Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 18 décembre 2018, n° 17/05069

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Chronologie de l’affaire

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Légavox · LegaVox · 28 février 2022

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Mathieu Weygand, avocat au barreau de Strasbourg et Noui Lecheheb, juriste titulaire du CAPA [1] Février 2022 Avec le développement d'internet et des nouvelles technologies, le nombre d'infractions et d'agissements constitutifs d'une faute civile commises par un biais numérique augmente chaque année de manière exponentielle. Survient alors la question de la constitution de la preuve dans un environnement comme internet ou tout est à la fois éphémère et éternel. Principe général de la charge de la preuve en droit En droit pénal, il est de principe que la charge de la preuve …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 18 déc. 2018, n° 17/05069
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/05069
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 25 janvier 2017, N° 15/05013
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 18 DÉCEMBRE 2018

(n°171/2018, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/05069 -

N° Portalis 35L7-V-B7B-B22I5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 15/05013

APPELANT

Monsieur G X

Né le […] à DIJON

De nationalité française

Exerçant la profession de reporter photographe

[…]

[…]

Représenté par Me Alain BENSOUSSAN de la SELAS ALAIN BENSOUSSAN SELAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0241

Assistée de Me Marie SOULEZ de la SELAS ALAIN BENSOUSSAN SELAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0241

INTIMÉE

La société REPORTERS ECONOMIQUES ASSOCIES (Q), SARL,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 322 190 950,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

21 rue du Faubourg Saint-Antoine

[…]

Représentée et assistée de Me Sabine LIPOVETSKY de la SELARL HARLAY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0449

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

M. François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme H I

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par David PEYRON, Président de chambre et par H I, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur G X est photographe professionnel de l’Agence France Presse (AFP), laquelle est membre du Comité de Liaison de la Presse (ci-après CLP).

Le CLP est une structure regroupant une dizaine d’agences de presse et d’agences photographiques qui a pour objet d’organiser et d’assurer, en partenariat avec les services de presse de l’Elysée, la couverture d’événements touchant principalement aux activités du Président de la République ou d’événements auxquels sont associés des membres du gouvernement. Il organise des pools permettant à chaque agence de couvrir un événement, à tour de rôle, en fonction notamment du nombre de places disponibles. Les photographes des agences membres du CLP, désignés pour être présents lors d’un événement, réalisent des reportages photographiques qui sont ensuite transmis aux autres membres du CLP, afin que ces derniers puissent les exploiter librement et commercialement. Les photographes couvrant les événements sont payés par l’agence à laquelle ils appartiennent.

La société REPORTERS ECONOMIQUES ASSOCIES (ci-après, la société Q) est une agence de presse photographique, créée en 1981, qui a pour activité principale la production et la vente de photographies dans les domaines économique, politique et social. Elle est membre du CLP et a créé une base de données afin de stocker, organiser et traiter les photographies réalisées par ses photographes ou qu’elle a acquises auprès de tiers, notamment dans le cadre du CLP.

M. X explique que la société Q, qui peut exploiter librement les photographies mises en pool en sa qualité de membre du CLP, ne respecte pas, en dépit de rappels adressés par le CLP en 2004, 2011 et 2013, la règle de 'nommage' des photographies établie par ce comité, qui impose de créditer les photos en mentionnant les noms du photographe, du pool et du diffuseur.

M. X soutient avoir découvert que trois photographies dont il est l’auteur ont été transmises par la société Q aux magazines Le Point et Marianne sous un crédit erroné en attribuant la paternité à M. Z J, son supérieur hiérarchique depuis 2012 au sein de l’AFP, ou associant son nom à celui de ce dernier. Il ajoute avoir constaté en outre, grâce à des vérifications effectuées par M. K Y, qui dispose des codes d’accès à la base de données de la société Q en sa qualité de dirigeant de l’agence communication CAP HORN, que 110 autres de ses photographies ont été diffusées avec des crédits erronés.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2014, M. X a mis en demeure la société Q de cesser tout usage, reproduction, commercialisation de ses photographies en violation de son droit moral, de rectifier les crédits sur ses photographies et de l’indemniser du préjudice subi du fait de l’atteinte à son droit moral.

Par acte d’huissier du 24 mars 2015, M. X a assigné la société Q devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement d’une atteinte à son droit moral.

Le 3 juillet 2015, estimant que les demandes de M. X étaient fondées sur des impressions d’écran de 110 photographies obtenues frauduleusement, la société Q a déposé une plainte pénale contre MM. X et Y pour atteinte à un système de traitement automatisé de données au sens de l’article 323-1 du code pénal et, le 10 novembre 2015, a porté plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris.

Par ordonnance du 28 janvier 2016, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société Q au titre de cette procédure pénale, laquelle n’a pas été poursuivie par la société Q.

Par un jugement rendu le 26 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Paris a notamment :

• déclaré irrecevable l’intégralité des demandes de M. X au titre du droit d’auteur pour défaut de qualité à agir,

• rejeté la demande de la société Q au titre de la procédure abusive,

• condamné M. X aux dépens et au paiement à la société Q de la somme de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 9 mars 2017, M. X a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 26 septembre 2018, M. X, poursuivant l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions, demande à la cour :

• de déclarer ses pièces n°18, 24, 25 et 31 recevables,

• de juger que la fiabilité et la véracité de ses pièces n°18, 24, 25 et 31 sont établies,

• de déclarer ses demandes relatives à la photographie parue dans Le Point n° 1868 du 3 juillet 2008 non prescrites,

• de juger que l’ensemble des photographies qu’il revendique sont originales,

• de juger que la société Q a commis à son encontre des actes de contrefaçon de droit d’auteur en portant atteinte à son droit moral en diffusant, sous des crédits erronés, sur sa base de données en ligne, 113 photographies lui appartenant, dont 3 ont été diffusés par des magazines de grand tirage,

• de condamner la société Q à lui verser en réparation de son préjudice moral, les sommes suivantes :

• 300 euros par photographie publiée dans la base de données de la société Q sous les

• crédits « Pool/X/Z/Q » et « ©X-Z/Q » (300 x 85 photographies), 600 euros par photographie publiée dans la base de données de la société Q sous les crédits « © Pool/Z-Q » (600 x 25 photographies),

• 4 000 euros par photographie publiée dans les magazines Le Point du 3 juillet 2008 et du 28 mars 2013 sous les crédits Pool/Z/Q et Z/ Q (4 000 x 2 photographies),

• 3 000 euros pour la photographie publiée dans le magazine Marianne du 5 février 2011 sous le crédit G X/Z/Q (3 000 x 1 photographie),

• soit la somme totale de 300 x 85 + 600 x 25 + 4 000 x 2 + 3 000 x 1 = 51 000 euros ;

• d’ordonner la publication, aux frais de la société Q, sur la page d’accueil du site internet www.agencerea.com de la décision, en son intégralité ou par extraits ou en résumé au choix de M. X, pendant une durée d’un mois à compter de sa première mise en ligne, et ce dans un délai de 48 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

• de juger qu’il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d’accueil dudit site, de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « verdana », de taille « 12 », droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre communiqué judiciaire en lettres capitales et de taille « 14 »,

• d’ordonner la capitalisation des intérêts,

• de condamner la société Q à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 17 septembre 2018, la société Q demande à la cour :

à titre principal :

• de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation pour procédure abusive à l’encontre de M. X et de l’infirmer sur ce chef,

• de juger qu’elle est recevable et bien fondée en son appel incident,

en conséquence :

• de rejeter les pièces n°18, 22, 23, 24, 25 et 26 de M. X en ce qu’elles sont irrecevables et dénuées de valeur probante,

• de juger le procès-verbal de constat du 31 août 2017 nul et de nul effet et, à tout le moins, dénué de force probante,

• de juger que les demandes de M. X relatives à la photographie parue dans Le Point n°1868 le 3 juillet 2008 sont prescrites,

• de juger que les photographies litigieuses produites par M. X ne sont pas originales et ne sont dès lors pas protégées au titre du droit d’auteur,

• de juger M. X mal fondé en ses demandes et les déclarer irrecevables,

• de débouter M. X de toutes ses demandes,

• de juger que l’action introduite par M. X relève d’une procédure abusive et condamner ce dernier à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de la procédure,

à titre subsidiaire, dans le cas où la cour considérerait que les pièces n°18, 22, 23, 24, 25, 26, 31 et 32 de M. X sont recevables, que la photographie parue dans Le Point n°1868 du 3 juillet 2008 n’est pas prescrite et que les photographies sont originales et protégées par le droit d’auteur :

• de constater que seules 3 photographies ont été publiées,

• de juger qu’il n’a pas été porté atteinte au droit moral de M. X,

• par conséquent, de débouter M. X de toutes ses demandes,

en tout état de cause :

• de rejeter les demandes de publications de tout ou partie ou d’un résumé de l’arrêt à intervenir,

• de condamner M. X à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est du 2 octobre 2018.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Considérant qu’en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur les demandes en contrefaçon de droits d’auteur de M. X

Sur la recevabilité des pièces n°18, 22, 23, 24, 25 et 26 produites par M. X

Considérant que la société Q demande le rejet des pièces n°18, 22, 23, 24, 25 et 26 de M. X, arguant que les pièces 18, 24 et 25 sont dénuées de toute force probante pour les raisons retenues par le jugement et, subsidiairement, qu’elles ont été obtenues de façon déloyales par M. X, et que les attestations produites en pièces 22, 23 et 26 sont irrégulières comme ne répondant pas aux exigences prescrites par l’article 202 du code civil et en outre dépourvues de force probante quant à l’originalité prétendue des photographies revendiquées ;

Que M. X oppose, pour l’essentiel, que la recevabilité des pièces produites n’est pas conditionnée par leur valeur probante et que ses pièces 18, 24 et 25 sont des preuves fiables, obtenues loyalement ;

Considérant que le fait qu’une attestation ne réponde pas aux prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile ne doit pas conduire à l’écarter a priori, ces dispositions n’étant pas prescrites à peine de nullité ; qu’il appartiendra à la cour d’apprécier le caractère probant des témoignages concernés dans le cadre de l’examen des pièces au fond ;

Que les critiques formulées par la société Q à l’encontre de l’ensemble des pièces précitées touchent en réalité à leur pertinence probatoire, ce qui relève d’un examen au fond desdites pièces qu’il n’y a lieu par conséquent d’écarter d’emblée des débats ;

Sur la valeur probante des pièces produites par M. X à l’appui de ses demandes portant sur 110 photographies prétendument présentes sur la base de données de la société Q

Considérant que si l’existence des droits d’auteur invoqués, dont relève la question de l’originalité de l’oeuvre revendiquée, doit être en principe examinée avant la pertinence des preuves communiquées, le principe d’économie des moyens – auquel la cour est sensible tout autant que le tribunal – commande, au regard du nombre des photographies en litige, d’examiner prioritairement la valeur probatoire des pièces fournies par M. X, l’absence de pertinence probatoire desdites pièces rendant sans objet le débat sur l’originalité ;

Considérant que M. X fournit, comme en première instance, des pièces numérotées 18, 24 et 25 consistant en des impressions d’écran comportant des photographies qu’il revendique ;

Que M. X soutient que la fiabilité du contenu de ces pièces est établie par les indications précises qui y figurent (date, adresses depuis lesquelles elles ont été téléchargées) et par les attestations établies par M. Y, aux termes desquelles celui-ci affirme qu’il s’est rendu sur le site www.reaphoto.com de la société Q sur lequel il a repéré plusieurs clichés dont lui-même est l’auteur et précise la date, le contenu et le nombre des impressions d’écran qu’il a réalisées ; que M. X argue que la présence de ses photographies dans la base de données de l’agence Q sous des crédits erronés est par ailleurs corroborée par : les échanges entre le CLP et l’agence Q reconnaissant les anomalies dans les crédits des photographies, les crédits erronés figurant dans les journaux attachés à l’agence Q et le fait qu’il était le seul photographe présent lors des reportages ayant donné lieu aux photographies en cause ; qu’il fait valoir que la norme AFNOR NF Z 67-147 n’est pas d’application obligatoire et qu’il n’y a lieu d’y recourir dès lors que la société intimée n’allègue pas qu’il ait altéré le contenu des pièces concernées ; qu’il ajoute que lui-même ayant été confronté à des contraintes, tant techniques que juridiques, pour apporter la preuve de la contrefaçon, il appartient à la société Q, qui entend contester la fiabilité des pièces produites, de démontrer d’éventuels écarts entre ces pièces et les éléments correspondants qu’elle seule détient ; qu’il ajoute que les pièces en question ont été obtenues loyalement et que l’argumentation contraire développée par la société Q a été repoussée par le juge de la mise en état du tribunal dans le cadre de l’incident aux fins de sursis à statuer et ne repose sur aucun élément probant ;

Considérant que c’est à juste raison que M. X fait valoir que l’adage 'Nul ne peut se constituer de preuve à soi même' n’est pas applicable à la preuve de faits juridiques mais, en ce qu’il est dérivé de l’article 1353 (précédemment 1315) du code civil régissant les seules obligations, seulement à celle des actes juridiques ; que cependant, si la preuve des faits juridiques est libre et peut être rapportée par tous moyens, le juge dispose d’un pouvoir souverain dans l’appréciation de la force probante des éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties ;

Qu’en l’espèce, comme le plaide la société Q, c’est à juste titre que le tribunal a estimé que les impressions d’écran produites ne comportent pas de garantie quant à la fiabilité de leurs contenus et de leurs dates, ayant relevé qu’aucune des recommandations de la norme AFNOR NF Z 67-147 du 11 septembre 2010 sur le 'mode opératoire de procès-verbal de constat sur Internet effectué par huissier de justice’ - qui n’est certes pas d’application obligatoire mais qui fournit des repères utiles pour apprécier la force probante de documents issus de l’Internet - n’a été observée (notamment, identification de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat, assurance d’une connexion directe entre l’ordinateur et le site visité, assurance de la suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur, des cookies et de l’historique de navigation, détermination certaine de la date de consultation et de l’impression et de l’authenticité des contenus afin que soit garantie l’absence de modification réalisée entre la consultation du site et l’impression de pages qui en sont issues) ; que, contrairement à ce qu’affirme M. X, les indications (dates adresses…) figurant sur les captures d’écran n’offrent donc pas de garantie suffisante faute d’assurance suffisante de la stabilité du support à partir duquel ces captures ont été effectuées ; que par ailleurs les deux attestations dans lesquelles M. Y expose les conditions de la découverte des photographies sur le site www.reaphoto.com et de la réalisation des impressions d’écran et précise le contenu des photographies, indiquant qu’elles ont été réalisées lors de reportages effectués par M. X, sont sujettes à caution dès lors que M. Y a obtenu ces impressions d’écran d’une manière qui n’est pas insusceptible de critiques – puisque l’accès qu’il avait à la base de données de la société Q était réservé à un usage professionnel -, qu’il a été visé dans la procédure pénale initiée par la société Q sur le fondement de l’article 323-1 du code pénal, ces circonstances étant de nature à faire craindre un manque d’objectivité de la part de l’attestant ; que la présence des photographies revendiquées dans la base de données de l’agence Q ne saurait être corroborée par le courriel de cette dernière du 25 octobre 2011 adressé au CLP au caractère trop imprécis et qui ne peut donc être rattaché aux photographies litigieuses (pièce 10 de M. X) ni par les photographies figurant sur des unes du Journal du Dimanche et du Nouvel Observateur (pièces 27 et 30), ni par la circonstance que M. X aurait été le seul photographe présent lors des reportages au cours desquels ont été prises les photographies revendiquées, tous ces éléments

extérieurs ne permettant pas de pallier le défaut de fiabilité intrinsèque des pièces 18, 24 et 25 ; qu’enfin, la société Q observe à juste raison qu’il ne lui revient pas d’apporter la preuve contraire aux informations figurant sur les impressions d’écran produites, M. X ayant eu à sa disposition des moyens juridiques pour se constituer plus sûrement des preuves (constat d’huissier, mesures d’instruction ordonnées par un juge) ;

Que par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner le surplus de l’argumentation des parties, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes en contrefaçon au titre de ces 110 photographies, étant toutefois précisé que la valeur probante de pièces relevant de l’examen au fond, M. X doit être débouté de ce chef et non déclaré irrecevable ;

Sur les demandes résiduelles portant sur les photographies publiées dans le magazine Le Point des 3 juillet 2008 et 28 mars 2013 et dans le magazine Marianne du 5 février 2011

Sur la prescription de la demande relative à la photographie publiée dans Le Point du 3 juillet 2008

Considérant que la société Q soutient que les demandes sont prescrites dès lors que M. X avait manifestement – ou aurait dû avoir – connaissance de la publication de cette photographie parue dans Le Point n° 1868 du 3 juillet 2008 et que le constat d’huissier produit ne permet pas d’identifier le vendeur du magazine Le Point d’occasion et la qualité de l’acheteuse, alors qu’elle même démontre que les archives du magazine sont uniquement disponibles pour la période 2010/2017 et qu’il est impossible de commander le numéro du 3 juillet 2008 parmi les anciens numéros disponibles à la vente ;

Que M. X conteste que ses demandes relatives à cette photographie soient prescrites ; qu’il fait valoir que la contrefaçon est un délit continu, que la photographie litigieuse était toujours accessible sur internet et commercialisée le 8 septembre 2017 comme l’établit le constat d’huissier qu’il a fait établir à cette date et qu’en tout état de cause, il n’est pas démontré qu’il ait eu connaissance de la publication de la photographie avant le 13 mai 2013, date de sa lettre à l’AFP dans laquelle il fait part à l’Agence des exploitations contrefaisantes de la société Q ;

Considérant que l’action en contrefaçon est soumise au délai de prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil qui dispose que 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer' ;

Considérant que la photographie litigieuse, reproduite dans Le Point du 3 juillet 2008, est insérée dans l’une des cinq colonnes de la page 57 du magazine et dans un petit format, d’environ 5 cm de côté ; que dans ces conditions, M. X fût-il un photographe professionnel, en tant que tel avisé et attentif aux publications reproduisant ses photographies, il ne peut être considéré qu’il a nécessairement eu connaissance ou qu’il aurait dû nécessairement avoir connaissance de cette publication, d’autant que le cliché en cause représente M. A lors d’un voyage en Chine intervenu en 2007 selon l’intitulé de la photo – le 27 novembre 2007 selon M. X, non démenti sur ce point – et que la publication en cause est donc intervenue plus de sept mois plus tard ;

Que sans qu’il soit besoin d’examiner le surplus de l’argumentation des parties, concernant notamment le caractère probant ou non du procès-verbal d’huissier du 8 septembre 2017, le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré l’action de M. X prescrite et donc irrecevable de ce chef de demande ;

Que sera donc examinée ci-après l’originalité de cette photographie, ainsi que celle des deux autres publiées dans Le Point du 28 mars 2013 et dans Marianne du 5 février 2011 ;

Sur l’originalité des photographies publiées dans Le Point des 3 juillet 2008 et 28 mars 2013 et dans

Marianne du 5 février 2011

Considérant que M. B soutient que l’empreinte de sa personnalité sur ces clichés est caractérisée par : la synthèse visuelle de l’actualité par ses clichés ; l’absence d’artifice dû à des effets spéciaux ou optiques ; un traitement des images en 'poste production' (sic) grâce au logiciel Capture NX2 extrêmement précis (qui permet de conserver l’aspect réaliste et les couleurs d’origine) ; qu’il explique encore qu’il s’attache à capter avec sensibilité une scène de vie, des expressions sur les visages en faisant oublier le photographe et son arsenal de technique, à 'saisir sur le vif' les expressions des personnes photographiées afin de respecter au mieux sa mission d’information du public ; qu’il conteste la critique selon laquelle ses clichés ne seraient que la simple représentation de la réalité en soulignant que le fait de réussir à donner une restitution de ce que l’on voit dans une photographie de manière à ne pas travestir la réalité est un art et oblige le photographe à effectuer des choix artistiques, que lorsque plusieurs photographes couvrent un même événement, même s’ils sont placés au même endroit, leurs photos sont toujours différentes, la photographie dépendant de ce que le photographe souhaite mettre en valeur dans une scène vivante pour rendre compte de l’instant présent, ce qui confère à l''uvre son originalité ;

Que la société Q soutient que ces photographies sont dépourvues d’originalité dès lors notamment qu’elles ont été réalisés sur commande, dans le cadre du pool organisé par le CLP et dans celui très contraint défini par le service de communication de l’Elysée, dans un but avant tout journalistique et avec pour unique finalité la simple représentation de la réalité, le savoir-faire qui les caractérise ne suffisant pas à démontrer l’originalité alléguée ; qu’elle ajoute que les attestations contraires fournies par M. X ne respectent pas les prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile et sont dénuées de force probante ;

Considérant qu’aux termes de l’alinéa 1 de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ;

Que l’article L.112-1 du même code protège par le droit d’auteur toutes les 'uvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales ; que selon l’article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme 'uvres de l’esprit les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;

Qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur de caractériser l’originalité de l’oeuvre revendiquée, c’est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur ;

Que la CJUE, dans son arrêt du 1er décembre 2010 C145/10 Eva Maria P. c/Standard Verlags GmbH, énonce pour des photographies réalistes qu’il 'résulte du dix-septième considérant de la directive n°93/98, qu’une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci', que 'tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l''uvre en effectuant des choix libres et créatifs' et que, 's’agissant d’une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l’auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation' ; que la Cour précise ainsi qu''au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage', que 'lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée' et qu''enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels' ; qu’elle en déduit qu''à travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa 'touche personnelle’ à l''uvre créée' ;

Considérant, en ce qui concerne la photographie précité publiée dans Le Point du 3 juillet 2008, montrant M. A lors d’un déplacement en Chine en 2007, que M. X fait valoir s’agissant de son originalité : 'Z J n’est pas présent sur cette visite du grand stade olympique de Pékin. Je suis le seul photographe de presse à pouvoir travailler. Lorsque le Président arrive sur cette plateforme, des ingénieurs lui expliquent ainsi qu’au ministre des sports N O l’avancement des travaux. Je suis derrière eux, ils me tournent le dos. Je demande alors au Président s’il veut bien se retourner et si je peux le photographier seul devant le stade que l’on appelle déjà le 'Nid d’aigle'. Les personnes autour de lui s’écartent, le Président de la République pose face à moi, dos au site olympique, les mains jointes, je cadre large pour bien voir le stade je fais un plan 'américain’ sur le Président en le décalant sur la droite de la photographie. Je déclenche.' ;

Que la photographie versée aux débats par l’appelant consiste en la reproduction publiée dans le magazine, de petit format comme il a été dit et dont la qualité est nécessairement moindre que celle d’une photographie qui serait produite en original ; que l’on y voit M. A seul, portant un manteau sombre, debout dans un stade olympique (la légende sous la photo indiquant : 'P A au grand stade olympique en 2007"), face au(x) photographe(s), les mains croisées, souriant, soleil de face ; que les explications données par M. X, très descriptives, ne sont pas en elles-même révélatrices de choix créatifs traduisant l’empreinte de la personnalité du photographe ; que comme le souligne la société Q, M. X n’a décidé ni du décor, ni de l’éclairage, ni de la mise en scène, ni de la pose du sujet photographié, ni vraisemblablement du moment où il a pu réaliser son cliché ; que le cadrage et l’angle de prise de vue n’ont rien d’original ; que la nature de la pièce remise empêche de vérifier la réalité de choix libres et créatifs quant au tirage ; qu’il s’agit d’une photographie à caractère journalistique, réalisée au cours du déplacement d’un chef d’État, certes par un professionnel de talent maîtrisant parfaitement son art et reconnu dans sa spécialité, mais dépourvue d’originalité ;

Qu’en ce qui concerne la photographie publiée dans Le Point du 28 mars 2013 montrant P A lors d’une interview à l’Elysée réalisée notamment par R S T et celle publiée dans Marianne du 5 février 2011 représentant Carla C lors d’une visite à l’hôpital de Garches, la cour adopte les motifs exacts et pertinents des premiers juges qui ont estimé que ces photographies étaient elles aussi dépourvues d’originalité, cette appréciation n’étant pas remise en cause par le fait qu’en appel, la photographie produite de Mme C est en couleur et de bonne qualité ;

Qu’il sera ajouté que les trois attestations fournies par M. X émanant la première de M. D, directeur général du Festival Visa pour l’Image, la deuxième de M. E, directeur de la photographie du journal Le Monde, la troisième de M. F, directeur de la photographie à l’AFP, qui tous témoignent des qualités professionnelles du photographe, faisant état notamment de 'sa sensibilité, ses choix de cadrage et son style très personnel lui [permettant] de mettre en évidence les traits de la personnalité qu’il photographie comme personne, mais également de laisser transparaître sa propre personnalité au travers de ses images', de'son écriture photographique propre, la puissance de ses images, la juste distance face au sujet', de ses 'cadrages très précis qui donnent à ses photos un impact visuel fort', sont impropres à caractériser l’originalité des trois photographies en cause ;

Qu’en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes en contrefaçon

au titre de ces 3 photographies, étant toutefois précisé que l’originalité relevant de l’examen au fond, M. X doit être débouté de ce chef et non pas déclaré irrecevable ;

Sur la demande de la société Q pour procédure abusive

Considérant que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de

mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol ;

Que le rejet des prétentions de M. X ne permet pas de caractériser, en l’espèce, une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressé ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits ;

Que, par ailleurs, la société Q ne démontre pas l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la société Q ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que M. X qui succombe sera condamné aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;

Que la somme qui doit être mise à la charge de M. X au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société Q peut être équitablement fixée à 3 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Dit n’y avoir lieu d’écarter d’emblée des débats les pièces n°18, 22, 23, 24, 25 et 26 produites par M. X,

Infirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable, comme prescrite, la demande en contrefaçon de droits d’auteur de M. X concernant la photographie publiée dans le magazine Le Point du 3 juillet 2008,

Statuant de nouveau de ce chef,

Dit cette demande recevable mais mal fondée et en déboute M. X,

Confirme le jugement pour le surplus, sauf à préciser que M. X doit être débouté de l’intégralité de ses demandes au titre du droit d’auteur et non pas déclaré irrecevable,

Condamne M. X aux dépens d’appel et au paiement à la société Q de la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 18 décembre 2018, n° 17/05069