d’approvisionnement de ces autres personnes, victimes directes du fait dommageable' ».


A titre très subsidiaire, dans l’hypothèse où par extraordinaire la cour déclarerait le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l’action du Ministre à l’encontre de la société Y :


- Dire et juger que le tribunal de commerce de Paris n’est compétent pour juger de l’opportunité de prononcer une amende civile sur la base de l’article L. 442-6 (ancien) du Code de commerce qu’à concurrence du montant des avantages indument perçus ou obtenus qui ont effectivement impacté négativement le marché français, et confirmer le jugement sur ce point ;


A titre surabondant :


- Dire et juger que l’article 8.1 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 n’est pas applicable en l’espèce et ne saurait donc permettre de fonder la compétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître de l’action du Ministre dirigée contre la société Y, société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles,


En tout état de cause :


- Condamner le Ministre à verser à la société de droit belge Y la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


- Condamner le Ministre à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

15.Vu les dernières conclusions de la société Scabel déposées et notifiées le 25 octobre 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de Paris de :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu les articles 4.1, 7.1, 7.2 et 8.1 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 avril 2021,

Vu les articles 83 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,


- Déclarer la société de droit belge Scabel recevable et bien fondée en son appel,


En conséquence,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 15 avril 2021 en toutes ses dispositions,


Et, statuant à nouveau,


A titre principal et in limine litis,


- Déclarer que l’action ne relève pas de la matière civile et commerciale et en conséquence se déclarer incompétent en ce que ladite action est dirigée contre la société Scabel, une société de droit belge ayant son siège social à Bruxelles,


A titre subsidiaire,


- Dans l’hypothèse où il serait statué que le règlement Bruxelles Ibis doit s’appliquer, dire et juger qu’en application de l’article 4.1 du règlement Bruxelles Ibis, le tribunal de commerce de Paris n’est pas compétent pour connaitre de l’action intentée par le Ministre à l’encontre de la société Scabel.


A titre plus subsidiaire,


- Dire et juger que le tribunal de commerce de Paris n’est pas compétent en application de la règle prévue à l’article 7.2 du règlement Bruxelles Ibis pour connaitre de l’action du Ministre dirigé contre la société Scabel, société de droit belge.


A défaut,


Faisant application de l’article 267 du TFUE, poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« Une action fondée sur l’article L. 442-6, I, 2° (ancien) du Code de commerce français, par laquelle le Ministre français chargé de l’économie demande la cessation d’une pratique commerciale dont il n’est pas directement victime et demande le prononcé d’une amende civile au titre de sanction, et non liée à la réparation d’un quelconque préjudice, relève-t-elle de la matière délictuelle au sens de l’article 7.2 du Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisons en matière civile et commerciale ' »


En tout état de cause,


- Condamner le Ministre à verser à la société Scabel la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;


- Condamner le Ministre à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

16.Vu les dernières conclusions de la société X déposées et notifiées le 5 juillet 2021, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu le règlement Bruxelles I bis 1215/2012 du 12 décembre 2012, et notamment les articles 7 §2 et 8§1,


- Recevoir la société X en son appel incident, et l’y dire bien fondée,


- Faire droit aux exceptions d’incompétence territoriales soulevées par les sociétés de droit belge Scabel et Y,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre ne peut invoquer que la qualité de « victime indirecte », ce qui lui interdit, en vente de l’article 7§2 du Règlement 1215/2012, d’attraire en cause les sociétés de droit belge Y et Scabel,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre ne peut invoquer un risque de solutions inconciliables au sens de l’article 8§1 du règlement 1215/2012 pour le cas où la cour ferait droit aux exceptions d’incompétence,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre tente un détournement du for contraire à l’article 8§1du règlement 1215/2012, et faire encore droit aux exceptions d’incompétence soulevées.


- Infirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 15 avril 2021, en ce qu’il a rejeté les exceptions d’incompétence et les moyens soulevés par la société X ;


- Renvoyer le litige en ce qu’il concerne les sociétés de droit belge Y et Scabel aux tribunaux francophones de Bruxelles compétents en matière commerciale.


Et si mieux plaît à la cour,


- Faire usage de l’article 267 du TFUE,


- Renvoyer à la Cour de Justice de l’Union européenne sur l’interprétation du règlement 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012, et poser les deux questions suivantes :

« L’article 7 §2 du règlement Bruxelles I bis 1215/2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il ne peut exclure la règle de compétence de principe contenue à son article 4 §1, lorsque devant la juridiction de son propre État membre, une autorité nationale agit contre des entreprises situées dans un autre État membre, alors que cette action est qualifiée de délictuelle par l’autorité poursuivante, qu’elle est exercée dans un but d’intérêt général, en critiquant à titre principal de prétendus « déséquilibres significatifs » affectant directement et au premier chef les relations commerciales entre des sociétés de droit belge et certaines établies en France,ces dernières étant désignées comme les victimes immédiates et directes des pratiques critiquées '".

« L’article 8 §1 du règlement Bruxelles I bis 1215/2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprétéen ce sens qu’il s’oppose à ce que soient attraits devant la même juridiction d’un État membre des opérateurs domiciliés dans des États membres différents, dès lors que les demandes formées contre certains d’entre eux reposent sur des faits constitutifs de ruptures contractuelles préalables à une négociation, tandis que celles formées contre d’autres reposent sur le résultat des négociations qui n’ont pas été conduites par l’auteur des ruptures, alors que les ruptures contractuelles sont préalables à l’engagement des négociations, et qu’elles ne préjugent pas du résultat final de celles-ci".


- Condamner l’Etat français à 50.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’en tous les dépens, frais, et préjudices de tous ordres, pour mémoire.

17.Vu les dernières conclusions de l’ACDLEC déposées et notifiées le 5 juillet 2021, par lesquelles il est demandé à la Cour de :


- Recevoir l’ACDLEC en son appel, et l’y dire bien fondée,


- Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les exceptions d’incompétence soulevées par les sociétés Scabel, Y, X, et par la concluante ;


- Faire droit aux exceptions d’incompétence territoriale formulées par les sociétés de droit belge Y et Scabel, et renvoyer l’analyse des reproches qui leur sont adressés à la juridiction bruxelloise compétente,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre ne peut invoquer que la qualité de « victime indirecte », ce qui lui interdit, en vente de l’article 7§2 du Règlement 1215/2012, d’attraire en cause les sociétés de droit belge Y et Scabel,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre ne peut invoquer un risque de solutions inconciliables au sens de l’article 8§1 du règlement 1215/2012 pour le cas où la Cour ferait droit aux exceptions d’incompétence,


- Dire et juger qu’en l’occurrence le Ministre tente un détournement du for contraire à l’article 8§1du règlement 1215/2012, et faire encore droit aux exceptions d’incompétences soulevées.


- Renvoyer le litige, en ce qui concerne les sociétés de droit belge Y et Scabel, aux juridictions francophones de Bruxelles compétentes en matière commerciale.


Et si mieux plaît à la cour,


- Renvoyer à la Cour de Justice de l’Union européenne sur l’interprétation du règlement 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012, et poser les deux questions suivantes :

« L’article 7 §2 du règlement Bruxelles I bis 1215/2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il ne peut exclure la règle de compétence de principe contenue à son article 4 §1, lorsque devant la juridiction de son propre État membre, une autorité nationale agit contre des entreprises situées dans un autre État membre, alors que cette action est qualifiée de délictuellepar l’autorité poursuivante, qu’elle est exercée dans un but d’intérêt général, en critiquant à titre principal de prétendus « déséquilibres significatifs » affectant directement et au premier chef les relations commerciales entre des sociétés de droit belge et certaines établies en France, ces dernières étant désignées comme les victimes immédiates et directes des pratiques critiquées'"

« L’article 8 §1 du règlement Bruxelles I bis 1215/2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que soient attraits devant la même juridiction d’un État membre des opérateurs domiciliés dans des États membres différents, dès lors que les demandes formées contre certains d’entre eux reposent sur des faits constitutifs de ruptures contractuelles préalables à une négociation, tandis que celles formées contre d’autres reposent sur le résultat des négociations qui n’ont pas été conduites par l’auteur des ruptures, alors que les ruptures contractuelles sont préalables à l’engagement des négociations, et qu’elles ne préjugent pas du résultat final de celles-ci '".


- Et débouter le Ministre de son action, et de toutes ses toutes demandes, fins et conclusions,


- Condamner le Ministre à une amende civile de 10.000 € pour procédure abusive, en application de l’article 32-1 du code de procédure civile, et en 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens, frais, et préjudices de tous ordres.

18.Vu les dernières conclusions du Ministre déposées le 2 novembre 2021 et signifiées le 29 octobre 2021, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu le règlement Bruxelles I bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 et notamment ses articles 7§2 et 8§1,


- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 avril 2021 en ce qu’il a:


- Débouté la société Y de sa demande en interprétation préjudicielle sur l’applicabilité de la matière civile et commerciale au présent litige ;


- Débouté la société Y et la société Scabel de leur demande en interprétation préjudicielle sur l’applicabilité de l’article 7.2 au présent litige ;


- Débouté la société Y de sa demande en interprétation préjudicielle sur le lieu du dommage ;


- Débouté les sociétés Scabel, X et l’ACDLEC de leur demande en interprétation préjudicielle sur la légitimité du Ministre à se prévaloir de l’article 7.2 en tant que victime indirecte ;


- Débouté la société X et l’ACDLEC de leur demande en interprétation préjudicielle sur l’article 8.1 du règlement Bruxelles 1 bis ;


- Dit recevable mais mal fondée l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC ;


- S’est déclaré compétent pour statuer sur le respect de l’article L. 442-6 I (devenu L. 442-1 I) sur le territoire français dans le cadre du présent litige ;


En tout état de cause,


- Débouter les sociétés Y, Scabel, X, l’ACDLEC de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, y compris celles relatives au paiement de dommages et intérêts et celles formulées au titre de l’article 32-1 et 700 du code de procédure civile ;


- Condamner solidairement les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC à 40 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;


- Condamner solidairement les sociétés Y, Scabel, X et l’ACDLEC aux dépens.

SUR CE, LA COUR,

Sur la jonction

19.Il convient de prononcer la jonction des instances enrôlées sous les RG n° 21/09001 et 21/09369, vu leurs liens de connexité et pour une bonne administration de la justice.

Sur la demande de question préjudicielle

Le cadre juridique

1- Le droit de l’Union

20.Le règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit 'Bruxelles I bis’ dispose en son article 1 paragraphe 1 :

'Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’Etat pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acte juri imperii)'

2- Le droit interne *Le code de commerce :


Livre IV : De la liberté des prix et de la concurrence


Titre IV : De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées


Chapitre II : Des pratiques restrictive de concurrence

21.Article L. 442-6 dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, applicable au litige, dispose :


I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation ou de promotion commerciale, d’une acquisition ou d’un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins, du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat ou de la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d’affaires, en une demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d’exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3° D’obtenir ou de tenter d’obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l’assortir d’un engagement écrit sur un volume d’achat proportionné et, le cas échéant, d’un service demandé par le fournisseur et ayant fait l’objet d’un accord écrit;

4° D’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente;

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

(…)


III. – L’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.


Lors de cette action, le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l’indu. Ils peuvent également demander le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions d’euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en 'uvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation.


La juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci selon les modalités qu’elle précise. Elle peut également ordonner l’insertion de la décision ou de l’extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l’exercice par les gérants, le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.


La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte.


Les litiges relatifs à l’application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret (…).

22.Article R.442-1 précise que : Lorsque le ministre chargé de l’économie ou le président de l’Autorité de la concurrence exerce l’action prévue par l’article L. 442-6 et les voies de recours y afférentes, il est dispensé de représentation par un avocat.


Titre V -Des pouvoirs d’enquête

23.Article L450-1, II : Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l’application des dispositions du présent livre.

24.Article L450-4 alinéa 1 : Les agents mentionnés à l’article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu’à la saisie de documents et de tout support d’information que dans le cadre d’enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l’économie ou le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d’information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu’une action simultanée doit être menée dans chacun d’eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l’un des juges des libertés et de la détention compétents.


Le juge doit vérifier que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d’infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d’autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l’espèce, l’existence des pratiques dont la preuve est recherchée.


La visite et la saisie s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d’assister à ces opérations et d’apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de le tenir informé de leur déroulement. Lorsqu’elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s’effectue la visite.


Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite.


L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal. L’ordonnance comporte la mention de la faculté pour l’occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix. L’exercice de cette faculté n’entraîne pas la suspension des opérations de visite et saisie. En l’absence de l’occupant des lieux, l’ordonnance est notifiée après les opérations par lettre recommandée avec avis de réception. Il en va de même lorsqu’il n’est pas procédé à la visite dans un des lieux visés par l’ordonnance. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis.


L’ordonnance mentionnée au premier alinéa peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale. Le ministère public et la personne à l’encontre de laquelle a été ordonnée cette mesure peuvent interjeter appel. Cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal de grande instance dans un délai de dix jours à compter de la notification de l’ordonnance. L’appel n’est pas suspensif. L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Les pièces saisies sont conservées jusqu’à ce qu’une décision soit devenue définitive.


La visite, qui ne peut commencer avant six heures ou après vingt et une heures, est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant. L’occupant des lieux peut désigner un ou plusieurs représentants pour assister à la visite et signer le procès-verbal. En cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité, de celle de l’administration de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou de celle de l’Autorité de la concurrence.


Les agents mentionnés à l’article L. 450-1, l’occupant des lieux ou son représentant ainsi que l’officier de police judiciaire et, le cas échéant, les agents et autres personnes mandatés par la Commission européenne peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. Les agents mentionnés à l’article L. 450-1 peuvent procéder au cours de la visite à des auditions de l’occupant des lieux ou de son représentant en vue de recueillir les informations ou explications utiles aux besoins de l’enquête. Conformément à l’article 28 du code de procédure pénale, l’article 61-1 du même code est applicable lorsqu’il est procédé à l’audition d’une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.


Les inventaires et mises sous scellés sont réalisés conformément à l’article 56 du code de procédure pénale.


Les originaux du procès-verbal et de l’inventaire sont transmis au juge qui a ordonné la visite. Une copie du procès-verbal et de l’inventaire est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant. Une copie est également adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux personnes mises en cause ultérieurement par les pièces saisies au cours de l’opération.


Les pièces et documents saisis sont restitués à l’occupant des lieux, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision de l’Autorité de la concurrence est devenue définitive. L’occupant des lieux est mis en demeure, par lettre recommandée avec avis de réception, de venir les rechercher, dans un délai de deux mois. A l’expiration de ce délai et à défaut de diligences de sa part, les pièces et documents lui sont restitués, à ses frais.


Le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l’objet d’un recours devant le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé ces dernières, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale. Le ministère public, la personne à l’encontre de laquelle a été prise l’ordonnance mentionnée au premier alinéa et les personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations peuvent former ce recours. Ce dernier est formalisé par déclaration au greffe du tribunal de grande instance dans un délai de dix jours à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire, ou, pour les personnes n’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs prévue à l’article L. 463-2. Le recours n’est pas suspensif. L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Les pièces saisies sont conservées jusqu’à ce qu’une décision soit devenue définitive.

25.Article L450-8 : Est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros le fait pour quiconque de s’opposer, de quelque façon que ce soit, à l’exercice des fonctions dont les agents mentionnés à l’article L. 450-1 sont chargés en application du présent livre.

* Le code de procédure civile :


Livre 1er : Dispositions communes à toutes les juridictions


Titre VII : L’administration de la preuve


Sous-titre II: Les mesures d’instruction


Chapitre 1er : dispositions générales

26.Article 145 : S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

*Jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’action du Ministre visée à l’article L.442-6,III (ancien) :

27.- 1re Civ., 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-21.811, Bull. 2016, I, n° 153 (sommaire de la décision) : L’action attribuée au ministre chargé de l’économie, au titre d’une mission de gardien de l’ordre public économique, pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence, est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet ; le ministre n’agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la cour d’appel a caractérisé l’inapplicabilité manifeste au litige de la convention d’arbitrage du contrat de distribution.

28.- Com., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-28.005, Bull. 2011, IV, n° 160 (sommaire de la décision) : Ayant relevé que si les pratiques restrictives de concurrence sont généralement constatées à l’occasion de relations commerciales fondées sur un contrat, c’est, au travers de l’exécution du contrat, le comportement d’un opérateur économique ayant une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence qui est sanctionné par l’action ouverte par l’article L. 442-6 du code de commerce, et dès lors que l’action autonome du ministre aux fins de cessation de ces pratiques et aux fins d’annulation des contrats qui en sont le support, revêt la nature d’une action en responsabilité quasi délictuelle, une cour d’appel en déduit exactement qu’il peut former sa demande, à son choix, devant la juridiction du domicile du défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle du lieu dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

La nature civile et commerciale au sens du Règlement Bruxelles 1bis de l’action du Ministre

29.Selon la société de droit belge Y, la nature et l’objet de l’action du Ministre ainsi que les moyens de preuve utilisés par ce dernier à l’appui de cette action, sont susceptibles de faire sortir la présente procédure du champ d’application du règlement Bruxelles I bis de sorte qu’il convient de vérifier si les demandes du Ministre entrent, en tout ou en partie, dans le champ d’application matériel de ce règlement.

30.A cet égard, Y rappelle que même qualifiée de loi de police , une règle de droit interne applicable au fond du litige ne peut fonder la compétence internationale des tribunaux français.

31.La société Y comme la société de droit belge Scabel, faisant valoir que la notion de « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er du règlement Bruxelles I bis ne peut être interprétée par renvoi au droit interne d’un Etat membre, soutiennent que l’action du Ministre relève par sa nature et son objet de l’exercice de prérogatives de puissance publique qui se manifeste par l’exercice de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers, de sorte que le litige ne relève pas de la matière civile et commerciale.

32.Selon elles, infliger une amende civile ne peut être confondue avec la prérogative, reconnue aux particuliers, de réclamer des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont directement subi et le Ministre fait usage d’éléments de preuve obtenus au moyen de prérogatives de puissance publique, en l’espèce des visites et opérations de saisie (OVS) dans les locaux de l’ACDLEC et du X en vertu de l’article L.450-4 du code de commerce, alors que les facultés procédurales qu’offre l’article 145 du code de procédure civile aux personnes privées ne doivent pas être assimilées aux pouvoirs d’enquête dont dispose la puissance publique. A cet égard, elles font valoir que, toute personne physique ou morale, même de droit public, peut agir sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ce qui n’est pas le cas de l’article L.450-4 du code de commerce. De plus, ne constitue pas un délit le fait de s’opposer à une mesure d’instruction in futurum ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, alors que toute opposition aux visites et saisies de la DGCCRF constitue un délit d’opposition à enquête (article L 540-8 du code de commerce).

33.En outre, la société Y rappelle que la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juillet 2016, n° 15-21.811, reconnait que l’action de Ministre, de par sa nature et son objet, fait partie des prérogatives de puissance publique réservées au Ministre.

34.Selon le Ministre, ses demandes entrent dans le champ d’application matériel du règlement Bruxelles 1bis, applicable en 'matière civile et commerciale’ et il n’existe aucune difficulté d’interprétation ou un doute raisonnable de nature à justifier une question préjudicielle, au regard des réponses apportées par l’arrêt de la CJUE du 16 juillet 2020 (Etat belge c/ Movic C-73/19), affirmant qu’il n’est pas démontré l’intérêt que présenterait ce renvoi alors que le caractère supposé inapplicable dudit règlement ne rendrait pas pour autant compétent le juge étranger.

35.Le Ministre fait valoir que, comme l’indique la CJUE dans l’arrêt Movic précité, « la défense de l’intérêt général ne saurait être confondue avec l’exercice de prérogatives de puissance publique », que les dispositions de l’article L.442-6, 1, 2° du code de commerce ont un caractère impératif ayant trait à la protection de l’ordre public économique français, qu’il intervient pour la défense de l’intérêt général en vue d’obtenir le prononcé d’une amende civile. Selon lui, l’objet de son action étant de défendre l’ordre public économique français, il est naturel que la connaissance de cette action soit réservée au juge français, comme l’a indiqué la Cour de cassation dans son arrêt du 6 juillet 2016.
36.S’agissant de l’utilisation de ses pouvoirs d’enquête, il estime nécessaire de distinguer la phase d’enquête de celle de la procédure juridictionnelle, soutenant que le critère d’applicabilité du règlement Bruxelles 1 bis est l’usage effectué de ces éléments de preuve et non leurs modalités de recueil. Il se prévaut à cet égard des conclusions du 23 avril 2020 au point 59 de l’avocat général M. E F, ajoutant que dans l’affaire Movic, l’exercice par des autorités de contrôle étatiques de pouvoirs d’enquête par lesquels elles établissent des constats fondant leur action en justice, n’a pas empêché l’application du règlement Bruxelles I bis. Il fait observer que le juge qui statue sur ces éléments de preuve ne s’est jamais déclaré incompétent, même lorsque des sociétés étrangères étaient visées telles que dans les affaires Apple, Expedia ou encore Booking et qu’il ne serait pas cohérent de faire varier l’application du règlement en fonction de la nature de la preuve.

37.Ainsi, le Ministre soutient que le critère d’applicabilité du règlement Bruxelles 1 bis est l’usage effectué de ces éléments de preuve et non leur modalités de recueil, comme l’a jugé la CJUE dansl’affaire Movic.

38.En outre, Il ajoute que son action s’inscrit dans un rapport d’égalité avec les défendeurs, étant soumis aux règles du code de procédure civile qui sont applicables à toutes les parties à l’instance, avec toutes les garanties y afférentes et que la qualification de l’infraction et la sanction retenue le cas échéant sont soumises à l’appréciation souveraine des juridictions saisies.

Sur ce,

39.Par acte du 19 juillet 2019, le Ministre a attrait devant le tribunal de commerce de Paris deux sociétés de droit belge, Y et Scabel ainsi que la société coopérative française X et l’ACDLEC, à l’effet de voir notamment :

* dire et juger que les pratiques de ces 4 sociétés consistant à :


- imposer à quinze de ses fournisseurs en 2016 et 2017, l’application de la loi belge au contrat conclu dans l’objectif de leur refuser le bénéfice des dispositions d’ordre public prévues par le titre IV du livre IV du code de de commerce français , notamment celles permettant la libre négiociation du contrat sur la base des CGV du fournisseur, d’une part, et


- imposer, par la mise en oeuvre de mesures de rétorsion organisées et de grande ampleur, à quinze de ces fournisseurs, en 2016 et 2017, de fortes déflations du prix 3xnet de l’année précédente et sans aucune contrepartie, d’autre part

sont constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

* condamner in solidum ces 4 sociétés à une amende civile de 117,30 millions d’euros ;

* enjoidre à ces 4 sociétés de cesser les pratiques susvisées ;

* condamner in solidum ces 4 sociétés à des mesures de publication du jugement.

40.Le Ministre fonde son action sur l’article L 442-6, I, 2° du code de commerce français dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce intitulé qui, en son article 2, les remplace par les dispositions de l’article L442-1 I du même code .

41.Cet article dispose : ' Engage sa responsabilité et s’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(…)

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties'.

42.Les 4 sociétés poursuivies contestent la compétence de la juridiction française pour connaître de l’action du Ministre à l’égard des deux sociétés de droit belge.

43.Il s’agit de déterminer si le tribunal de l’Etat membre est compétent pour connaitre d’une action introduite par des autorités de cet Etat à l’encontre de sociétés établies dans un autre Etat membre pour faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques prétendues restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis dans l’Etat membre, en l’espèce en France.

44.Le règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit 'Bruxelles I bis’ qui dispose en son article 1 pragraphe 1 : 'Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’Etat pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acte juri imperii)' est-il applicable'

45.Selon la CJUE ( 1re chambre, 16 juill 2020, aff C-73/19, Movic), l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprétée en ce sens que relève de la notion de 'matière civile et commerciale', figurant à cette disposition, une action opposant les autorités d’un Etat membre à des professionnels établis dans un autre Etat membre dans le cadre de laquelle ces autorités demandent, à titre principal, à ce que soit constatée l’existence d’infractions constituant des pratiques commerciales déloyales prétendument illégales et ordonnée la cessation de celles-ci, ainsi que, à titre accessoire, à ce que soient ordonnées des mesures du publicité et à ce que soit imposée une astreinte.

46.Dans l’arrêt Movic, la Cour indique :


- Au point 33 de sa décision, que la notion de 'matière civile et commerciale’ doit être considérée comme une notion autonome qu’il faut interpréter en se référant, d’une part aux objectifs et au système dudit règlement ainsi que, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des ordres juridiques nationaux,


- Au point 34, que la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ainsi que celle d’éviter, pour le fonctionnement harmonieux de la justice, que des décisions irréconciliables ne soient rendues dans les Etats membres, requirent une interprétation large de la notion de 'matière civile et commerciale',


- Au point 35, avoir itérativement jugé que, si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement 1215/2012, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique,


- Au point 36, que la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exhorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers, exclut un tel litige de la 'matière civile et commerciale’ au sens de l’article 1er, paragraphe 1 du règlement n°1215/2012,


- Au point 37, que pour déterminer si une matière relève ou non de la notion de’matière civile et commerciale’ au sens de l’article 1er, paragraphe 1 du règlement n°1215/2012, et par voie de conséquence du champ d’application de ce règlement, il y a lieu d’identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige et l’objet de celui-ci ou, alternativement , d’examiner le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée,


- Au point 57, que ce n’est que si, en raison de l’usage qu’elle a effectué de certains éléments de preuve, une autorité publique ne se trouve pas concrètement dans la même situation qu’une personne de droit privé dans le cadre d’un litige analogue, qu’il conviendrait de considérer qu’une telle autorité a fait usage, dans le cas d’espèce, de prérogatives de puissance publique,


-Au point 59, qu’il ne ressort pas des informations dont la Cour dispose que, dans le cadre de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi, les autorités belges aient fait un quelconque usage d’éléments de preuve qui auraient été obtenus au moyen de leurs prérogatives de puissance publique, ce qu’il incombe, le cas échant à la juridiction de renvoi de vérifier.

47.La solution donnée par cet arrêt est-elle transposable à l’action en déséquilibre significatif introduite par le Ministre qui vise à voir constater l’existence d’une pratique restrictive de concurrence '

48.Pour y répondre, il convient d’examiner l’action engagée par le Ministre à l’encontre notamment des deux sociétés de droit belge sous le prisme du système français.

49.En vertu de l’article L.442-6 (ancien) du code de commerce, si la victime peut agir en réparation du préjudice causé par les pratiques en cause et solliciter la cessation de la pratique ou la nullité d’une clause, le Ministre ainsi que le ministère public peuvent seuls demander la condamnation de l’auteur des pratiques à une amende civile.

50.Outre que le Ministre qui intervient au nom de l’intérêt général, n’a pas à justifier de son intéret à agir et bénéficie d’une action qualifiée d’autonome selon l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2016 précité, celui-ci peut utiliser ses pouvoirs d’enquêtes.

51.En l’espèce, le Ministre pour voir établir que les pratiques dénoncées à l’encontre des 4 sociétés qu’il a attrait devant le tribunal de commerce de Paris sont constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, produit des moyens de preuve qu’il a recueillis dans les locaux de l’ACDLEC et du X en vertu des dispositions de l’article L.450-4 du code de commerce, qui lui permettent de faire procéder par des agents des services de l’instruction de l’Autorité de la concurrence habilités à cet effet à des visites en tous lieux ainsi qu’à la saisie de document et tout support d’information.

52.Ces éléments de preuve ainsi recueillis sont néanmoins soumis au principe de la libre contradiction dans le cadre de l’instance civile.

53.En comparaison, pour l’administration de la preuve les personnes privées ne bénéficient pas de ces prérogatives mais des mesures d’instruction in futurum pouvant être ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile à la demande de tout personne physique ou morale, même de droit public, telles qu’une injonction de production de pièces, une mesure d’expertise, des saisies conservatoires par huissier de justice. Ces mesures probatoires peuvent être obtenues sur requête, c’est à dire de manière non contradictoire quand la nécessité en est démontrée.

54.En outre, ne constitue pas un délit le fait de s’opposer à une mesure d’instruction in futurum ordonnée sur le fondementde l’article 145 du code de procédure civile, alors que toute opposition aux visites et saisies des fonctionnaires habilités à cet effet constitue un délit d’opposition à enquête.

55.Dès lors, la Cour s’interroge sur le point de savoir si, comme en l’espèce, dès lors que le Ministre utilise ses pouvoirs d’enquête spécifiques pour établir l’existence de pratiques constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et sollicite du juge judiciaire le prononcé d’une amende civile pour les faire sanctionner, il utilise une prérogative de puissance publique dans l’exercice de son action de nature à l’exclure du champ d’application du règlement Bruxelles Ibis comme ne relevant pas de la matière civile et commerciale.

56.Ainsi, compte tenu de la spécificité de l’action du Ministre dans l’ordre interne français, il existe un doute raisonnable pour dire si l’action telle qu’introduite par le Ministre dans la présente espèce, entre dans le champ d’application matériel du règlement Bruxelles 1bis, applicable en 'matière civile et commerciale', de nature à justifier le renvoi préjudiciel à la CJUE prévue par l’article 267 TFUE, conformément au dispositif de la décision ci-après.

PAR CES MOTIFS

PRONONCE la jonction de l’instance enrôlée sous le RG 21/09369 avec celle enrôlée sous le RG n° 21/09001 ;

INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté la société coopérative à responsabilité limitée de droit belge Y Z de sa demande en interprétation préjudicielle sur l’applicabilité de la matière civile et commerciale au présent litige ;

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne la question suivante :

La matière « civile et commerciale » définie à l’article 1er, paragraphe 1 du Règlement

n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la

compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-elle être interprétée comme intégrant dans son champ d’application l’action- et la décision judiciaire rendue à son issue – (i) intentée par le Ministre français de l’économie et des finances sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° (ancien) du Code de commerce français à l’encontre d’une société belge, (ii) visant à faire constater et cesser des pratiques restrictives de concurrence et à voir condamner l’auteur allégué de ces pratiques à une amende civile, (iii) sur la base d’éléments de preuve obtenus au moyen de ses pouvoirs d’enquête spécifiques '

SURSEOIT À STATUER sur les autres demandes présentées jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

RÉSERVE les dépens ;

DIT qu’une expédition du présent arrêt ainsi que le dossier de l’affaire seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffe de la Cour de justice de l’Union européenne.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 2 février 2022, n° 21/09001