Cour d'appel de Paris, 6 octobre 2022, 20/085827

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, i7, 6 oct. 2022, n° 20/08582
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/085827
Importance : Inédit
Dispositif : Statue à nouveau en déboutant le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes
Date de dernière mise à jour : 7 octobre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000046990888
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022

(n°26, 136 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/08582 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7EE

Décision déférée à la Cour : décision n° 20-D-04 de l’Autorité de la concurrence en date du 16 mars 2020

REQUÉRANTES :

SOCIÉTÉ APPLE FRANCE S.A.R.L.

Prise en la personne de son gérant

inscrite au RCS de Paris sous le numéro 322 120'916

ayant son siège social’au [Adresse 10]

SOCIÉTÉ APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED

société de droit irlandais, enregistrée sous le numéro 470672

Prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social au [Adresse 27], Irlande

SOCIÉTÉ APPLE OPERATIONS EUROPE LIMITED

société de droit irlandais, enregistrée sous le numéro 76927

Prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social situé au [Adresse 27], Irlande

SOCIÉTÉ APPLE EUROPE LIMITED

Société de droit anglais, enregistrée sous le numéro 50511046

Prise en la personne de ses représentants légaux

Ayant son siège social au [Adresse 2]

SOCIÉTÉ APPLE OPERATIONS INTERNATIONAL LIMITED

société de droit irlandais, enregistrée sous le numéro 76941

Prise en la personne des représentants légaux

ayant son siège social au [Adresse 27], Irlande

SOCIÉTÉ APPLE SALES INTERNATIONAL LIMITED

société de droit irlandais, enregistrée sous le numéro 157192

Prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social au [Adresse 27], Irlande

SOCIÉTÉ APPLE INC.

société de droit de l’État de Californie,

Priseen la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social au [Adresse 33],

États-Unis d’Amérique

Élisant toutes domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES

[Adresse 18]

[Localité 13]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistées de Maîtres Mélanie THILL-TAYARA, Laurence BARY et Marion PROVOST du Cabinet DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J 096

SOCIÉTÉ INGRAM MICRO INC.

société de droit américain, enregistrée sous le numéro US621644402

Prise en la personne de son Executive Vice President, Secretary et General Counsel

ayant son siège social au [Adresse 5],

États-Unis d’Amérique

SOCIÉTÉ INGRAM MICRO EUROPE BV

société de droit néerlandais, enregistrée sous le numéro 61223387

Prise en la personne de son Vice President Legal & Association General Counsel EMEA

ayant son siège social à [Adresse 34], Pays-Bas

SOCIÉTÉ INGRAM MICRO S.A.S.

Prise en la personne de son Vice President Legal & Association General Counsel EMEA

immatriculée au RCS de Lille sous le numéro 344658117

ayant son siège social au [Adresse 8]

Élisant toutes domicile au cabinet de Me François TEYTAUD

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentées par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistées de Me Adrien GIRAUD, de l’AARPI LATHAM & WATKINS, avocat au barreau de PARIS, toque : J003

SOCIÉTÉ TECH DATA CORPORATION

societe de droit americain

Prise en la personne de son Chief Legal Officer

immatriculée en Floride (États-Unis d’Amérique) sous le numéro d’identification (Employer Identification Number) 59-1578329,

ayant son siège social au [Adresse 9],

États-Unis d’Amérique

SOCIÉTÉ TECH DATA (NETHERLANDS) B.V.

société de droit néerlandais

prise en la personne de son Bestuurder

immatriculée au répertoire néerlandais des entreprises (Handelsregister) sous le numéro 33296107,

ayant son siège social au [Adresse 38], Pays-Bas,

SOCIÉTÉ TECH DATA FRANCE HOLDING S.A.R.L.

Prise en la personne de son gérant

immatriculée au RCS de Meaux sous le numéro 420 694 127

ayant son siège social au [Adresse 7]

SOCIÉTÉ TECH DATA FRANCE S.A.S

Prise en la personne de son Président

immatriculée au RCS de Meaux sous le numéro 722 065 638

ayant son siège social est au [Adresse 7]

Élisant toutes domicile au cabinet de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN

[Adresse 11]

[Localité 15]

Représentées par Me Benjamin MOISAN, de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistées de Me Didier THEOPHILE, du cabinet DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER AARPI, avocat au barreau de Paris, toque R 170

Assistées de Maîtres Sophie TROUSSARD et Frédéric de BURE, du cabinet CLEARY GOTTLIEB STEEN & HAMILTON LLP, avocats au barreau de Paris, toque J21

PARTIE MISE D’OFFICE EN LA CAUSE :

LA S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Me [N] [J], mandataire liquidateur de la société eBizcuss.com, S.A. désignée en vertu d’un jugement rendu le 31 mai 2012 par le Tribunal de commerce de Paris

Ayant son siège social au [Adresse 3]

[Localité 16]

Élisant domicile au cabinet de la SELARL SYGNA PARTNERS

[Adresse 6]

[Localité 12]

Représentée par Me Antoine BENECH, de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0540

Assistée de Maîtres Jean-Marc THOUVENIN et Luke VIDAL, de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocats au barreau de PARIS, toque : P0540

EN PRÉSENCE DE :

LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE

[Adresse 21]

[Adresse 21]

[Localité 17]

Représenté par M. [W] [H], dûment mandaté

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Prise en la personne de son président

[Adresse 4]

[Localité 12]

Représentée par Mme [B] [G], Messieurs. [R] [T], [S] [X], [E] [F] et [V] [U], dûment mandatés

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 novembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

' Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

' Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocat général.

ARRÊT :

' contradictoire

' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

' signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-D-04 en date du 16 mars 2020, déposée au greffe le 7 juillet 2020 par les sociétés Apple France, Apple Distribution International limited, Apple Operations Europe limited, Apple Europe limited, Apple Operations International limited, Apple Sales International limited et Apple Inc, enregistrée (ci-après les « sociétés Apple ») ;

Vu la déclaration de recours contre la même décision, déposée au greffe le 10 juillet 2020 par les sociétés Tech Data corporation, Tech Data (netherlands) b.v., Tech Data France holding et Tech Data France (ci-après les « sociétés Tech Data ») ;

Vu la déclaration de recours contre la même décision, déposée au greffe le 15 juillet 2020 par les sociétés Ingram Micro inc, Ingram Micro europe bv et Ingram Micro s.a.s (ci-après les « sociétés Ingram ») ;

Vu la déclaration de recours incident contre cette même décision et la déclaration d’intervention volontaire, déposées au greffe le 14 septembre 2020 par la société eBizcuss.com représentée par la selafa MJA, en la personne de son mandataire liquidateur (ci-après la « société eBizcuss ») ;

Vu l’ordonnance du 24 novembre 2020 procédant à la jonction de ces recours, enregistrés sous les numéros de répertoire général 20/08582, 20/08930 et 20/09103, et ordonnant la poursuite de la procédure sous le n° 20/08582 ;

Vu l’arrêt de cette Cour du 11 février 2021 déclarant caduque la déclaration de recours incident déposée par le liquidateur judiciaire de la société eBizcuss, irrecevable sa déclaration d’intervention volontaire en la même qualité et mettant d’office en la cause Mme [J], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss ;

Vu le mémoire déposé au greffe le 13 août 2020 par les sociétés Apple ;

Vu les mémoires déposés au greffe le 14 août 2020 par les sociétés Ingram et par les sociétés Tech Data ;

Vu les observations déposées au greffe le 12 avril 2021 par le ministre chargé de l’économie ;

Vu les observations déposées au greffe le 20 mai 2021 par l’Autorité de la concurrence ;

Vu les observations déposées au greffe le 6 juillet 2021 par la société eBizcuss, représentée par son mandataire liquidateur ;

Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe le 25 octobre 2021 par les sociétés Tech Data, ainsi que par les sociétés Ingram ;

Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe le 26 octobre 2021 par les sociétés Apple ;

Vu l’avis du ministère public en date du 29 octobre 2021, communiqué le même jour aux requérantes, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;

Vu la note en réplique de l’Autorité de la concurrence sur les moyens nouveaux soulevés par les requérantes dans leurs conclusions récapitulatives, autorisée par la Cour et déposée le 2 novembre 2021 ;

Vu les notes en délibéré des sociétés Apple, Tech Data et Ingram, autorisées par la Cour, respectivement déposées le 22 novembre pour les premières et le 23 novembre 2021 pour les autres ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 4 novembre 2021, en leurs observations orales les conseils des sociétés Apple, Tech Data et Ingram, ainsi que celui du liquidateur judiciaire de la société eBizcuss, les représentants de l’Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l’économie, puis le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

§ 4

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

§ 10

Le groupe Apple

§ 10

Ingram Micro

§ 18

Tech Data

§ 22

III. LE SYSTÈME DE DISTRIBUTION MIS EN PLACE PAR LE GROUPE APPLE

§ 26

IV. LE DISPOSITIF CONTRACTUEL D’ALLOCATIONS

§ 38

V. LES SPÉCIFICITÉS DU RÉSEAU DES REVENDEURS APR

§ 47

A. Les obligations contractuelles liées à leur statut

§ 49

B. Le système des remises ou ristournes

§ 51

VI. LA PROCÉDURE EN CAUSE

§ 59

MOTIVATION

§ 75

I. SUR LES VIOLATIONS PROCÉDURALES ALLÉGUÉES DANS LE CADRE DE LA PRÉSENTE INSTANCE

§ 75

II. SUR LA RESTRICTION DE CLIENTÈLE MISE EN 'UVRE ENTRE APPLE T SES GROSSISTES AGRÉÉS (GRIEF N° 2)

§ 120

A. Sur l’accord de volonté entre les parties et la matérialité des allocations litigieuses

§ 123

B. Sur la qualification de restriction de concurrence par objet

§ 220

C. Sur la demande d’exemption

§ 322

D. Sur la durée des pratiques

§ 355

E. Sur la gravité des pratiques et le dommage causé à l’économie

§ 394

III. SUR LA PRATIQUE DE PRIX DE VENTE IMPOSÉS (GRIEF N° 3)

§ 428

IV. SUR L’ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE (GRIEF N° 4)

§ 494

A. Sur l’existence d’une situation de dépendance économique et son exploitation abusive

§ 496

B. sur l’affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence

§ 627

C. Sur le dommage causé à l’économie

§ 654

V. SUR LES SANCTIONS

§ 671

A. Sur le choix de sanctionner les grossistes aux côtés du fournisseur dans le cadre d’une pratique restrictive verticale

§ 673

B. Sur le choix de sanctionner trois griefs par des sanctions distinctes à l’encontre des sociétés Apple

§ 683

C. Sur la méthodologie appliquée pour déterminer chacune des sanctions

§ 691

1. Sur la valeur de référence servant d’assiette au montant de base

§ 695

a) concernant le grief n° 2

§ 695

b) concernant le grief n° 4

§ 727

2. Sur le pourcentage de la valeur des ventes retenu

§ 733

3. Sur le coefficient de durée des pratiques

§ 752

D. Sur la proportionnalité des sanctions infligées

§ 759

1. Sur la majoration de la sanction au titre de l’appartenance à un groupe

§ 759

2. Sur les circonstances atténuantes invoquées par les grossistes

§ 786

E. Conclusion sur le montant de la sanction après réformations de la Cour

§ 801

1. Concernant le grief n° 2

§ 801

2. Concernant le grief n° 4

§ 802

VI. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

§ 803

FAITS ET PROCÉDURE

1.Le 12 avril 2012, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a été saisie par la société eBizcuss, distributeur de produits Apple spécialisé haut de gamme (dit « APR » pour Apple Premium Reseller) de pratiques mises en 'uvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple, reprochant, notamment, à Apple d’avoir abusé :

' d’une part, de la dépendance économique dans laquelle elle se trouvait vis-à-vis d’elle, en se livrant à un ensemble de pratiques destinées à l’exclure du marché et,

' d’autre part, de sa position dominante, en appliquant une politique discriminatoire à l’égard de ses revendeurs, privilégiant par là même son propre réseau de distribution.

2.Cette saisine a été assortie d’une demande de mesures conservatoires, dont la société eBizcuss s’est ensuite désistée par courrier du 11 juillet 2012.

3.En parallèle de cette plainte, la société eBizcuss a également introduit en avril 2012 une action à l’encontre des sociétés Apple Sales International, Apple Inc. et Apple Retail France devant le tribunal de commerce de Paris, afin d’obtenir des dommages et intérêts.

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

4.Le secteur concerné est celui de la fabrication et de la distribution de produits informatiques et d’équipements d’électronique grand public.

5.Le secteur regroupe, en amont, les fabricants d’équipements électroniques grand public et, en aval, les distributeurs desdits produits. Plusieurs grossistes et centrales d’achat interviennent également à un stade intermédiaire.

6.Les parts de marché des principaux constructeurs de produits électroniques grand public varient selon les catégories de produits concernées. Ainsi, Apple occupait, en 2013, la cinquième place sur les ventes d’ordinateurs (avec 6,4 % de part de marchés en volume et 14,3 % en valeur), la deuxième place s’agissant des ventes de tablettes (avec 25,6 % de parts de marché en volume et 39,7 % en valeur) et la première place concernant les ventes de baladeurs numériques avec 25,2 % de parts de marché en volume et 59,5 % en valeur).

7.Les grossistes, qui font office d’intermédiaires entre les constructeurs et les détaillants qui se chargent de la distribution auprès des utilisateurs finaux, regroupent deux grands types d’acteurs. Les premiers (comme Tech Data et Ingram Micro) sont dits « volumistes » car ils disposent d’un outil logistique leur permettant de traiter de gros volumes, tandis que les seconds sont des grossistes dits « distributeurs à valeur ajoutée » car ils proposent généralement une large palette de services associés à la vente des équipements (formation, installation, maintenance, etc.).

8.Entre 2009 et 2016, la part de marché de Tech Data est passée de 15 % à 18 % en valeur. Celle d’Ingram Micro a évolué de 8 à 10 %, tandis que les parts respectives des autres grossistes (Also, Arrow, Advéo, etc.) n’ont jamais dépassé 5 %.

9.Les détaillants du secteur ont pour leur part des profils disparates. Il peut s’agir d’enseignes de la grande distribution, de boutiques indépendantes spécialisées dans le matériel informatique, d’acteurs de la vente à distance ou encore d’e-commerçants.

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

Le groupe Apple

10.Le groupe Apple (Apple Inc. et ses filiales), conçoit, fabrique et commercialise des dispositifs de communication et de média mobiles, des ordinateurs personnels, des lecteurs portables de musique et vend une gamme de logiciels, services et périphériques, solutions réseau, contenus numériques et applications tierces en relation avec ces produits. Les produits et services du groupe Apple incluent notamment l’iPod (baladeur numérique), le Mac (ordinateur fixe), le Macbook (ordinateur portable), l’iPhone (intelliphone), l’iPad (tablette numérique), l’Apple TV (terminal de télévision numérique), ainsi qu’une gamme d’accessoires et d’offres de services et de supports.

11.L’organisation du groupe Apple est centrée autour d’Apple Inc. qui détient, en règle générale, directement ou indirectement au travers d’entités intermédiaires, des participations dans toutes les filiales du groupe.

12.La société Apple Inc. est cotée sur le NASDAQ Stock Market LLC. Outre la conception, fabrication et commercialisation des produits et de la gestion de la logistique produits pour la région Amérique, elle est notamment responsable de la stratégie, de la R&D [Recherche & Développement], du développement de la marque et de la détermination des politiques internes. Pour l’Europe, la commercialisation et la distribution des produits Apple étaient assurées par Apple Sales International jusqu’en 2012 puis par Apple Distribution International, toutes deux situées en Irlande.

13.La société Apple Sales International (ci-après « ASI ») est directement ou indirectement, intégralement détenue par Apple Inc . Entre 2007 et le 31 mars 2012, l’activité principale d’ASI était la vente et le marketing de produits et de services Apple dans certaines régions du monde, comme l’Europe. Ces activités impliquaient la vente de produits Apple à des tiers : grossistes, opérateurs télécoms, revendeurs de produits Apple ainsi que consommateurs via l'« Apple Online Store » (ci-après « AOS »). Elle vendait également les produits Apple à des sociétés du groupe Apple exploitant des « Apple Retail Stores » (ci-après « ARS »), comme la société Apple Retail France. Du 1er avril 2012 jusqu’à la fin de l’année 2014, la principale activité d’ASI était l’approvisionnement de produits et de services. Depuis, l’activité principale d’ASI est la détention de placements.

14.La société Apple Operations Europe (ci-après « AOE ») gère l’approvisionnement de produits auprès de fabricants tiers, depuis le 28 décembre 2014, en lieu et place de ASI.

15.La société Apple Distribution International (ci-après « ADI ») gère depuis le 1er avril 2012 la distribution des produits Apple pour les marchés « EMEIA » (Europe, Middle East India and Africa), en ce compris la France. Elle a repris les activités d’ASI. Ses principales responsabilités incluent, dans les régions concernées, les approvisionnements, la logistique, la vente ainsi que l’exploitation de l’AOS, le marketing et le service après-vente.

16.La société Apple France, qui ne vend pas et ne distribue pas de produits en France, a pour mission de fournir des services d’assistance à la vente, de support marketing et de communication en France à ADI, sans vendre en France ni distribuer de produits elle-même.

17.La société Apple Retail France (ci-après « ARF ») détient et exploite les magasins Apple Store (ou « ARS ») situés en France. Elle achète auprès d’ADI l’ensemble des produits de marque Apple qu’elle revend ensuite aux clients finals dans ses magasins en France. Elle n’entretient aucune relation contractuelle avec les revendeurs tiers de produits Apple.

Ingram Micro

18.La société Ingram Micro France, société par actions simplifiée (désignée « Ingram Micro » dans le présent arrêt) est une société française qui a pour activité l’achat, la vente et le négoce de tous matériels informatiques. Elle est l’un des deux grossistes agréés pour distribuer des produits Apple en France.

19.Ce grossiste est une filiale du groupe Ingram Micro, basé aux États-Unis, qui, selon une étude d’octobre 2016, « (') est l’un des plus importants grossistes de biens technologiques dans le monde » (cote 34255). Au 16 janvier 2013, Ingram Micro distribuait près de 150 marques différentes, « HP (15 % du chiffre d’affaires en 2013) étant son principal fournisseur devant Apple (10 % en 2012) »). Selon Ingram Micro, « Depuis 2009, Ingram Micro se positionne à la seconde place sur le marché de la vente en gros de produits électroniques derrière Tech Data et devant Arrow et Also » (décision attaquée, §44).

20.Ce grossiste était détenu, à l’époque des pratiques, à 99,99 % par Ingram Micro Europe BVBA, société de droit belge, elle-même détenue à 100 % par la société Ingram Micro Inc., société de droit américain. Depuis le 30 juin 2015, il est détenu à 99,9 % par Ingram Micro Europe BV, société de droit hollandais, elle-même détenue à 100 % par la société Ingram Micro Inc. Les sociétés Ingram ont précisé, à la demande de la Cour, que la société Ingram Micro Europe BV agissait dans le cadre de la présente instance en tant qu’ayant droit de la société Ingram Micro Europe BVBA (l’ensemble des actifs de la société Ingram Micro Europe BVBA lui ayant été cédé) et de société-mère de la société Ingram Micro SAS (France).

21.En 2015, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 38,79 milliards d’euros et la filiale française de 1,34 milliard d’euros. En 2016, le chiffre d’affaires global 2016 HT de cette dernière s’est élevé à 1,28 milliard d’euros.

Tech Data

22.La société Tech Data France SAS (désignée « Tech Data » dans le présent arrêt) est l’autre grossiste agréé pour distribuer des produits Apple en France.

23.Ce grossiste a réalisé un chiffre d’affaires de 2,40 milliards d’euros HT pour l’exercice comptable allant du 1er février 2016 au 31 janvier 2017. Il est détenu à 100 % par Tech Data France Holding, elle-même détenue à 100 % par la société Tech Data BV, société de droit hollandais, elle-même détenue indirectement à 100 % par la société de droit américain Tech Data Corp.

24.Le groupeTech Data auquel il appartient est le premier groupe de distribution de matériel informatique en France.

25.Avec un chiffre d’affaires groupe de 23,91 milliards d’euros, « Tech Data est l’un des leaders mondiaux du commerce de gros de produits technologiques. Le groupe revendique notamment la première place en Europe dans le négoce d’ordinateurs, d’imprimantes, de logiciels, d’accessoires et de consommables. ['] Le groupe se fournit auprès de plus de 200 marques mais Apple et HP concentrent à eux deux respectivement 20 % et 18 % des ventes. Tech Data s’adresse à plus de 105 000 revendeurs à valeur ajoutée, revendeurs généralistes et revendeurs pour grands comptes » (cote 34254, décision attaquée, § 48).

III. LE SYSTÈME DE DISTRIBUTION MIS EN PLACE PAR LE GROUPE APPLE

26.La présentation générale du système est opérée aux paragraphes 56 à 86 de la décision attaquée, qui ne sont pas contestés et auxquels la Cour renvoie.

27.Il sera simplement rappelé que sur le marché amont, Apple vend ses produits à deux grossistes agréés (appelés « Apple Authorized distributors » ou « Disties » ) : Tech Data et Ingram Micro.

28.Aux termes de la décision attaquée, ces acteurs se font une concurrence par les volumes (liée en particulier à l’approvisionnement et à la disponibilité des produits) et la qualité de service vis-à-vis des détaillants et sont également soumis à la concurrence exercée par la distribution intégrée du constructeur (§ 91 et suivants).

29.Sur le marché aval, les produits Apple sont présentés au public via trois canaux principaux : le réseau propre d’Apple, le canal des « resellers » et le canal des « retailers ».

30. Le réseau propre d’Apple : composé depuis 1997 d’un site Internet, l’Apple Online Store (l'« AOS ») et, depuis 2001, de magasins en propre, les Apple Retail Stores (les « ARS »). Les produits disponibles sur l’AOS et dans les ARS sont en principe exclusivement vendus aux consommateurs finals ;

31. Le canal des « resellers » (également appelé canal Prosumer au sein d’Apple) couvre des détaillants spécialisés, souvent de taille limitée. Les resellers peuvent être agréés par Apple, ce sont les « Apple Authorized Resellers » (les « AAR ») ou ne pas l’être, ce sont les « Non-Authorized Resellers » (les « NAR »). Un AAR (titulaire de l’agrément de base) peut être titulaire d’agréments complémentaires. Ainsi, les « Apple Premium Resellers » (les « APR ») ont une option premium, les « Apple Solution Expert » (les « ASE ») ont une expertise spécifique sur le marché de l’éducation ou des médias et les « Apple Authorized System Integrators » (les « AASI ») ont une expertise auprès des clients professionnels. Les sociétés Apple précisent dans leurs écritures que ces statuts s’appliquent au point de vente, non à l’entreprise qui l’exploite, de sorte qu’une entreprise qui dispose de plusieurs points de vente peut bénéficier d’agréments différents pour ses différents magasins.

32.Le canal des « retailers » couvre l’ensemble des grandes surfaces. Cette organisation est schématisée de la manière suivante par Apple :

33.Selon la décision attaquée (§ 66), Apple distingue, au sein des revendeurs agréés, en fonction de leur volume d’achat en produits Apple :les revendeurs « directs » qui peuvent s’approvisionner directement auprès d’Apple ou auprès des grossistes et les revendeurs « indirects » qui ne peuvent s’approvisionner qu’auprès des seuls grossistes.

34.En 2014, le réseau Apple comptait 22 revendeurs bénéficiant du statut d'« APR », totalisant 47 points de vente agréés, dont 23 étaient « APR directs ». En 2017, ce canal ne comptait plus que 17 revendeurs APR pour 51 points de vente, dont 5 APR directs, représentant environ 8 % en valeur et 5 % en volume des ventes de produits Apple (cote 34594 (VC)/34621 (VNC) ' 34977 (VNC2), § 79 de la décision attaquée).

35.Le circuit d’approvisionnement diffère entre les revendeurs « directs », principalement approvisionnés par la société ASI/ADI, en Irlande et les revendeurs « indirects » qui sont approvisionnés par les grossistes, principalement au départ de la Chine.

36.Les revendeurs non agréés ne peuvent pour leur part s’approvisionner qu’auprès des grossistes.

37.La décision attaquée précise que la quasi-totalité des distributeurs avait choisi de s’approvisionner en mode indirect selon les déclarations d’une représentante d’Apple France recueillies en octobre 2017 (§ 88).

IV. LE DISPOSITIF CONTRACTUEL D’ALLOCATIONS

38.Deux types de stipulations contractuelles liant le groupe Apple à ses grossistes concernent la répartition des produits entre eux :

39.Les unes, générales, concernent les livraisons de tous les produits de la marque Apple. Ainsi, l’article 5.4 du contrat-cadre annuel intitulé « Apple Sales International » prévoit que, dans l’hypothèse où les commandes de produits seraient plus importantes que les stocks disponibles, Apple se réserve le droit de les allouer et de les livrer de la manière qui lui semble équitable. Les articles 4.3.1 et 4.3.2 des « Channel Terms for Apple Authorized Distributors », applicables aux grossistes à partir de 2012, conditionnent l’octroi aux grossistes de remises par Apple au respect des allocations décidées par ce dernier sur ses produits (cote 16581) et prévoient que « le distributeur doit mettre en place des procédures permettant l’allocation des stocks pour maximiser les ventes des produits Apple. L’allocation des produits Apple sur une base FIFO (first in, first out) est interdite » (§ 244 de la décision attaquée en proposant une traduction libre, non contestée).

40.Les autres, particulières, concernent le système de livraison spécifique du « fast ship program » [programme d’expédition rapide] relatif aux nouveaux produits, et contractuellement prévu par « l’Apple Fast Ship Program Addendum to the Apple Authorized Distributor Agreement » et par « l’Apple Fast Ship Program Addendum to the Apple Authorized Distributor Agreement for iPhone » (§246, renvoyant à la liste des contrats cote 32111). Apple détermine pour chaque grossiste et revendeur direct le volume de produits à allouer pour une livraison unique, en se fondant principalement sur les données historiques dont il dispose. Ce programme est également ouvert aux distributeurs indirects, impliquant une désignation préalable du grossiste de leur choix (§ 272 et suivants).

41.Se fondant sur un dispositif contractuel de recueil d’informations auprès des grossistes (décision attaquée, § 117 et suivants) et auprès des APR (§ 201 et suivants) lui permettant de gérer le stock et de déterminer les besoins en production, Apple a par ailleurs mis en place un système, contractuel, d’allocations de produits entre ses grossistes (§ 240 et suivants) obéissant au principe du « fair share » dit aussi répartition équitable entre, d’une part, les grossistes agréés et, d’autre part, ses différents partenaires directs tels que les APR directs.

42.Le fair share est fondé sur les performances passées en fonction à la fois du canal de distribution (« prosumer » ou « retail ») et de chaque produit de la marque. Il a pour objectif d’optimiser la production et, selon Apple, de répondre au mieux à la demande, tant en période de contrainte que de période non-contrainte.

43.La notion de « contrainte », telle qu’invoquée par Apple, recouvre les périodes de lancement de produits ou de pénuries imputables à différentes causes, au cours desquelles la demande est plus importante que la capacité à produire les produits.

44.C’est en vue d’y faire face qu’Apple indique avoir instauré un mécanisme d’allocation de produits, mis en 'uvre avec le concours des grossistes, au moyen d’un dispositif différent selon les produits concernés (hors iPhone), dont le caractère contraignant et non limité aux périodes de contrainte est contesté, de même que le fait qu’il induirait une répartition de clientèle et non une simple recommandation dans l’ordre des livraisons réalisées par les grossistes auprès de leurs clients détaillants.

45.S’agissant des périodes non contraintes, Apple a déclaré au cours de l’instruction que l’approvisionnement se fait selon le dispositif du « ship to backlog » ou « S2B », c’est-à-dire un système de livraison en fonction du carnet de commandes, sans fournir aucune recommandation d’allocations.

46.À compter de mars 2013, un nouveau mécanisme, dit « forecast », a été mis en place afin de limiter les périodes de contrainte et réduire les situations d’allocations. Fondé sur un système plus collaboratif, ce système repose sur une implication accrue des grossistes et des autres partenaires d’Apple dans les remontées d’informations destinées à évaluer leurs besoins. Ce système prévisionnel s’applique à tous les produits d’Apple, y compris l’iPad. Une certaine quantité de produits est ainsi attribuée à chaque grossiste en fonction de leurs prévisions de ventes respectives, afin de leur permettre de constituer un stock de base pour satisfaire la demande à venir pour chaque produit.

V. LES SPÉCIFICITÉS DU RÉSEAU DES REVENDEURS APR

47.Le programme APR a été lancé en 2006, en remplacement du programme « Apple Center ». Certains revendeurs initialement Apple Center, comme la société eBizcuss, ont in fine adhéré au programme APR.

48.Les APR sont présentés par Apple comme des revendeurs dédiés à la marque Apple et certains ont même fait le choix d’une enseigne commerciale contenant une référence à la marque ou aux produits de la marque (« mac », « i’ »). L'« APR Agreement », en son article 2.3 concernant le « Store Design », encadre la conception et l’organisation des points de vente. Les « Premium Reseller Identity Guidelines » définissent également de manière très précise la présentation des logos (taille, etc.).

A. Les obligations contractuelles liées à leur statut

49.Les contrats APR demandent aux revendeurs ayant ce statut de créer un « environnement Apple » et interdisent ou limitent les conditions de commercialisation d’autres produits. La traduction libre de ces dispositions contractuelles figure aux § 486 à 490 de la décision attaquée et 997 à 1001. Ces clauses seront plus amplement évoquées lors de l’analyse des pratiques reprochées.

50.Plusieurs dispositions contractuelles sont par ailleurs relatives au changement de marque, pendant ou après les contrats. L’addendum du contrat APR prévoit ainsi :

' d’une part, pendant l’exécution du contrat : « 6.1 le revendeur ne doit pas, pendant la durée du présent addendum, conclure un accord avec un fournisseur de produits concurrents des produits autorisés (Apple), afin d’exploiter un point de vente au détail dans tout pays du territoire (Europe), dans lequel le revendeur exerce son activité de vente au détail, par le biais duquel il vendra exclusivement des produits concurrents avec les produits autorisés. Pour éviter tout doute, le revendeur est libre de conclure un accord avec tout fournisseur de produits concurrents des produits autorisés dans le but de revendre ces produits sur ses sites de revendeur général, y compris les sites via lesquels il est également autorisé à revendre (non exclusivement) des produits Apple » (selon la traduction libre de l’Autorité, § 497 de la décision attaquée) ;

' d’autre part, à l’expiration du contrat : « 6.2 Afin de protéger le savoir-faire significatif d’Apple transféré durant la mise en 'uvre de cet addendum, le reseller ne devra pas, durant une période de 6 mois suivant l’expiration ou la rupture de cet addendum, entrer dans un accord avec tout autre fournisseur de produits concurrents des Produits Autorisés, avec comme objectif de gérer un point de vente dans tout pays du Territoire dans lequel le reseller opère une activité économique, et au travers duquel il vendra exclusivement des produits concurrents des Produits Autorisés (') » (selon la traduction libre de l’Autorité, § 498 de la décision attaquée).

B. Le système des remises ou ristournes

51.Le dispositif de remises et ristournes concédées par le groupe Apple et ses distributeurs aux APR est présenté dans la décision attaquée aux § 399 et suivants. La Cour rappellera uniquement que ce dispositif est détaillé dans divers documents contractuels, dont les « Channel Terms Apple Authorized Resellers », les « Channel Terms APR », et les contrats, conclus périodiquement, appelés « New Deals », qui décrivent leurs niveaux et conditions d’octroi. À la date de la notification des griefs, le « New Deal 6 » était en vigueur depuis 2013.

52.Sous réserve d’en remplir les conditions d’éligibilité, les revendeurs peuvent cumuler les différentes remises et ristournes suivantes :

' la remise fonctionnelle (« Functional Discount ») s’applique « aux produits autorisés achetés par les APR directs d’Apple et aux produits autorisés achetés par les APR directs et APR indirects d’un grossiste. Toutefois, les APR directs ne peuvent recevoir, à titre exceptionnel, que leur remise fonctionnelle (telle que définie ci-après) sur les produits achetés auprès d’un grossiste qu’avec l’approbation préalable d’Apple, dans un (1) trimestre fiscal quelconque. Cette remise est calculée selon le score du 'Reseller Evaluation Tool', ci-après 'RET’ (dont le mécanisme est décrit ci-après), en fonction des critères définis par point de vente autorisé : qualité de l’emplacement, compétence du personnel, expertise du personnel, disponibilité des logiciels et des solutions, offres à l’utilisateur final et/ou d’autres critères que Apple peut définir. Les évaluations seront effectuées tous les six (6) mois sur chaque point de vente autorisé. Apple peut, à sa discrétion, effectuer des évaluations plus fréquemment » (contrat ' Channel terms APR ', version 2013, traduction libre, § 404 de la décision attaquée) ;

' la remise développement marketing (« Marketing Development Fund » ou « MDF ») : peut être octroyée aux APR « à la discrétion d’Apple, pour les produits achetés auprès d’Apple ou d’un grossiste sur chaque trimestre fiscal Apple, en vue de réaliser des activités marketing ciblées telles que définies par Apple sur le trimestre fiscal Apple précédent » (article 4.3 (b) du contrat « Channel terms APR », traduction libre, § 409 de la décision attaquée) ;

' la ristourne qualité APR ou remise performance (« Perf rebate ») : « à la discrétion d’Apple, une ristourne peut être octroyée en reconnaissance de la performance d’un APR [']. Cette ristourne est déterminée sur la base d’un objectif fixé par Apple pour chaque trimestre fiscal Apple. Cet objectif peut inclure une association du taux de croissance, du taux d’attachement aux Produits phares ou de la qualité d’un point de vente autorisé telle que mesurée par les résultats du shopping mystère effectué au nom d’Apple » (article 4.4 du contrat « Channel Terms APR », traduction libre, § 412 de la décision attaquée) ;

' la ristourne couverture géographique : en plus de la remise de 2 % octroyée aux APR qui disposent de plus de trois points de vente, les APR qui disposent de plus de six points de vente autorisés sont éligibles à une ristourne supplémentaire de 1,5 %, calculée sur le montant total des achats de produits Mac, iPod et Apple TV.

53.Tous les revendeurs peuvent bénéficier d’une remise fonctionnelle de base 4 %, dont le montant peut être augmenté selon le statut et l’expertise particulière développée.

54.Cette remise fonctionnelle est calculée sur la base d’une évaluation (réalisée grâce à l’outil développé par ADI, le RET), appliquée pour chaque point de vente APR, réalisée au moins tous les 6 mois, sur la base des critères suivants :

' la qualité de la localisation du point de vente ;

' la compétence et l’expertise du personnel ;

' la disponibilité des logiciels et des solutions Apple ;

' l’offre aux clients finals ;

' tout autre critère qu’Apple se réserve la possibilité de fixer à un moment donné etc.

55.La MDF constitue une remise supplémentaire (de 0,80 %), accordée chaque trimestre au titre des actions marketing et de développement des ventes de Mac, iPod et Apple TV mises en 'uvre.

56.La remise performance constitue une autre remise supplémentaire (à hauteur de 2 %) au titre des performances dans la vente d’ordinateurs Mac, de iPod et Apple TV, évaluée par référence à un objectif fixé par Apple pour chaque trimestre. Elle est assise sur les volumes de vente des produits concernés, ainsi qu’un processus d’évaluation de la qualité du point de vente qui repose sur la visite d’un « client mystère » (« Mystery shopping ») mais aussi d’autres critères de performance définis par Apple (comme, par exemple, le « taux d’attachement APP » (« Apple Protection Plan ») qui correspond au taux de souscription de contrat d’après-vente et de garantie rapporté à l’ensemble des ventes).

57.Au-delà des remises proprement dites, le contrat de revendeur prévoit, dans les stipulations relatives au crédit et à la facturation, qu’Apple peut accorder à ses revendeurs une remise pouvant aller jusqu’à 0,5 % en cas de règlement des commandes dans un délai de 15 jours.

58.Concernant les systèmes d’évaluation et de notation des points de vente des APR mis en place par Apple, il sera précisé que :

' un audit « merchandising » vérifie la conformité et la bonne tenue des points de vente APR. Il porte sur l’aspect extérieur du magasin, sur son agencement, sur l’aspect général du showroom, sur le personnel du magasin et sur la présentation des produits ainsi que les services proposés. Cet audit permet de noter l’APR et a lieu a minima tous les six mois. Un score inférieur à 80 % entraine une réduction de la remise fonctionnelle qui leur est accordée (« Functional Discount ») ;

' un « APR Mystery Shopping scoring » met en 'uvre une évaluation par un client mystère, qui note les points de vente des revendeurs agréés de manière « anonyme » (c’est-à-dire sans indiquer qu’il travaille pour le compte d’Apple) sur les paramètres suivants : accueil des employés, définition des attentes, recommandations/réponses aux attentes, démonstration, connaissance des produits, réponse aux objections, accessoires/ventes additionnelles, conclusion et impressions. Elle a également lieu a minima tous les six mois et détermine le niveau des remises octroyées aux APR (« l’APR’s Performance rebate »).

VI. LA PROCÉDURE EN CAUSE

59.En octobre 2018, le rapporteur général de l’Autorité a adressé une notification de griefs pour des pratiques prohibées au titre du paragraphe 1 de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après «TFUE ») et des articles L.420-1 et L.420-2 alinéa 2 du code de commerce :

' aux sociétés Apple France SARL, Apple Sales International, Apple Distribution International, Apple Europe Limited, Apple Operations Europe, en tant qu’auteures ; et aux sociétés Apple Inc., Apple Operations Europe, Apple Operations International, en leur qualité respective de société mère (ces sept sociétés étant désignées ensemble, comme indiqué dans les visas du présent arrêt, les « sociétés Apple ») ;

' à la société Tech Data France SAS (ci-après, « Tech Data »), en tant qu’auteur ; et aux sociétés Tech Data France Holding, Tech Data BV et Tech Data Corp., en leur qualité respective de société mère (ci-après, toutes ensemble, les « sociétés Tech Data ») ;

' à la société Ingram Micro SAS (ci-après, « Ingram Micro »), en tant qu’auteur ; et aux sociétés Ingram Micro Europe BVBA et Ingram Micro Inc., en leur qualité respective de société mère (ci-après, toutes ensemble, les « sociétés Ingram »).

60.Aux termes du grief n° 1, notifié à six des sociétés précitées du groupe Apple (la société Apple Europe limited n’étant pas concernée), aux sociétés Tech Data, ainsi qu’aux sociétés Ingram, il leur a été reproché « d’avoir, sur le marché français de gros de la distribution de produits informatiques et électroniques grand public, mis en 'uvre une pratique concertée constituée d’échanges réguliers et durables d’informations stratégiques confidentielles, précises, individualisées et désagrégées sur l’activité liée à la distribution amont des produits de marque Apple. Ces échanges d’informations confidentielles entre les deux grossistes sont intervenus par l’intermédiaire d’Apple qui a, comme ses grossistes, participé activement à la pratique concertée. Celle-ci a eu pour objet et effet d’orienter les politiques et les stratégies commerciales des grossistes distribuant les produits de marque Apple, limitant ainsi leur autonomie commerciale sur le marché considéré ».

61.Aux termes du grief n° 2, notifié aux sociétés Apple, aux sociétés Tech Data, ainsi qu’aux sociétés Ingram, il leur a été reproché « de s’être entendues sur le marché français de gros de la distribution de produits informatiques et électroniques grand public pour restreindre, à travers la mise en place de mécanismes d’allocation, la clientèle à laquelle les grossistes peuvent vendre les produits de marque Apple ».

62.Aux termes du grief n° 3, notifié aux sociétés Apple, il leur a été reproché « d’avoir mis en 'uvre une pratique visant à limiter la liberté tarifaire des APR en fixant directement ou indirectement les prix aux consommateurs des produits de marque Apple, pratique ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ».

63.Aux termes du grief n° 4, notifié aux sociétés Apple, il leur a été reproché « d’avoir mis en 'uvre une pratique visant à exploiter de manière abusive la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent les APR en appliquant un ensemble de règles ou de comportements qui restreint de manière anormale leur activité. Cette pratique affecte, au moins potentiellement, le fonctionnement et la structure de la concurrence ».

64.Par la décision n° 20-D-04 du 16 mars 2020 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple, l’Autorité a dit non établi le grief n° 1 (échanges d’information sur le marché de gros), a retenu les griefs n° 2 (restriction de clientèle sur le marché de gros) et n° 4 (exploitation abusive de la dépendance économique des APR) à l’encontre de toutes les sociétés auxquelles ils ont été notifiés et retenu le grief n° 3 (limitation de la liberté tarifaire des APR) à l’encontre de certaines d’entre elles seulement.

65.Elle a infligé des sanctions pécuniaires aux sociétés Apple, aux sociétés Tech Data et aux sociétés Ingram pour avoir enfreint les dispositions de l’article L.420-1 du code de commerce, ainsi que celles de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE étant précisé qu’elle a prononcé à l’encontre des sociétés Apple des sanctions distinctes au titre de chacun des griefs.

66.Ces trois groupes de sociétés ont formé un recours en annulation, et subsidiairement, en réformation contre cette décision.

67.Par leur recours et aux termes de leurs dernières écritures, les sociétés Apple demandent à la Cour :

À titre principal

' d’annuler les articles 2, 3 et 5 de la décision attaquée et en conséquence, d’annuler les articles 6, 7 et 8 de cette décision, en ce qu’ils ont prononcé des sanctions pécuniaires à leur encontre ;

' le cas échéant, de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après la « CJUE ») :

« 1) Le mécanisme dit 'd’allocations de second niveau’ mis en 'uvre par Apple, qui détermine des priorités de livraisons aux revendeurs pour les deux grossistes afin d’éviter des pénuries de produits et d’assurer un approvisionnement équitable de l’ensemble du réseau de distribution, sans pour autant allouer les clients eux-mêmes à ces grossistes, doit-il être considéré comme une répartition de clientèle au sens de l’article 4, sous b) du règlement n°330/2010 de la Commission européenne '

2) Le mécanisme d’allocations prioritaires de livraison mis en 'uvre par Apple, tel que décrit ci-dessus, doit-il être considéré comme une restriction de concurrence par objet ' En particulier, en l’absence avérée d’effets anticoncurrentiels produits par ce mécanisme d’allocations prioritaires de livraison, une restriction par objet peut-elle être caractérisée '

3) En l’absence de preuves directes de la volonté du fournisseur d’imposer des prix de revente minimum à ses distributeurs, la mise en place d’une politique de remises laissant au fournisseur une latitude pour faire évoluer périodiquement les critères sur lesquels ces remises sont accordées et faire varier le niveau de ces dernières est-elle suffisante pour démontrer l’existence d’une pratique de prix de revente imposés contraire à l’article 101 TFUE ' La périodicité de cette évolution en pratique (tous les deux à trois ans) est-elle susceptible d’avoir un impact sur l’analyse '

4) A la supposer établie, une pratique de prix de revente imposés limitée à un canal de distribution « premium », qui se caractérise naturellement par des prix plus élevés et une offre de services plus étendue, et qui ne représente, sur le marché national visé, que 10 % des ventes au détail de produits en cause, peut-elle être considérée comme une restriction par objet au regard de l’article 101 TFUE, dès lors qu’aucune restriction n’a été imposée aux autres revendeurs, qui pratiquaient de manière constante une politique de prix particulièrement bas ' ».

À titre subsidiaire

' de réformer les articles 6, 7 et 8 de la décision attaquée susvisée en réduisant le montant des sanctions prononcées à leur encontre ;

En tout état de cause

' de condamner l’Autorité au paiement de la somme de 500 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

' de condamner la société eBizcuss au paiement de 80 000 euro au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

68.Par leur recours et aux termes de leurs dernières écritures, les sociétés Tech Data demandent à la Cour :

À titre principal

' d’annuler et à défaut de réformer les articles 2 et 6 de la décision attaquée en ce qu’ils visent les sociétés Tech Data ;

' d’écarter des débats les cotes nouvellement citées par l’Autorité : 26947, 34140 à 34146, 34148, 34636,26330,27510 à 27511, 32243 à 32244, 12864, 26369 à 26374, 27040 à 27045,29574 à 29578, 32208, 32282 à 32284 ;

Statuant à nouveau,

' de constater que les pratiques sanctionnées par l’article 2 de la décision attaquée ne sont pas établies à l’encontre des sociétés Tech Data, et en conséquence de dire n’y avoir lieu à sanction à leur encontre ;

À titre subsidiaire

' de dire n’y avoir lieu au prononcé d’une amende à leur encontre et à défaut de ramener le montant de cette amende à une somme qui ne saurait excéder 1 million d’euros ;

En tout état de cause :

' de condamner l’Autorité à leur verser la somme de 30 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

69.Par leur recours et aux termes de leurs dernières écritures les sociétés Ingram demandent à la Cour :

À titre principal

' d’annuler la procédure de recours pour violation du droit au procès équitable au vu des nouvelles pièces utilisées par l’Autorité dans ses observations venant s’ajouter à la décision attaquée qui n’ont pas été versées aux débats précédemment ;

' en conséquence, d’annuler la décision attaquée ;

À titre subsidiaire

' d’annuler et à défaut de réformer les articles 2 et 6 de la décision attaquée en ce qu’ils visent les sociétés Ingram Micro SAS, Ingram Micro Europe BV et Ingram Micro Inc ;

À titre très subsidiaire

' d’annuler et à défaut de réformer l’article 6 de la décision attaquée, en ce qu’il vise les sociétés Ingram Micro SAS, Ingram Micro Europe BV et Ingram Micro Inc. et de dire n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction ;

À titre infiniment subsidiaire

' de réduire la sanction infligée

En tout état de cause,

' de condamner l’Autorité à leur payer la somme de 500 000 euros, sauf à parfaire, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

70.Ayant observé qu’un moyen nouveau était développé par les requérantes concernant le respect du droit à un procès équitable et du contradictoire du fait de la citation dans ses observations déposées le 20 mai 2021 de certaines cotes (qui n’auraient pas été, selon les requérantes, versées au dossier ou fait l’objet d’un débat contradictoire pendant la procédure administrative), l’Autorité a demandé à la Cour, par courriel du 27 octobre 2021, à pouvoir communiquer avant l’audience, fixée au 4 novembre suivant, un écrit très succinct, accompagné d’un tableau récapitulatif, afin d’apporter l’ensemble des éléments nécessaires à son appréciation.

71.Cette demande ayant été accueillie, les sociétés requérantes ont, à leur tour demandé, à l’audience et avant tout débat au fond, à pouvoir y répliquer par note en délibéré, ce que la Cour a autorisé.

72.L’Autorité et le ministère public invitent la Cour à écarter l’ensemble des moyens et rejeter les recours.

73.Le ministre chargé de l’économie a invité la Cour à rejeter le recours, dans ses observations écrites, et indiqué à l’audience qu’il considérait finalement que le grief n° 2 n’était établi qu’à compter du 25 novembre 2009 (sur la base de la cote 32246, pièce Tech Data n° 15) et non du 2 décembre 2005, comme l’a retenu la décision attaquée.

74.Le mandataire liquidateur de la société eBizcuss présente une argumentation tendant aux mêmes fins et demande, en outre, à la Cour de condamner, solidairement, les sociétés Apple, les sociétés Ingram et les sociétés Tech Data à payer à la société en liquidation la somme de 120 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I. SUR LES VIOLATIONS PROCÉDURALES ALLÉGUÉES DANS LE CADRE DE LA PRÉSENTE INSTANCE

75.Les sociétés Apple invoquent, en premier lieu, la violation du droit à un procès équitable et du principe du contradictoire reprochant à l’Autorité d’avoir utilisé, dans ses observations en réponse devant la Cour, des documents et pièces qui n’avaient pas été inclus dans le débat contradictoire au stade de la procédure administrative. Elles estiment que cette situation constitue également une rupture de l’égalité des armes et qu’elle doit entraîner une annulation de toute la procédure et, partant, de la décision attaquée elle-même ou, à tout le moins, l’irrecevabilité desdits éléments.

76.Elles dénoncent plus précisément l’utilisation de :

' 46 cotes additionnelles, issues des scellés informatiques massifs réalisés lors des opérations de visite et saisie de juin 2013 dans les locaux d’Apple, de Tech Data et d’Ingram Micro, qui ont fait l’objet d’une protection « en bloc » au titre du secret des affaires et n’ont jamais été versées au dossier en version non confidentielle :cotes 4271, 21161, 26330, 26369 à 26374, 26947, 26777, 26901, 27040 à 27045, 27054, 27510 et 27511, 28150, 28153, 28277, 28373, 28792, 29574 à 29578, 32243 et 32244, 32282 à 32284, 32308, 34140 à 34146, 34148, 34636.

' 100 cotes supplémentaires qui, si elles figuraient dans les 909 annexes de la notification de griefs et/ou les 107 annexes complémentaires du rapport, parmi des dizaines de milliers de pages, n’ont jamais été discutées contradictoirement lors de la procédure administrative : cotes 602, 716, 721, 796 à 798, 1513, 3133, 3141, 3701, 3728 à 3730, 4526, 5548, 11369, 12864, 13974, 14013, 14352, 14358, 19061, 19062, 19130, 19131, 19369, 19544, 19545, 19612 à 19650, 19652 à 19656, 40432, 40433, 42548, 43847, 44004, 45094, 45270 à 45272, 46545, 46548, 42567, 42568, 46558, 46559, 46561, 47300, 47878, 47879, 49704 à 49715.

77.S’agissant des 46 cotes non versées au dossier, elles précisent que la version cotée des documents à laquelle l’Autorité se réfère n’a jamais été annexée ni à la notification de griefs, ni au rapport, et n’a ainsi jamais été fournie aux parties lors de la procédure administrative, que ce soit sous forme confidentielle ou non confidentielle. En l’absence de déclassement, elles relèvent n’avoir ainsi jamais eu accès aux scellés informatiques saisis chez Tech Data et Ingram Micro et, pour les scellés informatiques saisis dans ses propres locaux, être dans l’incapacité d’identifier, parmi les dizaines de milliers de pages qu’ils contiennent, les documents susceptibles de lui être au final opposés par l’Autorité (d’autant que les copies remises au moment des opérations de visite et saisie n’étaient pas cotées). Elles soutiennent qu’il appartenait à l’Autorité de procéder au déclassement des pièces si elle entendait s’en prévaloir et rappellent qu’elles ne pouvaient elles même faire une telle demande au cours de la procédure administrative alors qu’elles ignoraient l’existence de ces pièces et l’intention de l’Autorité de s’en prévaloir au stade du recours. Elles estiment qu’admettre cette situation aboutirait à permettre à l’Autorité de soumettre à la contradiction une minorité d’éléments et de garder une grande majorité de pièces à charge hors des débats afin de pouvoir les opposer aux requérants dans le cadre des recours en privant ces dernières d’un tour de contradictoire.

78.Elles ajoutent que le fait qu’une partie de ces cotes (celles extraites des scellés informatiques saisis chez Apple) leur ait finalement été transmises par l’Autorité n’est pas de nature à remettre en cause la violation grave des droits de la défense et du principe du contradictoire. Elles maintiennent qu’en soumettant ces éléments dans le cadre de la procédure de recours, l’Autorité les a privées de l’effectivité de leur recours, de sorte que cette violation ne peut pas être réparée et doit nécessairement emporter l’annulation de la décision attaquée.

79.Elles soutiennent que, dans le cadre d’un recours en annulation, la Cour n’est pas saisie de l’intégralité du dossier mais doit seulement se prononcer sur la légalité de la décision qui lui est déférée, sur la base des éléments soumis au débat contradictoire devant l’Autorité. Elles soulignent que le fait qu’elles puissent elles-même utiliser des éléments qui n’ont fait l’objet d’aucun déclassement est sans pertinence, dès lors que l’Autorité a accès, depuis l’origine, à l’intégralité des cotes et ne peut se prévaloir d’aucune violation du contradictoire à son égard.

80.Elles demandent, en second lieu, à la Cour de rejeter comme irrecevable l’ensemble des développements consacrés par eBizcuss à des points non traités, voire expressément écartés, par la décision attaquée (comme la distribution des iPhones, la position dominante alléguée d’Apple, la question de l’interopérabilité de l’environnement Apple avec d’autres systèmes d’exploitation, le détournement de clientèle ou de prétendues pratiques de « ciseau tarifaire »). Elles estiment que ces éléments, qui visent à faire rejuger la plainte d’eBizcuss soumise en 2012 à l’Autorité, et dont cette dernière a écarté quasiment tous les arguments, ne sauraient être examinés dans le cadre d’un recours contre la décision attaquée, et ce d’autant moins en l’absence d’appel incident recevable d’eBizcuss.

81.Les sociétés Tech Data font également valoir une violation du principe du contradictoire en se prévalant du principe posé par l’article L.463-1 du code de commerce qui implique, selon elles, d’une part, que les parties doivent pouvoir disposer à compter de la notification des griefs de la faculté de consulter l’ensemble des pièces ayant servi à établir les griefs notifiés, d’autre part, que le collège ne peut fonder sa décision sur des éléments dont les parties n’ont pu débattre (CA Paris, 9 avril 2002, RG n° 01/19855, CA Paris, 23 mai 2017, RG n° 15/08224).

82.Elles dénoncent plus précisément l’utilisation, dans les observations de l’Autorité du 20 mai 2021, des 37 cotes suivantes : 26947, 34140 à 34146, 34148, 34636,26330,27510 à 27511, 32243 à 32244, 12864, 26369 à 26374, 27040 à 27045,29574 à 29578, 32208, 32282 à 32284.

83.Elles demandent, à titre subsidiaire, que ces cotes soient écartées des débats.

84.Les sociétés Ingram formulent le même grief, reprochant l’utilisation de 49 cotes nouvellement citées : 26 161, 26 330, 26 369 à 26 374, 26 947, 27 040 à 27 045, 27 510 et 27 511, 29 574 à 29 578, 32 243 et 32 244, 32 282 à 32 284, 32 308, 34 140 à 34 146, 34 148, 34 636, 796 à 798, 11 369, 12 864, 19 130 et 19 131, 19 369, 19 544, 19 061, 43 847 et 47 879 dont certaines, bénéficiant de la protection du secret des affaires, n’ont jamais fait l’objet d’un déclassement et n’ont pas été rendues accessibles (cotes12 864, 26 161, 26 330, 26 369 à 26 374, 26 947, 27 040 à 27 045, 27 510 et 27 511, 29 574 à 29 578, 32 243 et 32 244, 32 282 à 32 284, 32 308, 34 140 à 34 146, 34 148, 34 636).

85.Elles soutiennent que le fait de présenter, pour la première fois au stade du recours, de nouveaux éléments non débattus contradictoirement entre les parties, porte nécessairement atteinte au principe du droit au procès équitable protégé par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH »), au sein duquel se trouve le respect du contradictoire, et le principe d’égalité des armes. Comme les autres requérantes elles invoquent également le bénéfice de la jurisprudence de la Cour du 9 avril 2002 (RG n° 01/19855) et considèrent que les arrêts de la Cour des 3 décembre 2020 (RG n° 13/13058) et 21 décembre 2017 (RG n° 15/17638) qui leur sont opposés ne sont pas transposables en l’espèce, dans la mesure où ces pièces sont certes dans le dossier mais qu’elles n’y ont pas eu accès.

86.Elles estiment qu’en s’appuyant tardivement sur ces pièces inaccessibles, sans les verser aux débats, et en faisant peser sur les entreprises la responsabilité d’en demander le déclassement, l’Autorité a interverti les rôles au détriment des entreprises visées. Elles demandent en conséquence à la Cour d’annuler la « procédure de recours », ainsi que la décision attaquée, pour violation du droit au procès équitable.

87.Les sociétés requérantes soulignent également que l’arrêt Vebic du 7 décembre 2010 (affaire C-439/08) invoqué par l’Autorité n’a pas modifié la nature du recours porté devant la Cour (recours en annulation dans le cadre duquel est apprécié la légalité de la décision attaquée) et l’applicabilité de l’article 6 de la CSDH au litige compte tenu de l’utilisation par l’Autorité de nombreuses pièces qui demeurent inaccessibles aux entreprises en cause. Elles estiment en outre que la jurisprudence nationale citée par l’Autorité n’est pas transposable compte tenu du contexte procédural dans lequel elles ont été rendues, distinct de l’espèce.

88.Toutes considèrent que la présentation de ces éléments au stade du recours démontre, en tout état de cause, l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée, justifiant son annulation.

89.L’Autorité estime, concernant les cotes émanant d’Apple, de Tech Data et d’Ingram Micro qui ont fait l’objet d’une protection au titre du secret des affaires et qui n’ont pas été déclassées et rendues accessibles à l’ensemble des parties pour cette raison, que les sociétés ne sauraient prétendre n’y avoir jamais eu accès. Elle relève, concernant Apple, qu’une partie importante de ces pièces émane du groupe Apple lui-même et/ou ont été saisies dans ses locaux et qu’à l’issue de l’opération de visite et saisies, elles ont reçu une copie intégrale du scellé informatique réalisé.

90.Elle fait valoir ensuite que toutes les sociétés mises en cause ont reçu, à l’occasion de l’envoi de la notification des griefs et du rapport, un CD-ROM comprenant l’intégralité des cotes versées au dossier, dans leur version non-confidentielle et précise que cette version cotée des documents est celle à laquelle fait référence l’Autorité tant dans la décision attaquée que dans ses observations. Elle ajoute que les sociétés Apple mobilisent elle-même, dans leurs conclusions récapitulatives des cotes confidentielles qui n’ont jamais été citées expressément ni dans le cadre de la procédure administrative ni dans les observations de l’Autorité : par exemple, les cotes 44720 et 44721 (§ 283 des conclusions récapitulatives) cote 16177 (§ 963 du même document), qui ont été saisies à l’occasion des opérations de visites et saisies et n’ont jamais fait l’objet d’un déclassement.

91.Elle précise avoir communiqué à chacune des requérantes, afin de faciliter les répliques, les cotes classées saisies dans leurs locaux respectifs, procédant à ces envois le 29 juin 2021 s’agissant d’Apple (pièce n° 3), le 6 juillet 2021 pour Ingram Micro (pièce n° 4) et le 15 juillet et le 6 septembre 2021 pour Tech Data (pièce n° 5). Elle rappelle qu’à défaut de déclassement partiel ou total et aux fins de protection des secrets d’affaires des entreprises concernées, les cotes confidentielles ne sont pas accessibles aux autres parties à la procédure administrative. Elle ajoute qu’à l’issue de la procédure administrative, l’Autorité ne peut plus faire droit à des demandes de déclassement présentées sur le fondement de l’article R.463-15 du code de commerce et qu’il convient alors de saisir la cour d’appel d’une demande en ce sens, sur le fondement de l’article L.153-1 du code de commerce, comme les y invitaient ces différents courriers en réponse aux demandes d’accès.

92.Elle relève également que la Cour, dans un arrêt du 11 juillet 2019 (RG n° 18/01945), a rappelé notamment que « le rapport des rapporteurs n’a pas pour objet d’établir une liste exhaustive des milliers de pièces figurant au dossier (…) Il est dès lors légitime que les rapporteurs visent les seules pièces, ou passages de pièces, qui leur paraissent utiles soit pour appuyer leur démonstration sur ces pièces, soit pour exposer en quoi celles-ci ne contredisent pas l’analyse retenue (…) étant rappelé que les parties, quant à elles, ont tout loisir d’exploiter l’ensemble des pièces du dossier, y compris celles non visées, ou non visées de façon exhaustive, par les rapporteurs dans le rapport ». Elle considère que l’Autorité n’est pas tenue de prendre en compte, dans sa décision, l’ensemble des éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire, dès lors que ces éléments figurent au dossier. Elle observe que si le collège devait se fonder sur les seules pièces visées par la notification des griefs et le rapport, les parties seraient privées de la possibilité de mobiliser pour leur défense des pièces qui n’ont pas été mentionnées par les services d’instruction ou de verser de nouveaux éléments au dossier dans le cadre du débat contradictoire.

93.Elle en déduit que le fait que l’Autorité mobilise, dans le cadre du recours contre la décision, des cotes qui n’ont pas été explicitement visées par la notification des griefs ou par le rapport ne saurait remettre en cause la validité de la procédure administrative, dès lors que l’ensemble de ces documents figuraient au dossier et ont donc été soumis au débat contradictoire. Elle soutient, en tout état de cause, qu’en l’espèce, les cotes litigieuses sont mobilisées à l’appui d’éléments qui ont déjà été discutés dans le cadre de la procédure administrative ou en réponse à des arguments économiques soulevés par Apple.

94.Elle invite la Cour si, par extraordinaire, elle décidait d’écarter des débats les pièces litigieuses visées par Apple, à constater que ce retrait serait sans conséquence sur l’argumentation développée par l’Autorité dans les observations déposées le 20 mai 2021.

95.Concernant la seconde catégorie de cotes, elle rappelle que le principe du contradictoire n’implique pas que chacune des pièces du dossier ait été individuellement discutée au cours de la procédure et, a fortiori, explicitement mentionnée dans la notification des griefs et dans le rapport, mais que l’ensemble des pièces sur lesquelles se fonde l’Autorité pour adopter sa décision figurent au dossier et aient, en conséquence, pu être discutées contradictoirement par les parties, sous réserve de l’article L.464-4 du code de commerce.

96.Invoquant le dernier état de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 3 décembre 2020, RG n° 13/13058, paragraphe 85) elle considère qu’elle doit pouvoir défendre la décision attaquée « (') en présentant les arguments qu’il lui apparaissent pertinents sur la matérialité des faits, leur qualification et leur sanction, tant que cette argumentation n’invoque aucun nouvel élément de fait qui ne soit pas issu de l’enquête et de l’instruction et qu’elle reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs ». Elle ajoute que la solution retenue dans l’arrêt du 9 avril 2002 cité par les sociétés Apple est caduque depuis l’arrêt Vebic, par lequel la Cour de justice lui a reconnu la qualité de partie, statut impliquant la faculté de présenter des moyens qui, comme les parties requérantes, ne sauraient se borner au rappel de la notification de griefs ou de la décision elle-même, et se limiter aux pièces expressément citées dans ces documents.

97.Enfin, elle relève qu’il n’est pas soutenu que l’Autorité ait apporté des éléments de preuves nouveaux ou des éléments conduisant à accentuer la gravité des pratiques reprochées à la requérante, de sorte qu'« il lui est, comme pour toute partie, loisible de présenter des éléments d’analyse non encore invoqués, susceptibles de conforter celle développée dans la décision attaquée, voire de s’y substituer », ainsi que l’a déjà rappelé la Cour (arrêt du 21 décembre 2017, RG n° 15/17638).

98.Le ministère public considère que la faculté qu’a l’Autorité de présenter des observations, quand bien même celles-ci comporteraient des éléments nouveaux pour répondre aux prétentions des parties, n’est pas de nature à vicier la procédure, ni devant la Cour, ni devant l’autorité administrative, dès lors que les parties ont eu la faculté de répliquer, renvoyant à la jurisprudence de la Cour en ce sens (CA Paris, 21 décembre 2017, RG n° 15/17638 pt. 279, CA Paris, 3 décembre 2020, RG n° 13/13058, pt. 83).

99.Il relève que les cotes litigieuses ont été transmises aux parties en tenant compte des décisions de protection du secret des affaires, qui n’ont fait l’objet d’aucun recours :

' les cotes 12 864, 32 282 à 32 284, 32 308, 34 140 à 34 146, et 34 148, ont été adressées à la société Tech Data ;

' les cotes 26 161,.26 330, 26369 à 26 374, 26 947, 24 040 à 27 045, 27 510 et 27 511 et 34 636 ont été adressées à la société Apple ;

' et les cotes 29 574 à 29 578, 32 243 et 32 244 ont été adressées à la société Ingram Micro.

100.Il observe que les requérantes ont été mises en mesure de discuter ces cotes et en déduit que le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit être rejeté.

101.S’agissant des critiques adressées à la société eBizcuss, il invite la Cour à adopter 1'analyse des requérantes, dès lors que le cadre de sa mise en cause d’office était circonscrit à la sollicitation du rejet des demandes des requérantes et de la confirmation de la décision attaquée.

Sur ce, la Cour,

102.Il ressort de l’analyse des cotes litigieuses ' mobilisées par l’Autorité en réplique aux écritures des requérantes qui invoquaient, notamment, l’insuffisance d’éléments étayant la caractérisation des infractions en cause ' que celles-ci se répartissent essentiellement en deux catégories :

' les unes sont des pièces bénéficiant de la protection du secret des affaires accordée aux différentes requérantes. Ce sont en particulier les cotes 26947, 34636, 26330, 27510 à 27511, 26369 à 26374, 27040 à 27045 qui ont été classées secret des affaires au bénéfice des sociétés Apple ; les cotes 29574 à 29578, 32243 et 32244 qui ont été classées secret des affaires au bénéfice des sociétés Ingram ; les cotes 32208, 34148, 32282 à 32284, 34140 à 34146 et 12864 qui ont été classées secret des affaires au bénéfice des sociétés Tech Data ;

' les autres correspondent à des cotes versées au dossier (ayant été annexées à la notification des griefs ou au rapport) qui n’avaient pas spécialement été exploitées lors de la procédure administrative (ni dans la notification des griefs, ni dans le rapport, ni dans la décision attaquée) et n’avaient donc pas été spécifiquement discutées par les parties. Certaines sont néanmoins parfois visées dans la décision (par exemple les cotes 40432 et 40433 citées § 536) mais sans que leur contenu ne soit particulièrement explicité.

103.S’agissant de la référence faite, dans les observations de l’Autorité déposées devant la Cour, à cette seconde catégorie, il convient de relever qu’elles sont extraites du dossier d’instruction et ont été versées à la procédure. Librement accessibles, elles sont dès lors réputées avoir été soumises au contradictoire, sauf à établir qu’il en est tiré des éléments affectant la situation des entreprises mises en cause (en ce qu’ils modifieraient la nature de l’infraction retenue, la gravité des faits ou encore la durée de participation à l’infraction poursuivie…), de sorte qu’elles auraient dû faire l’objet d’un débat contradictoire spécifique.

104.En l’espèce, les cotes litigieuses correspondent à des éléments factuels similaires à ceux qui ont été discutés au cours de la procédure administrative. Dans ses observations du 20 mai 2021 l’Autorité se borne à les relever en réponse aux requérantes qui mettaient en cause l’insuffisance des éléments établissant les infractions poursuivies et sanctionnées, sans en tirer aucune conséquence nouvelle.

105.L’Autorité ayant développé une argumentation qui n’invoque aucun nouvel élément de fait qui ne soit pas issu de l’enquête et de l’instruction et qui reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs, les requérantes ne sont donc pas fondées à demander le rejet de ces pièces des débats, ni davantage à demander l’annulation de « la procédure de recours » et celle de la décision attaquée à ce titre.

106.N’ayant pas invoqué une situation factuelle et juridique nouvelle et s’étant bornée à renvoyer les parties aux autres exemples présents au dossier concernant les points en discussion, l’Autorité n’a pas davantage privé les sociétés requérantes de l’effectivité de leur recours. Il ne saurait en effet être exigé des rapporteurs qu’ils dressent à l’occasion de la notification des griefs ou du rapport une liste exhaustive de toutes les pièces figurant au dossier. Il leur incombe en effet de présenter leur analyse de la façon la plus claire possible, afin de permettre aux parties de répondre aux arguments qui vont leur être opposés devant le collège, les rapporteurs visant ainsi les seules pièces, ou passages de pièces, qui leur paraissent utiles soit pour appuyer leur démonstration sur ces pièces, soit pour exposer en quoi celles-ci ne contredisent pas l’analyse retenue, étant rappelé que les parties, quant à elles, ont tout loisir d’exploiter l’ensemble des pièces du dossier, y compris celles non visées, ou non visées de façon exhaustive, dans le rapport ou la décision attaquée. La même analyse doit également être menée à l’égard du collège auquel il ne saurait être imparti d’établir une liste exhaustive de tous les exemples figurant dans les pièces du dossier corroborant une même situation factuelle ou juridique, dès lors que la décision qu’il rend est étayée d’un nombre d’éléments suffisamment probants, ce que la Cour vérifiera précisément dans le cadre du recours exercé.

107.Par ailleurs, les requérantes, qui ont déposé des conclusions récapitulatives les 25 et 26 octobre 2021 ont été mises en mesure de répliquer aux observations déposées le 20 mai 2021 dans le respect du principe de la contradiction.

108.Sur la non transmission des pièces couvertes par le secret des affaires, la Cour rappelle, tout d’abord, qu’à l’issue des opérations de visites et saisies, chaque société visitée a reçu une copie intégrale du scellé informatique réalisé par les services d’instruction, qui comprenait l’ensemble des documents saisis et ultérieurement versés au dossier par l’Autorité. S’il est exact que ces pièces n’étaient alors pas cotées, il doit être relevé que l’Autorité a procédé à une communication des pièces concernées, dans leur version cotée, dans le cadre du présent recours, mettant ainsi en mesure les sociétés ayant demandé le bénéfice de la protection des affaires de répliquer.

109.Il doit être relevé, ensuite, à l’égard des autres sociétés qui n’ont pas eu accès aux pièces saisies dans les locaux de leurs concurrents, que le droit des parties de prendre connaissance des pièces recueillies au cours de l’instruction n’est pas un droit absolu et illimité et doit être mis en balance avec le droit des entreprises à la protection du secret de leurs affaires (Com., 19 janvier 2016, pourvoi n°14-21.671). À défaut de recours exercé contre les décisions prises par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence qui accordent la protection du secret des affaires ou qui refusent la levée de ce secret, la protection accordée se poursuit devant la Cour et s’impose à l’Autorité. C’est donc à juste titre que celle-ci, en réponse aux demandes de communication de pièces classées qui lui ont été adressées par les requérantes dans le cadre du présent recours, a, par ses courriers en date des 14 et 21 juin 2021, invité les requérantes qui n’étaient pas bénéficiaires de la mesure de protection à saisir la Cour sur le fondement de l’article L.153-1 du code de commerce pour en demander le déclassement et transmis, à nouveau, à celles qui en étaient bénéficiaires, les éléments, déjà en leur possession, dans leur version cotée.

110.La Cour relève, en l’espèce, que l’audience s’est tenue le 4 novembre 2021 sans qu’aucune des requérantes n’ait saisi la Cour d’une demande tendant à lever cette mesure au regard des droits de la défense et que chacune d’elles a déposé des conclusions récapitulatives discutant les éléments invoqués par l’Autorité dans ses observations du 20 mai 2021, qui ont été cités sous forme d’extraits ou de résumé sous le contrôle de la Cour comme de la partie dans les locaux de laquelle la pièce a été saisie. C’est d’ailleurs à cette occasion que les sociétés du groupe Apple ont invoqué à leur tour des pièces protégées pour éclairer la portée de certains échanges et contester l’analyse de l’Autorité, telles que les cotes 44720 et 44721 (§ 283 des conclusions récapitulatives) ou la cote 16177 (§ 963 des mêmes écritures).

111.Comme les pièces précédentes, les pièces classées illustrent une argumentation qui reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs, en réponse aux requérantes qui mettaient en cause l’insuffisance des éléments retenus pour établir les infractions poursuivies et sanctionnées, ces références ayant pour objet de relever l’existence au dossier d’autres éléments factuels similaires à ceux retenus par la décision attaquée.

112.La Cour relève par ailleurs que le classement d’une pièce ne saurait avoir pour effet de la rendre totalement indisponible, à charge comme à décharge, son utilisation s’exerçant simplement selon des modalités protectrices du secret en cause, sous le contrôle de la Cour et la vigilance des parties qui y ont librement accès. Les sociétés Apple ont ainsi elles-même mobilisé, dans leurs conclusions récapitulatives du 26 octobre 2021, des cotes confidentielles qui n’ont jamais été citées expressément ni dans le cadre de la procédure administrative ni dans les observations de l’Autorité et qui sont susceptibles d’être opposées aux autres sociétés requérantes qui n’ont pas demandé la levée de cette mesure.

113.En cet état, les parties, qui ont été mises en mesure de répliquer dans le respect des principes invoqués, ne sont donc pas fondées à invoquer leur violation.

114.La Cour ajoute, en tout état de cause, que l’irrégularité invoquée, en ce qu’elle porte sur le déroulement des échanges entre les parties et le respect du contradictoire et de l’égalité des armes dans le cadre du recours exercé contre la décision attaquée, n’est pas, en elle même, de nature à vicier la régularité de la procédure antérieure et à entraîner l’annulation, par voie de conséquence, de la décision attaquée.

115.La violation du principe du contradictoire, à la supposer invoquée également au stade de la procédure administrative, ne saurait davantage résulter du fait que certaines pièces de la procédure n’étaient pas accessibles à l’ensemble des parties, dès lors que cette situation résulte des décisions accordant la protection au titre du secret d’affaires réclamée à tour de rôle par chacune des requérantes, contre lesquelles elles n’ont au demeurant exercé aucun recours. Aucune annulation de la procédure ne saurait en conséquence être prononcée à ce titre.

116.La Cour relève, au surplus, qu’aucune des pièces litigieuses n’est indispensable à la caractérisation des infractions en cause et ne sert de fondement nécessaire aux poursuites et à la décision attaquée, ne constituant que des illustrations supplémentaires d’éléments cités et analysés dans la décision attaquée, comme le confirmeront les développements qui suivent.

117.Les moyens sont en conséquence rejetés.

118.Sur le périmètre des écritures de la société eBizcuss, la Cour rappelle que la mise en cause d’office de la société eBizcuss autorise cette dernière à présenter des observations sur le mérite des recours formés par les sociétés sanctionnées mais ne l’autorise pas à saisir la Cour de prétentions autonomes, comme elle l’a déjà précisé dans son arrêt du 11 février 2021. Elle ne peut davantage aggraver la nature des pratiques en cause en y ajoutant, notamment, des éléments ou circonstances que l’Autorité n’a pas retenus. C’est ainsi à juste titre que les sociétés Apple contestent sa capacité à développer, notamment, une argumentation relative à d’autres abus, tels que l’existence de discriminations tarifaires, d’agissements parasitaires ou encore la réduction significative et brutale du crédit fournisseur, pour caractériser l’exploitation abusive de la situation de dépendance économique des APR (grief n° 4).

119.C’est dans cette limite que la Cour appréciera ses observations du 6 juillet 2021 dans les développements qui suivent.

II. SUR LA RESTRICTION DE CLIENTÈLE MISE EN 'UVRE ENTRE APPLE ET SES GROSSISTES AGRÉÉS (GRIEF N° 2)

120.Aux termes de la décision attaquée, l’Autorité a relevé que, de décembre 2005 à mars 2013, Apple a procédé à des répartitions de produits entre les clients de ses grossistes ainsi qu’à des répartitions de clientèle entre ses deux grossistes, Ingram Micro et Tech Data, de sorte que les détaillants resellers et retailers n’ont pu les mettre en concurrence, soit entre eux, soit avec Apple. Elle a estimé que cette pratique n’était pas justifiée par la nécessité de gérer les situations de rareté ou de pénurie des produits, ces situations étant majoritairement créées par le groupe Apple lui-même.

121.Elle a considéré qu’il s’agissait d’une entente, contraire à l’article 101 du TFUE et à l’article L.420-1 du code de commerce, facilitée par des échanges très fréquents et détaillés d’informations entre Apple et ses grossistes, qui ont permis au groupe Apple de contrôler et de surveiller le respect des allocations qu’il avait précédemment fixées (opérant une restriction de la clientèle à laquelle les grossistes pouvaient vendre les produits de marque Apple).

122.Ces différents points sont contestés.

A. Sur l’accord de volonté entre les parties et la matérialité des allocations litigieuses

123.Toutes les sociétés requérantes font valoir, en premier lieu, que le système d’allocations en cause consiste simplement à établir un ordre de priorité, suggéré par Apple, pour les livraisons de ventes ayant déjà eu lieu (et pour lesquelles la concurrence entre grossistes a déjà produit ses effets), non à allouer des clientèles séparées aux deux grossistes.

124.À cette occasion, les sociétés Apple dénoncent une confusion entre deux types d’allocations :

' l’allocation de premier niveau, consistant à allouer à ses clients directs des volumes, par zone géographique et par canal de distribution, système fonctionnant sur la base du système de forecast, déterminé de manière unilatérale par Apple et appliqué en interne par le groupe, qui relève de la liberté du fournisseur et n’est pas critiquable et ;

' celle de second niveau, portant sur des préconisations concernant la distribution des produits des grossistes aux revendeurs, caractérisée par le principe « ship-to-backlog », qui recouvre des priorités de livraison diffusées par Apple à ses grossistes, constituant de simples préconisations non contraignantes, destinées à optimiser la distribution des produits Apple auprès des revendeurs (retailers et resellers).

125.Elles ajoutent que l’Autorité n’est pas fondée à soutenir que les livraisons en cause devraient être assimilées à des ventes, compte tenu du fait qu’une vente se réalise indépendamment de son exécution conformément à l’article 1583 du code civil.

126.Les sociétés Apple et Ingram font également valoir que rien ne démontre une intervention d’Apple pour empêcher une vente ou contraindre les grossistes à vendre à certains clients, ni que les revendeurs auraient été empêchés de faire jouer la concurrence entre les grossistes. En définitive, les sociétés Apple considèrent que la décision attaquée ne contient qu’un unique exemple (cote 26448, citée notamment § 674 de la décision attaquée) dans lequel le groupe Apple a été amené à suggérer un basculement de la commande passée chez Tech Data vers Ingram Micro dans un contexte d’extrême urgence pour le revendeur. Pour leur part, les sociétés Ingram produisent, en annexe 10, une facture, afin de démontrer qu’une commande a bien été passée auprès d’Ingram Micro par le client revendeur concerné.

127.Les sociétés Apple et Ingram ajoutent que l’Autorité a ignoré l’objectif pro-concurrentiel du dispositif. Elles relèvent également qu’instaurer une pénurie volontaire sur les produits n’aurait aucun sens (conduisant à une contraction de revenus, voire à des pertes financières ou de parts de marché au bénéfice des concurrents) et considèrent qu’il s’agit en l’espèce d’une conséquence directe des caractéristiques du secteur (obsolescence rapide du fait de l’innovation constante des fabricants, modèle de lean manufacturing mis en place par Apple pour s’adapter à cette évolution constante et éviter la constitution de stocks d’invendus). Les sociétés Ingram ajoutent qu’Apple France, comme Apple Europe, ont subi cette contrainte.

128.Toutes ces sociétés soutiennent, en deuxième lieu, que l’Autorité a commis une erreur de droit concernant le standard de preuve applicable pour démontrer l’accord de volonté entre Apple et ses grossistes.

129.Elles relèvent que les documents cités sont en majorité internes à Apple ou concernent des échanges entre Apple et des APR, ne comportent pas la réponse des grossistes démontrant un accord effectif et ont été interprétés de manière erronée. Elles estiment qu’au final pour démontrer cet accord de volonté, la décision attaquée se limite à deux courriels de Tech Data, deux courriels d’Ingram Micro et un courriel interne d’Apple.

130.Elles contestent l’interprétation de nombreuses pièces et insistent sur les termes employés évoquant des produits et clients « à livrer » et non une politique de restriction de clientèle.

131.Les sociétés Ingram observent également que la décision s’est fondée sur un acquiescement implicite sans démontrer une concordance de volonté sur un but anticoncurrentiel, comme l’a jugé la Cour de justice dans l’affaire [O] pour admettre qu’un accord puisse être réputé conclu au moyen d’une acceptation tacite (CJUE, 6 janvier 2004, C-2/01P, point 102). Elles relèvent encore qu’il n’est pas non plus démontré d’acquiescement concernant des allocations pour des périodes hors contraintes (les cotes 30527, 30528 et 32446 concernant des périodes de lancement d’iMac ou d’iPod et ainsi des produits contraints)

132.Les sociétés Tech Data ajoutent que le grief d’entente verticale ne peut être établi à l’encontre de plusieurs distributeurs que lorsque la preuve de l’acquiescement de chacun d’eux est rapportée de manière individuelle.

133.En l’espèce, elles font tout d’abord valoir que :

' en l’absence de preuves directes, l’Autorité devait réunir un faisceau d’indices graves, précis et concordants, pour chacun des grossistes, alors qu’elle s’est appuyée sur des preuves qui concernent Ingram Micro pour démontrer un acquiescement tacite de Tech Data (échanges de courriels cités aux paragraphes 275 à 323 de la décision attaquée) ;

' en définitive, la décision attaquée ne se fonde que sur deux pièces datant d’octobre 2012 et janvier 2013 (paragraphes 636 à 639), qui ne démontrent ni l’acquiescement de Tech Data à la politique d’allocations d’Apple ni l’existence d’un accord de volontés remontant à l’année 2005.

134.Elles ajoutent, concernant les autres échanges entre « Apple et ses grossistes agréés » cités aux paragraphes 275 à 323 de la décision attaquée, qu’ils sont tout aussi inaptes à établir une rencontre de volontés. Elles relèvent que seuls sept de ces échanges de courriels sont des communications entre Apple et Tech Data (pièce Tech Data n° 7), dont six font uniquement état de recommandations communiquées par Apple (portant sur des priorités de livraison), auxquelles Tech Data ne répond pas, et qui ne sont que le reflet d’une politique unilatérale du fournisseur. Elles soulignent que le septième, cité au paragraphe 298 de la décision attaquée, tend simplement à demander à Apple de l’aide pour écouler un stock âgé (pièce Tech Data n° 7, dernière page) mais qu’aucun accord de volontés sur l’application d’un système d’allocations de clientèle ne peut en être.

135.Les sociétés Apple et Ingram estiment que les éléments concernant Ingram Micro sont tout aussi insuffisants et qu’ils révèlent à nouveau de nombreuses erreurs d’interprétation, portant sur des questions de livraison et non de vente.

136.Toutes ces sociétés font valoir, en troisième lieu, que l’existence de cet accord est réfutée par l’examen du comportement effectif des grossistes et le nombre significatif d’exemples de non-respect des allocations préconisées par Apple relevés dans la décision attaquée.

137.Elles se prévalent de la « Note relative à l’effet de l’allocation des livraisons » (pièces Apple n° 45 et 45 bis) et des études économiques relatives aux données de livraison de produits Apple, afin de démontrer que les quantités livrées aux clients ne correspondent pas aux recommandations d’Apple, ces études établissant que le taux de respect des allocations sur l’ensemble de la période étudiée est inférieur à 40 % (pièces Tech Data n° 8 et 8 ter). Elles en déduisent que ces chiffres confirment l’absence d’acquiescement des grossistes aux allocations décidées par Apple. Elles relèvent que l’Autorité n’apporte aucun élément montrant que leurs analyses sont inexactes et que les allocations ont effectivement été suivies, se contentant d’écarter les données fournies par des motifs hypothétiques. En se déterminant ainsi, elles estiment que l’Autorité renverse la charge de la preuve, en obligeant les grossistes à démontrer qu’ils n’ont pas respecté les allocations communiquées par Apple.

138.Les sociétés Apple procèdent également à la comparaison des § 280 et 281 de la décision attaquée relatifs aux allocations de juin et juillet 2010 et du § 425 des écritures de Tech Data en réponse au rapport (cotes 48731 et 48732) et opposent les données de facturation de ce grossiste (cote 48733) pour établir que les recommandations mentionnées dans un courriel de mai 2012 (cote 26340) n’ont pas été respectées. Elles observent que l’Autorité se borne à affirmer, sans aucune preuve, que des variations dans le système de comptage pourraient conduire à des chiffres différents au lieu de prendre en compte les données chiffrées versées au débat. Elles ajoutent que ces éléments démontrent que les grossistes ont contourné leurs préconisations sans pour autant encourir de représailles de la part d’Apple.

139.Les sociétés Tech Data font valoir, en quatrième lieu, que la décision doit être réformée en ce qu’elle ne démontre pas que l’entente alléguée aurait porté sur l’ensemble des produits de marque Apple (hors iPhone) commercialisés par Tech Data. À cet égard, elles estiment que les allocations d’Apple ont essentiellement concerné l’iPad et que ce constat est cohérent avec les faits dénoncés par eBizcuss dans sa plainte (pièce Tech Data n° 4, § 71) les déclarations effectuées par Apple lors de l’instruction (cote 34574), l’objet de l’étude économique produite (pièce Tech Data n° 8) et le fait que certaines gammes de produits ' en particulier les MacBooks, les iMacs, les périphériques et les accessoires ' ne sont pratiquement pas mentionnées dans les développements de la décision attaquée consacrés aux allocations. Sur la base de la dernière pièce précitée, elles font valoir que les volumes de produits ayant fait l’objet de tableaux d’allocations représentent moins de 3 % des volumes de produits Apple (hors iPhone) livrés par Tech Data entre 2010 et 2012 aux revendeurs concernés.

140.Enfin, dans le cadre de leurs dernières écritures, les sociétés Tech Data rappellent qu’il ne revient pas aux parties de prouver que leur comportement ne poursuivait aucun but anticoncurrentiel. Elles estiment que, pour l’Autorité, loin de créer un doute qui bénéficie aux entreprises, le faible nombre d’éléments de preuve et/ou l’absence d’éléments probants permettraient de présumer que l’infraction est établie et qu’elle s’est déroulée sur toute la période visée et qu’il incomberait aux parties mises en cause de renverser cette présomption en prouvant qu’elles n’ont pas participé aux pratiques. Elles en déduisent un renversement de la charge de la preuve et une violation du principe de la présomption d’innocence.

141.L’Autorité fait valoir qu’elle a fondé son analyse sur un certain nombre de preuves directes, et a également pris en compte certains éléments se référant au comportement des grossistes (§ 631 et 632 de la décision attaquée) de façon complémentaire. Elle estime que la décision attaquée démontre l’existence d’un accord de volontés entre Apple et Tech Data, d’une part, et Apple et Ingram Micro, d’autre part, en s’appuyant sur un ensemble d’éléments qui, pris dans leur ensemble, établissent sans ambiguïté l’accord de volontés des parties.

142.Elle relève que les motifs de la décision attaquée attestent du fait qu’Apple a élaboré, en interne, pour chaque grossiste, la liste des clients revendeurs à privilégier et les quantités de produits Apple devant leur être allouées, liste qui a été diffusée à chacun d’eux et qui présentait un caractère contraignant. Elle renvoie notamment aux tableaux qui détaillent les allocations d’iPad pour chaque grossiste. Elle considère qu’il ressort des différents courriels cités dans la décision attaquée que la volonté d’Apple a été formalisée par l’évocation, auprès de chacun des grossistes, des clients revendeurs que le grossiste devait privilégier et des quantités qu’il devait leur allouer.

143.Concernant l’adhésion de Tech Data, elle l’estime démontrée par les échanges de courriels reproduits aux paragraphes 275 à 323 de la décision attaquée, dont certains sont également repris aux paragraphes 636 et 637.

144.Elle soutient que la jurisprudence n’impose pas d’apporter la preuve que chaque invitation du fournisseur a été explicitement acceptée par son distributeur. Elle fait valoir que les requérantes sont donc mal fondées à soutenir que la décision ne s’appuierait « que sur deux pièces » pour démontrer l’acquiescement de Tech Data à la politique d’allocations d’Apple, dès lors que celles-ci attestent explicitement de l’adhésion du grossiste aux préconisations de son fournisseur. Elle ajoute que d’autres pièces figurant au dossier (et visées dans la décision attaquée) montrent qu’il a accepté de ne pas honorer les commandes des revendeurs pour lesquels le fournisseur n’avait pas alloué de produits, et qu’en cas de réclamation éventuelle d’un client revendeur, c’était Apple et non le grossiste, qui était décisionnaire. Elle estime qu’en présence de telles preuves directes, démontrant explicitement l’existence d’un accord de volontés entre Apple et Tech Data, il n’est pas nécessaire de démontrer, comme l’Autorité a pu le faire par le passé en matière de restrictions tarifaires, que les allocations auraient été effectivement et significativement suivies.

145.Concernant l’adhésion d’Ingram Micro, elle considère que les éléments visés dans la décision attaquée démontrent qu’Apple lui a diffusé des listes de clients revendeurs auxquels devaient être livrés les produits Apple (§ 275 à 327), qu’un suivi précis du respect des préconisations était effectué par le fournisseur conférant à ces listes un caractère contraignant et que ce grossiste a accepté de mettre en 'uvre les allocations en cause compte tenu de la teneur de nombreux échanges de courriels. Elle relève que ces pièces suffisent à établir une adhésion explicite et qu’en tout état de cause d’autres pièces du dossier visées dans la décision attaquée montrent également qu’Ingram Micro a suivi les préconisations de son fournisseur. Elle cite à titre d’exemples, l’échange susvisé d’avril 2011 entre Apple et un APR (cote 26448, § 288 de la décision attaquée) et précise que la facture du 1er avril 2011 produite en annexe 10 par Ingram Micro ne démontre pas que l’APR avait commandé 11 iPads auprès de ce grossiste, mais seulement qu’Ingram Micro les lui a facturés, conformément aux préconisations d’Apple.

146.Elle fait valoir, au surplus, s’agissant des taux de respect des allocations étudiées à l’égard de chacun des grossistes, une fois correctement évalués, qu’ils se situent, en tout état de cause, à des niveaux élevés, entre 80 % et 90 % selon l’assiette et la période ciblée (pièce n° 1 annexée à ses écritures). Après correctif des données adverses, elle évalue le taux de non-respect moyen pondéré par les quantités livrées aux clients à 7 % pour les données Ingram Micro et 10 % pour les données Tech Data et précisent que les non-respect éventuels peuvent en outre découler de livraisons insuffisantes de la part d’Apple dès lors que les allocations sont supérieures aux livraisons effectuées. Elle ajoute que sur la période d’allocation étudiée (entre mai et juin 2010) aucun des deux grossistes n’a livré un détaillant qui ne lui avait pas été alloué par Apple, aucun d’eux n’empiétant ainsi sur la clientèle de son concurrent ou la clientèle directe d’Apple (à une exception près).

147.Enfin, s’agissant des exemples de non-respect des allocations préconisées par Apple figurant dans la décision attaquée, elle considère qu’ils démontrent qu’en cas de déviation de l’un des grossistes : soit l’autre grossiste en dénonçait le non-respect, en invitant le fournisseur à s’assurer que son concurrent respecte la politique d’allocations (§ 320, cote 30527), soit Apple intervenait auprès du grossiste, en cas de comportement « déviant » (§ 291, cotes 26451 et 26452). Elle considère que la teneur des échanges internes d’Apple du 13 octobre 2011 démontre bien que cette situation n’était pas considérée comme normale. Elle rappelle que d’autres pièces montrent qu’Ingram Micro, non seulement respectait les préconisations d’Apple, mais se rapprochait de son fournisseur pour dénoncer les éventuels comportements déviants de son concurrent (cotes 30527 et 30528 précitées).

148.Sur la distinction entre produits « vendus » et produits « livrés », l’Autorité renvoie à différents courriels (cités notamment aux paragraphes 279 (cote 27363), 315 (cotes 26329 et 26330) et 318 (cotes 27509 à 27511) de la décision attaquée) qui attestent, selon elle, qu’il est en réalité question d’approvisionnement et qu’Apple intervient au stade de la validation des commandes (préalable à la vente par les grossistes) et non uniquement au stade des livraisons.

149.Enfin, elle estime que les éléments relevés démontrent que les iPads n’ont pas été seuls concernés par le système d’allocations mis en place par Apple et ses grossistes, comme le confirment les mémoires des parties fournissant des exemples d’allocations concernant les iPods (écritures § 46 s’agissant de Tech Data ; écritures § 61 et 66 s’agissant d’Ingram Micro), les iMacs (§ 41s’agissant de Tech Data ; § 67, s’agissant d’Ingram Micro) ou les accessoires (écritures § 66 s’agissant d’Ingram Micro).

150.Le ministre chargé de l’économie conteste l’analyse proposée par les requérantes.

151.Concernant l’offre d’Apple, il la considère démontrée pour la commercialisation de l’iPad et des autres produits de la marque (hors iPhone), tant en périodes de contrainte qu’en dehors de celles-ci. Il estime que ce mécanisme d’allocation, intervenant dans le cadre d’un système de distribution ouvert reposant sur des acteurs économiques indépendants, a permis de maîtriser la politique des prix à la distribution.

152.S’agissant de l’acquiescement à cette offre, il relève que les deux grossistes ont adhéré à cette politique : tout d’abord en contribuant activement au partage de leurs informations avec Apple, en lui réclamant des informations sur leurs performances respectives, puis en intégrant cette politique d’allocation des produits à leur stratégie, ce que la décision attaquée démontre en s’appuyant sur des échanges entre les grossistes et leur fournisseur.

153.La société eBizcuss soutient également l’analyse de l’Autorité et constate que l’accord de volontés est révélé pour chacun des grossistes par un ensemble de preuves documentaires et comportementales nombreuses et explicites, auxquelles elle renvoie, qui ont été relevées et analysées par la décision attaquée.

154.Elle considère également que les termes d’un courriel émanant d’Ingram Micro confirment que les pratiques anticoncurrentielles étaient mises en place et appliquées depuis de nombreuses années (« en dépit des règles issues du contrat de vente et les règles d’allocations qui sont strictement appliquées entre nos [ces] deux sociétés depuis de nombreuses années …», cote 11501) et soutiennent que le système en cause concerne bien des allocations de second niveau (au niveau des clients des grossistes) et non de premier niveau (entre Apple et ses grossistes).

155.Le ministère public rappelle que la preuve de l’accord de volonté peut se faire par tout moyen, seul important sa valeur probante, et observe que l’Autorité a fondé son analyse sur des preuves documentaires directes suffisamment explicites pour démontrer sans ambiguïté l’existence d’un accord, ainsi que sur des éléments comportementaux formant un faisceau d’indices précis et concordants. Il estime, s’agissant de Tech Data, qu’il importe peu que l’Autorité n’ait pas démontré que chaque invitation a reçu une acceptation explicite de ce grossiste compte tenu du fait qu’il a participé à l’entente dès le début, et qu’il ne s’est pas ouvertement distancié des arrangements au cours de la période couverte par le grief. Il invite également la Cour à constater, à l’instar de l’Autorité, que le taux de respect des allocations est supérieur à 75 % sur la période.

156.S’agissant de l’étendue de l’accord, il considère que l’Autorité a distingué à suffisance la portée des allocations aux paragraphes 288, 291, 301, 320, 319, 325, 633, 634, 637 et 655 de la décision attaquée, établissant qu’elles ne peuvent être restreintes à de simples recommandations de livraison et qu’il est établi par les pièces sur lesquelles se fonde l’Autorité qu’il est bien fait référence aux iPods, iMacs, périphériques et autres accessoires. Il conclut au rejet des moyens.

Sur ce, la Cour,

157.À titre liminaire, la Cour rappelle que, pour la plupart de ses produits, le groupe Apple a développé une stratégie de distribution « multi-canal », comme le confirme la présentation reprise aux paragraphes 27 et suivants du présent arrêt. Les pratiques litigieuses s’inscrivent dans le cadre d’un modèle qui présente un caractère fermé et exclusif, s’agissant de la distribution en gros des produits Apple en France, celle-ci n’étant assurée que par Ingram Micro et Tech Data (en dehors de l’approvisionnement direct assuré par Apple). Il est également constant qu’Apple n’a pas mis en place de réseau formel de distribution sélective, la revente des produits Apple étant, théoriquement, libre (hors iPhone qui connaît un système de distribution spécifique).

158.Comme l’ont précisé les paragraphes 41 et suivants du présent arrêt, Apple a par ailleurs mis en place un système, contractuel, d’allocations de produits entre ses grossistes (allocation dites « de premier niveau »), obéissant au principe du « fair share » dit aussi répartition équitable entre, d’une part, les grossistes agréés et, d’autre part, ses différents partenaires directs, tels que les APR directs. Ce système se fonde sur un dispositif contractuel de recueil d’informations auprès des grossistes et des APR qui lui permet de gérer le stock et de déterminer les besoins en production.

159.La Cour précise que ce ne sont pas ces allocations de premier niveau qui sont en cause dans la présente affaire, ni le « fast ship program » qui, selon les termes du § 486 de la notification de griefs, « ne semble pas contraindre de manière caractérisée la politique commerciale de ses grossistes » et constitue un outil destiné à assurer un approvisionnement minimal des revendeurs le premier jour de commercialisation d’un nouveau produit. C’est donc à juste titre que les requérantes font valoir que des pièces relatives aux allocations de premier niveau ou correspondant au mécanisme du fast ship program ne peuvent servir à caractériser l’allocation de second niveau qui leur est reprochée.

160.À cet égard, le courriel cité au § 321 de la décision attaquée ' par lequel Ingram Micro indique à Apple « Nous avons appris par plusieurs de nos clients que la totalité des produits fabriqués, soit 1000 pièces, venait d’être expédiée chez notre principal concurrent Tech Data, en dépit des règles issues du contrat de vente et des règles d’allocations qui sont strictement appliquées entre nos sociétés depuis de nombreuses années » (cote 11501) ' porte manifestement sur des allocations de premier niveau, renvoyant au respect du fair share guidant le partage équitable de la production entre les deux grossistes. Cette analyse est d’ailleurs confirmée par le constat opéré par l’Autorité au § 226 de la décision attaquée qui se fonde précisément sur la cote 11501 visée en note de bas de page n° 219 (« Apple attribue ses volumes de produits en respectant un principe de partage équitable entre les deux grossistes (dit de 'fair share'), cette règle étant strictement respectée depuis de nombreuses années » ). C’est donc à tort que l’Autorité s’en prévaut au § 321 de la décision attaquée pour démontrer la mise en 'uvre d’une politique d’allocations de deuxième niveau, c’est-à-dire celle visant une répartition de produits à appliquer auprès des clients des grossistes.

161.De la même manière, il résulte des termes des courriels d’octobre 2012, échangés entre Apple et Tech Data et auxquels se réfère la décision attaquée au § 636, que ces échanges concernent les engagements de confidentialité imposés lors du lancement de nouveaux produits (en l’occurrence le lancement de l’iPad4 et de l’iPad mini) et l’approvisionnement préalable des revendeurs (au 25 octobre) pour leur permettre d’assurer la promotion du produit dès son lancement en boutique (prévu le 02 novembre suivant). Le processus décrit dans cet échange apparaît correspondre au fast ship program, tel qu’il est présenté dans la décision attaquée, impliquant que les distributeurs indirects aient désigné le grossiste de leur choix pour obtenir les produits à temps pour le lancement.

162.Dans une première partie de l’échange, il est en effet indiqué :

[Tech Data ]« J’ai validé des documents légaux qui nous imposent de ne pas rendre visibles ces produits avant le 2/11 à 8H. Sans un document venant du légal Apple nous notifiant une date avancée, il ne faut svp rien rendre visible, et surtout ne communiquer aucune information en interne et encore moins aux clients » (cote 34635, courriel du 25 octobre 2012, 18h36) ;

[Apple France] « (…) Ce qui est surtout important, c’est de livrer les iPads aux revendeurs dans la liste qui est en votre possession tout en respectant la date lancement du 02/11. Pour info : vous êtes censés recevoir les produits lundi (2 camions) pre alerte envoyée également lundi ! » (cote 34635, courriel du 26 octobre 2012, 17h44) ;

[Tech data] « Ok (…) [Y], tu peux ouvrir à la saisie sur les enseignes sur lesquelles Apple nous sollicite. Laisses par contre les ref bloquées pour les autres clients (…) » (cote 34634, soulignements ajoutés par la Cour, courriel du 26 octobre 2012, 21h02).

163.L’interprétation des sociétés Apple, selon laquelle « la liste » mentionnée dans cet échange renvoie aux revendeurs indirects ayant choisi Tech Data pour la livraison des nouveaux produits en avant-première est ainsi crédible.

164.Le courriel réexpédié qui précédait cet échange confirme d’ailleurs cette interprétation, le grossiste ayant indiqué :

[Tech Data ] « vu avec [C] [Apple, note de la Cour] par téléphone, (…) Nous pourrons ouvrir à la vente à tous clients à compter du 02/11 (…) » (cote 34635, soulignements ajoutés par la Cour, courriel du 25 octobre 2012, 17h42).

165.Il n’est en conséquence pas établi que cette pièce porte, sans ambiguïté, sur une allocation de clientèle, au sens des poursuites.

166.Si c’est à tort que l’Autorité s’est ainsi référée à certains documents pour étayer son argumentation, cette circonstance est toutefois indifférente, au stade de la qualification de la pratique, dès lors que la décision attaquée a relevé un nombre suffisant d’échanges non équivoques sur la politique d’approvisionnement des détaillants définie par Apple (devant être mise en 'uvre par ses grossistes) qui démontre un acquiescement de chacun d’eux selon les standards de preuve requis.

167.En premier lieu, sur le standard de preuve, la Cour rappelle que la preuve d’une entente verticale requiert la démonstration de l’accord de volontés des parties à l’entente exprimant leur volonté commune de se comporter sur le marché de manière déterminée, laquelle peut être faite par tout moyen.

168.Il résulte par ailleurs d’une jurisprudence constante qu’elle peut être constituée par des preuves directes (tel qu’un écrit) ou indirectes (tel qu’un comportement) et qu’en présence de preuves documentaires ou contractuelles, il n’est pas besoin de recourir, au surplus, à l’étude de preuve de nature comportementale.

169.En l’espèce, la décision attaquée relève un certain nombre de courriels émanant du groupe Apple revendiquant explicitement la mise en place du système d’allocations litigieux, telle la cote 26446 visée au § 325, émanant d’Apple France : « c moi qui fait les affect en fonction des produits qui arrivent soit chez IM soit chez Td (…) tu n aurais pas pu en avoir plus car c moi qui ddecide des qtées ».

170.Certains documents traduisent également une ingérence d’Apple dans la possibilité de passer commande et de s’approvisionner auprès des grossistes en général ou de l’un ou l’autre des grossistes :

' échange de courriels en interne au sein d’Apple des 2 et 7 décembre 2012 :

« Avant de demander le backlog des 2 disties, peux tu nous concerter (…).Pour rappel les commandes iPod pour le retail doivent être validé par [J.] ou moi auprès de [K.] et [L.] [salariés d’Apple, note de la Cour] et non par [M.] via son commercial Ingram » (cote 27509, citée §318 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 34).

171.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Apple, cette pièce ne saurait s’analyser comme une discussion relative à une allocation de premier niveau concernant des commandes passées par les grossistes auprès d’Apple. En effet, il est question ici de commandes passées auprès d’Ingram Micro « pour le retail ». Or, au deuxième niveau, l’encodage par le grossiste d’une commande passée par un client revendeur pouvait générer l’émission d’un bon de livraison (selon les explications fournies par les sociétés Ingram et qui seront rappelées au paragraphe 193 du présent arrêt). Le rappel de la procédure de validation préalable des commandes par Apple a ainsi tout son sens pour une allocation de second niveau, mais n’en a aucun pour une allocation de premier niveau. En effet, dans le système de fair share en vigueur jusqu’en 2013, les grossistes étaient livrés selon un principe de répartition fondée sur leurs performances passées et n’étaient pas amenés à « valider » eux-même leurs commandes auprès d’Apple.

' échange de courriels du 27 avril 2011 entre Apple France et un revendeur :

«'il faut que ta commande soit passée chez Tech pour pouvoir t’allouer les quantités suivantes : 14 pièces de MC775'(…) » (cote 29705, citée § 289 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' courriel interne d’Apple du 21 juillet 2010 :

« Il faut cadrer les alloc chez les disties. (…) Si Ebizcuss ne prend pas les ipad qui lui sont donnés en direct, il faut faire en sorte que les disties ne lui donnent pas les produits prévus pour les autres » (cote 26715, citée § 284 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' iChat du 7 juin 2011, entre Apple France et un revendeur :

[revendeur] on avait commandé moitié moitié chez les 2 grossistes et c’est le dernier jour je crois que [K] [Apple] m’a dit qu’on ne serait livré que d’Ingram (…) On aurait tout du coup commandé chez eux si vous nous aviez averti

(…) il nous attribué Ingram ; on a rien décidé ; (…)

[Apple France] c pas bien grave valerie !

[revendeur] il m’a dit ingram est ton grossiste principa attitré chez apple (…)

(cote 26446, citée § 325 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour).

172.En outre, les éléments recueillis établissent que la politique d’allocation définie par Apple et transmise aux grossistes, concourt à une répartition de clientèle au moyen de consignes de répartition des produits, notamment :

' l’échange de courriels internes du 9 juillet 2010 faisant état de l’existence d’une « liste dédiée TD et IM au niveau des APR indirects » (cote 27363, citée notamment § 277 et 283 de la décision attaquée, et cote 26873 citée notamment § 277 de la décision attaquée) ;

' courriel interne du 16 mars 2012, ayant pour objet « affectation iPad disties URGENT », accompagné de tableaux excel « TD 16-03 » et « IM 16-03 » :

« Voici la répartition faite sur IM et TD pour les revendeurs

tableau fait avec [salariés du groupe Apple]

Affectation selon tes reco sur les APR indirects (…)

Mis en plus une affectation sur les AAR

Je laisse de plus une part libre pour les urgences sur le PRO

Les pièces sont en stock chez les deux disties » (cote 27415, citée § 293 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' courriel interne Apple du 12 avril 2011, ayant pour objet « répartition iPad disties » avec tableaux Excel « alloc Ipad TD » et « répart IM » :

« Vous trouverez en PJ, la répartition qui a été faite chez les disties. (uniquement sur les indirects) Ces produits pourront partir demain chez les partenaires » (cote 26771, citée § 286 de la décision attaquée) (soulignement ajouté par la Cour) ;

' courriel d’Apple à Tech Data du 12 avril 2011 :

« Enfin, la répartition que vous attendez tous ! » (cote 11762, visée au § 287 de la décision attaquée).

173.Par ces courriels, Apple indique aux grossistes dans quelle mesure ils sont autorisés à satisfaire les commandes de leurs différentes clientèles (en termes de quantité comme de produits)et écouler leurs produits en stocks ou à recevoir.

174.Les échanges reproduits confirment par ailleurs le caractère à la fois contraignant et évolutif du mécanisme d’allocations litigieux :

' courriels internes d’Apple du 9 juillet 2010 modifiant les consignes diffusées auprès des deux grossistes :

« Ci dessous mail envoyé à nos deux grossistes sur le changement de process d’allocation iPads. En résumé,

=> Il n y a plus de liste dédiée TD et IM au niveau des APR indirects

=> Nous ouvrons la possibilité aux directs de s’approvisionner chez nos disties

Soyez sur que je contrôlerai le bon fonctionnement de ce process :) » (cote 27363, citée notamment § 277 et 283 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 21, soulignement ajouté par la Cour).

175.Le courriel envoyé aux deux grossistes était rédigé en ces termes :

« nous vous autorisons à partir de ce jour à livrer les APR directs, ainsi que les APR indirects que vous n adressiez pas jusqu’à présent. Vous pouvez donc les inclure dans votre liste de revendeurs iPads » (cote 26873, citée notamment § 278 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 46, soulignement ajouté par la Cour).

176.S’il n’est pas exclu que certains des courriels cités par l’Autorité puissent s’analyser comme instaurant un ordre de priorité des livraisons auprès des revendeurs-clients des grossistes en période de contrainte, en revanche les termes employés dans les messages qui précèdent (prise de commande impérative chez l’un ou l’autre des grossistes, autorisation d’inclure dans une liste de revendeurs des clients qui n’y figuraient pas auparavant, référence à la possibilité « à partir de ce jour » pour des APR de « s’approvisionner » auprès des grossistes, désignation d’un grossiste pour un client donné sans que cette situation ne procède du choix de ce dernier…) révèlent, sans ambiguïté, d’une part, que le mécanisme, très directif, est allé bien au-delà d’une simple préconisation, d’autre part, qu’il ne s’est pas borné à organiser l’ordre de livraison des produits Apple auprès des clients-revendeurs des grossistes mais s’est immiscé dans le processus de vente entre les grossistes et leurs clients. Par suite, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le dispositif litigieux (distinct d’une allocation de premier niveau) était de nature à interférer dans la prise de commande auprès des grossistes en général ou de l’un ou l’autre en particulier, dès lors qu’il pouvait conduire à en bannir l’accès à une catégorie de clientèle pour en privilégier une autre ou rediriger tout ou partie des commandes passées auprès de l’un des grossistes vers l’autre, comme en témoignent les échanges de courriels du 24 janvier 2013 (cotes 30528 et 30527, plus amplement analysées aux paragraphes 193 et 194 du présent arrêt, citées notamment § 320 de la décision attaquée) et d’avril 2011 (iChat, cote 26448, citée § 288 de la décision attaquée, plus amplement analysée dans les développements qui suivent).

177.Il est vain à cet égard de reprocher à l’Autorité de ne pas fournir d’exemples de plaintes ou refus de vente opposés par un grossiste, puisqu’en réalité la commande du client pouvait être satisfaite par un grossiste différent de celui qu’il avait initialement choisi en exécution de l’accord litigieux et sans opposition des grossistes.

178.Cette situation est, notamment, confirmée et parfaitement illustrée par les échanges suivants :

' iChat du 5 avril 2011 (précité), entre Apple France et un APR indirect :

« [APR] pourquoi on a eu 11 ipad d’ingram et que 3 de Tech '

(…)

[Apple France] (…) il faut s adapter si tu veux en avoir on est pas bons dans les dispatch »

[APR] « ok le principal c’est qu’on les ai au final mais on comprenait pas pourquoi Tech nous en livrer que 3 alors qu’on avait pas passé de cde chez ingram » (cote 26448 précitée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' courriel du même jour échangé entre cet APR et Tech Data (11h23) :

« comment expliquez vous encore qu’Ingram puisse nous livrer 11 ipad quand vous pouvez nous en livrer que 3 '

(…) Nous attribuer plus de produit ne doit pas vous poser de problème, et ne me dites pas que c’est Apple qui vous donne le nombre à attribuer. » (cotes 32309 et 32310 correspondant aux pages 2 et 3 sur 4 du courriel envoyé en interne au sein de Tech Data et réexpédiant cet échange, pièce Ingram n° 60) ;

' courriel interne de Tech Data du même jour (5 avril 2011, 17h41), réexpédiant en interne le courriel précité de cet APR (même pièce Ingram n° 60) :

« Les 11 pièces reçues d’Ingram ont été allouées par Apple confirmée par [C] [Apple France, note de la Cour] ce matin par téléphone. Elle a adressé un mail de confirmation à [N] [client revendeur, note de la Cour] (…) » (pièce Ingram n° 60, cote 32308 correspondant à la page 1 sur 4 du courriel réexpédiant cet échange).

179.Il résulte de cet échange de courriels que c’est par une concertation d’Apple et de ses deux grossistes que la commande de ce client revendeur, passée initialement exclusivement auprès de Tech Data, a été dans une large proportion honorée par Ingram Micro.

180.Il ne peut par ailleurs être retenu, dans le contexte ci-dessus mis en lumière, que la mention « à livrer » figurant dans de nombreux échanges exclurait toute intervention d’Apple au stade de la commande et de la vente. Une telle mention ne peut davantage s’entendre comme une simple organisation des livraisons pour des ventes déjà intervenues, comme l’établissent notamment les courriels d’Ingram Micro du 25 novembre 2009 et de Tech Data du 8 septembre 2010.

181.En effet, le premier remettait en cause les objectifs de vente, définis par Apple, dans les termes suivants :

« vous nous mettez une target rate [un objectif cible] sur les ipods et leurs access alors que ce business est COMPLETEMENT piloté par Apple. Nous n’avons pas la main. Apple décide des allocations produits à livrer et des clients à livrer. Nous exécutons (') » (cote 32246, citée au § 634 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour).

182.Le second constatait l’interférence de plus en plus ressentie d’Apple sur le choix de passation de commande des clients :

« Apple intervient dans les commandes gros coups des clients, surtout de plus en plus chez les clients APR qui nous étaient fidèles. Les clients n’ont plus le choix de passer les commandes chez nous (…) ». (cotes 32281 à 32283, citées § 229 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour).

183.La politique d’allocation de produits et de clientèle définie par Apple, décrite dans la décision attaquée aux paragraphes 258 à 327 et analysée aux paragraphes 664 et suivants, est ainsi allée bien au-delà de simples recommandations portant sur des priorités de livraison.

184.Il ressort, en deuxième lieu, des éléments qui suivent, relevés par la décision attaquée, que chacun des grossistes y a souscrit, peu important que de nombreux courriels d’Apple ne soient pas accompagnés d’une réponse écrite de chaque grossiste. Il convient de rappeler, sur ce point, que de nombreuses pièces établissent qu’il était également d’usage (constant sur toute la période concernée) de procéder entre eux à des échanges par téléphone :

' courriel interne d’Apple du 20 décembre 2008 : « peux tu voir avec IM la raison des problématiques détaillées ci-dessous par [M] et demander à l’équipe Apple de l’appeler en personne afin de mettre en place la meilleure organisation entre ces deux sociétés » (cote 795, citée § 227 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 67) ;

' échange de courriels en interne chez Apple du 29 octobre 2010 : « [Z] d’Ingram vient de m’appeler et d’INSISTER, INSISTER, INSISTER pour avoir absolument 2700 X (…) IPod Nano (…). Merci d’appeler [Z] (…) et lui donner les informations qu’elle exige dans l’heure » (cote 26956, évoquée § 310 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 41) ;

' courriel de Tech Data du 25 octobre 2012 : « Vu avec [C] [Apple, note de la Cour] par tel, on peut rendre visible sur Intouch à partir de demain les Ipad Mini et Ipad Retina et nous pourrons ouvrir à la vente à tous les clients à compter du 02/11 » (cote 34635, évoquée § 636 de la décision attaquée, pièce Ingram n°12) ;

' courriel interne au sein de Tech Data du 5 avril 2011 : « Les 11 pièces reçues d’Ingram ont été allouées par Apple confirmée par [C] [Apple France] ce matin par téléphone (…) » (cote 32308, pièce Ingram n° 60) ;

' courriel d’Ingram à Apple du 24 janvier 2013 : « Attention, dès que nous recevons des Imacs il faut impérativement téléphoner à [C] [Apple, note de la Cour] pour lui donner les quantités et elle tranchera » (cote 30527, citée § 633 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 36).

185.Concernant les éléments retenus, la Cour relève que la décision attaquée (§ 631 et 632) renvoie aux paragraphes 250 à 323 pour établir l’accord de volontés entre Apple et chacun de ses grossistes et que des exemples ont plus précisément été sélectionnés aux § 633 et 634 pour Ingram Micro et 636 et 637 pour Tech Data. Il ne peut toutefois en être déduit que la preuve de l’acquiescement de ces grossistes est faiblement étayée, en considérant qu’elle ne pourrait résulter que d’un écrit émanant de chacun d’eux et en faisant abstraction des autres éléments de preuve avancés par l’Autorité. La preuve peut en effet être apportée par tous moyens. Comme l’a déjà énoncé la CJUE à de nombreuses reprises, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit parfois être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérées ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (CJUE, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a/Commission, C-204/00 P et autres, point 57).

186.Ce principe est d’autant plus pertinent au regard de la confidentialité entourant ce types d’échanges et des dispositions prises pour en préserver le secret, comme le confirment les pièces suivantes :

' échange de courriels internes au sein d’Apple du 16 décembre 2011 demandant de s’assurer de 1'affectation de certains produits à un type particulier de revendeur en précisant :

« peux tu leur dire sans l’écrire – legal challenge oblige ' » (cote 26452, citée § 291 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 39) ;

' courriel du 11 juin 2013 adressé à Ingram Micro, par Apple France :

« Je suis obligée de vous rappeler que quand je vous communique des informations, il n’est pas indispensable de relayer ces infos à des partenaires qui ne sont pas concernés. Je vous demande donc une fois de plus de garder un minimum de confidentialité (ex de ce jour : pas la peine de dire à un APR qu’il y a plein de nouveaux MBA mais 'réservé pour le retail !!!) ['] » (cote 11440, citée § 322 de la décision attaquée).

187.Outre les preuves directes et comportementales réunies à l’issue de l’instruction, qui concernent tantôt l’un tantôt l’autre des grossistes, dont le présent arrêt reprend les exemples les plus topiques, il se déduit également de la réunion de l’ensemble de ces éléments, impliquant respectivement Apple, Ingram et Tech Data, un faisceau d’indices précis et concordants démontrant que cette politique d’allocation n’était pas une stratégie unilatérale élaborée par Apple, mais un accord auquel chacun des grossistes a pris part. C’est donc à tort que les sociétés Tech Data invoquent un renversement de la charge de la preuve et une violation du principe de la présomption d’innocence, puisque l’Autorité a rapporté la preuve de l’entente unique qu’elle a sanctionnée.

188.La Cour relève, parmi les illustrations les plus topiques, les éléments suivants.

189.Concernant Ingram Micro, outre les éléments précités, démontrant qu’il était périodiquement destinataire de tableaux élaborés par Apple organisant l’approvisionnement de ses différents types de clientèle et qu’il a bénéficié du système d’allocation de clientèle (cote 26446 précitée : « il nous [a] attribué Ingram ; on a rien décidé (…) il m’a dit ingram est ton grossiste principa attitré chez apple »), il est établi que ce dernier a clairement manifesté son acquiescement à la politique d’allocation litigieuse, comme l’établissent notamment les pièces suivantes :

' échange de courriels Ingram Micro/Apple France du 25 novembre 2009, précité :

« Également, je suis TRES surprise (et à vrai dire pas agréablement) de constater que vous nous mettez une target rate [un objectif cible] sur les ipods et leurs access alors que ce business est COMPLETEMENT piloté par Apple. Nous n’avons pas la main. Apple décide des allocations produits à livrer et des clients à livrer. Nous exécutons (') » (cote 32246, citée au § 634 de la décision attaquée) ;

' iChat du 5 avril 2011, précité, entre Apple France et un APR indirect, dont il ressort que Ingram Micro a appliqué les allocations décidées par Apple en approvisionnant ce client en lieu et place de Tech Data :

« [APR] (…)pourquoi on a eu 11 ipad d’ingram (…) on avait tout commandé chez Tech

[Apple France] (…)c moi qui fait les affect en fonction des produits qui arrivent soit chez IM soit chez Td » (cote 26448, citée § 288 de la décision attaquée).

190.À cet égard, la Cour constate que la facture du vendredi 1er avril 2011 produite en annexe 10 par les sociétés Ingram ne contredit pas la teneur de cet échange, mais démontre au contraire qu’Ingram Micro a acquiescé au transfert de cette commande et a facturé l’APR conformément aux directives d’Apple.

191.La pièce Ingram n° 60 (déjà évoquée au paragraphe 178 du présent arrêt), qui correspond aux échanges entre Tech Data et ce client APR, confirme cette chronologie : une commande initiale passée dans son intégralité auprès de Tech Data, une facture qui fait suite à une décision d’Apple de transférer une partie de la commande à Ingram Micro et une décision de transfert qui n’a été remise en cause par aucun des deux grossistes et a été exécutée conformément aux directives d’Apple.

192.Cette pièce comporte une succession de couriels rédigés en ces termes :

' courriel du mardi 5 avril 2011 envoyé par le client revendeur à Tech Data à 11h23 :

« suite à ma commande d’Ipad 2 (passé en exclusivité chez toi et rien chez Ingram Micro) je n’ai, à ce jour, reçu que 3 iPad vendredi dernier [1er avril, note de la Cour].

Ingram a été capable de me livrer 11 iPad samedi… sans avoir passé de commande chez eux avant vendredi dernier [1er avril, note de la Cour]. » (cote 32310, pièce Ingram n° 60, correspondant à la page 3 sur 4 du courriel réexpédiant cet échange) ;

' courriel du même jour, envoyé en interne au sein de Tech Data à 17h41, réexpédiant le courriel précité de cet APR (même pièce n° 60) :

« Les 11 pièces reçues d’Ingram ont été allouées par Apple confirmée par [C] [Apple France, note de la Cour] ce matin par téléphone. Elle a adressé un mail de confirmation à [N] [client revendeur, note de la Cour] ». (cote 32308, pièce Ingram n° 60 page 1 sur 4 du courriel réexpédiant les courriels antérieurs).

193.Comme le rappellent les sociétés Ingram, la livraison de produits aux grossistes n’est pas nécessairement consécutive à une commande préalable d’un client-revendeur, puisque le volume livré par Apple dépend de l’estimation faite par le grossiste de la demande future de ses clients revendeurs et des allocations de premier niveau négociées entre Apple et son grossiste. Il est donc inexact de prétendre que l’organisation des livraisons faites aux grossistes concerne nécessairement des ventes déjà conclues. De même, selon les explications fournies par les sociétés Ingram, une commande n’est acceptée par le grossiste qu’après encodage de la demande et création d’un bon de livraison. Or, selon les échanges de courriels des 2 et 7 décembre 2012, précités (§ 170 du présent arrêt), les commandes devaient être validées par Apple et non « via le commercial » du grossiste. Il est donc tout aussi inexact de prétendre qu’aucune ingérence d’Apple n’a été mise en place au niveau de l’approvisionnement des détaillants par les grossistes. Par suite, c’est à juste titre que l’Autorité a encore déduit de l’échange de courriels intervenus le 24 janvier 2013 entre Apple France, Ingram Micro et ses services la pérennité du mécanisme d’allocations litigieux :

[Apple France] : « Pour les prochaines réceptions de [iMac] Nous devrons en donner au retail ; merci de me prévenir quand ils arrivent chez vous » ;

[Ingram Micro à ses équipes, Apple France en copie] : « Attention dès que nous recevons des Imacs il faut impérativement téléphoner à [représentante d’Apple France, note de la Cour] pour lui donner les quantités et elle tranchera. Les Imacs toujours aussi contraints c’est pourquoi il faut privilégier sont les APR non suivi car ils n’en reçoivent pas d’APPLE. Voici la liste à bannir » [noms des sociétés concernées, note de la Cour] » (cotes 30528 et 30527, citées notamment § 320 de la décision attaquée).

194.Compte tenu des termes employés (la « liste à bannir » étant incompatible avec l’obligation d’exécution d’une commande qui serait d’ores et déjà acceptée) et du mécanisme auquel il est fait référence qui concerne nécessairement l’approvisionnement de certains partenaires (« APR non suivi (…) n’en reçoivent pas d’Apple »), cet échange ne saurait davantage s’analyser comme organisant une simple priorité de livraison entre les clients revendeurs déjà titulaires d’un bon de livraison, mais se réfère nécessairement aux clients dont le grossiste doit prendre la commande par préférence à d’autres.

195.Cette analyse et l’adhésion explicite d’Ingram Micro à la politique d’allocation décidée par Apple est encore confortée par la fin de l’échange, au terme duquel Ingram Micro manifeste l’intérêt qu’il porte au respect des règles communes fixées aux deux grossistes et demande in fine à Apple France : « Peux-tu me confirmer que tech data doit jouer le jeu car j’apprends que des pièces ont été données à des non APR ». (soulignement ajouté par la Cour).

196.Il est donc vain de prétendre dans ces circonstances, comme le font les sociétés Ingram, qu’il s’agirait d’une simple acceptation tacite et que l’Autorité n’aurait pas satisfait les exigences probatoires requises.

197.Concernant Tech Data, outre les éléments précités démontrant qu’il était périodiquement, comme Ingram Micro, destinataire de tableaux élaborés par Apple organisant la répartition de ses stocks entre les différents types de clientèle qu’il était autorisé à approvisionner (et auxquels en conséquence il était autorisé à vendre), il est également établi qu’il n’a jamais remis en cause le dispositif alors même que les allocations pouvaient éroder ses ventes, qu’il a pris part au mécanisme et lui-même sollicité auprès d’Apple les consignes à suivre et a explicitement relayé la politique du fournisseur dans sa communication aux clients :

' courriel de Apple à Tech Data du 19 juillet 2011 :

«'En réponse à ton mail, tu trouveras en pièce jointe la répartition iPad2 (…). Les 395 unités sont à répartir en totalité sur les comptes revendeurs Prosumers (cf tableaux excel)'» (cote 34147, pièce évoquée § 286 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' échange de courriels internes Tech Data du 8 septembre 2010, dressant un constat, sans le remettre en cause :

« Apple fait tout pour que la PDM de Tech data sur APPLE soit égale 50/50 avec IM. Apple intervient dans les commandes gros coups des clients, surtout de plus en plus chez les clients APR qui nous étaient fidèles. Les clients n’ont plus le choix de passer les commandes chez nous (exemple le mail ci-dessous). L’interférence d’Apple sur le choix de passation de commande est plus ressentie depuis la distribution des iPAD » (cotes 32281 à 32283, citées § 229 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour) ;

' échange de courriels internes Tech Data en juin 2011, relatant un transfert de client à son bénéfice perçu favorablement :

« grâce à une précieuse aide chez Apple […] Cora a choisi Tech data […] Cora était très content d’Ingram au niveau logistique sur les Ipods, c’est Apple qui a poussé le transfert » (cote 34129, citée §230 de la décision attaquée) ;

' courriel interne de Tech Data du 5 avril 2011 (faisant suite à la cote 26448 invoquée par les sociétés Ingram devant la Cour et plus amplement discutée au paragraphe 178 du présent arrêt ) relatif à la commande intégralement passée par un revendeur auprès de Tech Data et qui a été redirigée vers Ingram Micro sur décision d’Apple :

« Les 11 pièces reçues d’Ingram ont été allouées par Apple confirmée par [C] [Apple France, note de la Cour] ce matin par téléphone. Elle a adressé un mail de confirmation à [N] [client revendeur concerné, note de la Cour] (…). J’étais effectivement très déçue ce matin de recevoir un tel mail alors que je bosse activement sur tous mes comptes et que j’envoi les pièces que l’on m’attribue pour chaque client. Ce matin, [N] ne comprenait pas qu’elle avait passé aucune commande chez Ingram sur les ipads et qu’elle recevait sans rien demander 11 pièces chez eux alors que nous en avions livré que 3 pièces Vendredi !!! » (cote 32308, pièce Ingram n° 60).

198.Si Tech Data se dit déçu de voir son client basculer chez Ingram alors qu’il respecte les consignes données par Apple, ce courriel confirme qu’il a pris attache avec le fabricant pour être en mesure de répondre à son client concernant l’exécution de sa commande par son concurrent et se borne à relayer auprès de ses services la confirmation donnée par Apple, sans remettre en cause le système auquel il participe en toute connaissance de cause :

' courriel de Tech Data à Apple du 6 mars 2013, par lequel le grossiste prend attache avec Apple France pour écouler un stock âgé d’iPads mini par le biais de la politique d’allocation en cause :

« (…) je suis aussi un peu surpris qu’on se retrouve avec du stock âgé sur ces refs IPAD MINI, eux qui ont tellement été demandés et en allocations pendant des semaines. Merci de voir pour faire des allocations (pro ou retail) afin de sortir le stock stp (…) » (cote 10396, pièce évoquée § 298 de la décision attaquée, pièce Tech Data n° 7-7, soulignement ajouté par la Cour) ;

' courriel de Tech Data du 10 octobre 2012 par lequel ce grossiste signale à Apple que les commerciaux d’Ingram pourraient ne pas respecter les consignes fixées par Apple lorsqu’ils démarchent la clientèle (pièce Tech Data n° 7-6, cote 34629, mentionnée § 316 de la décision attaquée) : « INGRAM appelle tous les clients APPLE (pas seulement les APR) pour leur proposer des iPods shuffle ».

199.S’agissant des courriels de Tech Data des 22 et 23 janvier 2013 à un revendeur, cités § 319 de la décision attaquée :

« Ça ne se passe pas comme avec les autres fournisseurs, les n° de commandes ne vont servir à rien. Sur apple tu dois demander au commercial qui te suis de te faire une allocation produit » (cote 26368) ;

« Je ne refuse pas de vous donner les infos je vous ai juste donné la procédure qui est de vous rapprocher de votre commercial apple qui lui doit se rapprocher de la personne en charge des affectations chez apple ('). Cette procédure s’applique pour tous les apr, et ça se passe très bien » (cote 26375).

200.C’est à juste titre que les sociétés Apple demandent à la Cour de les replacer dans leur contexte.

201.Dans l’échange intervenu entre Apple et Tech Data le 23 janvier 2013, concernant la demande de ce client (cotes 44720 et 44721, invoquées par les sociétés Apple), la Distribution manager chez Apple indique ainsi à Tech Data :

« C’est vrai que les iMacs sont très contraints et que la demande est énorme chez vous. Donne-moi les numéros de commande afin de mettre une priorité étant donné l’urgence de la situation. Cela ne va pas forcément permettre une alloc immédiate si nous n’en avons’ mais peut éventuellement réduire le délai ».

202.Les échanges en cause portent ici manifestement sur une question de livraison ' des numéros de commande étant réclamés ' de sorte qu’il ne peut en être déduit, sans élément relatif aux conditions dans lesquelles la commande a été enregistrée, que celle-ci s’inscrit dans le système d’allocation de clientèle litigieux.

203.Toutefois, l’échange reproduit ci-dessus entre Tech Data et son client (cote 26375) faisant état du caractère atypique de l’approvisionnement auprès de ce fournisseur corrobore, à l’instar des éléments qui précèdent, le fait que Tech Data a pris part à un système mis en place par Apple, avec le concours de ses grossistes, qui orchestrait le processus de vente sur le marché aval, de la prise de commande jusqu’au stade de livraison dénouant la vente. Alors qu’il est un opérateur indépendant, le grossiste renvoie ainsi le client à prendre attache avec le fabricant (lui demandant de « se rapprocher de la personne en charge des affectations chez apple ») pour que ce dernier décide en définitive de la manière dont le grossiste va gérer les produits qui arrivent dans ses stocks. À cet égard, il est inexact de prétendre, comme le font les sociétés Apple, que les ventes ne sont pas affectées par le mécanisme d’allocations en cause dès lors que, nonobstant les termes de l’article 1583 du code civil, une prise de commande reste vaine si aucune livraison n’intervient pour la satisfaire pendant le cycle au cours duquel le produit reste innovant. Les éléments du dossier démontrent d’ailleurs qu’à la faveur des allocations de produits qu’il décidait, le groupe Apple intervenait sur les ventes qui pouvaient être conclues auprès de l’un ou l’autre de ses grossistes (cote 26715 précitée : « il faut que ta commande soit passée chez Tech pour pouvoir t’allouer (…) »). Le courriel précité (cote 26375) démontre également que le grossiste ne s’est jamais distancié du système en place et n’a jamais remis en cause la singularité du processus d’approvisionnement au sein du réseau Apple : d’une part, en ce que l’approvisionnement effectif d’un client (sur le marché aval) dépendait de négociations à mener auprès d’Apple et non du grossiste, d’autre part, en ce que ce dernier n’ayant pas la maîtrise des produits constituant ses stocks, l’ordre de son carnet de commande était rendu inopérant.

204.La présentation de la procédure faite par Tech Data auprès de son client corrobore au demeurant les termes de ses courriels antérieurs, comme ceux, précités émanant :

' d’Ingram Micro (« ce business est COMPLETEMENT piloté par Apple.(…) Nous exécutons. », cote 32246, citée §634 de la décision attaquée) ;

' et d’Apple France (« c moi qui fait les affect en fonction des produits qui arrivent soit chez IM soit chez Td (…) tu n aurais pas pu en avoir plus car c moi qui ddecide des qtées », cote 26446 (citée §325 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 19) ; ou encore « Pour rappel les commandes iPod pour le retail doivent être validé par [J.] ou moi auprès de [K.] et [L.] et non par [M.] via son commercial Ingram » cote 27509 précitée, citée § 318 de la décision attaquée, pièce Ingram n° 34).

205.Sur l’interprétation de ces différentes pièces, la Cour rappelle à nouveau qu’elles doivent s’opérer à la lumière de la procédure applicable dans le réseau Apple et que leur portée ne peut être limitée à une lecture littérale qui consisterait à dire que les références aux « livraisons » ou « arrivage » se bornent à établir un ordre de priorité dans la livraison de commandes de détaillants déjà passées auprès des grossistes.

206.Comme l’ont confirmé les éléments de la procédure déjà évoqués, la référence aux livraisons réalisées par Apple au bénéfice d’un grossiste n’induit pas que celles-ci correspondent nécessairement à des commandes actuelles de leurs clients-revendeurs, d’ores et déjà enregistrées chez le grossiste. En effet, pour rappel, sur le marché de gros, des livraisons de produits pouvaient s’effectuer jusqu’en 2013 selon un principe de répartition fondée sur les performances passées de chaque grossiste (fair share) puis à compter de mars 2013 en fonction de leurs prévisions de vente (forecast),sur le marché aval.

207.Il se déduit de l’ensemble des éléments concordants, précités, qu’une politique d’allocation de produits et de clientèle a été mise en place par Apple. Ces preuves suffisent par ailleurs à démontrer que cette politique n’a pas été le fruit d’instructions répétées unilatérales de la part du fabricant et établissent l’existence d’un accord de volontés explicite entre Apple et chacun de ses grossistes concernant ce système d’allocation. Il n’est en conséquence pas nécessaire de démontrer que les allocations ont été significativement suivies par chacun des grossistes. En effet, comme l’a rappelé la Cour de cassation, le critère d’application significative et celui d’application effective, équivalents, ont tous deux pour finalité, en l’absence de preuve directe, d’établir sans équivoque l’acquiescement du partenaire dans le cadre d’une entente verticale (Com., 11 juin 2013, pourvoi n° 12-14.584, 12-14.401, 12-14.632, 12-14.595, 12-14.597, 12-14.598, 12-14.624, 12-14.625, 12-14.648, 12-13.961, Bull. n° 98). Tel n’est pas le cas ici, dès lors que des preuves directes ont été réunies, en plus des preuves comportementales mentionnées au paragraphe 631 de la décision attaquée.

208.La Cour ajoute que si les analyses économiques produites par les parties en vue de chiffrer le taux de respect des allocations litigieuses par les grossistes (notamment les pièces Tech Data n° 8/8 ter) sont susceptibles d’apporter un éclairage concernant l’étendue du dommage causé à l’économie par l’accord intervenu entre Apple et ses grossistes (au regard de la manière dont il a été appliqué), elles sont en revanche inopérantes pour démentir l’existence de cet accord tripartite, compte tenu de la nature des éléments de preuve réunis.

209.Il est tout aussi indifférent, pour les mêmes motifs, que certaines pièces évoquent des écarts possibles, dès lors que les éléments du dossier révèlent qu’Apple a considéré de tels comportements comme inhabituels, à l’instar du courriel interne d’Apple du 13 octobre 2011 :

« J’avais demandé à Ingram et TD de lever les réservations sur toutes les ref et nous tenir au courant en cas de deals Pro ou cde retail importante. Clairement, il y a eu un loupé de la part d’Ingram » (cote 26960, citée § 635 de la décision attaquée).

210.Au demeurant et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, plusieurs des courriels cités à titre d’exemples n’évoquent pas le non-respect des allocations par ces derniers. Ainsi, le courriel interne d’Apple France, cité au § 301 de la décision attaquée, concerne la gestion des stocks de certains APR sans référence apparente aux écarts des grossistes (« Visiblement des APR ont trop d’iPad mini puisqu’ils en proposent à des POS Leclerc »). De la même manière, l’échange de courriels internes d’Apple en décembre 2011, cité au § 291 de la décision attaquée, n’évoque pas un non-respect des consignes d’allocations transmises à Tech Data mais se borne à faire état du fait que le retail lui a acheté des quantités trop importante, de sorte qu’il a été prévu de lui demander d’affecter la quantité restante à un type particulier de revendeur (« peux-tu t’assurer que les unités restantes aillent au prosumer ' »). Si les échanges internes d’Apple en avril 2012 (cote 26329), cités au § 315 de la décision attaquée, évoquent un problème concernant un APR indirect, ils révèlent surtout qu’un contrôle a immédiatement été mis en place auprès d’Ingram Micro pour résoudre les difficultés d’approvisionnement de ce client et qu’un micro pilotage auprès du grossiste a été décidé jusqu’à la livraison physique.

211.En troisième lieu, concernant le périmètre de l’accord, la Cour relève, tout d’abord, que l’argumentation selon laquelle le système d’allocations aurait été cantonné aux périodes de contrainte et qu’il ne serait pas démontré qu’il se serait étendu au-delà, est vaine, compte tenu :

' d’une part, de la généralité des termes employés dans ces différents échanges (notamment « ce business est COMPLETEMENT piloté par Apple.(…) Nous exécutons. », cote 32246, citée §634 de la décision attaquée), qui ne limitent pas leur portée à certaines périodes uniquement ;

' d’autre part, de la fréquence à laquelle se succèdent les périodes de contrainte pour les produits Apple.

212.Comme l’a rappelé la décision attaquée au paragraphe 237, Apple a ainsi indiqué au cours de son audition que « chez nous les périodes de contraintes sont assez récurrentes […] » (cote 16817).

213.En outre, il est établi que la politique d’approvisionnement décidée par Apple et appliquée par ses grossistes a pu également se poursuivre en dehors des périodes de contrainte, comme l’illustre le courriel interne du 27 juin 2010 relatif à la commercialisation de l’iPad 1 (« Concernant les disties pour les APR indirects, en situation non contrainte, je pense que nous ne devons pas envoyer plus de 30 iPads par boutique »,cote 26208, citée § 304 de la décision attaquée, soulignement ajouté par la Cour). Même s’il n’est effectivement justifié que d’un seul exemple en ce sens, ce constat (auquel s’ajoute la généralité des termes des échanges précités) suffit à exclure que le système a été strictement limité aux périodes de contrainte.

214.Quant à la fréquence des périodes de contrainte, le rapport produit par les sociétés Ingram (pièce Ingram n° 79) soutient, qu’entre décembre 2005 et mars 2013, 85 % des commandes auraient été livrées en une seule expédition et 50 % l’auraient été en un jour, ce qui contredirait l’existence d’une contrainte quasi-permanente, dans la mesure où une situation de contrainte conduit à un allongement significatif des délais de livraison et une augmentation des expéditions nécessaires pour satisfaire les commandes. La Cour observe toutefois que cette approche n’est pas pertinente pour apprécier le grief en cause. En effet, ces chiffres n’excluent pas que le système d’allocations ait pu, compte tenu de sa fréquence, devenir quasi-omniprésent mais confirment que dans un dispositif orchestrant le système de vente au moyen d’allocations préalables de produits et de clientèle, les commandes avaient plus de chance d’être satisfaites en une seule expédition.

215.Enfin, s’agissant du périmètre de l’accord en termes de produits, si un grand nombre d’éléments du dossier concernent les iPads, d’autres établissent que le système d’allocations mis en place par Apple et ses grossistes ne s’est pas limité à ces seuls produits et qu’il a été porté, notamment, sur :

' les iPods et accessoires, mentionnés notamment : dans le courriel précité d’Ingram Micro du 25 novembre 2009 (cote 32246), ceux d’Apple échangés entre le 7 décembre 2012 et le 29 novembre 2012 (cotes 27509 à 27511) et les échanges de courriels entre Apple et Tech Data du 10 octobre 2012 (cote 34629) ; outre les échanges figurant en cote 26446 (annexe 19 des sociétés Ingram) se référant à la livraison d’IPad « et accessoires » ;

' les iMacs, mentionnés dans les échange du 24 janvier 2013 entre Apple France, Ingram Micro et ses services (cotes 30528 et 30527) ;

' les MacBookPro mentionnés dans un courriel d’Apple France à Ingram Micro du 28 mars 2011 (cote 30598, pièce Ingram n° 30) (« Le retail a largement eu la fair share sur les livraisons ! Pour le prochain arrivage de MBP (…) Il faut privilégier le pro ! Attention à la référence721 ou il faudra en donner juste 12 % »).

216.La pièce Tech Data n° 8 est pour sa part insuffisante à établir que les allocations en cause n’ont concerné que l’iPad. En effet, la circonstance que cette étude relative au taux de respect des allocations n’ait pu être menée, selon leur auteur, que sur la base des recommandations relatives aux iPads ne permet pas pour autant d’écarter les éléments convergents du dossier qui établissent que les allocations ont couvert un périmètre plus large.

217.La décision attaquée a précisément rendu compte de cette situation en distinguant la situation des ventes d’iPad (aux paragraphes 275 et suivants, 666 et 667) de celles des produits « hors iPad et iPhone » (aux paragraphes 305 et suivants et 668). Elle a ainsi établi l’existence d’un accord portant sur différents produits Apple, sans se limiter à l’iPad.

218.C’est donc à juste titre, et sans être tenue de démontrer l’existence du système litigieux à l’égard de chaque produit et accessoire Apple commercialisés sur le marché, que l’Autorité a retenu que la preuve était faite de l’existence d’un accord entre Apple et ses grossistes, portant sur des allocations de produits Apple (hors iPhone) et de clientèle.

219.Les moyens sont rejetés.

B. Sur la qualification de restriction de concurrence par objet

220.La décision attaquée a retenu, aux paragraphes 676 et 710 à 721, que les allocations de produits et de clientèle, décidées par Apple et mises en 'uvre par les grossistes, avaient pour objet de restreindre « la clientèle à laquelle l’acheteur peut vendre les biens et services contractuels » et constituaient donc des restrictions de clientèle et de produits au sens du 4, b) du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 (applicable aux pratiques de l’espèce antérieures au 1er juin 2010) et des lignes directrices du 13 octobre 2000 relatives à ce règlement, contraires aux articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L.420-1 du code de commerce. Elle a retenu, en outre, dans la mesure où elles ont consisté à allouer directement la clientèle des grossistes, que ces pratiques constituaient une restriction tant des ventes actives que passives de ces distributeurs. Après avoir examiné la nature des pratiques (§ 665 à 681), leur portée, leur nécessité et l’objectif poursuivi (§ 682 à 705), ainsi que le contexte économique et juridique (§ 706 à 718), l’Autorité a conclu qu’elles avaient restreint la concurrence intra-marque et constituaient, du fait de leur nocivité, une restriction de concurrence par objet (§ 720). En cet état, la décision attaquée n’a pas examiné si elles étaient susceptibles d’avoir eu des effets anticoncurrentiels.

221.Les sociétés Apple, Tech Data et Ingram soutiennent, en premier lieu, que le standard requis pour appliquer la qualification de restriction par objet n’est pas satisfait.

222.Elles font valoir que l’Autorité a procédé à une analyse erronée de la teneur de l’accord, l’absence d’expérience acquise concernant des allocations visant à établir un ordre de priorité de livraison et l’interprétation stricte requise en la matière (invoquant notamment CJUE, 11 septembre 2014, C-67/13 P, CB, point 58 ; Com., 29 janvier 2020, n° T 18-10.967 et E 18-11.001, EIC, point 11), l’absence de recherche relative à l’objectif poursuivi (objectif pro-concurrentiel écarté à tort et absence d’intérêt économique à mettre en place une stratégie de répartition des clients des grossistes), ainsi qu’un contexte juridique et économique faisant apparaître que les pratiques n’ont pas un objet anticoncurrentiel.

223.Elles soutiennent qu’aucune jurisprudence européenne n’a démontré qu’une allocation de clientèle dans un accord vertical aurait un objet anticoncurrentiel. Elles relèvent que le Conseil de la concurrence n’a pas non plus considéré qu’une allocation de clients avait, en tant que telle et indépendamment d’une restriction territoriale, un tel objet, et considèrent que l’expérience acquise ne saurait donc se déduire des décisions Royal Canin et Léonidas citées par l’Autorité. À l’inverse, elles invoquent une décision du tribunal polonais de la concurrence et de la protection des consommateurs qui a annulé en 2005 une décision de l’Autorité polonaise qui avait considéré qu’un accord de répartition de clientèle constituait une restriction « par objet », sans prendre en compte l’objectif de l’accord et son contexte (décision 5 septembre 2005, Sygn. akt XVII Ama 61/04, Johnson & Johnson / Hurtofarm).

224.Elles estiment que l’existence d’effets pro-concurrentiels doit conduire à écarter la qualification litigieuse et soulignent, outre le fait que l’Autorité n’a pas cherché à déterminer si un objectif anticoncurrentiel était effectivement établi, qu’un objectif légitime peut exclure la qualification litigieuse lorsqu’il permet de douter du degré de nocivité suffisant de l’accord. Elles reprochent à l’Autorité l’absence d’appréciation in concreto des éventuels effets pro-concurrentiels générés par ces pratiques et critiquent les motifs par lesquels elle a rejeté la prise en compte de l’objectif pro-concurrentiel invoqué ' tirés de prétendues allocations hors période de contrainte et du caractère artificiel de la notion de contrainte elle-même ' les considérant comme non étayés. Elles relèvent qu’Apple n’a pas créé artificiellement la pénurie, mais au contraire l’a subie, comme les grossistes, en ne recevant pas suffisamment de produits de la part d’Apple Europe pour répondre à la demande en France. Ces sociétés considèrent également que la présence d’allocations hors contrainte (qu’elles contestent) aurait dû conduire l’Autorité, à considérer, tout au plus, que l’objectif pro-concurrentiel ne s’appliquait pas aux allocations qui auraient eu lieu en dehors des périodes de contrainte.

225.Elles reprochent par ailleurs à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte la forte concurrence inter-marques, l’absence d’intérêt économique à mettre en place de telles pratiques intervenant après que les commandes aient été passées chez les grossistes, et le caractère efficient ' d’un point de vue économique ' de la détermination d’un ordre de priorité en période de contrainte.

226.Ces sociétés renvoient aux rapports économiques versés aux débats qui établissent, selon elles, la constante fluctuation de la part de marché de chacun des grossistes, notamment auprès des APR, gage d’une intense concurrence entre eux Elles font valoir qu’en assurant une répartition équitable des produits au sein du réseau, ce mécanisme d’allocations avait pour objet de limiter les ruptures d’approvisionnement afin de s’assurer que l’ensemble des canaux de distribution disposent d’un approvisionnement a minima, permettant de maximiser, d’une part, la concurrence intra-marque entre les revendeurs au bénéfice des consommateurs (qui peuvent ainsi trouver les produits Apple chez le revendeur de leur choix, sans captation du marché par les plus gros clients-revendeurs), d’autre part, la concurrence inter-marques entre les produits offerts par les APR. Toutes ces sociétés en déduisent qu’il poursuivait un objectif clairement pro-concurrentiel, incompatible avec la qualification de restriction de concurrence par objet.

227.Les sociétés Apple contestent par ailleurs la mise en place de toute mesure de représailles et rappellent que la visibilité demandée à leurs grossistes était nécessaire pour gérer au mieux les risques de pénurie, notamment en période de contrainte et s’assurer que les stocks disponibles ne soient pas accaparés par les acteurs disposant des moyens les plus importants au détriment des plus petits revendeurs. Elles estiment également qu’aucune discrimination n’a été opérée avec ce système, seules les quantités livrées à chaque canal de distribution étant diminuées en période de contrainte, en application d’une règle de calcul objective fondée sur le mécanisme de la fair share, destiné à éviter les ruptures d’approvisionnement au détriment d’un canal de distribution spécifique. Elles soulignent que tous les types de revendeurs ont été amenés à subir des ruptures d’approvisionnement (renvoyant aux auditions d’un Retailer et à celles de l’ARS d’Opéra). Elles observent que lorsque le groupe Apple s’est éventuellement écarté de l’application mécanique de la fair share ce n’était pas pour pénaliser les APR, mais au contraire pour les protéger, en faisant en sorte qu’ils soient livrés en priorité (citant les cotes 11368, 26451, 30726 à 30729 et 11610). Elles font valoir que ce système permet ainsi de maintenir une concurrence intra-marque même en période de contrainte. Prenant appui sur l’analyse des conditions de livraison de l’iPad3 en mars 2012 (pièce Apple n° 45 ter), elles soutiennent que les APR (directs et indirects ont été mieux traités que les autres catégories de revendeurs (ayant eu plus de 60 % de leurs commandes livrées avant le lancement du produit ou dans les 10 jours qui ont suivi, contre 24 % et 42 % pour les autres revendeurs directs et indirects).

228.Toutes les sociétés relèvent à nouveau que l’Autorité n’apporte aucune preuve de ce que chacun des grossistes aurait été empêché de vendre ou de démarcher les clients de son choix ou que les clients-revendeurs se seraient vu opposer des refus de vente ou se seraient plaints de ne pouvoir acheter auprès du grossiste de leur choix. Les sociétés Tech Data et Ingram ajoutent, qu’en tout état de cause, les grossistes n’avaient aucun moyen de savoir si ces pénuries étaient artificielles ou réelles et qu’en présence d’une insuffisance de produits pour satisfaire les commandes passées il apparaissait justifié d’établir un ordre de priorité de livraison, de sorte qu’un tel accord ne peut être considéré comme ayant un objet anticoncurrentiel.

229.Invoquant les lignes directrices sur les restrictions verticales du 19 mai 2010 de la Commission européenne, § 47, les sociétés Apple considèrent que le système en cause n’a pas pour objet de restreindre les ventes.

230.Elles considèrent également que l’Autorité ne peut pas davantage exciper d’une hypothétique restriction caractérisée au sens du règlement d’exemption vertical pour conclure à l’existence d’une restriction par objet, ces deux notions étant distinctes : le constat de l’existence d’une restriction caractérisée étant un examen purement formel qui se focalise sur la teneur de l’accord, alors que l’analyse d’une restriction de concurrence par objet nécessite également la prise en compte des objectifs et du contexte économique et juridique de l’accord.

231.Les sociétés Ingram invoquent l’arrêt Wouters aux termes duquel la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé que « tout accord entre entreprises ou toute décision d’une association d’entreprises qui restreignent la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombent pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article [101], paragraphe 1, du traité » (arrêt du 19 février 2002, C-309/99, point 97) et considèrent que la décision attaquée méconnaît le principe juridique dégagé par la Cour (exigeant un degré suffisant de nocivité) lorsqu’elle se contente de démontrer que le prétendu accord entre Apple et Ingram Micro était « concrètement apte [']à restreindre la concurrence » (§ 704, 718).

232.Les sociétés Apple, comme Tech Data, considèrent, en deuxième lieu, que les pratiques litigieuses ne sont pas susceptibles d’avoir eu un effet sensible sur la concurrence compte tenu de l’existence d’une forte concurrence entre les grossistes sur les produits Apple.

233.Les sociétés Ingram ajoutent que lorsqu’il existe des éléments « contradictoires ou ambivalents » quant aux effets anticoncurrentiels de l’accord, il ne peut être question d'« objet » anticoncurrentiel et considèrent que les éventuels effets pro-concurrentiels de l’accord doivent être pris en compte et mis en balance avec ses éventuels effets anticoncurrentiels. Elles invoquent en ce sens les arrêts de la Cour de justice des 2 avril 2020, Budapest Bank (C-228/18, points 82 et 83) et 30 janvier 2020, Generics (UK) (C-307/18, points 103 et suivants).

234.Ces dernières se prévalent également de la théorie économique en vue de démontrer qu’Apple n’avait aucun intérêt économique à restreindre la concurrence entre les grossistes, mais tout au contraire avait intérêt à favoriser cette concurrence pour être concurrentiel face aux autres marques (pièces Ingram n° 4 et n° 79 ). Elles renvoient aux pièces du dossier qui démontrent que le groupe Apple s’est efforcé, pendant toute la durée des pratiques reprochées, de dynamiser cette concurrence. Elles précisent également que, selon la théorie économique, établir un ordre de priorité dans les livraisons de produit est un moyen efficace pour un fabricant de gérer une offre insuffisante en période de contrainte et éviter qu’un ou plusieurs détaillants ne s’accaparent le marché en période de contrainte (même rapport).

235.Concernant l’analyse du contexte juridique, ces sociétés estiment que la décision attaquée ignore les accords écrits conclus entre Apple et ses grossistes qui établissent un lien direct entre l’ordre de livraisons d’Apple et les situations de pénurie, en ce sens, l’article 5.4 du contrat cadre annuel intitulé « Apple Sales International » qui dispose que :

« Apple se réserve le droit de retarder les dates des livraisons dans l’éventualité où les commandes des Produits dépassent ses stocks disponibles desdits Produits. Dans ce cas, Apple peut allouer et livrer de manière qu’elle estime équitable ses stocks disponibles de Produits. Le Grossiste ne pourra en aucun cas engager la responsabilité de Apple en ce qui concerne la méthode d’allocation choisie ou sa mise en 'uvre. Apple ne sera en aucun cas responsable pour les dommages direct ou indirects, spécifiques ou autres causés au Grossiste ou à toute autre personne pour tout retard dans la livraison des Produits pour quelque raison que ce soit » (cote 10 986).

236.Elles observent, qu’entre 2011 et 2013, Apple a mis en place le programme « fast ship » qui cherchait à optimiser la distribution lors du lancement de nouveaux produits où la demande excède généralement l’offre et confirme encore le lien direct entre le système de livraison mis en place par Apple et les situations de pénurie. Elles en déduisent que ce système de livraison n’avait pas pour objectif d’organiser une entente mais de s’assurer de la plus large disponibilité possible des produits Apple dans les différents points de vente.

237.Les sociétés Apple relèvent par ailleurs l’absence de contrefactuel démontrant des effets sensibles sur la concurrence, outre, qu’en tout état de cause, la réduction de la concurrence intra-marque peut ne pas avoir d’effet négatif sur la concurrence entre les distributeurs dans leur ensemble si la concurrence inter-marques est importante. Elles rappellent que le secteur en cause est l’une des industries les plus compétitives et que les pratiques étaient susceptibles d’accroître la concurrence inter-marques en assurant une distribution aussi uniforme que possible des produits Apple sur le territoire et une concurrence accrue face à ses principaux concurrents. Elles ajoutent que les pratiques n’ont pas non plus eu d’impact négatif sur la concurrence intra-marque au niveau de la distribution de gros qui a toujours été particulièrement vive, comme l’illustrent la décision attaquée (§161, § 171, §174, § 274) et la fluctuation des parts de marché établie par le rapport économique, ainsi que la volatilité des APR dans leurs achats auprès de l’un ou l’autre des grossistes. Elles retiennent la même analyse concernant la concurrence pour l’approvisionnement des revendeurs directs entre les grossistes et Apple. Elles demandent à la Cour, en cas de doute sur ces points, de saisir la CJUE de questions préjudicielles.

238.Pour les sociétés Ingram et Tech Data, si la pratique avait eu un effet sur le marché de la distribution en gros, elle aurait dû nécessairement se traduire par une stabilisation des parts de marché des grossistes, et, empêchant les clients-revendeurs de choisir librement leur grossiste, entraîner une inflation des prix. Or, elles ne constatent aucun impact négatif sur leurs clients ou sur les consommateurs, et notamment sur les prix.

239.Les sociétés Ingram précisent, sur la base de l’analyse versée aux débats (leurs pièces n° 4 et 79), que les marges brutes d’Ingram Micro sur les produits Apple hors iPhone sont restées à un niveau très faible pendant la période pertinente (ayant même baissé entre 2006 et 2012) tandis que les conditions d’encours ont augmenté. Elles estiment en conclusion que la volatilité des parts de marché, la baisse de marge brute, ainsi que l’augmentation des conditions d’encours démontrent l’absence d’effet anticoncurrentiel d’une pratique qui aurait consisté, selon la décision attaquée, à répartir la clientèle des grossistes.

240.L’Autorité, concernant la teneur et les objectifs des pratiques, rappelle, en premier lieu, que le dispositif litigieux ne consistait pas en de simples recommandations de priorités de livraison, mais constituait des restrictions portant sur les ventes des produits de marque Apple, restreignant la capacité des grossistes de vendre les produits de leur choix aux clients de leur choix et renvoie aux différents éléments cités dans la décision attaquée qui illustrent, selon elle, l’intervention du groupe Apple, de façon extrêmement précise et détaillée, dans la détermination de leur politique commerciale. Elle relève également que les pièces n° 21, 22 et 23 des sociétés Tech Data, loin de montrer une vive concurrence entre les grossistes, attestent du mécanisme de la fair share visant à maintenir, sur la base des performances passées de chacun, la position respective de chaque grossiste sur le marché.

241.Elle estime, en deuxième lieu, que le mécanisme en cause ne peut être considéré comme destiné à réduire les ruptures d’approvisionnement et ainsi justifié par un objectif légitime de gestion du réseau de distribution des produits Apple dans la mesure où il visait surtout à dissuader les grossistes de conquérir la clientèle directe d’Apple, à préserver les Apple Stores d’une concurrence trop forte de la part des autres détaillants, notamment des retailers, et à maintenir la position respective des grossistes. Elle renvoie également à sa note relative à l’étude économique des sociétés Ingram, dont elle déduit que les variations de parts de marché mesurées au niveau de chaque produit ne sont pas de nature à remettre en cause la répartition décrite, le groupe Apple pouvant chercher à compenser les progressions de parts de marché de l’un des grossistes sur une catégorie de produits par la progression de son concurrent sur une autre catégorie de produits. Pour le même motif et comme l’avait relevé la décision attaquée (§ 1287 et suivants), elle considère que l’examen des variations de parts de marché des grossistes pour un APR donné, ne saurait, en tout état de cause, remettre en cause l’existence du mécanisme de répartition décrit ci-dessus, d’autant que les allocations édictées par Apple ont pu être la cause de ces variations.

242.Elle ajoute que l’objectif de neutralisation de la concurrence a été atteint par le biais d’un dispositif contraignant, incluant un système de contrôle et de surveillance, et estime que sa visée anticoncurrentielle ressort de l’atteinte portée à l’autonomie commerciale des grossistes au-delà de ce qui était nécessaire. Elle constate sur ce point, d’abord, qu’il a été mis en 'uvre en dehors des périodes de contrainte, ensuite, que ces situations de « contrainte » présentent un caractère artificiel, semblant être à la fois quasi-permanentes et résulter d’une stratégie délibérément mise en place par Apple. À cet égard, elle relève que l’argument selon lequel Apple France aurait subi la situation de pénurie, décidée par Apple US et mise en 'uvre par Apple Europe, est inopérant, puisque les pratiques sont imputées aux différentes sociétés du groupe Apple, qui constituent, ensemble, une seule entreprise au sens du droit de la concurrence. Elle ajoute qu’aucun élément du dossier n’établit qu’Apple ai tenté de remédier à leurs causes principales lorsque cela était possible ou mis en place un système d’alerte concernant ces périodes. Elle estime également que les gains d’efficience allégués ne sont pas démontrés et invoque, en revanche, plusieurs éléments du dossier remettant en cause, selon elle, l’existence de tels gains (§ 136 de ses observations). Elle relève en outre que la mise en place du système du forecast à compter de mars 2013 montre qu’Apple pouvait trouver d’autres moyens moins attentatoires à la concurrence que les allocations litigieuses.

243.Elle fait valoir, en troisième lieu, que la qualification de restriction par objet n’impose pas que les comportements en cause soient identiques à ceux déjà sanctionnés par les autorités de concurrence. Elle relève que si tel était le cas, aucune pratique nouvellement appréhendée par les autorités de concurrence ne pourrait être qualifiée de restriction de concurrence « par objet », ce qui contredirait à l’évidence le caractère non limitatif de la liste des pratiques restrictives de concurrence par objet (CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, C-67/13, point 58). Elle fait valoir qu’un tel raisonnement serait en outre contraire à l’effet utile du droit de la concurrence, dès lors qu’il suffirait qu’un comportement diffère de pratiques déjà sanctionnées pour échapper à cette qualification. Elle souligne que les autorités de concurrence ont considéré, à plusieurs reprises, que les répartitions de clientèle constituaient des restrictions de concurrence par objet et relève que si le système d’allocations en cause n’est pas strictement identique aux précédents connus le caractère nocif pour la concurrence est indéniable. Elle rappelle qu’il a été constaté que la pratique avait contribué à figer le marché, en réduisant la concurrence intra-marque entre Apple et ses grossistes, d’une part, et entre les grossistes, d’autre part (§ 719 de la décision attaquée).

244.Concernant le contexte économique et juridique des pratiques, l’Autorité rappelle, en premier lieu, qu’Apple, en tant que fournisseur des grossistes (lui permettant d’obtenir des informations détaillées sur l’activité commerciale de ses partenaires) et en tant que concurrent de ces derniers sur le marché de gros, était à la fois incité et en capacité de piloter leurs débouchés commerciaux.

245.Elle considère, en deuxième lieu, qu’Apple avait un intérêt économique à maîtriser la concurrence au niveau de la distribution en gros. En effet, le recours à des grossistes entraînant une décentralisation des décisions de vente, qui pourraient aller contre l’intérêt du groupe Apple, celui-ci a cherché à contraindre leur autonomie décisionnelle. Selon l’Autorité, Apple a ainsi, notamment, cherché à ce que ses grossistes :

' ne lui fassent pas concurrence vis-à-vis de sa clientèle directe, d’une part pour préserver ses marges vis-à-vis de cette dernière, d’autre part pour éviter que l’approvisionnement par les grossistes des retailers directs n’entraîne une diminution des prix de détail des produits Apple, et n’empêche Apple de pratiquer des prix élevés, soit dans ses Apple Store, soit vis-à-vis des grossistes ou de ses détaillants directs ;

' ne se fassent pas concurrence sur les détaillants indirects, afin de ne pas les conduire à chercher à vendre à la clientèle directe pour compenser d’éventuelles pertes de volumes sur les clients indirects ou à être plus exigeants vis-à-vis des tarifs de gros d’Apple.

246.L’Autorité relève qu’une telle stratégie a pour corollaire de limiter les quantités de produits disponibles chez les détaillants afin d’éviter une trop grande concurrence en prix et observe que les éléments au dossier attestent que cette stratégie a pu s’appliquer en période de contrainte, comme en période non contrainte. Elle estime que les pièces du dossier n’attestent pas qu’Apple a stimulé la concurrence entre ses grossistes, mais au contraire que le fournisseur a cherché à maintenir la position respective de chacun d’eux sur le marché, sur la base de leurs performances passées et des informations transmises par les grossistes, tout en ayant intérêt à ce que, préservé de la concurrence, chaque grossiste propose néanmoins aux détaillants des conditions de vente attractives afin que les produits Apple restent compétitifs par rapport à ceux d’autres marques.

247.Elle fait valoir, en troisième lieu, que les caractéristiques juridiques du réseau de distribution mis en place par Apple confirment que le système d’allocations en cause a concrètement permis de restreindre la concurrence sur le marché puisqu’en qualité de distributeurs indépendants les grossistes auraient dû pouvoir conduire librement leur politique commerciale.

248.Elle considère, en quatrième lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir que ce système d’allocations n’aurait pas eu d’effet sur la concurrence. D’abord, si le marché concerné est caractérisé par une forte concurrence inter-marques, elle observe que l’intensité de la pression concurrentielle qui s’exerce sur les produits Apple doit être relativisée, dans la mesure où ces derniers disposent de particularités entraînant une fidélisation notable de la clientèle et, plus généralement, une moindre substituabilité avec les produits d’autres marques. Elle en déduit que dans ces conditions la réduction de la concurrence intra-marque ne peut qu’être imparfaitement compensée par la concurrence inter-marque, ainsi que l’a retenu la décision attaquée (§ 1281). Ensuite, elle estime que l’évolution des parts de marché des grossistes confirme que, sans aboutir à un strict partage à égalité du marché entre eux, les pratiques ont pu permettre d’instaurer une relative stabilité de leurs parts de marché. Elle ajoute que la faiblesse des marges d’Ingram Micro ne saurait remettre en cause ce constat, compte tenu du fait, d’une part, que l’activité des grossistes est une activité de volumes dans laquelle les charges fixes sont réparties sur des quantités importantes de produits livrés, d’autre part, que la faiblesse des marges sur les produits Apple peut procurer le même niveau de rémunération en euros que des taux plus élevés appliqués à des produits dont les prix de revente sont inférieurs. Elle ajoute que la réduction du risque d’invendus résultant du pilotage fin des allocations d’Apple et la stabilité accrue de leurs marges peuvent conduire les grossistes à se satisfaire de taux de marge moindres, d’autant que le référencement d’Apple parmi leurs fournisseurs accroît leur attractivité vis-à-vis de leur clientèle.

249.En dernier lieu, l’Autorité fait valoir que les effets pro-concurrentiels invoqués ne remettent pas en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de l’accord concerné. Elle renvoie à cet égard à l’analyse de la Cour de Justice, selon laquelle la seule présence d’effets pro-concurrentiels ne saurait, en tant que telle, conduire à écarter la qualification de restriction par objet, les effets pro-concurrentiels devant être suffisamment importants pour permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord (CJUE, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK), C-307/18, points 105 à 107). Or, en l’espèce, elle considère, pour les raisons exposées aux paragraphes 765 à 787 de la décision attaquée, d’une part, que l’effet prétendument recherché par le système d’allocations, consistant à prévenir les exagérations de volumes commandés par les grossistes et les détaillants, à le supposer crédible ' ce que les pièces du dossier n’accréditent pas ' est en toute hypothèse limité et, d’autre part, que les bénéfices générés par ce dispositif pour le consommateur et les petits détaillants ne sont pas avérés.

250.S’agissant de l’effet anticoncurrentiel des pratiques, elle rappelle que les requérantes ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité de ne pas avoir, au stade de la qualification des pratiques, examiné les effets des allocations en cause sur le marché, dès lors que l’objet anticoncurrentiel a été démontré.

251.Enfin, elle rappelle que le mécanisme de renvoi préjudiciel est prévu pour permettre aux juridictions nationales d’obtenir des éclaircissements sur la validité ou l’interprétation d’un texte européen, non pour demander à la Cour de justice d’appliquer le droit de l’Union au litige. Elle estime que la cour d’appel dispose de tous les éléments nécessaires à l’appréciation des restrictions en cause au regard du règlement n° 330/2010, et conclut au rejet de cette demande.

252.Le ministre chargé de l’économie indique préalablement que la pratique en cause, non justifiée par un contexte économique ou juridique particulier, conduit à restreindre la clientèle à laquelle les grossistes pouvaient revendre leurs produits. Il considère qu’il s’agit là d’une restriction caractérisée de clientèle, non couverte par les exceptions prévues par l’article 4, b) du règlement d’exemption par catégorie n° 330/2010.

253.Il fait valoir que, selon la jurisprudence et la pratique décisionnelle, les répartitions de clientèles constituent des infractions anticoncurrentielles par objet en ce qu’elles comportent un degré de nocivité tel que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire à leur qualification au titre des articles 101 §1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce.

254.Il estime que les éléments du dossier montrent que la pratique d’allocation des produits auprès des deux grossistes a été mise en 'uvre de manière constante et sans lien avec le lancement des produits et que le mécanisme de fair share, accompagnée d’un système de contrôle et de surveillance détaillé, mis en place par Apple et avec les grossistes eux-mêmes, contribue à figer le marché de la distribution. Il en déduit un affaiblissement de la concurrence intra-marque et une restriction par objet, écartant toute nécessité d’une analyse des effets sensible sur le marché.

255.La société eBizcuss partage cette analyse et ajoute que les Lignes directrices concernant l’application de l’article 81 § 3 du traité (aujourd’hui article 101 § 3 du TFUE) prévoient, depuis 2004, une présomption d’entente anticoncurrentielle par objet des restrictions définies comme caractérisées par les Lignes directrices de la Commission (Communication de la Commission 2004/C101/08, considérant 23). Elle considère par ailleurs qu’en restreignant les livraisons aussi significativement, l’allocation de « livraisons » (selon les termes des requérantes) équivaut incontestablement à une allocation de « vente ».

256.Elle soutient, en tout état de cause, que l’entente a eu un effet anticoncurrentiel sur le marché de la distribution des produits Apple, ayant permis à ce groupe d’être le seul distributeur au détail à proposer les produits Apple à leur lancement. Elle relève, d’abord, que le groupe Apple contrôlait entièrement la production et la fourniture des produits de marque Apple, jusqu’à définir voire même créer les périodes de contraintes, ensuite, que tous les APR ont fait face à des délais de livraison très contraignants aux lancements des produits Apple (hors iPhone), ce qui a redirigé leur clientèle vers les Apple Store ou sur Apple Store Online. Elle estime être l’exemple phare de l’effet anticoncurrentiel de cette entente, ayant perdu sa clientèle faute de pouvoir vendre les produits Apple (hors iPhone) à la suite de cette pénurie de produits, alors qu’elle était le premier revendeur Premium Apple en Europe. Elle en déduit que l’entente a dès lors eu des effets anticoncurrentiels sur le marché de la distribution de produits de marque Apple, notamment par l’éviction d’un opérateur tel qu’eBizcuss.

257.Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité et rappelle que le groupe Apple avait au demeurant conscience du caractère anticoncurrentiel de ces mesures, comme en atteste la mention dans des échanges de courriels internes du 29 novembre 2011 que « [l]a situation est critique, en termes de conséquences juridiques possibles pour Apple. En outre, cette situation devient de plus en plus délicate et au fur et à mesure qu 'Apple ouvre de nouveaux magasins Apple Retail. Action : remontez cela à [A] pour qu’Apple Worldwide tienne compte de cela, afin de pouvoir éventuellement revoir leur stratégie d’approvisionnement » (décision attaquée, § 255). Il relève que le mécanisme mis en place par Apple a contribué à figer le marché de la distribution. Estimant que la décision attaquée est parfaitement motivée et qu’en présence d’un accord ayant un objet anticoncurrentiel, l’analyse de ses effets n’est pas requise, il invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour,

258.Il résulte des termes des articles 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce que sont prohibés tous accords entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et, aux termes du premier de ces textes :

« notamment ceux qui consistent à (…) :

c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ».

259.Il ressort de la jurisprudence de la CJUE que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiés de restriction par objet et relever de l’interdiction précitée, de sorte que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C-382/12 P, points 184 et 185, ainsi que du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C-373/14 P, point 26).

260.La CJUE a jugé qu’il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 53 et jurisprudence citée).

261.Enfin, la CJUE a rappelé que la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Sous peine de dispenser l’autorité de concurrence de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’est en rien établi qu’ils sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence, la notion de restriction de concurrence « par objet » ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. La circonstance que les types d’accords envisagés à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées est, à cet égard, sans pertinence (CJUE, 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 58 et jurisprudence citée).

262.En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la teneur de l’accord, la Cour rappelle que le mécanisme d’allocations en cause s’inscrit dans le cadre de la relation verticale nouée entre Apple et ses deux (seuls) grossistes agréés et porte sur les conditions d’approvisionnement des clients de ces derniers. Le mécanisme litigieux ne s’est pas borné à formuler de simples recommandations de priorités de livraisons, dès lors qu’Apple intervenait dans la gestion des stocks de ses grossistes, déterminant pour chacun d’eux la liste des clients revendeurs à privilégier et les quantités de produits Apple pouvant leur être vendues et allait parfois jusqu’à interférer dans la finalisation d’une commande en cours et dans le choix du grossiste par le client-revendeur, comme cela a été démontré aux paragraphes 170 et suivants du présent arrêt et justement retenu par la décision attaquée.

263.Tech Data a ainsi clairement mentionné en septembre 2010 « L’interférence d’Apple sur le choix de passation de commande » (cotes 32281 à 32283, précitées) ou encore, en juin 2011, les transferts de clients à son profit « grâce à une précieuse aide chez Apple » alors même que le client « était très content d’Ingram au niveau logistique sur les Ipods, c’est Apple qui a poussé le transfert » (courriel interne, cote 34129, citée § 230 de la décision attaquée). De la même manière, Ingram Micro critiquait en novembre 2009 les objectifs de vente fixés par Apple dans la mesure où « ce business est COMPLEMENT piloté par Apple » (cote 32246 précitée) mais a également bénéficié de transferts de commande à son bénéfice (pour illustration cote 26448, citée § 288 de la décision attaquée).

264.Le caractère impératif des mesures, comme l’a justement retenu la décision attaquée, ressort par ailleurs des déclarations des représentants de Tech Data qui ont indiqué lors de leur audition « Apple est un fournisseur indispensable, incontournable. Nous subissons leur stratégie et la relation avec eux » (cotes 34447 (VC)/34548 (VNC) ainsi que de la teneur de certains courriels, déjà analysés, comme celui adressé par Ingram Micro à Apple lui rappelant qu'« Apple décide des allocations (…) Nous exécutons » (cote 32246 précitée).

265.Un système de contrôle et de surveillance a par ailleurs renforcé le caractère contraignant du mécanisme d’allocations, par le biais d’un dispositif de recueil d’informations concernant l’activité économique des grossistes, comme l’a établi la décision attaquée aux paragraphes 685 et 686, citant, notamment, un courriel du 9 juillet 2010 dans lequel Apple exige de Tech Data de lui fournir des données précises au moyen d’un tableau Excel à remplir, en ces termes : « =>Vous devez me donner une visibilité claire de ce que vous faites en affectation au moment ou les iPads rentrent en stock (impératif) », les échanges internes d’Apple faisant état du système de micro-pilotage mis en 'uvre pour s’assurer qu’Ingram Micro allouera bien à un APR précis les produits expédiés, un suivi étant prévu jusqu’à la livraison physique du produit (cote 26329), ou encore les alertes transmises par chaque grossiste concernant d’éventuels écarts concernant les directives données (cotes 30527 et 30528 précitées pour les courriels adressés par Ingram Micro, cote 34629 précitée pour le courriel de Tech Data).

266.En revanche, l’unique exemple fourni au paragraphe 689 de la décision attaquée (cote 27662, pièce Ingram n° 15) concernant l’existence de mesures de rétorsion qui accompagneraient parfois le dispositif litigieux n’est pas probant. Les termes de cet échange interne au sein d’Apple, au demeurant ambigus quant à l’identité de la direction devant délivrer les autorisations de passer des commandes pour Ingram Micro, ne permettent pas d’établir la mise en place de mesures de « rétorsion » par Apple du fait du non-respect d’allocations de clientèle :

« ce que je ne t’ai pas dis

c que je me preen la irection d IM et (je ne parle pas de TD) pour les stock important qu ils ont encore en debut de sem

d ailleurs IM n a plus le droit de passer de cde apple ss l autorisation de la direction :) ».

267.Cet échange peut en effet correspondre tout autant au choix de la direction d’Ingram Micro de valider elle-même les commandes transmises par ses commerciaux avant qu’elle soit satisfaite par le fournisseur, que comme une mesure de sauvegarde mise en 'uvre par Apple destinée à éviter la constitution de stocks trop importants entraînant une dévalorisation des produits, sans que ses termes, ambigus, ne permettent d’établir que l’autorisation dont il est question tend à réprimander le grossiste pour ne pas avoir vendu ses produits dans les quantités et à destination de la clientèle allouée.

268.La Cour ne retient pas en conséquence ce motif (tiré de l’existence de mesures de rétorsion infligées par Apple), le considérant comme insuffisamment étayé.

269.Abstraction faite de ce dernier motif, c’est à juste titre que l’Autorité a relevé qu’en tant qu’opérateurs économiques autonomes sur le marché, les grossistes, qui acquièrent la propriété des produits de marque Apple, auraient dû être libres de gérer leurs stocks et de les affecter aux clients de leur choix, ce qui n’était pas le cas en l’espèce eu égard à la teneur de l’accord.

270.Si la présence dans un accord d’une restriction caractérisée ne permet pas de présumer légalement que l’accord viole l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, elle peut néanmoins amener à douter de la conformité de l’accord avec ce texte, de sorte qu’il n’est pas erroné, contrairement à ce que prétendent les requérantes, d’examiner les pratiques en cause à l’aune des différents textes relatifs aux restrictions verticales lorsqu’il s’agit d’apprécier la teneur de l’accord en cause. En effet, que ce soit sous l’angle du paragraphe 1 ou sous celui du paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE, l’analyse de la mesure litigieuse repose sur un examen du degré de nocivité supposé ou avéré de celle-ci.

271.Le règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (applicable aux pratiques en cause antérieures au 1er juin 2010) auquel a succédé le règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (applicable pour les pratiques qui sont postérieures au 1er juin 2010), désigné par les parties sous le nom de « règlement d’exemption vertical », exclut le bénéfice de l’exemption par catégorie en présence de restrictions dites « restrictions caractérisées », telles qu’énumérées à l’article 4.

272.En application de l’article 4, sous b) dudit règlement, relève d’une restriction caractérisée, l’accord qui a pour objet :

« la restriction concernant (…) la clientèle à laquelle, l’acheteur peut vendre les biens ou services contractuels, sauf :

' la restriction des ventes actives vers un territoire exclusif ou à une clientèle exclusive réservés au fournisseur ou concédés par le fournisseur à un autre acheteur, lorsqu’une telle restriction ne limite pas les ventes de la part des clients de l’acheteur,

' la restriction des ventes aux utilisateurs finals par un acheteur qui opère en tant que grossiste sur le marché,

' la restriction des ventes par les membres d’un système de distribution sélective aux distributeurs non agréés et,

' la restriction de la capacité de l’acheteur de vendre des composants destinés à l’incorporation à des clients qui pourraient utiliser ces composants pour la fabrication de biens similaires à ceux produits par le fournisseur des composants ».

273.Aux termes des lignes directrices du 13 octobre 2000 sur les restrictions verticales (2000/C 291/01) accompagnant le règlement d’exemption n° 2790/1999, auquel a succédé le paragraphe 50 des lignes directrices relatives au règlement n° 330/2010 sur les accords verticaux, la restriction caractérisée visée à l’article 4, sous b), « est liée au partage du marché (') en clientèles » et « peut être le résultat d’obligations directes, comme l’obligation de ne pas revendre à certains clients (') ou encore l’obligation de renvoyer à d’autres distributeurs les commandes de ces clients. Elle peut aussi être le résultat de mesures indirectes destinées à dissuader le distributeur de revendre à ces clients, telles que le refus ou la réduction des primes ou des remises, le refus de livrer, la diminution des volumes de livraison ou la limitation du volume de livraison en fonction de la demande sur le territoire ou le groupe de clientèle alloués, la menace de mettre un terme à l’accord ou des obligations de transfert des bénéfices (') ».

274.En l’espèce, les allocations de produits et de clientèle, telles qu’elles viennent d’être décrites et analysées par la Cour, décidées par Apple et mises en 'uvre par les grossistes, qui s’inscrivaient dans le cadre d’un système « fermé » limité à deux grossistes agréés au niveau du marché de gros et s’appliquaient nonobstant le système de distribution « ouvert » sur le marché aval, dans lequel Apple ne s’était réservé que l’approvisionnement de son canal de distribution en propre, avaient bien pour objet, de répartir la clientèle entre les deux seuls grossistes agréés concurrents et ainsi « de restreindre la clientèle à laquelle l’acheteur peut vendre les biens et services contractuels », au sens du 4, sous b) du règlement précité, comme l’a justement retenu la décision attaquée au paragraphe 676.

275.La circonstance que l’amplitude des mesures de restriction n’ait pas toujours été au même niveau, et qu’il ait en particulier été observé, dans les analyses économiques produites par les parties, une fluctuation des parts de marché des grossistes concernant certains APR sur certaines périodes est sans incidence sur l’analyse globale qui précède. En effet, outre les limites de ces analyses (qui ne couvrent pas l’ensemble des canaux de distribution sur lesquels s’exerce la concurrence de la vente en gros, notamment les retailers et la part de marché d’Apple), il convient de relever que leurs résultats démontrent qu’aucun des grossistes n’a été en mesure d’atteindre durablement une part de marché disproportionnée par rapport à l’autre. Ils confortent ainsi la position de l’Autorité selon laquelle les pratiques ont conduit à apporter des correctifs aux déséquilibres survenant entre eux, sans pour autant tendre à un verrouillage des parts de marché tourné vers un partage égal du marché (décision attaquée, § 1292).

276.Par ailleurs, au moyen du système d’allocations litigieux, le groupe Apple s’est comporté à l’égard de ses grossistes comme il l’aurait fait envers d’entités intégrées, en les privant de leur capacité à déterminer librement les quantités de produits vendus à leurs clients-revendeurs, ainsi que les clients à approvisionner (APR et retailers indirects aussi bien que directs).

277.Ce système s’analyse comme un moyen de maintenir leurs parts de marché dans une fourchette stable, sans égard pour le jeu normal de la concurrence, étant rappelé qu’Apple :

' intervient et contrôle le niveau des stocks de ses grossistes (courriel interne du 20 décembre 2008 « sache qu’en règle générale les volumes de stock entre les deux grossistes sont à peu près équivalents » (cote 795, pièce Tech Data n° 11) courriel Ingram évoquant « des règles d’allocations qui sont strictement appliquées entre nos sociétés depuis de nombreuses années » (cote 11501, pièce Tech Data n° 18-2) et ;

' diffuse des informations à chacun des grossistes pour réduire les écarts éventuels entre eux (courriel du 18 septembre 2009 d’Apple à Ingram Micro : « Cette analyse a pour objet de vous montrer quel est le potentiel fait chez la concurrence sur les principaux revendeurs […] 1) focus APR, Votre PDM sur ce canal doit augmenter (…) Objectif minimum de PDM 35 % pour commencer … » (cote 26793, pièce Tech Data n°14).

278.L’examen de la teneur de l’accord révèle ainsi un mécanisme de nature à restreindre la concurrence par les mérites entre concurrents (tant entre les grossistes, qu’entre ces derniers et Apple).

279.S’agissant, en deuxième lieu, de l’existence d’une expérience acquise, la Cour rappelle que pour justifier le fait qu’un accord soit qualifié de restriction de la concurrence « par objet », sans que s’impose une analyse de ses effets, il doit exister une expérience suffisamment solide et fiable pour qu’il puisse être considéré que cet accord est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (CJUE, 2 avril 2020, C-228/18, Budapest Bank e.a., point 76), l’expérience acquise ressortant traditionnellement de l’analyse économique, telle qu’elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence.

280.Par ailleurs, ainsi que l’a jugé la CJUE, il n’est nullement requis que le même type d’accords que l’accord litigieux ait déjà été condamné pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, et ce alors même qu’il intervient dans un domaine spécifique (CJUE, 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C-611/16 P, points 119). En effet « [a]ux fins de la qualification de 'restriction par objet’ d’un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère » (même arrêt, point 120).

281.En l’espèce, il doit être préalablement relevé que c’est en vain que les requérantes invoquent l’absence d’une telle expérience concernant des allocations visant à établir un ordre de priorité de livraison, dès lors qu’il a été démontré que ce système est allé bien au-delà de simples recommandations concernant la manière dont les grossistes assuraient l’ordre des livraisons des produits commandés par leurs clients-revendeurs et qu’il s’analyse comme une restriction de clientèle et de produits, s’inscrivant dans une relation verticale ne comportant que deux grossistes agréés.

282.Par ailleurs, il importe peu que les précédents invoqués aux paragraphes 653 et suivants de la décision attaquée ne soient pas en tous points identiques ' notamment en ce que les allocations de clientèle sont ici variables selon les périodes et n’ont pas été assorties de restrictions territoriales ' dès lors qu’ils concernent une même catégorie d’accords relative aux restrictions de clientèle et qu’en tout état de cause la Cour procédera à un examen individuel plus circonstancié afin de s’assurer que l’accord litigieux ne comporte pas de caractéristiques particulières qui indiqueraient que l’affaire en cause est susceptible de faire exception à la règle de l’expérience.

283.S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif légitime attribué à une pratique, la Cour de justice a jugé que « le fait qu’une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n’exclut pas que, eu égard à l’existence d’un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s’inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence » (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13P, point 70 et du 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18, point 52).

284.Par ailleurs, il a également été rappelé que lorsque les parties à un accord se prévalent d’effets pro-concurrentiels attachés à celui-ci, ceux-ci doivent, en tant qu’éléments du contexte de cet accord, être dûment pris en compte aux fins de sa qualification de « restriction par objet » dans la mesure où ils sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de « restriction par objet ». Comme l’a précisé la CJUE, à les supposer avérés, pertinents et propres à l’accord concerné, ces effets pro-concurrentiels doivent être suffisamment importants, de sorte qu’ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord, et, partant, de son objet anticoncurrentiel (arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a, C-307/18, points 103 et 107).

285.En l’espèce, le groupe Apple a justifié le système d’allocations par la pénurie de produits résultant des périodes de contrainte et le souci d’assurer l’approvisionnement de chaque distributeur, afin de ne pas voir les volumes immédiatement disponibles accaparés par certains grands distributeurs. Il a également invoqué les effets pro-concurrentiels produits par le mécanisme d’allocations litigieux.

286.Sur l’objectif légitime allégué de gestion de la pénurie, il est constant, comme l’a indiqué un représentant du groupe Apple en audition que « Chez nous les périodes de contraintes sont assez récurrentes et peuvent concerner une grande gamme de produits ['] » (cote 16817). Il ressort en outre des éléments du dossier que, sans avoir créé une situation de pénurie pour justifier son système d’allocation, le groupe Apple a en revanche adopté une stratégie de rareté pour ses produits, tendant à stimuler la demande en restreignant leur disponibilité, stratégie de nature à réduire l’impact de la concurrence habituelle par les prix.

287.Cette stratégie de rareté est, notamment, évoquée par Tech Data dans un document interne, aux termes duquel il mentionne qu'« Apple est un fournisseur atypique dont la stratégie est basée sur la pénurie » (cote 44928, citée au § 698 de la décision attaquée). L’Autorité est également fondée à relever, en réplique aux arguments et études produits par ses contradicteurs devant la Cour, que d’autres éléments de la procédure confirment ce constat, notamment la réponse apportée au questionnaire des services d’instruction par une enseigne de la grande distribution qui indique qu'« il ne s’agit donc pas de véritables difficultés d’approvisionnement mais d’une volonté d’Apple de ne livrer qu’une quantité choisie de produits » (cotes 19061 et suivantes).

288.C’est en conséquence à juste titre que l’Autorité a retenu le caractère artificiel de la notion de contrainte (§ 701 de la décision attaquée) après avoir relevé que le groupe Apple était en mesure de générer lui-même une telle situation, en sous-estimant la demande sur certains de ses produits au stade de la production.

289.Sur ce point, les sociétés requérantes invoquent en vain l’absence d’intérêt économique des sociétés en cause à créer une telle situation ou à participer à une telle entente. Tout d’abord, comme l’a rappelé la CJUE, il est indifférent, en ce qui concerne l’existence de l’infraction, que la conclusion de l’accord ait été ou non dans l’intérêt commercial de l’entreprise (CJUE, 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries/Commission (C-403/04 P) points 44 et 45). Ensuite, cette allégation est contredite, à l’égard d’Apple, par les développements du paragraphe 286 qui précède. Il ne peut être fait abstraction du fait que la situation en cause est une conséquence de la stratégie commerciale décidée par le groupe Apple concernant des produits qui présentent des caractéristiques les rendant généralement moins substituables avec les produits d’autres marques (identité forte et spécifique des produits Apple, notoriété de la marque, positionnement haut de gamme, interopérabilité limitée avec d’autres marques, création d’un écosystème propre à la marque) ce qui relativise la portée de l’argument tiré de la pression concurrentielle.

290.À l’égard des grossistes, et compte tenu du nombre extrêmement restreint d’opérateurs agréés pour la diffusion des produits Apple sur le marché amont et du positionnement spécifique de ces produits sur le marché des produits informatiques et d’équipements d’électroniques grand public, il est également patent qu’ils avaient un intérêt commercial à se maintenir dans l’entente afin de préserver l’avantage concurrentiel qu’ils retiraient de leur agrément et en particulier de l’attractivité qu’il confère par rapport aux autres opérateurs concurrents vis-à-vis de leur clientèle-revendeur multimarques du fait des caractéristiques des produits Apple déjà évoquées. Par ailleurs, comme l’a relevé l’Autorité, le pilotage des allocations était également de nature à limiter le risque d’invendus supporté par les grossistes, ce que Tech Data a précisément entendu mettre en 'uvre en sollicitant l’intervention d’Apple pour écouler un stock d’iPad mini (courriel du 6 mars 2013 précité, pièce Tech Data n° 7-7). À cet égard, la Cour relève que, contrairement à ce que prétendent les parties, ce risque est loin d’être invraisemblable, compte tenu des cycles d’innovation très courts dans ce secteur. Les sociétés Apple y font d’ailleurs référence et se prévalent des enseignements tirés de l’accroissement des stocks au milieu des année 80 qui avaient mis en péril l’équilibre financier d’Apple pour justifier la stratégie du groupe (mémoire Apple § 44 et suivants).

291.Il a également été établi que le système d’allocations concernant l’approvisionnement des clients des grossistes n’a pas été strictement limité aux périodes de contrainte et a pu être maintenu en dehors de ces périodes, même s’il ressort des pièces du dossier que cette situation a été manifestement moins fréquente, un seul exemple étant fourni concernant l’application du mécanisme en dehors de cette période (cote 26208, précitée, citée § 304 de la décision attaquée).

292.La Cour rappelle également, concernant la fréquence des périodes de contrainte, découlant de la stratégie de rareté définie par Apple, que le rapport versé aux débats (pièce Ingram n° 79) ne contredit pas utilement cette analyse pour les motifs déjà exposés (§ 214 du présent arrêt).

293.Force est de constater, surtout, que les consignes données dans plusieurs courriels (« les directs continueront à être livrés par Apple donc ' privilégiez les indirects » (cote 26873,). « on ne change toujours pas la règle ' les APR indirects d’abord !!!!! ensuite les directs » (cote 11368) ; « Attention à bien suivre la priorité APR » (cotes 11416 et 11417) conduisent principalement les grossistes à ne plus démarcher ni répondre aux sollicitations des plus gros clients (les clients directs) au bénéfice d’Apple, comme l’a relevé la décision attaquée au paragraphe 1277.

294.En outre, comme l’a relevé la décision attaquée (§ 250 à 257 et 700), le dispositif d’allocations ne garantit pas un approvisionnement équitable entre les différents canaux de distribution. Il est ainsi établi que dans certains cas, alors que les détaillants ne recevaient que des quantités limitées de produits contraints de la part des grossistes, les Apple Store ou l’Apple Online Store bénéficiaient d’une large disponibilité sur ces mêmes produits, ce qui a également été constaté au bénéfice des retailers.

295.Cette situation est, notamment, illustrée par les extraits des courriels suivants :

' du 29 décembre 2011, courriel interne de Tech Data (cote 29641, annexe 683) :

« […]Les produits restent toujours contraints : Mac Book Air, Mac Book Pro, Ecran Tunderbolt, Time Capsule, IPOD et les accessoires.

(Alors que les produits sont disponibles sur l’Apple Store) […]». (soulignement ajouté par la Cour) ;

' du 28 novembre 2011, courriel interne de Tech Data (cote 29642, annexe 683) :

« […]Produits contraints : MacBook Air, MacBook Pro, Imac, Ecrans et Accessoires.

Procédure de plus en plus contraignante pour les commerciaux : Stock Tampon, allocation, CO06, pas de visibilité des dispo dans le Système.

Forte concurrence des Apple Stores qui ont de la dispo sur les produits contraints […] ».(soulignement ajouté par la Cour) ;

' du 11 juin 2013, adressé à Ingram Micro, dans lequel Apple France lui indique :

« Je suis obligée de vous rappeler que quand je vous communique des informations, il n’est pas indispensable de relayer ces infos à des partenaires qui ne sont pas concernés. Je vous demande donc une fois de plus de garder un minimum de confidentialité (ex de ce jour : pas la peine de dire à un APR qu’il y a plein de nouveaux MBA mais 'réservé pour le retail !!!) ['] » (cote 11440, annexe 271, soulignement ajouté par la Cour).

296.En ce sens également, les réponses au questionnaire des services d’instruction, partiellement reproduites au § 257 de la décision attaquée :

' un APR mentionnant que « le produit est disponible sur l’Apple Store en ligne par contre pour nous impossible de l’avoir chez nos grossistes » (cote 5918, annexe 174-1) ;

' un autre déclarant que « Depuis l’arrivée des ARS, nous sentons clairement que leur priorité [à Apple] d’approvisionnement reste pour leur canal de distribution 100 % Apple » (cote 3108, annexe 121).

297.Les plaintes de revendeurs APR concernant ces différences de traitement ou des difficultés d’approvisionnement sont également évoquées par Apple France dans un courriel interne du 26 septembre 2011 (cote 26250), plus amplement reproduit au § 520 de la décision attaquée :

« M ['],

Tu trouveras ci-après quelques problématiques d’allocation entre le canal APR et celui des autres revendeurs : (…)

(…) Mai : iconcept menace Apple de s’adresser à un transporteur qui attestera de l’existence d’iPads disponibles dans l’ARS de [Localité 22] (iconcept le 18/05/2011). P. R['] a obtenu 30 iPads de Tech Data alors qu’il estime qu’il y en a 600 en stock chez l’ARS de [Localité 22].

(…)- Juin : eBizcuss a commandé 2 iPad2 sur l’AOS le 3 juin. La livraison était estimée au 16 juin soit 2 semaines plus tard alors qu’il faut 6 semaines quand [eBizcuss] commande un iPad.

(…)-15 septembre : Actimac menace de contacter un transporteur s’ils ne reçoivent pas leur iPad dans un délai de 3 jours, c’est à dire le délai de livraison pratiqué par l’AOS.

(…)-22 septembre : les écrans Thunderbolt ont été annoncés en juillet dernier. Depuis lors, iconcept n’en a reçu aucun. Iconcept a décidé de commander 6 écrans sur l’AOS (') 2 jours après ils recevaient les 6 écrans (') ».

298.L’analyse des conditions de livraison de l’iPad3, sur une courte période, (pièce Apple n° 45 ter) outre qu’elle n’est pas représentative de toute la période couverte par le grief, est en tout état de cause impropre à établir que le système assurait une répartition équitable entre les différents canaux de distribution puisqu’elle revendique précisément une différence de traitement mise en 'uvre en faveur d’un canal au détriment d’un autre.

299.Cette situation n’est pas davantage remise en cause par le fait que, ponctuellement, le réseau a pu, dans son ensemble, être confronté à des ruptures de stock sur certaines références, comme l’ont indiqué une grande enseigne de la distribution et l’ARS d’Opéra lors de leur audition (pièces Apple n° 44 et 42, extraites de la procédure).

300.En quatrième lieu, sur les effets pro-concurrentiels invoqués, la Cour relève que la concurrence intra-marque invoquée qui a pu s’opérer entre les deux grossistes, dans une certaine mesure et sur certains aspects (frais de port, ligne d’encours, impact sur les niveaux de marge) ne peut être attribuée au système d’allocations de clientèle et de produits en cause mais résulte des informations diffusées à chaque grossiste par Apple concernant leurs performances respectives et leur politique commerciale et financière, comme l’établiront les développements qui suivent consacrés au contexte économique dans lequel s’insère l’accord.

301.Par ailleurs, comme l’a justement retenu la décision attaquée, la mise en place du système forecast à compter de mars 2013 ' en vertu duquel Apple attribue à chacun des grossistes une certaine quantité de produits en fonction de leurs prévisions de ventes respectives afin de leur permettre de constituer un stock de base pour satisfaire la demande à venir pour chaque produit ' démontre qu’Apple disposait d’autres moyens, moins attentatoires à la concurrence que les allocations litigieuses lui permettant :

' de réduire les périodes de contrainte et les pénuries afférentes, grâce à un dispositif évaluant mieux les besoins de ses partenaires commerciaux et adaptant la production en conséquence ;

' de préserver son système dual, reposant, d’une part, sur un canal de détaillants offrant des services additionnels aux consommateurs (ARS et APR), et d’autre part, sur un canal organisé autour de la grande distribution (retailers) offrant pas ou peu de services mais des prix possiblement plus bas.

302.Ce constat suffit à exclure la thèse avancée par l’ « analyse économique du système de distribution et de l’environnement concurrentiel d’Apple » (pièces Apple n° 6 et 6 bis), selon laquelle le mécanisme d’allocations aurait été « essentiel » à la viabilité d’un système de distribution duale bénéfique au consommateur, puisque le groupe Apple a démontré qu’il pouvait atteindre les mêmes objectifs avec d’autres moyens.

303.La situation de contrainte invoquée et les bénéfices qui résulteraient du système d’allocations en cause doivent en conséquence être fortement relativisés, compte tenu des quantités réellement disponibles sur le marché de détail, du caractère artificiel des périodes de contrainte et de solutions alternatives moins attentatoires pouvant être mises en 'uvre. La pertinence de l’argument fondé sur le caractère nécessaire du dispositif, notamment invoqué dans le rapport économique versé en pièce 6/6bis par les sociétés Apple, est ainsi contredit par les éléments du dossier.

304.S’agissant, en cinquième lieu, du contexte économique dans lequel s’insère l’accord, la Cour relève à titre liminaire que les sociétés Ingram ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité de ne pas avoir examiné le caractère efficient du point de vue économique de la détermination d’un ordre de priorité de livraison en période de contrainte, dès lors que les restrictions ont porté sur des ventes, comme cela a déjà été démontré, et qu’en outre elles ont pu être appliquées même en dehors des périodes de contrainte et conduire à une différence de traitement selon les revendeurs, en particulier en fonction du canal d’approvisionnement.

305.Les sociétés requérantes ne sont pas plus fondées à se prévaloir de l’analyse des lignes directrices sur les restrictions verticales de la Commission européenne (pour laquelle, en substance, en présence d’une concurrence inter-marques rude il est peu probable qu’une réduction de la concurrence intra-marque ait des effets négatifs sur le consommateur) dans la mesure où elle concerne l’hypothèse d’un fournisseur unique et d’une distribution exclusive, qui ne correspond pas à la situation de l’espèce (où les grossistes sont multimarques).

306.Il n’est pas contesté, ensuite, concernant la concurrence inter-marques, que celle-ci existe sur le marché amont de la distribution de produits informatiques et électroniques grand public, les grossistes agréés par Apple étant multimarques. Il est toutefois également constant, comme l’a relevé la décision attaquée, que le positionnement particulier des produits Apple sur le marché, résultant des caractéristiques déjà évoquées au paragraphe 289 du présent arrêt, est de nature à entraîner une fidélisation notable de la clientèle et à relativiser la pression concurrentielle, même si celle-ci demeure plus ou moins forte selon la nature des produits. Les entraves à la liberté commerciale des grossistes n’ont ainsi pu être que partiellement contournées par les acheteurs acceptant de se reporter vers des produits d’autres marques.

307.Concernant la concurrence intra-marque, il doit être relevé qu’elle est, au départ, réduite dès lors que deux grossistes seulement sont agréés pour la distribution sur le marché de gros et que le groupe Apple assure lui-même une part prépondérante de l’approvisionnement des détaillants (ARS/AOS/distributeurs directs).

308.Il résulte des développements qui précèdent (§ 300 du présent arrêt) que la concurrence entre ces grossistes n’a pas été totalement entravée par le système d’allocations en cause. Ainsi, de nombreux échanges font état des mesures suggérées par Apple ou prises par l’un ou l’autre des grossistes pour s’aligner sur les conditions proposées par son concurrent afin de tenter de conserver ses parts de marché ou atteindre le même niveau d’organisation pour en conquérir, notamment :

' les courriels d’Apple à Ingram Micro en date du :

18 septembre 2009 « Cette analyse a pour objet de vous montrer quel est le potentiel fait chez la concurrence sur les principaux revendeurs. Je n’ai gardé que les principaux comptes (…)2) Focus AAR (…) => Il y a des comptes que TD ne connaît pas ! Bichonnez les pour les garder ! => Il y a des comptes qui ne commande rien chez vous (prenez les + gros pour commencer et prenez contact avec eux) => Il y a des comptes qui n’existent pas chez vous idem contact à prendre [tableau excel 'comparatif revendeurs’ en pièce jointe] » (cote 26793, pièces Tech Data n° 14 et Ingram n° 55) ;

20 juillet 2009 (cotes11273-11274 (VC) 25859 (VNC) lui rappelant que « TD a effectivement mis en place une politique de contre attaque en voyant leur part de marché baisser » et expliquant à Ingram Micro ses points faibles et les actions à entreprendre pour récupérer des parts de marché [informations couvertes par le secret des affaires];

' des courriels internes de Tech Data en date du :

15 juin 2011 « L’alignement des conditions nous a permis de ne pas laisser Ingram rentrer davantage chez [APR] » (pièce Tech data n° 22-2) ;

3 janvier 2012 « peux tu voir pour me supprimer les frais de port sur les livraisons en direct chez nos clients (comme chez Ingram) » (cote 42799, pièce Tech Data n° 23-2) ;

5 décembre 2012 « Notre client a obtenu ce délai (45 jours au lieu de 30 jours uniquement sur le mois de décembre) chez Ingram (…) Je suis favorable à cette demande. Dans le cas contraore le businesssur décembre passera chez Ingram » (pièce Tech Data n° 23-5) ;

' des courriels internes d’ingram Micro en date du :

17 avril 2008 « Vous trouverez l’encours Ingram ainsi que la ligne de crédit octroyée par Tech (beaucoup plus flexible que nous […].Une des pistes serait de nous aligner sur les lignes d’encours Tech […] » (cote 30553, pièce Ingram n° 51) ;

11 décembre 2012 « on s’aligne au cas par cas mais pas de communication de notre part » (cote 29418, pièce Ingram n° 54).

309.Il n’en demeure pas moins que cette concurrence intra-marque a été contrainte par le mécanisme d’allocations en cause dans la mesure où les mouvements de clientèle ne se sont pas systématiquement opérés au regard des mérites de l’opérateur, mais en considération des allocations décidées par Apple et appliquées par les grossistes. Le système a conduit notamment, en l’absence d’allocations les y autorisant, à dissuader ces derniers de démarcher ou de répondre à la demande de certaines catégories de clientèle, l’exemple le plus significatif étant celui des clients directs qui étaient, par le jeu des allocations désignant des APR indirects, de facto, réservés à Apple.

310.Il s’ensuit que l’allocation de clientèle et de produits, qui permettait au groupe Apple de piloter les débouchés de ses grossistes et de répartir la clientèle sur le marché de gros de manière à maintenir les parts de marché des grossistes et de lui-même dans une fourchette stable, a, par sa nature même, affecté le fonctionnement normal de la concurrence entre les grossistes mais également à l’égard d’Apple, comme l’a justement retenu la décision attaquée aux paragraphes 713 et 714.

311.S’agissant, en sixième lieu, du contexte juridique (§ 716), la Cour a rappelé, concernant le marché de gros, que le système de distribution organisé par Apple est « fermé », étant limité aux seuls grossistes agréés (au nombre de deux actuellement, couvrant tout le territoire national) et que le groupe Apple était en concurrence avec ses grossistes concernant l’approvisionnement des APR et retailers directs. Le groupe Apple ne s’est en effet réservé que l’approvisionnement de son canal de distribution propre (ARS et AOS).

312.En revanche, sur le marché aval, le système de distribution est « ouvert », de sorte que les grossistes, censés être des opérateurs économiques indépendants, auraient dû pouvoir conduire librement leur politique commerciale à l’égard de leur clientèle, laquelle a été entravée par le système d’allocations. Il s’ensuit que, dans ce contexte juridique, le système d’allocations mis en 'uvre est, par nature, restrictif de concurrence.

313.La Cour ajoute que si la notion de contrainte est présente dans le champ contractuel régissant les allocations du premier niveau qui concernent les conditions dans lesquelles Apple approvisionne ses clients « directs » (en ce sens notamment l’article 5.4 du contrat-cadre annuel déjà évoqué lors de la présentation du dispositif contractuel d’allocations entre les grossistes), cette référence n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse qui précède relative aux allocations de second niveau touchant la clientèle des grossistes. Cette circonstance est d’autant moins opérante que les éléments du dossier ont établi le caractère à la fois artificiel et récurrent des situations de contrainte.

314.De cet examen circonstancié de la teneur de l’accord (portant sur une répartition de clientèle et de produits et révélant l’absence d’effets pro-concurrentiels propres à l’accord), de la situation de concurrence sur le marché de gros et du système de distribution ouvert qu’il alimente, ainsi que des conditions dans lesquelles s’exerce la concurrence intra-marque et inter-marques du fait de la stratégie de rareté des produits adoptée par Apple et de leurs caractéristiques, de l’absence de justifications objectives du système d’allocations mis en 'uvre et des différences de traitement observées entre les canaux de distribution, la Cour déduit que la pratique présente, de façon manifeste, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’elle puisse être considérée comme constitutive d’une restriction de concurrence par objet, comme l’a justement retenu la décision attaquée.

315.Il importe de rappeler, comme l’a déjà fait la Cour de justice (CJUE, 13 décembre 2012, Expedia Inc. c/ Autorité de la concurrence, C-226/11, § 35 et suivants), qu’aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, « la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, ainsi que du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C-272/09 P, non encore publié au Recueil, point 65, et KME Germany e.a./Commission, C-389/10 P, non encore publié au Recueil, point 75) ».

316.Comme celle-ci l’a également précisé au § 37 du même arrêt, « il y a donc lieu de considérer qu’un accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence ».

317.Il s’en déduit que la constatation d’une restriction de concurrence « par objet », telle que celle en cause, dispense la Cour de la nécessité de rechercher les effets de la pratique pour faire application de l’article 101 § 1 du TFUE, et par suite d’examiner les analyses économiques produites par les parties pour exclure tout effet anticoncurrentiel de la pratique litigieuse.

318.À titre surabondant, la Cour relève que les motifs qui précèdent privent la plupart de ces analyses de portée en ce qu’elles :

' reposent sur une analyse erronée de la teneur de l’accord (les pratiques ne s’étant pas bornées à orchestrer de simples priorités de livraison) ;

' se fondent sur des postulats incompatibles avec les analyses justement retenues par la décision attaquée (compte tenu du caractère artificiel des contraintes, du fait que le caractère nécessaire du système est démenti par l’existence de solutions alternatives et de ce que les effets pro-concurrentiels allégués ne sont pas inhérents au dispositif…) ;

' ne portent pas sur des allocations de second niveau (voir en particulier la pièce d’Apple n° 46, § 208) ;

' se limitent à de brèves périodes qui ne couvrent pas toute la durée de l’entente, ni les conditions de livraison d’autres produits que l’iPad ;

' ne tiennent pas compte de l’ensemble du marché de gros pour apprécier l’évolution de la concurrence intra-marque, notamment les ventes en gros directes d’Apple ;

' ne remettent pas en cause le fait que l’entente en cause a bridé la concurrence susceptible de s’exercer sur le marché amont ' d’une part; entre les grossistes, d’autre part, entre ces derniers et Apple ' et qu’il a été constaté (§ 1295 et suivant de la décision attaquée) une augmentation de la part des grossistes dans les ventes de produits Apple après la fin des pratiques (comprise entre 16 % et 21 % entre 2008 et 2013, elle a été comprise entre 19 % et 24 % entre 2014 et 2017, le même constat ayant été fait concernant la part des grossistes auprès des retailers directs qui a également légèrement augmenté, passant d’environ 6-8 % pendant les pratiques à 7-9 % ensuite) dont l’origine peut résulter, en tout ou partie, de la cessation des pratiques. Ces éléments ne permettent pas d’affirmer, comme le font les requérantes, que les pratiques n’ont produit aucun effet, celles-ci ayant nécessairement produit des effets, même s’ils n’ont pas été précisément quantifiés.

319.La Cour ajoute, par ailleurs, que l’existence d’un dommage à l’économie limité, qui résulterait notamment de l’évolution des marges observées dans les analyses produites, n’induit pas que les pratiques n’ont produit aucun effet et est sans incidence sur leur caractère anticoncurrentiel. Cette circonstance, appréciée a posteriori, n’est qu’un critère, parmi d’autres, pour déterminer un niveau de sanction proportionné.

320.Le moyen est rejeté.

321.En l’absence de doute raisonnable sur l’interprétation du règlement n° 330-2010 il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel.

C. Sur la demande d’exemption

322.Après avoir retenu que la pratique d’allocations de produits et de clientèle constituait une pratique anticoncurrentielle par objet, l’Autorité a retenu, dans la décision attaquée, qu’elle ne pouvait bénéficier d’une exemption par catégorie. Puis, après examen des justifications particulières avancées, elle a estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour pouvoir accorder aux grossistes et à Apple le bénéfice d’une exemption individuelle (§ 722 à 787).

323.Les sociétés Apple et Ingram Micro font valoir, en premier lieu, que la pratique en cause bénéficie de l’exemption par catégorie au titre du règlement d’exemption vertical et/ou de l’article 101(3) du TFUE, en l’absence de restrictions caractérisées, et en déduisent que cette situation doit automatiquement aboutir à l’annulation des articles 2 et 6 de la décision attaquée.

324.Les sociétés Apple ajoutent, en second lieu et à défaut d’exemption par catégorie, que les quatre conditions requises pour une exemption individuelle sont réunies, dès lors, en substance, que :

' l’objectif des allocations est d’optimiser la distribution des produits Apple en s’assurant que toutes les catégories de revendeurs (Retailers et Resellers) bénéficient, autant que possible, d’un approvisionnement a minima ; le fait que les Resellers puissent avoir été, à certains moments, plus touchés par des périodes de contrainte n’invalide pas la constatation selon laquelle, en l’absence de ces allocations, leur situation aurait été plus problématique encore en période de contrainte ; l’absence de strict respect par les grossistes des recommandations de livraison d’Apple peut en outre expliquer cette situation ;

' ces allocations sont strictement au bénéfice du consommateur en lui permettant, dans toute la mesure du possible, de trouver le produit qu’il cherche dans le canal de distribution qui lui convient le mieux (chacun d’eux offrant des prestations et des niveaux de service très différents) et de profiter d’une offre intra-marque plus variée ;

' les préconisations d’Apple sont indispensables pour atteindre ces objectifs ;

' elles ne donnent pas à Apple la possibilité d’éliminer la concurrence, qu’elle soit intra-marque ou inter-marques et ont, au contraire un impact pro-concurrentiel significatif, tant sur la concurrence intra-marque (en permettant à chaque canal de distribution du réseau Apple d’exercer une concurrence effective) que sur la concurrence inter-marques (en s’assurant que les produits Apple soient disponibles dans chaque réseau pour concurrencer les produits de marques concurrentes).

325.Elles considèrent qu’il n’existait pas de moyen moins restrictif de concurrence pour atteindre ces objectifs compte tenu des difficultés à prévoir de manière fiable la demande future. Elles soulignent que rien n’établit que le mécanisme de forecast aurait été possible avant 2013, ni que cette option aurait été moins restrictive de concurrence que les allocations de second niveau (ces dernières n’ayant jamais abouti à figer la concurrence intra et inter-marques). Elles rappellent également que la constitution de stocks dans le secteur de l’électronique grand public représente un risque financier dès lors que ces derniers perdent en moyenne 10 % de leur valeur par mois, de sorte que l’argument de l’Autorité, selon lequel les détaillants pourraient être ainsi contraints d’augmenter leurs commandes pour constituer des stocks à écouler en période de contrainte, a d’autant moins de sens que ces périodes correspondent au lancement d’un nouveau produit qui n’est pas encore sur le marché et ne peut donner lieu en pratique à constitution d’un stock en amont.

326.Elles en déduisent que les pratiques visées étaient donc effectivement indispensables pour atteindre les objectifs d’amélioration de la distribution de ses produits poursuivis par Apple, sans pour autant porter une atteinte disproportionnée et qu’elles doivent en tout état de cause être exemptées.

327.L’Autorité rappelle, en premier lieu, que le système d’allocations en cause (qui ne portait pas sur des priorités de livraison mais des ventes) est une « restriction caractérisée » au sens de l’article 4, sous b), du règlement n° 330/2010 (renvoyant aux motifs des paragraphes 723 et 724 de la décision attaquée), de sorte qu’aucune erreur n’a été commise lorsqu’il a été constaté que les pratiques en cause ne pouvaient bénéficier d’une exemption par catégorie.

328.Elle soutient, en second lieu, que le caractère indispensable de la restriction, requis par le 2° du I de l’article L.420-4 du code de commerce et de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, fait défaut et, pour ce seul motif, qu’Apple ne peut bénéficier d’une exemption individuelle.

329.Elle ajoute que contrairement à ce que soutient Apple, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure que le système d’allocations aurait permis d’assurer un approvisionnement optimal de l’ensemble des distributeurs de produits de marque Apple, dont auraient bénéficié les petits détaillants et les consommateurs. Elle observe, d’une part, pour les raisons évoquées aux paragraphes 768 à 772 de la décision attaquée, que le risque d’exagération des volumes de commandes passés par les grossistes et les détaillants, est susceptible de s’avérer amplifié par le système d’allocations, d’autre part, que ce système ne permet pas nécessairement une meilleure répartition des produits, sur le plan géographique ou entre les canaux de distribution comme l’ont établi plusieurs pièces au dossier qui montrent des inégalités de disponibilités (notamment les cotes 29642, 30727, 26161 et 26162, respectivement mentionnées aux § 700, 317 et 254 de la décision attaquée). Elle ajoute que l’abandon du système d’allocations en cause, en mars 2013, n’a pas entraîné de détérioration de la situation des petits détaillants livrés par les grossistes et, pour ce qui concerne la répartition géographique, qu’il est peu probable que les consommateurs auraient souffert, en l’absence du système d’allocations en cause, d’une mauvaise répartition géographique des produits, dans la mesure où les Retailers assurent une bonne couverture du territoire national, ainsi que la décision attaquée l’a souligné au paragraphe 782.

330.Elle en déduit que l’objectif légitime avancé par Apple n’est pas conforme à la réalité des faits et que les gains d’efficience allégués ne sont pas suffisamment avérés pour compenser la réduction de concurrence résultant du système d’allocation en cause, étant rappelé qu’il a porté une atteinte à l’autonomie commerciale des grossistes au-delà de ce qui était nécessaire.

331.Le ministre chargé de l’économie et le ministère public souscrivent à l’ensemble de ces développements, retenant l’existence d’une restriction caractérisée excluant le bénéfice de l’exemption par catégorie et des conditions non remplies pour admettre une exemption individuelle.

332.La société eBizcuss partage la même analyse et considère que l’entente a permis à Apple d’être le seul distributeur au détail à proposer les produits Apple à leur lancement, bien que le groupe prétende être également victime de cette contrainte, ce qui a conduit à rediriger la clientèle des APR vers les Apple Store ou Apple Store Online pour faire face à ces situations. Elle fait valoir qu’elle était le premier revendeur Premium Apple en Europe et que les restrictions de livraison et la répartition de clientèle organisées par Apple et acceptées par ses grossistes, en période de lancement ou en période de Noël par exemple, lui ont causé de conséquentes pertes de chiffre d’affaires ce qui a mené à sa déconfiture.

Sur ce, la Cour,

333.Tout d’abord, concernant l’exemption par catégorie, il se déduit des paragraphes 274 et suivants du présent arrêt que son bénéfice ne peut s’appliquer aux pratiques litigieuses dès lors qu’elles avaient pour objet de restreindre « la clientèle à laquelle un acheteur peut vendre les biens ou service contractuels », au sens de l’article 4, sous b), du règlement d’exemption précité, et non simplement d’organiser une simple priorité dans les livraisons.

334.Ensuite, concernant l’exemption individuelle, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 101, paragraphe 3, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :

« à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises (…) qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. ».

335.De la même manière, l’article L.420-4, I, 2° du code de commerce écarte l’application des dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 aux pratiques « [d]ont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ».

336.En application de ces dispositions, quatre critères cumulatifs doivent ainsi être satisfaits : l’amélioration de la production ou de la distribution des produits en cause, le caractère indispensable et adapté du système en cause, l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute concurrence.

337.L’article 2 du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité dispose par ailleurs qu'« il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, du traité d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies ».

338.En l’espèce, les éléments de la procédure n’établissent pas, en premier lieu, que le système d’allocations en cause permet d’optimiser la distribution des produits, en ce qu’il assurerait une répartition équitable des produits, bénéfique aux petits détaillants.

339.À cet égard, la Cour observe que les sociétés Apple invoquent les statistiques issues de l’analyse des conditions de livraison de l’iPad3 en mars 2012 (pièce Apple n° 45 ter), pour en déduire que « les APR, directs et indirects, ont bien été favorisés par rapport aux autres revendeurs, directs ou indirects ». Toutefois cette analyse est non seulement impropre à établir que le système a optimisé la distribution des produits sur toute la durée de l’infraction, mais contredit également la thèse défendue, selon laquelle le mécanisme assurait une répartition équitable entre les différents canaux de distribution (dès lors qu’est précisément invoquée une différence de traitement en faveur d’un canal au détriment des autres). Elle occulte par ailleurs le constat précité selon lequel une différence d’approvisionnement a été observée à de nombreuses reprises entre les détaillants présents sur le marché aval et le réseau propre d’Apple.

340.La Cour renvoie aux nombreux éléments (notamment évoqués aux paragraphes 294 et suivants du présent arrêt et paragraphes 250 et suivants de la décision attaquée) qui illustrent, pendant la période d’application du système d’allocation litigieux, les inégalités de disponibilité entre les différents canaux de distribution. La Cour ajoute que ces inégalités ne peuvent être justifiées par le fait que certains détaillants auraient tendance à minimiser leurs stocks, comme le prétendent les sociétés Apple, dès lors que ces situations ont le plus souvent mis en évidence des différences de traitement favorisant le réseau propre d’Apple.

341.C’est encore en vain que sont invoqués, au regard du phénomène de contrainte affectant la disponibilité des produits, les gains d’efficience engendrés par ce mécanisme en le comparant avec un système classique de « first in first out » (« FIFO »), dès lors que d’autres alternatives s’offraient à Apple, notamment le système forecast mis en place à compter de mars 2013.

342.Par ailleurs, l’effet recherché par le groupe Apple, consistant à répartir équitablement les quantités disponibles et prévenir les déséquilibres entre petits et gros revendeurs, n’est manifestement pas assuré par le système en cause qui repose sur un principe de fair share, élaboré sur la base des commandes passées. En effet, loin d’atténuer le risque d’exagérations résultant de volumes commandés trop importants en prévision de la contrainte, ce mécanisme l’amplifie au bénéfice des revendeurs les plus importants qui disposent de capacités (logistiques et financières) leur permettant d’anticiper d’importantes commandes.

343.La Cour ajoute que si le groupe Apple a entendu légitimer son mécanisme d’allocations par la nécessité d’une bonne gestion de la contrainte, il n’en a pas pour autant strictement limité l’application à ce qui s’avérait nécessaire pour y faire face, dès lors qu’est apportée la preuve que des répartitions ont également pu intervenir en dehors des périodes de contrainte (cote 26208 précitée, citée § 304 de la décision attaquée).

344.La Cour constate, en deuxième lieu, qu’aucune pièce du dossier n’établit que les allocations litigieuses étaient nécessaires pour permettre d’assurer que chaque consommateur puisse trouver le produit et le niveau de service associé, auprès du détaillant de son choix et que la situation des Resellers aurait été plus problématique encore en l’absence de ces allocations, comme l’affirment les sociétés requérantes.

345.À l’inverse, l’Autorité fournit des données chiffrées, analysées au paragraphe 785 de la décision attaquée, qui démontrent que l’abandon des pratiques, à partir de 2013, n’a pas entraîné de détérioration de la situation des petits détaillants livrés par les grossistes. Ce constat dément en conséquence l’affirmation selon laquelle le mécanisme était indispensable pour assurer l’approvisionnement des différents canaux de distribution.

346.Les sociétés requérantes, sur lesquelles repose la charge d’établir les éléments permettant l’application des dispositions de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE et L.420-4 du code de commerce, n’avancent en définitive aucun élément de nature à démontrer qu’il n’existait pas d’autres moyens économiquement réalisables et moins restrictifs de concurrence que les allocations en cause, qui auraient permis de parvenir au même objectif.

347.À l’inverse, la Cour observe à nouveau, ainsi que l’Autorité l’a justement relevé, au paragraphe 775 de la décision attaquée, que le système de remontées d’informations mis en place par Apple, notamment en ce qui concerne les détaillants, était de nature à lui permettre de réaliser des gains d’efficience concernant ses prévisions commerciales, par un moyen moins attentatoire à la concurrence que les allocations en cause, et que le mécanisme de forecast mis en place depuis 2013 lui a permis de mieux appréhender les quantités à produire et de livrer des quantités adaptées pour satisfaire les commandes des clients des grossistes sans intervention du groupe d’Apple dans le processus de vente aux détaillants.

348.La Cour relève, en troisième lieu, qu’il se déduit des constats qui précèdent que les bénéfices invoqués au profit du consommateur et des petits détaillants ne sont pas avérés. Comme l’a justement retenu la décision attaquée, le mécanisme d’allocations ne permet pas nécessairement une meilleure répartition des produits entre canaux de distribution et sur le plan géographique.

349.Si le système dual revendiqué par Apple est bénéfique au consommateur (offrant le choix entre une concurrence par les prix ou par les services) il n’est pas inhérent au mécanisme d’allocations, dès lors que ce système dual n’a pas disparu à la suite de la cessation des pratiques.

350.Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de démontrer que les magasins susceptibles d’être moins approvisionnés que leurs concurrents rendraient des services que d’autres revendeurs ne seraient pas en mesure de rendre.

351.Quant au risque de mauvaise répartition géographique des produits en l’absence de la pratique, c’est à juste titre que la décision attaquée relève que ce risque est peu probable dans la mesure où les retailers assurent une bonne couverture du territoire national et sont donc a priori en mesure d’assurer une répartition géographique équilibrée des produits Apple.

352.Dans ces conditions, « l’impact pro-concurrentiel significatif » attribué à la pratique d’allocations, tant sur la concurrence intra-marque (en permettant à chaque canal de distribution du réseau Apple d’exercer une concurrence effective) que sur la concurrence inter-marques (en s’assurant que les produits Apple soient disponibles dans chaque réseau pour concurrencer les produits de marques concurrentes), n’est pas suffisamment probant.

353.Il s’ensuit que c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que :

' le caractère nécessaire et proportionné des allocations pour la réalisation des gains d’efficacité avancés n’était pas établi, tandis qu’une restriction importante était avérée concernant la liberté commerciale des grossistes et revendeurs ;

' les gains d’efficience allégués n’étaient pas suffisamment probants pour compenser l’atteinte résultant des pratiques, portée au jeu normal de la concurrence entre les grossistes, d’une part, et entre les grossistes et Apple, d’autre part.

354.Elle en a ainsi justement déduit que les conditions pour bénéficier d’une exemption individuelle n’étaient pas réunies. Aucune exemption ne peut, en conséquence, bénéficier aux pratiques en cause.

D. Sur la durée des pratiques

355.La décision attaquée a retenu, pour tous les participants, que la pratique de restriction de clientèle était établie, de manière continue, entre décembre 2005 et mars 2013 inclus (§ 803).

356.Toutes les sociétés requérantes contestent, en premier lieu, le point de départ de l’infraction, la décision attaquée s’étant fondée sur un courriel interne à Apple daté du 2 décembre 2005 (pièce Tech Data n° 9) qui est impropre à établir l’acquiescement des grossistes à une entente.

357.Elles estiment que cette pièce concerne des allocations de premier niveau décidées unilatéralement par Apple et qui étaient destinées aux partenaires directs d’Apple (grossistes et revendeurs directs).

358.Les sociétés Apple et Tech Data critiquent, en deuxième lieu, la durée globale de l’entente et son caractère continu.

359.Les sociétés Apple estiment, si tant est qu’il y ait eu accord de volonté, que celui-ci ne serait en tout état de cause démontré que sur une période extrêmement limitée, distincte selon les grossistes et les produits :

' s’agissant d’Ingram Micro, les éléments cités par l’Autorité ne peuvent prouver un quelconque accord de volonté avant la fin de l’année 2009 pour les iPods et avant le 24 janvier 2013 pour le reste des produits Apple (hors iPhones) ;

' s’agissant de Tech Data, rien ne démontre un éventuel accord de volonté avant octobre 2012 au plus tôt.

360.Sur le point de départ retenu en 2009, à l’égard d’Ingram Micro, elles ont confirmé au cours de l’audience, sur question de la Cour, qu’elles se fondaient sur la cote 32246 (citée au § 634 de la décision attaquée et versée aux débats en pièce n° 15 par Tech Data) qui, après analyse, s’avère datée du 25 novembre 2009, et non du 2 décembre 2009 comme mentionné par erreur (cette dernière date étant celle à laquelle ce courriel a été réexpédié).

361.Les sociétés Tech Data font valoir que la décision attaquée s’appuie exclusivement sur des documents d’octobre 2012 et janvier 2013 pour établir un accord de volontés entre Apple et Tech Data sur la période comprise entre décembre 2005 et mars 2013. Elles en déduisent, quelle que soit la valeur probante des deux documents en question, qu’ils ne sauraient établir d’accord de volontés avant le mois d’octobre 2012.

362.Elles relèvent que :

' entre le 2 décembre 2005 et le 10 décembre 2008, la décision attaquée ne fait état d’aucun document relatif aux allocations ;

' entre le 10 décembre 2008 et la fin du mois de mai 2010 (date de lancement de l’iPad I en France) la décision attaquée fait seulement état de huit documents, dont aucun ne mentionne des allocations entre les clients des grossistes et dont certains ne mentionnent même pas Tech Data (pièces Tech Data n° 10 à 16) ;

' entre juin 2010 et octobre 2012, la décision attaquée se réfère aux seuls documents cités aux paragraphes 275 à 323, déjà analysés, et ne fait état d’aucun document susceptible d’établir un acquiescement de Tech Data pour les motifs déjà exposés.

363.Concernant le début de l’entente, l’Autorité fait tout d’abord valoir que la pratique décisionnelle et la jurisprudence n’imposent pas que le point de départ des pratiques soit fixé à la date de la première pièce permettant de caractériser l’acquiescement du distributeur et qu’il peut être caractérisé par des éléments unilatéraux, dès lors que le dossier contient d’autres éléments permettant de démontrer l’accord de volonté entre fournisseur et distributeurs. Elle renvoie aux précédents en ce sens. Elle considère ensuite que le courriel interne d’Apple du 2 décembre 2005 montre que le fournisseur décidait des débouchés des grossistes, dans la mesure où, s’il ne détaille pas les allocations décidées par Apple entre Tech Data et Ingram Micro, il démontre que les grossistes ne décidaient pas librement des clients revendeurs qu’ils approvisionnaient. Elle observe que le fournisseur a ainsi établi une liste des Apple Center (devenus APR), normalement approvisionnés en direct, qui seront en fin de compte approvisionnés par les grossistes.

364.Concernant la durée des pratiques et leur caractère continu, l’Autorité fait valoir qu’il n’existe pas de preuve ou d’indice pouvant laisser penser que l’infraction se serait interrompue entre décembre 2005 et décembre 2008 et considère que la décision fait état de nombreuses éléments, entre décembre 2008 et mars 2013, qui caractérisent la continuité de l’infraction jusqu’à la date de fin des pratiques retenue par la décision (mars 2013), laquelle n’est pas contestée par les requérantes.

365.Le ministre chargé de l’économie, dans son avis écrit, souscrivait à cette analyse. Il considérait cependant, si la Cour n’était pas convaincue du fait que le courriel de 2005 constituait la première manifestation de l’accord, que les échanges de courriels relevés par l’Autorité à partir de juillet 2010 (§ 277 et suivants) ne laissaient pas de doute sur l’existence des pratiques à compter de cette date. À l’audience, il indique finalement retenir la pièce datée du 25 novembre 2009 (pièce Tech Data n° 15) comme point de départ de l’infraction.

366.La société eBizcuss partage l’analyse de l’Autorité et demande à la Cour de rejeter le moyen.

367.Le ministère public invite la Cour à adopter le raisonnement de l’Autorité qui, se fondant sur l’affaire des Fertilisants Liquides (décision n° 18-D-26 du 20 décembre 2018 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique), retient que le départ de la période couverte par le grief peut être fixé sur la base d’éléments unilatéraux. Il considère également qu’il importe peu que l’Autorité n’ait pas démontré en l’absence d’éléments probants courant sur 1'ensemble de la période, l’existence de preuves assez rapprochées pour considérer que l’infraction s’est poursuivie de manière ininterrompue entre deux dates précises, compte tenu du fait que Tech Data et Ingram Micro avaient participé à l’entente dès le début, et qu’ils ne se sont pas ouvertement distanciés des arrangements au cours de la période couverte par le grief.

Sur ce, la Cour,

368.Comme l’indique la décision attaquée, pour déterminer la durée d’une entente, il convient de rechercher la période qui s’est écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin.

369. En premier lieu, s’agissant du point de départ de l’infraction, l’Autorité a retenu qu’il était matérialisé par le courriel adressé le 2 décembre 2005, en interne, au sein d’Apple (cote 26164, pièce Tech Data n° 9). Ce document fait état :

' d’un « Problème général » : « Problème d’allocation : process trop lourd et pas fiable. De plus en plus de dépannage de nos AC sur les grossistes !!!! Impossibilité d’allouer des produits sur des comptes (…) Système de priorité ne fonctionne pas vraiment (Quad=> alloc sur grossistes malgré les prio AC) » ;

' d’un « Point stock principaux AC » précisant « Bonne situation de backlog sur nos principaux directs » suivi d’un tableau détaillant pour chacun des « principaux directs » d’Apple la situation du stock, du transit et du backlog [état du positionnement des commandes passées chez Apple].

370.Par ce courriel, le groupe Apple pointe la défaillance d’un système d’allocation jugé « trop lourd », « pas fiable », avec un « système de priorité qui ne fonctionne pas ». La mention « alloc sur grossistes malgré les prio AC » n’a de sens qu’en considération de répartitions opérées en interne par Apple, à l’égard de ses clients directs (allocations de premier niveau) puisqu’il y est question d’allocations sur les grossistes. Aucune référence n’est faite aux revendeurs indirects dans ce document. Il est en outre déploré le fait que les Apple Centers [devenus APR] sont de plus en plus dépannés par les grossistes, ce qui rend peu crédible la thèse selon laquelle cette situation traduirait la première manifestation de l’entente en cause.

371.Le constat portant sur l'« Impossibilité d’allouer des produits sur des comptes », à supposer même qu’il se rapporte à une allocation de second niveau (ce que l’ambiguïté de la phrase ne permet pas d’affirmer compte tenu de la référence à l’allocation sur les grossistes qui suit), contredit en tout état de cause le fait que l’entente en cause a débuté à cette date.

372.Sans qu’il y ait lieu d’examiner la période antérieure à décembre 2005 ' compte tenu des termes de la notification de griefs ayant considéré que la pratique reprochée était établie entre décembre 2005 et mars 2013 inclus ' et au regard de l’analyse qui précède, la Cour retient que c’est à tort que la décision attaquée a considéré que cette pièce démontrait que la pratique avait débuté en décembre 2005.

373.Il n’est pas contesté que la décision attaquée ne fait état d’aucun élément relatif aux allocations litigieuses concernant la période du 2 décembre 2005 au 10 décembre 2008, l’Autorité se bornant à indiquer dans ses observations qu’il n’existe pas de preuve ou d’indice laissant penser que l’infraction se serait interrompue sur cette période. La preuve n’est donc pas rapportée de l’existence de l’entente sur cette période.

374.S’agissant des courriels échangés du 17 au 20 décembre 2008 entre Apple et un APR (cités au paragraphe 227 de la décision attaquée, cotes 795 à 798 en production pièce n°11 Tech Data) auxquels renvoit l’Autorité dans ses observations, la Cour constate qu’ils sont insuffisants à établir qu’à compter de cette date les sociétés Apple, Tech Data et Ingram Micro se sont entendues pour une répartition de leur clientèle, compte tenu du contexte et des termes de cet échange, qui sont les suivants :

[Apple s’adressant à l’APR- 19/12/08 à 7h41 ] : « as-tu pensé à organiser une garantie bancaire (…) Dans ces moments financièrement délicats, il est majeur de rassurer ses fournisseurs, et la garantie bancaire lancerait le meilleur des signes pour que ton/tes fournisseurs suivent sur les mêmes tendances (…) » ;

[APR s’adressant à Apple – 19/12/08 à 13:04] : « Aujourd’hui la seule garantie bancaire que l’on m’ai proposé est de bloquer sur un compte de l’argent (…) » ;

[Apple s’adressant à l’APR ] : « sache qu’en règle générale les volumes de stock entre les deux grossistes sont à peu près équivalents. Il faudrait donc splitter tes achats non pas uniquement en fonction des dispo mais en fonction des encours ».(…) ;

[APR s’adressant à Apple] : « (…) Nous splittons nos achats entre ces deux grossistes. Mais nous le faisons aussi en fonction des besoins et disponibilités de produits. En effet quand IM n’avait pas de Macbook Pro dispos, nous n’allions pas commander chez eux… De même nous n’arrêtons pas de faire des aller retour entre les grossistes en fonction des disponibilités ».

375.Si Apple donne au client revendeur des conseils sur la répartition de ses achats, dans un contexte financier présenté comme délicat, il ne ressort pas de cet échange qu’une entente soit intervenue, dès cette date, entre Apple et ses grossistes pour une répartition de clientèle et que l’APR n’ait pas pu librement définir ses choix d’approvisionnement en conséquence de celle-ci.

376.En définitive, l’Autorité ne se réfère à aucune autre pièce en 2008.

377.Pour ce qui concerne l’année 2009, la décision attaquée mentionne deux courriels aux paragraphes 307 et suivants.

378.Le premier, du 10 septembre 2009 (cotes 34730 à 34738, pièce Tech Data n° 13), rédigé en anglais, est présenté par l’Autorité comme étant un échange entre un représentant d’Apple France et l’un des grossistes (sans précision sur son identité), ayant pour objet la confirmation que certains clients de ce dernier ont bien reçu les produits qui leur avaient été alloués (« Je ne vois pas IConcept à [Localité 36] ni iSwitch à [Localité 20], dans la liste ci-dessous, je suppose que c’est dû au fait que vous l’avez géré manuellement ' Je suis sûr qu’ils ont reçu le nouvel iPod », selon la traduction libre figurant au paragraphe 686 de la décision attaquée), ce que le grossiste aurait confirmé d’après l’Autorité (« nous avons fait vos demandes sous le radar, mais c’est fait », selon traduction libre figurant au même paragraphe).

379.Or, comme l’observent les requérantes, les adresses électroniques mentionnées tant pour l’expéditeur que pour les destinataires de ces courriels sont exclusivement rattachées aux noms de domaine « @euro.apple.com et @group.apple.com » et doivent en conséquence s’analyser comme des échanges internes au groupe Apple. Il ressort en effet des autres éléments versés au dossier que les grossistes utilisent une messagerie comportant le nom de domaine « @Ingrammicro.fr » ou « @techdata.fr ». En cet état, il est donc inexact d’attribuer à l’un des grossistes la réponse précitée.

380.Ce message, qui comporte en objet l’indication « Fwd : EMEIA PM Com09/09/2009 – New ipod Family – New iPod Accessories – Price Reduction Memory Kit – EOL Notice » ne comporte aucune référence apparente à Tech Data et Ingram Micro et au système litigieux. Il s’intéresse plus particulièrement à l’approvisionnement de deux APR (IConcept et iSwitch) concernant le nouvel iPod, lesquels ont précisé aux services d’instruction qu’ils étaient en mesure de s’approvisionner directement auprès d’Apple. Le premier a ainsi indiqué : « les produits Apple nous sont livrés directement par Apple sur notre plate forme logistique (…) » tout en précisant que pour des raisons d’encours et de disponibilités immédiates des matériels il pouvait acheter également, dans une moindre proportion, « chez les deux grossistes de la marque » (cote 3064, annexe 120). Le second a également précisé que « les livraisons en direct par Apple concernent uniquement les allocations initiales des nouveaux produits sortants sur le marché, et les fournitures de pièces pour le Centre de Service Agréé. » (cote 3693, annexe 149). Ces deux clients n’ont donc pas un statut de revendeur indirect, établissant sans ambiguïté que l’objet du message concernerait un approvisionnement de second niveau réalisé auprès des grossistes. Par suite, le rapprochement de ces différents éléments ne permet pas de retenir que l’échange, intervenu en interne chez Apple, concerne une allocation de second niveau caractérisant le début de l’entente mise en 'uvre entre Apple et ses grossistes.

381.En revanche, le second courriel du 25 novembre 2009 (mentionné comme étant du 2 décembre 2009 dans la décision attaquée et les écritures des parties, par référence au courriel l’ayant réexpédié), par lequel Ingram Micro a indiqué à Apple : « (…) je suis TRES surprise (et à vrai dire pas agréablement) de constater que vous nous mettez une target rate sur les ipods et leurs access alors que ce business est COMPLETEMENT piloté par Apple. Nous n’avons pas la main. Apple décide des allocations produits à livrer et des clients à livrer. Nous exécutons (') » s’inscrit dans le cadre de l’accord en cause (cote 32246 déjà citée, § 634 de la décision attaquée) pour les motifs déjà exposés dans la partie I.A du présent arrêt.

382.C’est donc à juste titre qu’Apple fait valoir qu’aucun élément du dossier ne permet de fixer le point de départ de l’entente à une date plus précoce. La Cour, réformant la décision attaquée sur ce point, dit en conséquence que l’entente en cause n’est établie qu’à compter du 25 novembre 2009.

383.En deuxième lieu, s’agissant de la date de cessation de la pratique, l’analyse de l’Autorité, qui a retenu que celle-ci ne s’est pas poursuivie au-delà de mars 2013, date à laquelle Apple a mis en place le mécanisme du forecast, n’est pas discutée devant la Cour.

384.En troisième lieu, s’agissant du caractère continu de l’entente, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence européenne constante (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens,C-441/11P, point 72 et la jurisprudence citée, et, plus récemment, l’arrêt du 18 mars 2021, Prometon SpA, C-440/19 P, point 112), l’absence de preuve de l’existence d’un accord au cours de certaines périodes déterminées, ou, tout au moins, de sa mise en 'uvre par une entreprise au cours d’une période donnée, ne fait pas obstacle à ce que l’infraction soit regardée comme constituée durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu’une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants. Il résulte également de la jurisprudence (voir, notamment, arrêt de la Cour de justice du 26 septembre 2018, Infineon Technologies AG, C-99/17 P, point 53,et arrêt précité, Prometon SpA, point 112) que, dans le cadre d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, le fait que les manifestations de l’entente interviennent à des périodes différentes, pouvant être séparées par des laps de temps plus ou moins longs, demeure sans incidence sur l’existence de cette entente, pour autant que les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une seule finalité et s’inscrivent dans un plan d’ensemble. Il est néanmoins nécessaire de se fonder sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que l’infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises.

385.En l’espèce, les éléments du dossier confirment le caractère effectif et continu de l’entente mise en 'uvre par Apple et ses deux grossistes, à la suite du courriel précité du 25 novembre 2009 échangé entre Ingram Micro et Apple, dont les manifestations résultent, notamment :

' pour 2010 : des courriels internes d’Apple des 19 mai (pièce Tech Data n° 16, cote 35347/26193 : « vous trouverez en pièce jointe =>la liste du grossiste dédié pour les APR indirect (…) »), 9 juin (pièce Ingram Micro n° 20, cote 26660 relative à la mise à jour des allocations chez chacun des grossistes accompagnée de fichiers de répartition « Vous trouverez une photo de ce qui a été alloué chez les disties chez nos APR indirects depuis le lancement » « Merci de votre feedback ; je dois donner le fichier à TD à la première heure si on veut qu’il y ait une chance que nos chers APR puissent les réceptionner avant ce WE »), 27 juin (cote 26208 « concernant les disties pour les APR indirects, en situation non contrainte, je pense que nous ne devons pas envoyer plus de 30 iPads par boutique »), 9 juillet (pièce Ingram Micro n° 21 transférant le courriel adressé aux deux grossistes mentionnant « nous vous autorisons à partir de ce jour à livrer les APR directs, ainsi que les APR indirects que vous n’adressiez pas jusqu’à présent. Vous pouvez donc les inclure dans votre liste de revendeurs iPads(…) Vous devez me donner une visibilité claire de ce que vous faites en affectation au moment où les iPads rentrent en stock (impératif) » et pièce Ingram Micro 46 : même courriel du 9 juillet 2010 adressé à Tech Data), 21 juillet (cote 26715, présentant le système mis en place chez les disties et rappelant la « règle de base : (…) APR indirects en premier lieu (les commerciaux des disties les contact pour leur proposer les iPads qui arrivent dans leur stock, ensuite si et seulement si il reste des iPads non alloués, TD et IM contactent les directs »), courriel Tech data du 8 septembre (cotes 32281 à 32283 : « Apple intervient dans les commandes (…) Les clients n’ont plus le choix de passer les commandes chez nous (…) ») ;

' pour 2011 : des courriels échangés entre Ingram Micro et Apple des 28 mars (pièce Tech Data 17-1 : « Pour le prochain arrivage de MBP (…) Il faut privilégier le pro ! (…) Pour la référence […] l faudra en donner juste 12 % ») et 31 mars (cote 26946 : adressant un tableau de répartition des unités d’Ipads à opérer entre les clients PRO et RETAIL), de l’iChat entre Apple et un APR du 5 avril (pièce Ingram Micro n° 9, cote 26448 « pourquoi on a eu 11 ipad d’Ingram et que 3 de tech Data ' » « c moi qui fait les affect en fonction des produits qui arrivent soit chez IM soit chez Td » « ok mais on avait tout commandé chez Tech » « il faut s’adapter si tu veux en avoir »), du courriel interne d’Apple du 12 avril (pièce Ingram Micro n° 24, cote 26771 : « Vous trouverez en PJ la répartition qui a été faite chez les disties (uniquement sur les indirects » accompagné de fichier « alloc IPAD TD » et « répart IM ») et du courriel d’Apple à Tech Data du même jour (cote 11762 « Enfin, la répartition que vous attendez tous ! »), du courriel d’Apple à Tech Data du 19 avril (cote 34147 : « En réponse à ton email, tu trouveras en pièce jointe la répartition iPad 2 (…) Les 395 unités sont à répartir en toitalité sur les comptes revendeurs Prosumers (cf tableau excel) »), du courriel d’Apple à un revendeur du 27 avril (cotes 29705 et 29704 : « il faut que ta commande soit passé chez Tech pour pouvoir t’allouer les quantités suivantes (…) »), de l’iChat entre Apple et un APR du 7 juin (pièce Ingram Micro n° 19, cote 26446 « on avait commandé moitié moitié chez les 2 grossistes et c’est le dernier jour je crois que [K] m’a dit qu’on ne serait livré que d’Ingram (…) si je repasse une cde chez Ingram je serais place en dernier ' » « Non pas du tout… je continue de faire le dispatch (…) » « ok je repasse une cde chez Ingram ») ; de l’échange de courriels internes de Tech Data en juin 2011, relatant un transfert de client à son bénéfice (« grâce à une précieuse aide chez Apple (…) c’est Apple qui a poussé le transfert » (cote 34129, citée § 230 de la décision attaquée) ;

' pour 2012 : le courriel interne d’Apple du 16 mars (cote 27415: « Voici la répartition faite sur IM et TD pour les revendeurs (…) Affectation selon tes reco sur les APR indirects (…) Les pièces sont en stock chez les deux disties »), courriel d’Apple à Tech Data du 10 octobre « les alloc qui vont sont données dans la semaine doivent être sortis de votre stock jeudi soir au plus tard. Sinon [P] peut les récupérer et les attribuer au retail afin qu’il n’y ait plus de stock à vendredi soir (…) » (cote 34629) courriel de Tech Data à Apple du même jour par lequel ce grossiste lui demande, en substance, de vérifier que les commerciaux d’Ingram respectent les priorités qui leur sont fixées par Apple lorsqu’ils démarchent la clientèle (pièce Tech Data n° 7-6, cote 34629). les courriels internes d’Apple des 29 novembre et 7 décembre (cotes 27509 et suivantes « Pour rappel les commandes iPod pour le retail doivent être validé par [C.] ou moi (…) et non par [J.] via son commercial Ingram ») ;

' pour 2013 : les courriels échangés entre Tech Data et un revendeur des 22-23 janvier (pièce Tech Data n° 6, cotes 26368 « ça ne se passe pas comme avec les autres fournisseurs, les n° de commande ne vont servir à rien » et 26375 « cette procédure s’applique pour tous les apr et ça se passe très bien »), les courriels échangés entre Apple et Ingram Micro du 24 janvier (cotes 30528 et 30527 « peux tu stp me confirmer que tech data doit jouer le jeu(…) » « dès que nous recevons des Imacs il faut impérativement téléphoner à [Apple] pour lui donner les quantités et elle tranchera. (..) Il faut privilégier les APR non uivis (…) Voici la liste à bannir (…) »), ainsi que le courriel adressé par Tech Data à Apple le 6 mars. (Pièce Tech Data 7-7, cote 10396 « je suis aussi un peu surpris qu’on se retrouve avec du stock âgé sur ces refs IPAD MINI (…) Merci de voir pour faire des allocations (pro ou retail) afin de sortir le stock stp) »).

386.Ces courriels, qui émanent ou impliquent successivement chaque membre de l’entente et traduisent des comportements visant à réaliser l’objectif commun d’allocations de produits et de clientèles, sont suffisamment rapprochés dans le temps pour qu’il puisse être raisonnablement admis que l’infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre 2009 et 2013, de sorte que le caractère continu de l’entente est établi.

387. En quatrième lieu, s’agissant de la durée de participation individuelle de chaque grossiste, la Cour constate que les courriels adressés par Apple au cours de toute la période (tant en interne qu’à destination de chacun des grossistes) traduisent l’existence d’un objectif commun, dont il ressort, d’une part, qu’il impliquait nécessairement une organisation tripartite (Apple ne comptant que deux grossistes agréés au sein de son réseau) d’autre part, qu’il a emporté l’adhésion des deux grossistes concernés, compte tenu des conditions dans lesquelles il a été mis en 'uvre tout au long de la période 2009 à 2013.

388.Il ne saurait donc être retenu que la preuve de la durée de participation individuelle de chaque grossiste ne peut être apportée que sur la base de preuves directes émanant exclusivement du grossiste lui-même. Il ressort en effet du faisceau d’indices réunis (fondé notamment sur les éléments concordants contenus dans les courriels émanant d’Apple, de chacun des grossistes et de certains de leurs clients) qu’aucun des grossistes n’a remis en cause les directives transmises par Apple et qu’il s’y sont conformés, à de très rares exceptions près qui ont au demeurant été considérées par Apple comme de simples « loupés » (cote 26960).

389.En effet, la Cour rappelle que par le courriel du 25 novembre 2009 précité Ingram Micro a dressé l’état du système en place « ce business est aujourd’hui COMPLÈTEMENT piloté par Apple. Nous n’avons pas la main. Apple décide des allocations produits à livrer et des clients à livrer. Nous exécutons. », que les deux grossistes étaient destinataires de courriels périodiques incluant des tableaux et des listes établis par Apple organisant l’approvisionnement de leurs différentes clientèles et que plusieurs courriels de Tech Data confirment clairement que ce dernier n’entendait pas s’y opposer et qu’il l’avait intégré comme étant la règle à suivre pour fournir les produits Apple. En ce sens, les échanges en interne intervenus au sein de Tech Data le 8 septembre 2010, constatant qu’ : « Apple intervient dans les commandes gros coups des clients, surtout de plus en plus chez les clients APR qui nous étaient fidèles. Les clients n’ont plus le choix de passer les commandes chez nous (…). L’interférence d’Apple sur le choix de passation de commande est plus ressentie depuis la distribution des iPAD » (cote 32281 précitée) ainsi que les courriels de Tech Data échangés en interne en juin 2011 évoquant un transfert de clientèle « grâce à une précieuse aide chez Apple » (cote 34129, citée § 230 de la décision attaquée).

390.La participation de Tech Data et d’Ingram Micro à l’entente initiée par Apple, sur toute la période 2009-2013, ressort ainsi du faisceau d’indices précis et concordants qui a été analysé dans les développements qui précèdent, étant observé qu’en présence d’un marché reposant sur deux grossistes agréés seulement, le système de répartition de produits et de clientèle litigieux reposait nécessairement sur la concomitance et la réciprocité des engagements acceptés par ces deux concurrents, ce que confirment le courriel du 24 janvier 2013 dans lequel Ingram Micro demande à Apple de lui confirmer que la politique à laquelle il s’astreint est bien également respectée par Tech Data (cotes 30527 et 30528, citée § 693 de la décision attaquée) ou le courriel de Tech Data du 10 octobre 2012 par lequel ce grossiste demande, en substance, à Apple de vérifier que les commerciaux d’Ingram respectent les priorités qui leur sont fixées par Apple lorsqu’ils démarchent la clientèle (pièce Tech Data n° 7-6, cote 34629, mentionnée § 316 de la décision attaquée).

391.Enfin, et pour les motifs déjà exposés au paragraphe 217 du présent arrêt, rien ne justifie de segmenter la durée de la pratique selon les produits concernés, l’entente ayant porté de manière globale sur les produits Apple (hors iPhone) au cours de cette période, même si elle a plus fréquemment ciblé les produits les plus attractifs (hors iPhone) tels que les iPads, les iPods ou les iMacs.

392.De l’ensemble de ces éléments la Cour déduit que l’entente a été mise en 'uvre par ces trois participants sur toute la période 2009-2013.

393.L’article 2 de la décision attaquée sera réformé en ce sens.

E. Sur la gravité des pratiques et le dommage causé à l’économie

394.Il est, en premier lieu, reproché à la décision attaquée d’avoir retenu que les pratiques d’allocations alléguées revêtent « un caractère certain de gravité » alors, selon les sociétés Apple et ses grossistes, qu’elles n’ont jamais empêché de les mettre en concurrence, ni de démarcher ou d’accepter les commandes de certains clients.

395.Ils considèrent que la détermination d’un ordre de priorité dans les livraisons, soit après avoir passé commande, permettait de s’assurer de la plus grande disponibilité des produits, tous canaux de distribution confondus dans un contexte d’intense concurrence inter-marques.

396.Les sociétés Tech Data ajoutent que, dans un tel contexte, les pratiques qui concernaient la concurrence intra-marque ne pouvaient être qualifiées de graves. En effet, aux termes des lignes directrices de la Commission il est « peu probable qu’une réduction de la concurrence intramarque ait des effets négatifs sur les consommateurs » (§ 102).

397.Elles précisent que l’étude économique versée en pièce n° 8 montre que les recommandations d’allocations détaillées étaient peu nombreuses et peu respectées par Tech Data et que la décision attaquée a reconnu que ce dernier avait livré des APR directs en dehors de toute allocation sur la base des produits restants. Elles en déduisent que ce grossiste disposait donc d’une marge de man’uvre.

398.Il est, en second lieu, reproché à la décision attaquée d’avoir retenu que si l’ampleur des pratiques sanctionnées au titre du grief n° 2 est significative, l’examen des caractéristiques sectorielles et de l’évolution des prix, des marges et des parts de marché des grossistes conduit à conclure à l’existence d’un dommage limité, alors, selon les sociétés Apple et ses grossistes, que ce dommage serait inexistant.

399.Les sociétés Tech Data relèvent que les pratiques n’étaient pas d’une ampleur significative, dès lors qu’elles ne concernaient que la distribution des produits Apple via les grossistes. Elles en déduisent que les allocations reprochées étaient ainsi susceptibles d’affecter au maximum 3,4 % des ventes en volume et 5,2 % des ventes en valeur sur le marché pertinent de la distribution de gros des produits informatiques et électroniques grand public, sur lequel Apple ne détenait qu’une part de marché de 16,3 % en volume et 24,7 % en valeur en 2013 et alors que le poids des grossistes dans les ventes d’Apple en France était compris entre 16 % et 21 % entre 2008 et 2013. Elles constatent également que l’étude économique fournie en réponse au rapport (pièce Tech Data n° 25) démontre l’absence de tout impact sur les prix pour les consommateurs. Elles en déduisent que le poids des grossistes dans les ventes de produits Apple étant d’environ 20 % pendant la période des pratiques, les consommateurs n’étaient pas dépendants des revendeurs indirects pour leurs achats en produits Apple, d’autant que les grands retailers, et notamment les grandes surfaces spécialisées approvisionnées en direct par Apple, assuraient une bonne couverture du territoire national et que les consommateurs pouvaient également acheter leurs produits dans les ARS ou sur l’AOS.

400.Les sociétés Ingram soutiennent également, compte tenu de ce qu’aucune pièce citée dans la décision attaquée ne traite de ventes passives, que l’Autorité ne démontre pas davantage en quoi la prétendue restriction de clientèle qu’elle pense avoir identifiée aurait pu avoir un impact également sur les ventes passives des grossistes.

401.Les sociétés Apple ajoutent que la pratique a, en revanche, eu des effets bénéfiques sur la concurrence intra-marque en permettant, notamment, d’approvisionner les détaillants les plus petits et de les protéger ainsi contre les enseignes de la grande distribution.

402.L’Autorité relève, en premier lieu, que l’argumentation en cause vise, en réalité, à contester l’existence de la pratique elle-même et renvoie aux développements de fond relatifs à cette question. Elle rappelle la nature des pratiques en cause (système sophistiqué d’allocations impératives de quantités et de clientèle) ainsi que leur impact et renvoie aux motifs de la décision attaquée.

403.Elle fait valoir qu’il est vain d’invoquer le point 102 des lignes directrices sur les restrictions verticales pour soutenir qu’il est peu probable que la réduction de la concurrence intra-marque ait des effets négatifs sur les consommateurs et soit ainsi grave, dans la mesure où la version des lignes directrices actuellement en vigueur envisage uniquement l’hypothèse où les distributeurs ne s’approvisionnent qu’auprès « d’un seul fournisseur » (ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque les grossistes acquièrent des produits auprès des nombreux fournisseurs de produits électroniques, concurrents d’Apple). Elle estime ainsi qu’une réduction de la concurrence entre distributeurs qui vendent des produits de nombreux fournisseurs concurrents ne diminuera pas seulement la concurrence intra-marque, mais également la concurrence inter-marques, entre les distributeurs (et éventuellement entre les fournisseurs).

404.Elle en déduit que leur gravité n’a pas été surestimée.

405.Elle réfute, en second lieu, tous les arguments présentés en vue de contester l’existence du dommage à l’économie résultant des pratiques. Elle soutient notamment que, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, la pratique d’allocation de clientèle n’a pas affecté que la concurrence entre les grossistes mais, en comportant une restriction, pour les grossistes, de la liberté de s’adresser à la clientèle s’approvisionnant directement auprès d’Apple, elle a aussi limité la concurrence entre les grossistes et Apple sur le marché de gros. Elle estime également, dans la mesure où Apple contrôlait les allocations de produits des grossistes, que les détaillants indirects n’avaient pas réellement la capacité de concurrencer d’autres détaillants ou les boutiques physiques ou en ligne d’Apple. Par conséquent, elle considère que c’est l’ensemble des ventes de produits Apple qui ont été affectées par la pratique, soit environ 25 % du marché de la distribution de produits informatiques et électroniques grand public.

406.S’agissant des conclusions de l’étude économique produite par les sociétés Tech Data, elle précise que la note n° 2 annexée à ses écritures identifie plusieurs limites de cette analyse, qui, une fois corrigées, permettent de constater un taux de suivi élevé des préconisations d’Apple. Elle soutient que sur l’ensemble de la période d’allocation concernée (2010-2012) les ventes d’iPads vers des revendeurs alloués restent très importantes et représentent environ 80 % des ventes d’iPads de Tech Data.

407.S’agissant de l’intensité de la concurrence inter-marques, elle considère que celle-ci n’a pas été sous-estimée par la décision attaquée, qui tout en la constatant, a souligné la situation particulière d’Apple par rapport à celle des autres opérateurs du secteur. Elle ajoute que la part de marché d’Apple reste significative et s’avère très élevée sur certains produits comme les baladeurs numériques.

408.S’agissant de la concurrence sur les prix exercée par les retailers, elle estime qu’il ressort des éléments du dossier que les pratiques ont pu limiter l’intensité de la concurrence entre les différents revendeurs, notamment en empêchant ces détaillants de disposer, par l’intermédiaire des grossistes, de quantités suffisantes pour accroître la pression concurrentielle sur les prix. Elle ajoute que les figures 6 et 8 de l’étude économique du 8 août 2020 produite par Apple (pièce Apple n° 6), recensant le nombre de promotions proposées par les retailers à destination des consommateurs finals, font apparaître une augmentation marquée desdites promotions à partir de 2014, soit après la fin de la période infractionnelle, ce qui confirme que les pratiques reprochées ont pu limiter leur capacité à animer la concurrence pendant la période des pratiques.

409.S’agissant du maintien d’une concurrence entre les grossistes, elle maintient les motifs des paragraphes 1286 et suivants de la décision attaquée.

410.S’agissant des prétendus effets pro-concurrentiels de la pratique, elle renvoie aux développements relatifs à l’inapplicabilité d’une exemption des pratiques.

411.Elle déduit de l’ensemble de ces éléments que les arguments des requérantes échouent à remettre en cause l’existence d’un dommage causé à l’économie, limité.

412.Le ministre chargé de l’économie considère également que la gravité et le dommage à l’économie ont été justement appréciés par la décision attaquée.

Sur ce, la Cour,

413.En premier, concernant la gravité des pratiques, il résulte des analyses qui précèdent que les pratiques en cause ne se sont pas limitées à définir un ordre de priorité dans les livraisons aux clients, mais ont consisté à pratiquer des allocations de clientèle et de quantités contraignantes qui ont pu, dans certains cas, avoir une incidence sur l’acceptation de la commande et étaient de nature à avoir un impact sur la conclusion de certaines ventes dans un secteur où les produits se déprécient vite. Le système était ainsi de nature à empêcher, ou du moins restreindre, les ventes tant actives que passives des grossistes, tant à l’égard de distributeurs établis sur le territoire national que sur celui d’un autre État membre.

414.Si les pratiques d’ententes verticales sont appréciées avec moins de sévérité que les ententes impliquant des entreprises actives au même stade de la chaîne de production, celles en cause restent néanmoins graves, dans la mesure où elles se sont insérées dans un contexte de concurrence intra-marque déjà réduite par le fait que seuls deux grossistes étaient agréés par Apple pour la distribution de ses produits sur le marché concerné.

415.Comme l’a justement relevé l’Autorité, la circonstance qu’un grossiste a pu allouer davantage de quantités à des APR directs tout en ayant suivi les priorités définies pour les APR indirects ne remet pas en cause le respect, par le grossiste, des consignes élaborées par Apple, mais révèle que les allocations prioritaires n’épuisaient pas systématiquement l’ensemble des produits alloués au grossiste, de sorte que cette circonstance n’est pas de nature à tempérer la gravité de la pratique. À cet égard, la Cour relève que les éléments de la procédure ont établi l’intervention, de manière précise et détaillée d’Apple dans la politique commerciale des deux seuls grossistes agréés, nonobstant le fait qu’ils ont pu, ponctuellement, disposer d’une certaine marge de man’uvre sur certains produits et à certaines périodes compte tenu du fait que l’amplitude des mesures de restriction n’a pas toujours été au même niveau.

416.Les pratiques ont ainsi un degré de gravité certain, compte tenu du degré de sophistication du système (reposant sur un système de contrôle et de surveillance des allocations de produits) et des contraintes appliquées à la liberté commerciale des grossistes. Le fait qu’il n’a pas été établi de mesures de rétorsion lorsque certains écarts ont pu être ponctuellement constatés par rapport au respect des allocations de clientèle ne modifie pas cette appréciation relative au caractère certain de gravité des pratiques en cause.

417. En second lieu, concernant l’importance du dommage causé à l’économie, la Cour relève, comme l’a fait à juste titre la décision attaquée, que les pratiques ont été mises en 'uvre par des acteurs de taille internationale et que le pouvoir de marché des deux grossistes excède celui reflété par leurs seules parts sur le marché des produits informatiques et électroniques grand public (en 2009, de 15 % pour Tech Data et de 8 % pour Ingram Micro, en valeur, passées, respectivement, en 2013, à 16 % et 9 %) dans la mesure où ils sont les seuls à distribuer les produits Apple (hors situation spécifique de l’approvisionnement des magasins de téléphonie).

418.Il est également constant que ces pratiques ont été de dimension nationale, affectant l’ensemble de la clientèle à laquelle pouvaient prétendre les grossistes (retailers et resellers directs et indirects) et qu’à l’exception de l’iPhone, tous les produits de marque Apple pouvaient être concernés. C’est en ce sens que la décision attaquée a pu considérer que les pratiques étaient d’une ampleur significative.

419.Il est toutefois exact qu’elles n’ont concerné qu’une proportion limitée, en valeur, du marché français de gros de la distribution de produits informatiques et électroniques grand public, sur lequel existe une concurrence inter-marques, toutefois cet élément a déjà été pris en compte dans la décision attaquée au paragraphe 1275.

420.En tout état de cause, comme il a été déjà relevé, les produits de marque Apple présentent des caractéristiques qui limitent leur substituabilité par d’autres et ont pour conséquence de fidéliser la clientèle. Par suite, c’est à juste titre que la décision attaquée a retenu que la limitation de la concurrence entre Tech Data, Ingram Micro et Apple sur ce marché n’a pu être que partiellement contournée par les acheteurs en se reportant vers des produits d’autres marques et que la réduction de la concurrence intra-marque n’a pu qu’être imparfaitement compensée par la concurrence inter-marque.

421.Il ressort de la variation des parts de marché observée que la concurrence entre les grossistes n’a pas été totalement verrouillée, mais il ne saurait en être déduit qu’elle a pu être aussi vive que ce qu’elle aurait pu être en l’absence des pratiques. En effet, il est établi qu’Apple est intervenu pour assurer un relatif équilibre entre eux et préserver sa propre activité de grossiste à l’égard des clients directs.

422.Par ailleurs, il a été observé que le poids des grossistes dans les ventes auprès des retailers directs a augmenté légèrement après la fin des pratiques (passant de 6-8 % pendant les pratiques à 7-9 % ensuite). En outre, en empêchant certains retailers de disposer, par l’intermédiaire des grossistes, de quantités suffisantes, les pratiques ont nécessairement concouru à limiter la pression concurrentielle sur les prix qu’ils étaient en capacité d’exercer. Un courriel interne d’un responsable Apple France (cote 30763), cité au § 476 de la décision attaquée, mentionne à cet égard « je pense que nous devons pour contrer l’agressivité du retail regarder de plus près les allocations et notamment en période de contrainte ».

423.Toutefois, il n’a pas été démontré d’impact sensible sur les prix, ce qui a été pris en compte dans la décision attaquée.

424.Il peut par ailleurs être admis que la pratique a pu avoir certains effets bénéfiques sur la concurrence intra-marque en permettant, notamment, d’approvisionner les détaillants les plus petits en période de contrainte et d’éviter la captation des quantités disponibles par les enseignes de la grande distribution. Cette circonstance ne remet toutefois pas en cause l’appréciation portée sur l’existence du dommage causé à l’économie, ni son caractère limité.

425.C’est en conséquence de manière fondée que la décision attaquée a retenu que l’examen des caractéristiques sectorielles et de l’évolution des prix, des marges et des parts de marché des grossistes conduit à conclure à l’existence d’un dommage, dont l’importance est toutefois limitée.

426.Le moyen est rejeté.

427.La portée de cette appréciation dans le calcul de la sanction sera examinée dans la partie V de l’arrêt.

III. SUR LA PRATIQUE DE PRIX DE VENTE IMPOSÉS (GRIEF N°3)

428.La décision attaquée a retenu qu’Apple s’est entendu sur les prix de vente avec ses revendeurs APR, sur une période comprise entre octobre 2012 et avril 2017. Pour se déterminer ainsi, elle a considéré :

' d’une part, que l’invitation d’Apple à respecter des prix communiqués ressortait de la communication des prix, du contrôle des promotions appliquées à ses produits, de la surveillance des prix et de mesures indirectes qui organisaient l’absence de marge de man’uvre des APR sur les prix de revente, conduisant au respect des prix communiqués (§ 882) ;

' d’autre part, que l’acceptation des APR était établie par un faisceau d’indices tenant au fait qu’ils avaient appliqué les prix de détail communiqués (§ 914) et signé les contrats élaborés par le fabricant, incluant les stipulations relevées aux § 898 et suivants (notamment les conditions d’octroi des remises et ristournes) qui pérennisaient le mécanisme de l’entente (§ 925).

429.Les sociétés Apple soutiennent, en premier lieu, concernant le standard de preuve, que l’Autorité a appliqué un standard inédit, ne reposant ni sur des preuves directes claires, ni sur la méthode du faisceau d’indices ternaire (démonstration de l’évocation entre le fournisseur et ses distributeurs des prix de revente au public, mise en 'uvre d’une police ou d’une surveillance des prix et application effective des prix évoqués) mais réunissant des éléments épars.

430.Elles soutiennent, en deuxième lieu, concernant l’invitation d’Apple à respecter les prix de vente, que la connaissance par les APR des prix de vente pratiqués dans le réseau Apple suite à leur diffusion au sein des ARS et sur le site internet Apple ne constitue pas une invitation à l’entente, dès lors que ce sont les revendeurs qui se tiennent informés des prix pratiqués et non Apple qui leur adresse des prix conseillés, et qu’il n’est par ailleurs pas établi que les prix pratiqués auraient volontairement été diffusés auprès d’eux pour leur indiquer le prix de revente minimum qu’ils auraient dû respecter. Elles estiment que le fait que les APR aient pu indiquer qu’ils se fondent sur les prix publics d’Apple pour définir leurs propres prix de vente, ou qu’ils considèrent ces prix publics comme imposés de facto dans le contexte concurrentiel, n’indique nullement qu’il s’agit de prix communiqués par le groupe Apple et dont il exigerait le respect.

431.Elles soulignent également que les Apple List Prices (« ALP ») et/ou les prix Apple Stores (« PAS »), c’est-à-dire les prix pratiqués par Apple dans son propre réseau, n’étaient diffusés qu’aux clients directs d’Apple selon les éléments même de la procédure, étant observé que les prix de ces listes incluent le Dealer Acquisition Cost (« DAC »), qui n’est pas transmis aux revendeurs indirects, lesquels reçoivent leur prix d’achat directement des grossistes. Elles en déduisent que rien dans la décision attaquée n’indique qu’Apple aurait volontairement diffusé des listes de prix conseillés ou assimilés aux APR indirects, situation incompatible avec l’hypothèse avancée par l’Autorité selon laquelle Apple aurait cherché à obliger les APR à pratiquer des prix identiques à ceux de son propre réseau.

432.Elles font valoir, ensuite, que seuls les prix minimum imposés sont susceptibles de constituer une infraction au droit de la concurrence, les prix maximum étant au contraire de nature à avoir un effet bénéfique pour le consommateur. Or, elles considèrent que l’alignement des APR sur les prix publics pratiqués par le groupe, en l’absence de toute pression d’Apple, résulte de la forte pression concurrentielle intra-marque, les prix publics d’Apple ayant joué de facto le rôle de prix maximum et non de prix minimum imposés par le fournisseur. Elles renvoient sur ce point au tableau du paragraphe 344 de la décision attaquée, dont le contenu contredit, selon elles, les citations tronquées des paragraphes 851 à 859. Elles observent également que l’Autorité s’est fondée sur l’existence d’une marge insuffisante laissée aux revendeurs par le fournisseur, alors que des pratiques de prix imposés sont généralement caractérisées lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs de respecter une marge trop importante et que la situation en cause ne peut être assimilée à cette hypothèse.

433.Elles soutiennent, en troisième lieu, concernant l’acquiescement des distributeurs, qu’il n’est démontré ni par certaines déclarations d’APR ni par les relevés de prix effectués en mars 2016 et en mars-avril 2017. Elles renvoient au tableau du paragraphe 470, établissant que 10 des 20 APR interrogés indiquent faire des promotions indépendantes (soit 50 %). Elles ajoutent que, parmi ceux qui ont déclaré ne pas pratiquer de promotions, certains en faisaient néanmoins, comme l’établissent, selon elles, les tableaux de relevés de prix figurant au paragraphe 348 de la décision attaquée. Elles contestent également le sérieux de la méthodologie suivie pour les relevés couvrant une période de trois mois et leur insuffisance pour caractériser un acquiescement à l’entente sur toute la durée reprochée. À l’inverse, elles rappellent avoir identifié pas moins de 7 opérations promotionnelles en mars 2016 (cotes 46290-46291) et plus d’une trentaine d’opérations promotionnelles réalisées par les APR entre avril 2012 et juillet 2019 (cotes 46252 à 46265 et 46286 à 46291). Elles en déduisent que l’Autorité, qui doit démontrer sans ambiguïté le respect par les APR de prix prétendument imposés, n’en a pas apporté la preuve.

434.Enfin, elles estiment que ni l’invitation à l’entente ni l’acquiescement des APR ne peuvent être déduits de la signature des contrats prévoyant la méthode de fixation des remises qui sont accordées aux APR. Elles ajoutent qu’un niveau de remise prétendument trop faible ne peut démontrer une pratique de prix imposés, toute autre analyse venant limiter la liberté tarifaire d’une entreprise qui n’est pas dominante.

435.Elles considèrent en outre que le simple fait d’accorder aux APR des remises ' arbitrairement jugées insuffisantes par l’Autorité ' ne saurait caractériser à lui seul une pratique de prix imposés. À cet égard elles invoquent la jurisprudence du Tribunal de l’Union (Trib. UE, 13 janvier 2004, JCB Service c/ Commission, aff. T-67/01, §121-133) et rappelle que sa politique en matière de remise ne s’accompagne d’aucune pression ou mesure de représailles à l’égard des distributeurs qui vendraient moins chers. Elles soulignent en l’espèce que la seule intervention mentionnée par l’Autorité pour tenter de démontrer des pressions concerne le cas spécifique de la période de lancement de l’iPad qu’Apple ne souhaitait pas voir exploité comme un produit d’appel au moment de son lancement et dont le visuel ne satisfaisait pas l’image de marque d’Apple.

436.Elles soutiennent, en tout état de cause, que la marge des APR était suffisante pour pratiquer des baisses de prix, des remises ou des actions promotionnelles. Elles relèvent que l’écart entre les prix ALP et DAC était compris entre 3 % et 6 % pour l’ensemble des produits hors iPad, voire jusqu’à 10-15 % pour certains produits et que seuls les iPads ne faisaient pas l’objet d’un écart entre ces deux prix. Sur la base des analyses complémentaires produites, elles précisent que la très grande majorité des APR atteignaient au moins 80 % du plafond des remises (pièce Apple n° 52/52 bis) et font valoir l’évolution observée entre 2009 et 2015, à la hausse. Elles soutiennent en outre que les chiffres indiqués au § 498 du rapport d’instruction confortent cette analyse. Sur la période, et à l’exception de deux APR, elles invoquent une marge moyenne variant entre 14,1 % au minimum et 16,8 %, avec une augmentation du taux de « marge nette » sur toute la période. Elles estiment que plusieurs éléments garantissent une visibilité suffisante pour pratiquer des baisses de prix et remises ou s’aligner, le cas échéant, sur leurs concurrents (taux de remise se maintenant en tout état de cause au-dessus de 12 %, modification des New Deals tous les deux ans seulement, critères d’attribution définis dans les lignes directrices publiées (guidelines) à l’attention des APR), remises fonctionnelles directement indiquées sur la facture de l’APR fixée pour 6 mois au minimum). Elles ajoutent, compte tenu de la volatilité des prix dans ce secteur, qu’une visibilité à 6 mois sur le niveau des remises est largement suffisante pour leur permettre d’ajuster leurs prix de revente aux consommateurs.

437.À titre subsidiaire, elles font valoir que le standard de preuve habituel, reposant sur un faisceau d’indices en trois branches, n’a pas été satisfait, en l’absence de caractérisation de l’évocation entre le fournisseur et ses distributeurs des prix de revente au public, de mise en 'uvre d’une police ou au moins d’une surveillance des prix et de constat que les prix évoqués ont été effectivement appliqués.

438.Elles contestent ainsi avoir mis en place un système de police des prix et de surveillance et relèvent que les mesures relevées par la décision attaquée à ce sujet (l’audit merchandising comme le mystery shopper) visent à préserver l’image de marque d’Apple, à l’instar de l’encadrement des promotions. Elles soulignent que ce qu’Apple cherche à contrôler n’est pas la baisse de prix liée à la promotion mais les visuels associés. Elles constatent d’ailleurs que les échanges entre Apple et les APR se réfèrent à l’usage d’affichettes de prix « dans un format donné » et d’affiches validées.

439.Elles relèvent également l’absence de toute mesure de représailles en cas de remise et constatent que sous réserve du respect de l’image de marque d’Apple et de son identité visuelle, les APR étaient en mesure de faire des promotions indépendantes (financées par l’APR ou les grossistes) comme le confirment 10 des 20 APR dont les réponses sont listées dans le tableau du paragraphe 470. Elles précisent encore que rien n’empêche les APR d’insérer leur propre prix sur le modèle d’étiquette fourni par Apple (vierge).

440.L’Autorité conteste, en premier lieu, avoir méconnu le standard de preuve, rappelant qu’en la matière la démonstration requise peut reposer sur des éléments de preuve de toute nature, directs ou indirects, éclairés par des éléments comportementaux. Elle ajoute que la jurisprudence, en droit de l’Union comme en droit interne, considère avec constance que la mise en 'uvre de pratiques visant à imposer un prix de revente peut reposer sur des moyens indirects, notamment par des ristournes accordées par les fabricants aux revendeurs affectant leur marge de liberté dans la détermination du prix de vente.

441.Elle fait valoir, en deuxième, concernant l’invitation d’Apple aux APR, que celle-ci ressort d’un ensemble d’éléments tels que la communication de prix conseillés, le contrôle des promotions et la surveillance des prix. Elle relève que la décision s’est appuyée sur des éléments de nature à la fois documentaire et comportementale, tenant aux mesures indirectes qui organisent l’absence de marge de man’uvre des APR sur les prix de revente, éléments qui, examinés ensemble, permettent d’établir l’invitation d’Apple et le fait que les prix communiqués aux APR présentent, de facto, le caractère de prix de revente imposés.

442.Sur la diffusion des prix aux APR, l’Autorité relève que les prix d’Apple sont disponibles publiquement tant sur son site Internet que dans ses magasins, de sorte qu’Apple soutient en vain n’avoir communiqué ses prix qu’aux APR directs. Par ailleurs, et en tout état de cause, elle rappelle les réponses apportées par l’APR Easy Computer, APR indirect, lequel a confirmé être régulièrement destinataire des listes de prix éditées par Apple (cote 5919, paragraphe 338 de la décision). Elle ajoute que le fait que certains APR aient souligné qu’ils considèrent que les prix publics sont imposés de facto, constitue un élément utile pour démontrer qu’il s’agit, pour eux, de prix dont Apple impose le respect. Elle considère également qu’il n’est pas possible de conclure des déclarations des APR que les prix en question ne revêtent pour eux qu’un caractère de prix maximum dès lors, comme l’a souligné la décision attaquée au paragraphe 913, qu’Apple a, de manière indirecte, en s’appuyant sur les prérogatives qu’elle détient des contrats conclus avec les APR, conféré aux prix qu’elle diffuse le caractère de prix minimum imposés tout autant que celui de prix maximum.

443.Elle relève ensuite que la caractérisation de la pratique ne requiert pas de rapporter la preuve de la mise en 'uvre effective d’une police de prix, cette circonstance n’étant pas une condition de son existence, mais le cas échéant un élément d’appréciation de ses effets. Elle considère, en l’espèce, qu’au prétexte de la préservation de l’image de marque, les mesures de contrôle des promotions des APR et la surveillance dont les prix ont fait l’objet ont renforcé la perception, par ces derniers, que les prix diffusés par Apple étaient des prix imposés et contribué à les dissuader de pratiquer des promotions. Elle ajoute que si les photographies prises à l’occasion de l’audit merchandising ne permettent pas, en elles-mêmes, d’exercer un contrôle effectif des prix pratiqués, l’inclusion d’un tel procédé dans le déroulé de l’audit, visant notamment des éléments (comme l’aménagement du point de vente) sur lesquels figurent les prix de revente, est de nature à entretenir, chez les APR, la perception du contrôle du fournisseur, notamment sur le plan tarifaire et ce d’autant qu’ils encourent le risque de voir le montant des remises qui leur sont accordées réduit à l’issue des différents contrôles, et même leur contrat d’APR rompu sans préavis. Selon l’Autorité, la circonstance que chaque audit n’intervient qu’à plusieurs mois d’intervalle du précédent ne saurait dénier à un tel mécanisme le caractère d’outil de contrôle tarifaire ou toute pertinence pour assurer la police de l’entente. En tout état de cause, elle estime que c’est l’imprévisibilité de ces audits et visites du « Mystery Shopper » qui leur confère un caractère suffisamment dissuasif pour que les APR n’entreprennent pas de dévier des lignes de merchandising d’Apple, sur le plan de la communication comme sur le plan tarifaire.

444.Enfin, concernant l’encadrement des promotions, elle relève qu’Apple ne distingue pas les cas dans lesquels les promotions évoquées par dix APR sont subventionnées par Apple ou non. Or, se fondant sur les déclarations reproduites au paragraphe 470 de la décision attaquée, elle constate que la plupart des APR ont déclaré ne pratiquer des promotions que lorsqu’elles sont demandées, autorisées ou subventionnées par Apple (à tout le moins pour partie). Elle observe que seuls sept APR parmi les vingt interrogés ont évoqué la possibilité de pratiquer des promotions autonomes mais en soulignant le caractère irrégulier ou exceptionnel de telles promotions, groupé pour plusieurs produits Apple ou encore ciblé sur des fins de série pour destockage. Elle rappelle, en tout état de cause, que la démonstration d’une entente ne saurait être remise en cause par l’existence de déviations ponctuelles et que le caractère généralisé d’une entente est établi si elle est mise en 'uvre par un nombre « significatif » de revendeurs, même si elle ne l’est pas par tous.

445.Elle fait valoir, en troisième lieu, que l’acquiescement des APR ressort de plusieurs éléments. Elle estime, d’abord, que les déclarations des APR indiquant appliquer les prix de revente au détail émanant d’Apple sont dépourvues d’ambiguïté et présentent une crédibilité particulièrement élevée.

446.Elle estime, ensuite, que la circonstance que des relevés de prix ne soient intervenus qu’en 2016 et en 2017 n’est pas de nature à remettre en cause leur valeur probante, en tant qu’élément d’un faisceau d’indices concordants, à la fois qualitatifs et quantitatifs, documentaires et comportementaux, permettant d’établir la pratique en cause pour l’ensemble de la durée retenue (citant en ce sens Com., 7 avril 2010, pourvoi n° 09-11.853). Elle en déduit que de tels relevés n’ont pas à présenter les caractéristiques nécessaires à une démonstration statistique sur l’ensemble de la période infractionnelle, dès lors qu’ils concourent à un faisceau d’indices, et considère qu’exiger la démonstration d’une application effective des prix reviendrait à imposer la preuve des effets de la pratique en méconnaissance du standard de preuve.

447.Elle soutient également qu’il est pertinent de prendre en compte les moyens indirects employés pour affecter la marge de liberté des revendeurs et rappelle qu’Apple n’a pas été sanctionné pour avoir pratiqué de faibles remises, mais pour avoir mis en 'uvre un écheveau de clauses contractuelles lui permettant de modifier, de manière discrétionnaire, le niveau des remises accordées aux APR pour lui permettre, compte tenu du niveau des marges, de contrôler la marge de man’uvre des distributeurs APR afin d’obtenir une uniformisation tarifaire dans le canal premium. Elle relève que les pratiques en cause diffèrent substantiellement de celles qui ont donné lieu à l’arrêt du Tribunal de l’Union du 13 janvier 2004 invoqué par les sociétés Apple, dans la mesure où il n’avait pas été établi que JCB avait tenté de contraindre les revendeurs à appliquer les prix conseillés, à la différence d’Apple qui a mis en 'uvre des mécanismes contraignants pour amener les APR à respecter les prix conseillés. Elle ajoute que la stratégie d’Apple n’a pas, en tant que telle, consisté à augmenter les prix de vente de ses produits mais à imposer ses prix de revente afin d’uniformiser les prix dans les canaux de distribution premium (à savoir les APR et ses propres boutiques). Elle ajoute que la sujétion des APR aux remises d’Apple n’est pas uniquement caractérisée par la faible différence entre l’ALP et le DAC mais ressort de l’ensemble du dossier établissant la faiblesse des résultats des APR sur la période considérée et l’impact d’une baisse de remise sur le caractère déficitaire de l’exploitation. Elle maintient que le calcul des niveaux de marge calculés, c’est-à-dire les taux de résultat net des revendeurs (au sens comptable normalisé) ayant au moins un APR, fait ressortir ' sans être utilement contesté par Apple ' que les niveaux de marge de ces revendeurs sont, en majorité, inférieurs à 1 % sur la période 2012-2017. Elle estime également qu’il est indifférent que le taux de remise total s’élève ou non à 12 % comme le soutiennent les requérantes, puisqu’elles sont susceptibles de varier à sa seule discrétion et que les éléments du dossier attestent d’une tendance au resserrement progressif de l’écart entre DAC et ALP, notamment du fait de l’apparition de l’iPad, segment sur lequel les taux de marge ALP/DAC sont quasi nuls (cote 45 272).Concernant les analyses économiques complémentaires qui démontreraient qu’Apple a fait en sorte que la majorité des APR obtienne au moins 80 % du plafond des remises, l’Autorité relève que leurs nombreuses lacunes ne permettent pas d’attester ce qui est soutenu :

' en se focalisant sur le niveau des remises effectivement accordées, l’analyse ne permet pas de faire ressortir le caractère imprévisible des remises qui affecte la conduite de l’activité des APR au moment où ils déterminent le prix de revente des produits Apple (elle renvoie en ce sens aux déclarations des APR mentionnées aux § 451 et suivants de la décision attaquée) ;

' en se limitant à l’examen de la remise fonctionnelle, sans tenir compte des autres remises analysées par l’Autorité, accordées de manière discrétionnaire (§ 905 et 906 de la décision attaquée) ;

' en se concentrant, pour l’essentiel de la période pendant laquelle les pratiques ont été mises en 'uvre, sur l’examen des remises accordées aux seuls APR directs alors que ces derniers représentaient une part minoritaire des ventes de produits Apple (hors iPhone) (moins d’un tiers en 2013, 19 % en 2017) ;

' en agrégeant les données sur une base annuelle et non une base trimestrielle, ce qui conduit à accroître artificiellement le nombre de remises fonctionnelles supérieures au plafond théorique.

448.Compte tenu de ces lacunes, l’Autorité considère que les résultats de l’étude économique d’Apple, relatifs à la période 2012-2017 ne paraissent pas pouvoir être utilement discutés dans le cadre du grief n° 3 qui commence à l’automne 2012.

449.Elle précise également que la notion de « marge nette » figurant dans le tableau inséré au paragraphe 498 du rapport est issue de documents internes d’Apple et s’entend comme la différence entre le prix de vente public (ALP) et le prix d’achat pour ces revendeurs (DAC), moins les remises et ristournes sur le prix d’achat. Elle s’apparente ainsi à une marge commerciale, non au résultat net. Elle ne reflète dès lors pas la profitabilité des APR puisqu’elle ne tient pas compte des coûts autres que les coûts d’achat de produits Apple. L’Autorité fait valoir que l’incertitude en cause n’apparaît pas comparable à celle résultant éventuellement de l’environnement concurrentiel dans lequel évoluent les APR car elle porte sur leur activité dans son ensemble ' et donc la pérennité de l’exploitation ' tandis que celle qui résulte de l’environnement concurrentiel des APR, ne porte, à un moment donné, que sur une ou plusieurs références pour lesquelles l’APR devra baisser son prix pour rester compétitif.

450.Elle souligne encore qu’Apple ne peut opposer le fait que les évolutions de son système de remise ont un impact différencié suivant les APR, de sorte qu’il lui serait impossible de recourir à des variations de remise pour assurer le maintien de prix minimum par tous les APR, dès lors qu’il dispose d’une connaissance approfondie de la situation financière de ses APR et maîtrise tant les approvisionnements que les remises ce qui le mettait en mesure d’apprécier l’impact des évolutions de son système et en capacité de modifier celles-ci de façon à viser, par exemple, certaines catégories d’APR.

451.Elle soutient, en quatrième lieu, concernant la démonstration des trois branches du faisceau d’indices qui ferait défaut, d’abord, que la critique est dépourvue de pertinence dans la mesure où la preuve du concours de volontés des participants à une entente peut se faire par tous moyens. Elle observe, ensuite et en tout état de cause, que la décision attaqué a constaté que :

' Apple a communiqué les prix à l’ensemble de ses distributeurs (§ 851 et suivants de la décision attaquée) ;

' Apple a mis en 'uvre des mesures qui sont considérées comme se rattachant à la notion de police des prix : l’encadrement des promotions (§ 865 et suivants) et la surveillance des prix pratiqués par les APR (§ 872 et suivants) ;

' les revendeurs APR ont appliqué les prix de détail, selon leurs déclarations et les relevés de prix effectués par les services d’instruction (§ 914 et suivants).

452.Le ministre chargé de l’économie et le ministère public développent la même analyse et considèrent que l’accord anticoncurrentiel est démontré.

Sur ce, la Cour,

453.Aux termes de l’article 101 du TFUE :

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ; (…) ».

454.Il résulte de l’article L.420-1 du code de commerce une même prohibition des ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, notamment lorsqu’elles tendent à :

« 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; ».

455.Comme l’a justement rappelé la décision attaquée, il est constant, tant en droit de l’Union qu’en droit interne, que la preuve d’une entente verticale sur les prix requiert la démonstration de l’accord de volontés des parties à l’entente exprimant leur volonté commune de se comporter sur le marché de manière déterminée, preuve qui peut être rapportée par tout moyen.

456.Par suite, rien ne s’oppose à ce que la démonstration de l’existence d’une telle pratique résulte de la combinaison de différents éléments de preuve, directs et indirects, notamment en présence de pratiques sophistiquées reposant sur des mécanismes qui, pris isolément, pourraient revêtir l’apparence de la légalité, pour autant qu’ils constituent, ensemble, un faisceau d’indices graves, précis et concordants. À cet égard, la Cour relève que c’est à juste titre que la décision attaquée a rappelé que si le mode de preuve le plus généralement utilisé du concours de volontés en matière d’entente verticale sur les prix s’articule autour de la réunion de trois indices, qualifiée de « faisceau à trois branches » (diffusion de prix, mise en 'uvre d’une police des prix et application significative des prix diffusés), la preuve de ce concours de volontés peut également résulter d’autres indices, documentaires ou comportementaux, permettant d’établir, d’une part, l’invitation du fabricant, et d’autre part, l’acquiescement des distributeurs à la pratique litigieuse.

457.En l’espèce, il est constant qu’aucune clause des contrats liant Apple aux APR n’impose, en elle-même, le respect, par ces derniers, d’un prix de vente minimal fixé par le fournisseur. Aucun élément du dossier n’a pas ailleurs établi l’existence d’une police des prix stricto sensus ou de représailles mises en 'uvre par Apple pour s’assurer du respect d’un certain niveau de prix par les APR.

458.Il convient donc de vérifier, au regard de l’ensemble des obligations contractuelles prises dans leur contexte économique et juridique, ainsi que du comportement des parties, si un prix de vente au public n’a pas été recommandé par le fournisseur et si celui-ci ne constituerait pas, dans le contexte en cause, un prix de vente fixe ou minimal imposé, comme l’a retenu la décision attaquée.

459. En premier lieu, concernant l’invitation à l’entente et la diffusion auprès des APR de prix imposés sous couvert de prix conseillés par Apple, la Cour constate, d’abord, qu’aucune preuve directe n’établit l’existence d’une communication d’Apple, effectuée auprès de l’ensemble des APR (directs et indirects), leur demandant de respecter un certain niveau de prix.

460.En revanche, il n’est pas contesté qu’Apple assure, de manière générale, une très grande transparence concernant les prix au détail qu’il pratique dans ses propres canaux de vente, les rendant publics et accessibles à tous sur son site Internet (Apple.com).

461.Il est également établi qu’ASI (puis ADI, à compter du 1er avril 2012), par le biais d’Apple France, assure une communication régulière des prix de revente pratiqués par Apple au moyen des « Apple Price List » adressées aux grossistes et revendeurs directs (APR ou non). Cette liste comporte pour chaque produit, notamment, les prix pratiqués par Apple dans ses propres magasins, l'« ALP » (Apple List/Listed Price ), désigné ici sous le sigle « PAS » (Prix Apple Store) mentionné hors taxe et TTC, ainsi que le « DAC » (Dealer Acquisition Cost) c’est à dire le prix de gros.

462.Ainsi que l’a constaté la décision attaquée (§ 353), cette liste n’est cependant pas exclusivement adressée aux APR (les grossistes et d’autres revendeurs directs en étant destinataires) et n’est pas non plus envoyée à l’ensemble des APR (les APR indirects recevant leurs prix d’achat directement des grossistes). En 2017, seuls 5 APR, parmi 17, s’approvisionnaient ainsi directement auprès d’Apple, selon les chiffres relevés dans la décision (§ 352), non contestés.

463.Si ces éléments peuvent, le cas échéant, être interprétés comme constituant une diffusion de prix implicitement recommandés par Apple, il n’en résulte pas pour autant que ce fournisseur a, par ces différentes méthodes, entendu inviter l’ensemble de ses revendeurs APR à respecter les prix ainsi diffusés.

464.À cet égard, la Cour rappelle qu’un accord ou une pratique concertée, ayant directement ou indirectement pour objet l’établissement d’un prix de vente fixe ou minimal que l’acheteur est tenu de respecter, est présumé restreindre la concurrence, de telles pratiques étant considérées par le règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 comme des restrictions caractérisées, « sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal » (article 4, sous a), dudit règlement).

465.En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les prix rendus publics par Apple, assimilés à des prix conseillés ou à des prix de référence, ont été globalement perçus par les APR comme délimitant un seuil maximal au-delà duquel il était difficile de vendre. Or, induirait-elle l’imposition d’un prix maximal, cette diffusion n’en serait pas pour autant restrictive de concurrence, compte tenu des textes et principes précités.

466.Néanmoins, certains APR ayant également perçu les prix communiqués comme définissant un seuil en dessous duquel ils n’étaient pas en mesure d’aller, il convient d’examiner, en deuxième lieu, si les revendeurs APR disposaient d’une possibilité réelle de diminuer ces prix de vente recommandés afin de vérifier, notamment, s’ils n’ont pas, en réalité, été imposés par des moyens indirects ou dissimulés (conduisant ainsi à l’établissement d’un prix de vente fixe ou minimal).

467.Il ressort des termes des déclarations reproduites aux § 855 et suivants de la décision attaquée, que certains APR ont assimilé les prix diffusés à des prix imposés, comme l’APR Acti Mac et PC (APR direct) qui a indiqué : « Les prix de vente sont publiés et diffusés par Apple, de ce fait imposés », ainsi que les APR Corsidev, Mac Tribu et Easy Computer pour lesquels les « prix de vente des produits de marque Apple sont fixés par Apple ».

468.Toutefois, l’analyse de l’ensemble des réponses au questionnaire des services d’instruction du 4 octobre 2012 (déclarations reproduites au § 344 de la décision attaquée) révèle que si l’existence de prix conseillés par Apple est majoritairement admise, leur portée contraignante n’est pas mise en relation avec la volonté du fournisseur de voir les APR respecter les prix diffusés mais avec d’autres considérations de fait :

' l’une tenant à la pression concurrentielle intra-marque les empêchant de pratiquer des prix plus élevés (situation parfaitement illustrée par les propos de l’APR Arcan IDF qui a déclaré que « dans un marché très concurrentiel il est impossible de se différencier en vendant plus cher» et ceux de l’APR Symbiose informatique indiquant « Nous appliquons les prix Apple Store, car sinon nous ne vendons plus rien, les clients regardent et comparent de plus en plus. ») ;

' l’autre à la faible marge financière dont ils disposent pour pratiquer des prix plus faibles (situation illustrée par la réponse de l’APR I-Artificielle « nous évitons également de vendre moins cher (étant donné que nos marges sont minimes (…) »).

469.Le premier élément résulte du libre jeu de la concurrence et ne saurait en conséquence traduire l’expression d’une entente sur les prix. Il reste donc à définir si le second procède également de libres arbitrages nés du jeu du marché ou si la transparence des prix mise en 'uvre par Apple, conjuguée aux conditions dans lesquelles sont octroyées les remises impactant les marges, revient à conférer aux prix conseillés un caractère impératif.

470.À cet égard, il convient de relever que ni les niveaux des remises ni celui des marges des APR ne sont, en eux-même, mis en cause par la décision attaquée (analyse du § 911 présentée dans la pièce n° 7 de l’Autorité). Il est ainsi admis que l’activité peut leur permettre de disposer d’une marge commerciale suffisante pour dégager un bénéfice (§ 911), et ce nonobstant les déclarations d’APR recueillies au cours de l’instruction sur lesquelles l’Autorité s’est appuyée pour relever que le différentiel entre les prix de gros (d’Apple, comme de ceux pratiqués par ses grossistes) et les prix de détail recommandés n’avait cessé de diminuer, voire était inexistant pour certains produits comme pour l’iPad. Il doit en effet être tenu compte du fait que différentes remises augmentent le différentiel entre le prix de gros (DAC) et les prix publics Apple (PAS) et peuvent ainsi accroître la marge commerciale des revendeurs. L’analyse de plusieurs Apple Liste Price (cotes 364 à 370, 5698 à 5703, 366 à 368, 11389, 4470 à 4480, 11573 à 11584 et 16518 à 16525) révèle d’ailleurs que les marges étaient variables en fonction des catégories de produits Apple. Si leur pourcentage était décroissant par rapport au prix de vente, un faible taux de marge était néanmoins de nature à générer, en valeur, une marge importante pour les produits Apple les plus chers.

471.S’agissant de l’entrave à la liberté tarifaire des APR résultant de l’incertitude pesant sur l’existence des remises nécessaires à la profitabilité de leur activité, retenue par la décision attaquée, la Cour constate qu’aux termes de l’article 5 du contrat APR (dans sa version 2009), reproduit au § 444 de la décision attaquée, « Apple peut, à tout moment et à son entière discrétion, apporter des modifications au présent Programme, y compris aux stipulations du Contrat, aux critères d’éligibilité (Annexe 1), aux directives concernant l’identification des Premium Resellers (Annexe 2) et au Logo du Programme, avec un préavis écrit de trente (30) jours » (cote 130 (VC) / 39874 (VNC).

472.Toutefois, de manière concrète, les modalités d’obtention des remises et ristournes, fixées dans les contrats dits « New Deals » applicables aux resellers, n’ont connu que trois versions différentes sur la période couverte par le grief n° 3 (2012-2017) :

— le « New Deal 4 » de juillet 2008 à mars 2011 ;

— le « New Deal 5 » d’avril 2011 à mars 2013 et ;

— le « New Deal 6 », entré en vigueur à compter d’avril 2013.

473.La fréquence de ces modifications, en moyenne tous les deux ans, est ainsi inférieure à la plupart de celles gouvernant les relations commerciales nouées entre un fournisseur et un distributeur, usuellement révisées une fois par an.

474.En outre, aucun élément de la procédure ne remet en cause l’existence d’une volatilité importante des prix sur le marché des produits électroniques grand public, confirmée par les pièces 50 et 50 bis produites par Apple, fondées sur les données disponibles notamment pour les années 2016 et 2017.

475.Par suite, il n’est pas démontré en quoi la fréquence des modifications précitée induirait une absence de visibilité sur les remises et ristournes, lesquelles sont, en moyenne, déterminées sur la base d’une évaluation du point de vente tous les 6 mois (remise fonctionnelle), ou par trimestre (remise développement marketing ou encore remise performance définie en considération, notamment, d’objectifs de ventes fixés pour chaque trimestre).

476.S’agissant de l’imprévisibilité relative au niveau et aux critères d’attribution de ces remises, il ressort des dispositions contractuelles qui les conditionnent, évoquées aux paragraphes 51 et suivants du présent arrêt, une large marge d’appréciation dans leur mise en 'uvre et de choix discrétionnaires en faveur d’Apple, ainsi, à titre d’exemples :

' la remise fonctionnelle s’applique « aux produits autorisés », après évaluation du point de vente selon le score RET « en fonction des critères définis par point de vente autorisé : qualité de l’emplacement, compétence du personnel, expertise du personnel, disponibilité des logiciels et des solutions, offres à l’utilisateur final et/ou d’autres critères que Apple peut définir. Les évaluations seront effectuées tous les six (6) mois sur chaque point de vente autorisé. Apple peut, à sa discrétion, effectuer des évaluations plus fréquemment » (contrat « Channel terms APR », version 2013, traduction libre, soulignement ajouté par la Cour, cité § 404 de la décision attaquée) ;

' la remise développement marketing (d’un montant maximum de 0,8 % des achats peut être octroyée aux APR « à la discrétion d’Apple, pour les produits achetés auprès d’Apple ou d’un grossiste sur chaque trimestre fiscal Apple, en vue de réaliser des activités marketing ciblées telles que définies par Apple sur le trimestre fiscal Apple précédent »(article 4.3 (b) du contrat « Channel terms APR », traduction libre, soulignement ajouté par la Cour, cité § 409 de la décision attaquée) ;

' la remise performance (d’un montant pouvant atteindre 2 % du montant total net des achats est prévue « à la discrétion d’Apple » (article 4.4 du contrat « Channel Terms APR », traduction libre, soulignement ajouté par la Cour, cité § 412 de la décision attaquée).

477.Apple peut, en outre, exclure tout produit de l’assiette des remises, selon la traduction libre des dispositions de l’article 4.1, d) des « Chanel Terms » reproduite page 217 de la décision attaquée : « Apple se réserve le droit d’exclure des produits et / ou des achats autorisés spécifiques de tout rabais et / ou de tout droit au rabais et / ou de définir des remises, des rabais ou d’autres avantages en rapport avec des produits autorisés ou des achats faisant l’objet de programmes spécifiques ».

478.Il est ainsi exact, comme l’a relevé la décision attaquée, qu’Apple se réserve la possibilité d’accorder ou de refuser de manière discrétionnaire deux remises (la remise développement marketing d’un montant maximum de 0,8 % et la remise performance pouvant atteindre 2 %).

479.Pour la remise la plus élevée (la remise fonctionnelle), celle-ci varie entre 4 % (montant de base applicable à l’ensemble des resellers) et 13 % selon le statut du reseller et l’expertise développée (cette remise fonctionnelle regroupant plusieurs remises telles que la remise dite « location » variant selon le statut (BEST ou BETTER) du point de vente, la remise « points de vente multiples », la remise « services » en considération des différents services proposés par le point de vente et la remise « personnel » en fonction du nombre de salariés dédiés à une catégorie de clients). Le bénéfice du plafond de cette remise fonctionnelle est conditionné par de nombreux critères mis en 'uvre au cours de l’audit merchandising, nécessitant pour les APR d’obtenir un score minimum de 80 % au RET précité à l’issue d’un questionnaire comportant 109 questions (§ 1103 de la décision attaquée).

480.Toutefois, si, au plan théorique, les critères peuvent être modifiés à tout moment, sous réserve d’un préavis de 30 jours, aucun élément de la procédure n’établit que cette faculté a été mise en 'uvre au cours de la période couverte par le grief (octobre 2012- avril 2017) et que la relation commerciale nouée avec les APR s’en trouvait régulièrement affectée au point de considérer que la rentabilité de leur activité était caractérisée par un fort aléa.

481.En outre, il n’est pas contesté qu’une remise de base de 4 % était systématiquement attribuée à l’ensemble des resellers et que d’autres remises supplémentaires pouvaient aisément être anticipées dans la mesure où elles avaient la même automaticité, telle la remise de 2 % acquise pour ceux exploitant plus de trois points de vente.

482.Les pièces 52 et 52 bis produites par Apple, comparant le niveau des remises fonctionnelles octroyées à celui des remises maximales, montrent que la part des APR directs obtenant plus de 80 % du maximum théorique a considérablement augmenté sur toute la période des New Deal 4 et 5, comme la part de ceux atteignant au moins 95 % (voir, notamment, les tableaux de la pièce 52 bis). Il importe peu que ces études analysent la seule remise fonctionnelle, dès lors qu’elle constitue la remise la plus importante et que le cumul du différentiel ALP/DAC et de la remise fonctionnelle suffit à assurer une marge de man’uvre tarifaire aux APR. Ces analyses restent également pertinentes, nonobstant le fait qu’elles ne portent que sur des APR directs (pour lesquels Apple dispose de données), dès lors qu’il n’est pas établi que le système de remises applicable aux APR directs et indirects serait en lui-même différent. À cet égard, la Cour observe que l’Autorité retient d’ailleurs une absence de marge de man’uvre de l’ensemble des APR, imputée à l’imprévisibilité des remises résultant des conditions contractuelles définies par Apple, sans distinguer la situation des APR approvisionnés par les grossistes de ceux qui le sont directement par Apple (étant rappelé que des APR directs pouvaient également être approvisionnés par des grossistes et qu’aucun élément du dossier n’établit qu’ils n’auraient pas été soumis aux mêmes clauses).

483.Comme il a déjà été relevé au stade de l’analyse de la stabilité du contrat-cadre APR, les remises et ristournes, acquittées sur facture, étaient connues au moment de l’achat des produits. Elles étaient, en moyenne, déterminées sur la base d’une évaluation semestrielle ou par trimestre selon le type de remise. Par ailleurs, le secteur des produits électroniques grand public est marqué par la fréquence des lancements de nouveaux produits et la vitesse de leur obsolescence. Il n’est en conséquence pas démontré en quoi un rythme semestriel ou trimestriel d’évaluation des remises engendrerait une imprévisibilité préjudiciable à la liberté tarifaire des APR. La Cour observe également qu’une absence de visibilité sur le niveau des remises aurait dû conduire à une faible fréquence des changements de prix, ce qui n’est pas établi en l’espèce.

484.Il n’est pas davantage démontré en quoi la stabilité des remises passées ne permettait pas à un APR d’escompter une stabilité future similaire, au regard de l’ancienneté et des caractéristiques de la relation commerciale établie qu’il a nouée avec Apple.

485.En définitive, dans un contexte de volatilité des prix qui n’est pas utilement contesté et de relative stabilité des conditions contractuelles, l’absence de visibilité alléguée par l’Autorité résultant du seul libellé des clauses contractuelles n’est pas démontrée.

486.Par voie de conséquence, il ne saurait être déduit du fait que les APR ont signé les contrats comportant les stipulations relatives aux conditions applicables aux remises et ristournes que ces derniers ont acquiéscé à un système de prix imposés par le fabricant.

487.La Cour ajoute que, tout en mentionnant les considérations de fait qui les contraignent dans la fixation de leurs prix, évoquées au paragraphe 468 qui précède, de nombreux APR ont également déclaré qu’Apple ne donne aucune consigne concernant le suivi des prix diffusés, ni aucune interdiction de s’en écarter :

' l’APR Acti Mac & Pc : « Ces prix publics font office de référence. Il n’est pas possible de vendre au-delà de ce prix bien que ce ne soit pas officiellement interdit. » ;

' l’APR I-Artificielle « Nous fixons les prix comme nous le souhaitons mais comme vu précédemment, on ne peut pas vendre plus cher qu’Apple et nous évitons également de vendre moins cher (étant donné que nos marges sont minimes). Nous appliquons cependant des remises de temps en temps en magasin et tout le temps pour les revendeurs avec qui on travaille. » ;

' l’APR iSwitch : « Nous pouvons déterminer le prix de vente librement, mais le taux de marge que nous avons, nous laisse très peu de marge de man’uvre.» (Soulignement ajouté par la Cour).

488.S’il est usuellement admis que des déviations ponctuelles ne sont pas de nature à remettre en cause l’existence d’une entente portant sur le respect de prix imposés reposant sur un faisceau d’indices convergents et dépourvus d’ambiguité, telle n’est pas la situation en cause dès lors qu’un nombre significatif d’APR admet également pouvoir pratiquer des actions promotionnelles. Comme le relèvent tant Apple que l’Autorité, dix APR sur vingt ont ainsi indiqué qu’ils étaient en mesure de faire des promotions, dont sept ont précisé qu’il s’agissait de promotions autonomes. Par suite, l’Autorité n’apporte pas la preuve de ce que l’encadrement des promotions, tel qu’il a été établi en l’espèce (principalement axé sur le respect de la charte graphique et des supports de communication), fondé sur la préservation de l’image de marque des produits Apple, justifierait qu’il soit assimilé à une police des prix destinée à conférer aux prix diffusés un caractère impératif.

489.La Cour relève, au surplus, qu’il ne ressort pas davantage des éléments au dossier afférents à la procédure d’audit merchandising décrite aux paragraphes 873 et suivants de la décision attaquée, que les photographies prises à cette occasion permettaient de surveiller les prix pratiqués. Celles-ci révèlent en effet l’agencement de l’espace de vente, mais ne permettent pas de lire les affichettes de prix positionnées près des produits.

490.Il s’induit de l’ensemble de ces éléments que le faisceau d’indices sur lequel s’est fondé l’Autorité ne permet pas d’établir, sans équivoque, dans le contexte factuel, économique et juridique en cause, l’existence d’une recommandation de prix revêtant un caractère impératif, pour Apple comme pour l’ensemble de ses APR.

491.En second lieu, concernant l’adhésion des APR à un système de prix imposés, il a déjà été dit que la signature du contrat APR (incluant les clauses contractuelles définissant les conditions d’octroi des remises et ristournes) n’induit, en elle-même, aucun accord sur le respect de prix imposés. La Cour ajoute que le fait que plusieurs APR ont indiqué (déclarations citées au § 344 de la décision attaquée) s’être alignés sur les prix de détail pratiqués par le réseau propre d’Apple, ce que confirment les relevés de prix pratiqués en 2016 et 2017, ne saurait davantage suffire à caractériser l’adhésion à un système de prix imposés, dès lors qu’il ressort de leurs déclarations que ce positionnement résulte de choix ou de contraintes inhérentes au libre jeu de la concurrence :

' MCS [réponse au questionnaire du 4 octobre 2012] « Pendant de nombreuses années, ce prix affiché, le ALP, était le prix de référence du marché Apple. Aujourd’hui c’est devenu le prix maximum puisque tout le monde, sauf les APR qui n’en ont plus les moyens, semblent appliquer gaiement des remises de plus en plus folles. Aujourd’hui, ce sont donc le Retail et la Grande Distribution qui fixent les prix du marché et apple qui s’aligne systématiquement. » ;

' iSwitch : « Nous pouvons déterminer le prix de vente librement, mais le taux de marge que nous avons, nous laisse très peu de marge de man’uvre. Nous devons donc établir des budgets prévisionnels de charges très serrés, et veiller au respect de ceux-ci. » ;

' Arcan IDF « Le PAS et dans un marché très concurrentiel il est impossible de se différencier en vendant plus cher, si il y a marge de man’uvre c’est uniquement au détriment de la marge qui est déjà très faible et figée par un système très lourd et subjectif. » « et dans un marché très concurrentiel il est impossible de se différencier en vendant plus cher, si il y a marge de man’uvre c’est uniquement au détriment de la marge qui est déjà très faible et figée par un système très lourd et subjectif. » ;

' l’APR Alis informatique « Nous nous basons de fait sur le Prix public Apple Store Apple (désigné par prix 'ALP'). Nous ne pouvons être plus chers de fait et encore moins, moins chers en vue de l’érosion de nos marges ces dernières années » ;

' l’APR MLife « les clients Apple sont parfaitement informés des prix 'officiels’ Apple pour chaque produit et les majorer serait négatif pour nous tant vis à vis d’Apple que vis à vis de nos clients. Quant à les minorer, notre faible marge ne nous le permet pas. (Nous y sommes quand même parfois obligés comme actuellement avec la sortie des iPad 4 qui a rendu caduques les prix des iPad 3 que nous avons en grand nombre dans notre stock). » ;

' Easy Computer (cote 5919 citée § 338 de la décision) « Nous n’avons pas de [latitude] sur cette politique tarifaire, nous pouvons difficilement vendre plus cher car la concurrence est rude » (soulignement ajouté par la Cour).

492.Dans le contexte précité, la seule existence d’un parallélisme de comportements, qui trouve une explication dans l’adaptation aux évolutions du marché et les caractéristiques des produits haut de gamme en cause, ne permet pas de caractériser une entente sur les prix de vente au détail.

493.Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’invitation d’Apple à restreindre la liberté tarifaire des APR et l’acceptation par ces derniers de la politique de prix d’Apple ne sont pas établies. La décision attaquée est réformée en son article 3, en ce qu’elle a dit que des pratiques visant à limiter la liberté tarifaire des APR, en fixant directement ou indirectement le prix de vente aux consommateurs des produits de marque Apple, sur le marché de la distribution au détail de produits informatiques et électroniques grand public étaient caractérisées sur la période d’octobre 2012 à avril 2017.

IV. SUR L’ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE (GRIEF N° 4)

494.Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu :

au soutien d’une situation de dépendance économique des APR :

' la notoriété de la marque Apple sans équivalence sur le marché, les caractéristiques des produits qui les rendent difficilement contournables pour des distributeurs de produits électroniques, les spécificités de l’organisation et de l’habillage des points de vente propres à distinguer les produits ou services de l’entreprise de ceux d’autres entreprises ;

' la position d’Apple sur le marché, avec des parts relatives aux ventes au détail d’équipements électroniques grand public tous produits confondus de 28 % en 2012 et 24,7 % en 2013, en faisant le leader du marché avec Samsung ;

' la part d’Apple dans le chiffre d’affaires des APR, qui découle des stipulations mêmes des contrats APR (§ 996 à 1010, § 484 et suivants) de l’ordre de 78 % en moyenne en 2012 ;

au soutien de l’absence de solutions alternatives :

' l’existence de limitations contractuelles à la reconversion des APR ;

' la marge de man’uvre financière limitée des APR ;

' l’absence d’alternatives économiques et techniques comparables, en considérant que le statut d’AAR ne pouvait constituer cette alternative (l’équivalence requise impliquant une distribution spécialisée et quasi exclusive, avec une rentabilité comparable) ;

au soutien de l’exploitation abusive de cette situation de dépendance, les règles et comportements mis en 'uvre par Apple : difficultés d’approvisionnement liées au système d’allocations mis en place, traitement discriminatoire (favorisant le réseau détenu en propre par Apple (ARS et AOS)), instabilité des conditions de rémunération (remises et encours) et mise en 'uvre discrétionnaire de certaines règles.

495.La décision attaquée a déduit de l’ensemble de ces éléments que le groupe Apple ' par l’intermédiaire des sociétés Apple Sales International (« ASI »), Apple Distribution International (« ADI »), Apple Europe Limited (« AEL »), Apple Operations Europe (« AOE ») et Apple France ' avait mis en 'uvre, de novembre 2009 à avril 2013, des pratiques visant à exploiter de manière abusive la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvaient les APR, en appliquant un ensemble de règles et en adoptant des comportements qui restreignent de manière anormale l’activité de ces distributeurs.

A. Sur l’existence d’une situation de dépendance économique et son exploitation abusive

496.Les sociétés Apple relèvent, à titre liminaire, qu’une situation de dépendance économique ne saurait être caractérisée essentiellement, si ce n’est exclusivement, sur la base des déclarations d’APR, d’autant que plusieurs éléments remettent en cause leur crédibilité :

' ces derniers pouvaient avoir intérêt à amplifier les éventuelles difficultés dans leur relation avec Apple ;

' leurs déclarations sont contredites par des preuves écrites (libellé des clauses contractuelles) ;

' l’Autorité a manifestement opéré un tri en retenant les seules déclarations servant sa thèse, alors qu’il en existait d’autres en sens contraire.

497.Elles font valoir que le doute doit bénéficier à l’entreprise en cause et que la situation doit être appréciée dans le respect du principe de la présomption d’innocence. Elles en déduisent que c’est à l’aune de ces principes que doivent être appréciés les éléments qui suivent.

498.Elles soutiennent, en premier lieu, que sur les quatre conditions cumulatives énoncées par la Cour de cassation (Com., 12 octobre 1993 pourvoi n° 91-16.988, Bulletin 1993 IV n° 337) permettant de caractériser une situation de dépendance économique, trois font défaut. Elles soutiennent ainsi que :

' les parts de marché d’Apple sont limitées en ce qui concerne la vente de produits électroniques grand public en France, s’établissant, en valeur, tous produits confondus, à 28 % en 2012 et 24,7 % en 2013, et en volume à 16,3 %, soit une part de marché identique à celle de Samsung en valeur mais néanmoins bien plus faible en volume (27,2 % pour Samsung) ;

' la part représentée par Apple dans les achats de ses revendeurs, qui doit être définie à l’échelle de l’entreprise (au regard du chiffre d’affaires total du revendeur, tous points de vente confondus) et non à celle du point de vente APR, est bien plus limitée que ne l’affirme l’Autorité. En 2013, 34 % des détaillants exploitant un point de vente APR exploitaient également un ou plusieurs points de vente non APR, cette proportion s’élevant à 62 % en 2017. En tout état de cause, pour ceux qui n’exploitaient que des points de vente APR, la part de produits Apple dans leurs achats découle d’un choix délibéré, opéré compte tenu des avantages offerts par le contrat APR (permettant d’atteindre une forte progression de leur chiffre d’affaires et de tirer avantage de l’image de marque et de la qualité des produits Apple) (778) À cet égard, Apple n’a jamais contraint les APR à choisir ce statut, ni à se spécialiser dans la vente de produits Apple ;

' les revendeurs APR ont librement opté pour le statut d’APR, dès sa création, compte tenu des avantages qu’il offrait, notamment en termes financiers. C’est donc sciemment, sur la base d’un choix conscient et délibéré, que certains revendeurs ont intégré le programme APR et fait le choix de ne pas diversifier leur activité. Ce simple état de fait rend impossible, à la lumière des précédents jurisprudentiels, la caractérisation d’une situation de dépendance économique, d’autant plus, qu’en tout état de cause, ils disposaient d’alternatives viables sur le marché leur permettant de réorienter facilement leur activité vers la commercialisation de produits concurrents, aucune exclusivité ne leur ayant été imposée.

499.Selon les sociétés Apple, l’Autorité n’a d’ailleurs pas démontré qu’il n’était pas juridiquement possible et économiquement viable pour un APR de devenir revendeur multimarques (en optant pour le statut d’AAR ou de NAR) ou revendeur spécialisé d’une marque concurrente. En effet, La clause de non concurrence (prévue à l’article 6.1 du contrat APR) ne figurait pas dans les versions antérieures à janvier 2013 et, pour la période postérieure, n’empêchait pas le revendeur de diversifier ses activités. En outre, La seconde partie de la clause prévoyait expressément que le reseller était libre de revendre des produits concurrents dans ses points de vente multimarques. Ainsi, En l’absence d’exclusivité de fourniture imposée au distributeur, il n’y a pas d’obstacle à sa diversification et la fin du statut d’APR a pour seule conséquence la perte des conditions avantageuses qui y sont attachées, le point de vente devenant automatiquement un AAR. Par ailleurs, rien n’indique que la perte de marge associée au statut APR ne peut être compensée par la commercialisation de produits concurrents permettant de dégager une marge supplémentaire. Au surplus, l’étude économique produite (note relative au devenir des points de vente après la perte du statut d’APR, pièce Apple n° 25) confirme l’existence d’alternatives viables au statut d’APR.

500.Elles ajoutent que la notoriété de la marque Apple, pour la période 2009-2013, était inférieure à sa notoriété actuelle (renvoyant sur ce point aux graphiques visés au § 986 de la décision attaquée) et estiment que, même à supposer que le groupe Apple bénéficie « d’un pouvoir de marché supérieur à celui que reflètent ses parts de marché » (ce qui n’est pas démontré par l’Autorité selon elles), celui-ci n’est pas en mesure de s’abstraire de la pression concurrentielle exercée par les autres fabricants. Elles relèvent que cette circonstance est pertinente au regard de l’analyse des précédents à laquelle elles procèdent, dont il ressort, selon elles, qu’une part de marché significative est en pratique requise pour caractériser un état de dépendance économique.

501.Elles invoquent, en second lieu, l’absence d’abus et notamment de soumission des APR à un déséquilibre significatif, comme le prétend l’Autorité.

502.Elles relèvent, d’abord, que l’Autorité ne pouvait étendre le champ d’application de l’article L.420-2 du code de commerce en y incluant les pratiques restrictives de l’article L.442-1 du même code et considèrent que cette erreur de droit justifie, en elle même, l’annulation de la décision. Elles estiment, ensuite et en tout état de cause, que l’Autorité n’apporte pas la preuve d’un éventuel déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives des parties. Sur ce point, elles font valoir que si les APR concluaient avec Apple un contrat type, les obligations qui y sont mentionnées ne sont en rien excessives ou disproportionnées. En effet, outre les avantages financiers (remises et ristournes) et certains avantages distincts (autorisation d’utiliser le logo Apple et ses visuels et de se prévaloir du statut de revendeur premium, bénéfice d’un accompagnement gratuit pour l’aménagement du point de vente (« Design Kit »), développement des ventes, formation des vendeurs APR), le contrat APR permet la transmission du savoir-faire d’Apple et s’accompagne de soutiens financiers (jusqu’à 50 % de l’ameublement du point de vente, investissement représentant en moyenne 710 000 euros par an pour la mise en place de visuels et supports de communication ou financement à 50 % du montant de certaines remises proposées aux consommateurs à l’ouverture du point de vente ou lors d’opérations de recyclage). Selon elles, les obligations du reseller trouvent ainsi leur contrepartie dans ces avantages et dans le fait qu’ils sont des ambassadeurs de la marque. Elles relèvent que tant Apple que le reseller disposent par ailleurs de la possibilité de mettre un terme au contrat sous réserve du respect d’un préavis de 30 jours. Elles observent enfin que la décision attaquée considère que l’abus a pris fin en avril 2013, alors même que les dispositions contractuelles critiquées, liant Apple aux APR, sont demeurées inchangées et n’ont donné lieu à aucune injonction tendant à leur retrait ou à leur modification.

503.Par ailleurs, elles considèrent que ni les difficultés d’approvisionnement rencontrées par les APR, ni l’incertitude dans laquelle ils auraient été placés s’agissant de leurs conditions commerciales, ne sont susceptibles de constituer un abus de dépendance économique. Concernant les difficultés d’approvisionnement, elles relèvent que l’Autorité ne peut se fonder sur la jurisprudence rendue en matière d’abus de position dominante pour établir l’existence d’un abus de dépendance économique, alors qu’elle n’a caractérisé aucune position dominante d’Apple justifiant de faire peser sur elle la responsabilité particulière inhérente à cette position. Elles soulignent également que, même à supposer cette jurisprudence applicable à Apple, il faut tenir compte du fait que la Cour de justice admet un retard ou un refus de livraison justifié par des raisons objectives telles qu’une rupture de stock, ce qui correspond aux situations de contrainte liées au système de lean manufacturing d’Apple. Elles contestent toute discrimination à l’égard des APR et font valoir, qu’en période de contrainte, tous les canaux de distribution d’Apple, y compris son réseau en propre, faisaient face à des difficultés d’approvisionnement et des retards de livraison. Elles ajoutent que le principe de fair share exclut toute discrimination et qu’en outre plusieurs exemples dans le dossier de l’Autorité démontrent qu’Apple, loin de défavoriser le canal des APR, l’a au contraire privilégié au moment du lancement de nouveaux produits, notamment, en intervenant régulièrement auprès des grossistes afin de les inviter à livrer les APR en priorité (pour illustration notamment cote 26451). Elles soulignent que l’étude économique versée à la procédure démontre clairement que les interventions d’Apple auprès des Disties ont permis de réduire les délais de livraison au profit du canal APR (Note relative à l’analyse économique des pratiques reprochées à Apple, §§ 208 et suivants, cotes 46493 et suivantes, pièce n° 46) et considèrent que les éléments cités par l’Autorité sont insuffisants pour démontrer la volonté d’Apple de privilégier son réseau en propre.

504.Elles contestent également l’affirmation de l’Autorité selon laquelle les APR avaient interdiction de réaliser des précommandes, estimant qu’il ressort clairement des déclarations citées dans la décision attaquée que les APR pouvaient y procéder et ne se privaient pas de le faire. Ainsi, dans le cadre du fast ship program sur l’iPad, un APR écrivait à Apple, en 2012, avoir pré-réservé et n’avoir pas pu satisfaire tous ses clients le jour du lancement (cote 27048, citée dans la décision attaquée § 523). Par ailleurs, s’agissant de l’interdiction faite aux revendeurs de communiquer sur le produit avant l’annonce des Keynotes et vendre le produit avant sa date de lancement officiel, ces deux pratiques sont en ligne avec la protection de l’image de marque d’Apple.

505.Enfin, elles soutiennent que l’Autorité ne démontre pas davantage que les APR auraient eu un moins bon niveau d’informations que les ARS ou que l’AOS, notamment au moment du lancement de nouveaux produits, précisant que même au sein du réseau Apple, les nouveaux produits sont gardés secrets jusqu’au Keynotes qui les dévoile au niveau mondial. Elles invoquent les déclarations de la directrice de l’ARS d’Opéra qui décrit précisément la situation.

506.Concernant la visibilité des conditions commerciales, elles la considèrent comme suffisante. Elles font valoir que la thèse de l’Autorité est contredite :

' par les éléments du dossier : les conditions commerciales n’ont été modifiées par Apple qu’en moyenne tous les deux ans de 2009 à 2013, et n’ont donc pas varié de façon significative dans le temps, l’argument tiré de ce que les remises pouvaient contractuellement être modifiées à tout moment est inopérant dès lors qu’il est contredit par la réalité. Elles établissent un tableau comparatif des New deal 4, 5 et 6 établissant l’absence d’évolutions fondamentales ;

' par les analyses économiques réalisées qui établissent que la remise fonctionnelle moyenne accordée aux APR n’a cessé d’augmenter entre le dernier trimestre 2007 et le second trimestre 2017 et qu’à partir de 2010, la majorité des APR bénéficiaient, de façon constante, d’un taux de remise fonctionnelle égal à 80 % ou plus du taux théorique maximal (Note sur les remises accordées aux APR, pièce Apple n° 52).

507.Elles rappellent qu’au cours de chaque New Deal, le niveau total de la remise fonctionnelle a été déterminé par point de vente sur la base de l’outil d’évaluation des resellers développé par Apple (le « Reseller Evaluation Tool » ou « RET »). L’évaluation de chaque point de vente s’effectuant tous les six mois dans le cadre d’un audit merchandising reposant sur des critères objectifs et transparents, il n’est pas démontré, selon elles, que cette situation était de nature à créer une incertitude sur le niveau de leurs discounts. Elles précisent que les APR connaissaient à l’avance le niveau de leur remise fonctionnelle pour une période de trois mois minimum (pour ceux faisant partie d’un groupe exploitant plusieurs points de vente), voire de six mois, dans l’hypothèse d’un revendeur exploitant un seul point de vente, de sorte qu’ils avaient en tout état de cause la capacité d’ajuster leur propre politique commerciale pour répondre aux évolutions du marché, compte tenu des caractéristique du marché de la distribution au détail des produits électroniques grand public (volatilité des prix dûe à l’existence de cycles courts d’innovation entraînant l’apparition fréquente de nouveaux produits).

508.L’Autorité, soutient d’abord, s’agissant de l’état de dépendance économique et concernant les parts de marché d’Apple et la part que représente ce fournisseur dans l’activité des APR, qu’aucune jurisprudence n’exige, pour le caractériser, de démontrer que le fournisseur détient une part de marché qui lui permettrait de s’abstraire de la concurrence. Elle souligne que la situation de dépendance résulte de la puissance relative d’une entreprise qui entraîne la vulnérabilité de ses partenaires commerciaux, de sorte que l’importance de la part de marché et la notoriété d’un fournisseur constituent des indicateurs révélateurs de l’absence de solution de substitution pour ses partenaires commerciaux. Elle constate qu’Apple, par son positionnement sur le marché, disposait d’une particulière notoriété, rendant ses produits difficilement contournables pour les distributeurs. Elle renvoie à un ensemble de pièces du dossier démontrant concrètement qu’Apple représentait une part significative de l’activité des APR (évaluations issues de l’association des APR et d’un document interne à Apple détaillant le « poids d’Apple » pour chaque « compte APR », c’est-à-dire pour chaque société, dans leur chiffre d’affaire global, outre les déclarations concordantes de plusieurs APR). Elle rappelle que l’importance des produits Apple dans les ventes de ces enseignes s’explique par les stipulations des contrats APR.

509.Elle relève, ensuite, concernant le caractère délibéré de l’adhésion au programme APR allégué par Apple, que l’état de dépendance économique est une situation objective dont l’origine est indifférente (CA Paris, 25 janvier 2005, RG n° 04/13142). Elle estime, en l’espèce, s’agissant de la situation ex ante, que le caractère contraint de l’adhésion au programme APR est établi dans la mesure où la refuser, pour ceux ayant déjà noué des liens économiques avec Apple, aurait remis en cause leur statut de revendeur spécialisé Apple et, partant, la continuité de leur exploitation ou aurait, à tout le moins, compromis leur niveau de marge et leur position sur le marché. Elle estime que ce type d’opérateurs n’avait pas d’autre choix que d’adhérer au programme APR pour garantir la préservation de leur modèle économique, en particulier compte tenu des caractéristiques des produits concernés. Elle relève, s’agissant de ceux qui n’avaient pas encore ce statut, que leur adhésion était principalement motivée par les perspectives attractives qu’Apple proposait, lesquelles se sont révélées infondées du fait des pratiques reprochées, et que les contrats n’étaient pas davantage négociés s’agissant de contrats-types. S’agissant de la situation ex post, elle considère que les stipulations contractuelles des contrats APR, présentées aux paragraphes 997 à 1001 et 1014 à 1016 de la décision attaquée, constituent des contraintes juridiques limitant la possibilité des sociétés exploitant des points de vente APR de diversifier leurs approvisionnements et de sortir du réseau.

510.Elle fait valoir, concernant les solutions alternatives pour les APR, que plusieurs éléments font échec à la diversification des activités des APR :

' les limitations contractuelles résultant des clauses citées aux paragraphes 486 à 491 et 997 à 1001 de la décision attaquée et confirmées par les déclarations de nombreux APR. Elle relève à cet égard que si la clause de non-concurrence ne figurait pas dans les contrats antérieurs à 2013, elle constitue toutefois un exemple supplémentaire de l’accumulation des contraintes juridiques limitant la possibilité pour les revendeurs de sortir de l’univers Apple ;

' les coûts engendrés par un changement de statut, en particulier concernant les investissements irrécupérables liés aux aménagements des points de vente, à l’achat de mobilier, ou encore à la formation des vendeurs, propre à la promotion de la marque Apple, étant précisé que ces opérateurs ont une marge financière limitée.

511.Elle considère qu’une distribution généraliste n’est pas une solution alternative à l’activité d’un revendeur APR spécialisé, compte tenu de la localisation de la plupart des points de vente APR, de la concurrence des grands retailers à laquelle ils sont confrontés et de l’impact financier de la perte du statut d’APR. Elle écarte la pièce Apple n° 25, la grande majorité des situations étudiées étant postérieures aux pratiques. En outre, elle observe qu’en 2011 et 2012, 14 points de vente APR ont été supprimés et un seul a entamé une reconversion. Elle souligne que cette reconversion confirme que celle-ci ne pouvait ni s’appuyer sur une autre marque qu’Apple, ni prospérer au travers de la seule marque Apple. Elle ajoute que les points de vente, devenus AAR ou ASE, relèvent d’une distribution multimarque, qui n’est pas une alternative techniquement et économiquement comparable puisqu’ils bénéficient de beaucoup moins d’avantages que les points de vente sous statut APR. Sur la base d’une appréciation in concreto, l’Autorité estime, comme développé aux paragraphes 1021 à 1026 de la décision, qu’une éventuelle diversification et/ou sortie du programme APR était impossible dans un délai raisonnable, sans entraîner une perturbation irrémédiable de leur activité.

512.S’agissant de l’abus, elle exclut toute erreur de droit au motif que la décision aurait étendu le champ d’application de l’article L.420-2 du code de commerce. Elle relève, d’une part, que ce texte vise précisément le I de l’article L.442-6, I, du code de commerce, devenu L.442-1 du même code, d’autre part, que la décision attaquée mentionne l’existence d’un déséquilibre dans les relations entre Apple et les APR mais n’a pas pour autant cherché à caractériser un déséquilibre significatif au sens de l’article L.442-1, I, 2° du code de commerce. Elle ajoute que les comportements caractérisant l’exploitation abusive de la situation de dépendance des APR correspondent à :

' une politique d’approvisionnement irrégulière et désavantageuse, non justifiée par des éléments objectifs, d’une part (paragraphes 1061 à 1090 de la décision attaquée, cf. paragraphes 403 à 428 ci-dessous) ;

' renforcée par les incertitudes sur les conditions commerciales consenties par Apple, d’autre part (paragraphes 1091 à 114 de la décision attaquée, cf. paragraphes 432 à 461 ci-dessous).

513.L’Autorité soutient que la dépendance économique est un état de domination relative entre deux partenaires commerciaux, de sorte qu’à l’égard du partenaire commercial qu’elle tient sous sa dépendance économique ' et uniquement à son égard ' l’entreprise concernée devrait avoir une responsabilité particulière analogue à celle incombant aux entreprises en position dominante à l’égard du marché. Elle estime que l’abus de dépendance économique recouvre des pratiques analogues à celles sanctionnées en tant qu’abus d’exploitation en application des articles 102 TFUE et 420-2, premier alinéa, du code de commerce, de sorte que c’est à juste titre que la décision attaquée s’est référée à la jurisprudence relative aux abus d’exploitation commis par une entreprise en position dominante pour apprécier le comportement d’Apple.

514.Elle rappelle la force probante des déclarations recueillies, qui peuvent valablement constituer des éléments de preuve pour apprécier un comportement à travers un faisceau d’indices contrairement à ce que soutiennent les sociétés Apple.

515.Concernant tout d’abord les conditions d’approvisionnement, elle revendique la jurisprudence GSK de la Cour de justice (CJUE, 16 septembre 2008, GlaxoSmithKline, C-468/06 à C-478-06), aux termes de laquelle un opérateur se trouvant dans une situation de dominance doit justifier les raisons l’ayant conduit à privilégier son réseau de distribution en propre et l’applique, par analogie, aux faits de l’espèce, relatifs à un opérateur tenant ses distributeurs sous sa dépendance économique. Elle souligne, qu’en l’espèce, Apple n’a pas fourni une telle preuve, plusieurs éléments figurant au dossier établissant que les difficultés d’approvisionnement subies par les APR n’étaient pas objectivement justifiées. Elle relève que ces difficultés n’étaient manifestement pas liées à des ruptures de stock, dès lors que, comme le confirment plusieurs déclarations et échanges entre les APR et Apple (reproduits § 412 des observations de l’Autorité), les produits étaient disponibles sur d’autres canaux de distribution et que cette situation lui était parfaitement connue comme l’établit le courriel interne du 26 septembre 2011 (§ 520 de la décision attaquée) qui recense de nombreuses plaintes de revendeurs APR.

516.Elle observe que l’étude économique d’Apple du 6 septembre 2019 (pièce Apple n° 46, § 208 et suivants) ne montre pas que ses interventions auprès des grossistes agréés auraient permis de réduire les délais de livraison au profit du canal APR : d’abord, cette étude ne porte que sur les livraisons par Apple de ses clients directs (allocation de premier niveau), ensuite, elle révèle que le choix de livraison (pour quatre des cinq catégories de produits étudiées) s’est porté sur les revendeurs directs et non les grossistes censés livrer les détaillants de petite taille, enfin, elle ne prend pas en compte les livraisons dont bénéficiaient les ARS ou l’AOS. Elle estime également que l’étude présentée par les sociétés Ingram (pièce Ingram n° 4) n’est pas plus probante en raison du manque de pertinence du mode d’allocation FIFO en période de contrainte et des dates de commande des détaillants utilisées pour connaître l’ordre des livraisons.

517.S’agissant de l’impossibilité pour les APR de passer des précommandes, l’Autorité constate qu’Apple indique que les APR étaient libres de prendre les engagements qu’ils estimaient opportuns vis-à-vis de leurs clients mais ne conteste pas que les APR n’avaient pas la possibilité de répercuter auprès d’Apple ou des grossistes de telles précommandes, alors que les précommandes qu’Apple proposait sur l’AOS, y compris directement aux clients des APR, garantissaient au client final un ordre de priorité dans la réception du produit. Elle en déduit que, dans ce contexte, le client désireux d’obtenir le produit le plus rapidement possible devait se tourner vers le canal qui était en mesure de lui garantir une telle priorité. Elle ajoute que plusieurs éléments corroborent l’interdiction de réaliser des précommandes (procès-verbal d’audition des membres de l’Association des APR de France, témoignages d’APR comme Acti Mac…).

518.S’agissant de la dissymétrie d’informations existant entre les APR et Apple, la décision attaquée a constaté, notamment aux paragraphes 251 et 252, qu’elle tenait au fait que les APR n’avaient aucune information sur le lancement du produit lui-même leur permettant de se préparer à un tel lancement.

519.Concernant ensuite les conditions commerciales, elle relève que nonobstant le fait que celles-ci n’ont évolué, en moyenne, que tous les deux ans, il est constant que ces modifications successives ont été imposées par Apple en faisant usage de l’article 5 du contrat APR (dans sa version de 2009), ces modifications pouvant intervenir à tout moment, sous réserve d’un préavis d’un mois, sans faire l’objet d’aucune négociation avec les APR qui n’ont été invités qu’à signer ces documents ' en langue anglaise ' sans discussion (voir en ce sens les paragraphes 445, 451 à 456 et 1094 de la décision ainsi que les cotes 3255 à 3257, les cotes 5524 à 5525, la cote 3107 et le cote 4203). En outre, les remises importantes, telles que la remise fonctionnelle des APR, n’étant généralement évaluées que sur une base semestrielle, une modification des conditions de calcul sur une période souvent inférieure à deux ans (« New Deal 4 », « New Deal 5 ») réduit considérablement la visibilité des APR sur les conditions d’octroi de ce type de remises. Elle estime que le fait que la remise de base ait été « garantie » à un niveau de 4 % (sous réserve d’atteindre un niveau de commande déterminé par Apple) ne remet pas en cause l’incertitude des remises applicables aux APR, la remise fonctionnelle ne constituant qu’une fraction marginale des remises pouvant être perçues par les APR. Elle rappelle également que la décision attaquée a estimé que l’imprévisibilité des conditions commerciales ne résultait pas de la structure ou du montant des remises, mais de l’application des critères d’octroi des remises et de leur contrôle, certaines remises étant explicitement attribuées « à la discrétion d’Apple », tout produit pouvant être unilatéralement exclu de l’assiette des remises (article 4.1, d) des Chanel Terms) et l’octroi des remises et ristournes dépendant d’évaluations effectuées par Apple sur la base de critères se prêtant à une appréciation subjective et non transparente. L’Autorité souligne ainsi que l’abus de dépendance économique a été établi eu égard, notamment, à l’instabilité des clauses contractuelles (§ 1094 à 1099 de la décision), aux critères d’octroi des remises et aux modalités de leur contrôle, qui se prêtait à une application discrétionnaire (§ 1100 à 1107 de la décision), ainsi qu’à l’importance croissante des remises dans la marge des APR (§ 1108 à 1114 de la décision), de sorte qu’elle considère comme vain de vouloir opposer à des clauses contractuelles des constats réalisés a posteriori quant au niveau des remises finalement obtenues, comme le fait l’étude économique d’Apple. Elle insiste sur le fait que l’abus a été analysé au regard de la situation d’incertitude dans laquelle les APR étaient plongés au moment de la conduite de leur activité.

520.Elle ajoute que les analyses d’Apple relatives à la part des remises théoriques maximales effectivement consenties comportent plusieurs lacunes résultant notamment de l’agrégation des données disponibles à un niveau annuel plutôt que trimestriel et d’une sous-estimation du plafond théorique (pièce de l’Autorité n° 7). Sur la base de données trimestrielles et en retenant les données lui paraissant plus pertinentes pour calculer le plafond théorique de remise fonctionnelle, elle relève, pour la période du New Deal 4 (de juillet 2008 à mars 2011), que dans la moitié des cas étudiés, moins de 80 % du plafond théorique de remise fonctionnelle a été atteint, que dans plus des deux tiers de cas observés pour les enseignes disposant d’un seul APR et dans près de 80 % des cas observés pour les enseignes disposant de plusieurs APR, moins de 90 % du plafond théorique maximal a été atteint. Or, comme la décision attaquée l’a souligné, elle rappelle que « les résultats nets des APR ' toutes remises et ristournes incluses ' sont suffisamment faibles pour que la perte d’un point de pourcentage de remise au cours d’un exercice soit susceptible d’entraîner une exploitation déficitaire » (§902).Pour la période du New Deal 5 (d’avril 2011 à mars 2013) pour laquelle les données sont disponibles, elle constate que la part des cas observés, pour lesquels moins de 80 % du plafond théorique est atteint, apparaît effectivement nettement plus négligeable (entre 0 et 4 % des cas étudiés), toutefois, d’une part, plus de 40 % des cas observés correspondent à des remises fonctionnelles inférieures à 90 % du plafond théorique, d’autre part, une analyse détaillée des situations individuelles des différentes enseignes relativise cette comparaison, compte tenu des déclarations des APR qui témoignent d’une réelle incertitude quant au niveau des remises qu’ils escomptaient percevoir et reflètent les limites d’un raisonnement basé sur les remises perçues plutôt que sur l’incertitude existant quant aux conditions d’octroi des remises.

521.En outre, elle observe que le rapprochement constaté entre la remise fonctionnelle accordée et le plafond théorique à la suite de l’entrée en vigueur du New Deal 5 relève principalement de l’imposition par Apple de conditions plus défavorables que lors du New Deal 4 (diminution du montant de remise fonctionnelle maximale), cette réduction étant intervenue dans des proportions significatives (jusqu’à – 25 % dans le cas d’eBizcuss).

522.En tout état de cause, elle constate que la croissance de la remise fonctionnelle moyenne accordée aux APR mise en avant par Apple confirme le poids croissant des remises dans leur marge commerciale, et partant, l’impact de leur imprévisibilité sur la conduite d’activité. Elle ajoute qu’une dégradation du différentiel entre le prix de gros et le prix de détail a également été relevé par les APR.

523.Elle conteste par ailleurs le fait que les APR, qui avaient connaissance du niveau de remise pour une période de trois mois minimum, pouvaient ajuster leurs prix de vente à leurs prix d’achat, compte tenu des éléments relevés dans le cadre du grief n° 3 (absence de marge de man’uvre dans la fixation des prix de revente, pas de possibilité d’organiser des offres promotionnelles, contrainte des prix appliqués dans les canaux de distribution en propre…). Elle en déduit que dans ce contexte, les APR n’ont pas pu adapter à la baisse leur politique tarifaire, privant ainsi les consommateurs, notamment ceux attachés à la marque Apple et plus particulièrement aux canaux de distribution qui lui sont le plus rattachés, des bénéfices d’une plus forte concurrence sur les prix. Elle estime que le fait que les remises fonctionnelles soient garanties pour une période de trois mois minimum n’est pas suffisant pour considérer qu’un APR ne subissait aucune incertitude quant à la politique de remise d’Apple dès lors que les critères d’évaluation de la remise fonctionnelle comprennent notamment « tout autre critère qu’Apple se réserve la possibilité de fixer à un moment donné », de sorte les APR ne sont jamais à l’abri de l’introduction, à la seule discrétion d’Apple, d’un nouveau critère compromettant le bénéfice tiré de la remise perçue pendant les trois mois précédents (§ 900 et 904 de la décision attaquée).

524.Elle ajoute que l’incertitude résultant de la volatilité des prix, invoquée par Apple, ne concerne que certaines références, tandis que l’incertitude relevée par l’Autorité concernant les conditions d’octroi des remises couvre l’ensemble de l’activité des APR et n’est pas susceptible d’être atténuée par la différenciation des produits ou des canaux de distribution (pièce n° 6 de l’Autorité)

525.Le ministre chargé de l’économie partage l’analyse de l’Autorité et considère qu’il est difficile de soutenir, en l’espèce, que les revendeurs ont délibérément choisi de se placer en situation de dépendance économique à l’égard d’Apple, la vente des produits de la marque étant un incontournable dont ils ne pouvaient aisément se passer. Il estime qu’ils ont adhéré au programme APR pour ne pas dégrader leur conditions économiques ou espérer l’améliorer, faute d’autres alternatives. Il relève que l’ensemble des comportements et conditions relevés dans la décision attaquée fondent à suffisance un déséquilibre excédant ce qu’il est raisonnablement admis d’un partenaire commercial.

526.Le ministère public émet le même avis.

527.La société eBizcuss invite également la Cour à valider l’analyse tant juridique que factuelle de l’Autorité. Sur l’état de dépendance économique, elle précise que si les produits Apple ont toujours été considérés comme centraux dans son positionnement commercial, cette quasi exclusivité n’avait rien de volontaire et résulte directement des exigences contractuelles d’Apple. Elle indique que la part de ses achats en produits Apple n’a cessé d’augmenter à compter du programme APR, passant de 59 % en 2007 à 73 % en 2010. Elle rappelle les pressions du groupe Apple au moment de l’adhésion, concernant les conditions tarifaires avantageuses qu’elle pourrait perdre à défaut de souscrire au nouveau programme, et estime que ce programme lui a ainsi été imposé. Elle considère que tout changement de fournisseur aurait conduit à des pertes importantes de clientèle et de chiffres d’affaires compte tenu de la forte adhésion des consommateurs à la marque et aux produits Apple et du fait que l’adhésion imposée au programme APR l’avait enfermée dans l’écosystème Apple.

528.Sur l’abus, elle fait valoir un ensemble de discriminations dont elle s’estime victime, dans la politique de livraison notamment. Elle considère à cet égard que depuis 2010 le groupe Apple ne l’approvisionne plus de manière satisfaisante chaque fois qu’un produit subit une forte demande. Elle invoque, de ce fait, une décroissance de ses ventes à hauteur de – 60 % concernant l’iPad2, considérant qu’Apple a progressivement asséché l’approvisionnement d’un distributeur indépendant pour privilégier son réseau interne, vers lequel la clientèle de ce distributeur a été détournée.

Sur ce, la Cour,

529.Aux termes de l’article L.420-2, alinéa 2 du code de commerce :

« Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L.442-6 ou en accords de gamme. ».

530.L’abus de dépendance économique suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation (réelle ou potentielle) du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

L’existence d’une situation de dépendance économique

531.Concernant, en premier lieu, la situation de dépendance économique, celle-ci se définit comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (Com., 12 février 2013, pourvoi n° 12-13.603, Bull. n° 23 ; Com., 3 mars 2004, pourvoi n° 02-14529, Bull. n° 44).

532.L’existence d’un état de dépendance économique s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (Com., 12 octobre 1993 pourvois n° 91-16988 et 91-17090, Bull n° 337).

533.La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de la possibilité juridique mais aussi matérielle pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires (Com.,12 février 2013, précité). Il faut ainsi rechercher si l’entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, pourvoi n° 06-14.981).

534.En l’espèce, s’agissant du premier élément d’appréciation tenant à la notoriété de la marque Apple, celle-ci n’est pas utilement contestée.

535.En effet, il résulte du classement Best Global Brands d’Interbrand que la marque Apple n’a cessé de progresser sur toute la période visée par le grief n° 4 (2009-2013) pour s’être hissée au 1er rang dès 2012 et s’y être maintenue les années suivantes (graphique figurant au § 986 de la décision attaquée).

536.Par ailleurs, comme les développements consacrés au grief n° 2 l’ont déjà établi, les produits Apple sont difficiles à contourner pour des distributeurs de produits électroniques, compte tenu des caractéristiques de ces produits, de leur positionnement haut de gamme et d’une réputation technologique à l’origine d’une fidélisation importante de la clientèle.

537.S’agissant du deuxième élément relatif à la part des produits Apple dans le chiffre d’affaires des APR, l’Autorité s’est fondée sur plusieurs indices précis et concordants pour le déterminer :

' des preuves écrites, issues des dispositions contractuelles mentionnées aux § 997 à 1001 de la décision attaquée, qui imposent des limitations à l’exposition en magasins, la vente et la promotion de produits concurrents ; à titre d’exemple, l’article 11 de l’Appendix 1 du contrat APR prévoyant que « Les microprocesseurs Apple doivent représenter au moins 75 % de l’ensemble des processeurs vendus par l’intermédiaire du point de vente autorisé. En outre, le Revendeur ne doit pas exposer des processeurs de fabricants autres que Apple […] » (cote 134, selon la traduction libre figurant au § 1000 de la décision attaquée) ;

' un graphique réalisé en 2011 par l’association des APR établissant que 80 % de l’activité des APR concernait alors la vente de produits Apple (matériel ou logiciel) (cote 632, citée au § 1004 de la décision attaquée) ;

' la synthèse réalisée par les services d’instruction sur la base des réponses apportées par 22 APR interrogés au cours de l’instruction, dont il ressort qu’en moyenne, en 2012, la part de produits de marque Apple dans le chiffre d’affaires des revendeurs APR était de l’ordre de 78 % (cotes 731, 3068, 3103, 3115, 3136, 3250, 3273, 3557, 3587, 3597, 3694, 3719, 4114, 4137, 4194, 4557, 5143, 5536, 5910 et 13904 citées § 485 de la décision attaquée et notification des griefs, page 198, § 739) ;

' un tableau interne de suivi, réalisé par Apple, concernant sa part dans l’activité des APR en 2012, retenant même des proportions nettement supérieures, de l’ordre de 90 % (cotes 13264 à 13266 (VC) / 25522 à 25524 (VNC) citées §1006 de la décision attaquée).

538.Contrairement à ce que prétendent les sociétés Apple, l’évaluation de l’Autorité a bien été réalisée à l’échelle de l’entreprise (tous points de vente confondus) et non à l’échelle des seuls points de vente APR. La décision distingue d’ailleurs nettement ces deux aspects lorsqu’elle indique qu’en 2014, l’Autorité a dénombré 22 revendeurs bénéficiant du statut d’APR, totalisant 47 points de vente agréés (§79 de la décision attaquée).

539.Le tableau précité, établi en 2012, dans lequel le groupe Apple distinguait lui-même le « CA global » et le « CA APPLE » en vue de définir un pourcentage déterminant le « poids Apple » dans les comptes de ses APR (oscillant entre 47,26 % et 98,29 % selon les partenaires et conduisant à une moyenne de 90,36 %) conforte d’ailleurs le constat d’une part prépondérante à l’échelle de l’entreprise. Les APR y apparaissent en effet sous leur nom commercial, sans que la source du chiffre d’affaires Apple mentionné dans ce tableau soit restreinte aux seuls points de vente exploités sous le statut APR, étant observé que certains de ces revendeurs exploitaient également plusieurs points de vente non APR, comme DXM ou Acti Mac.

540.De la même manière, rien ne permet de retenir qu’en indiquant la part des ventes de produits Apple dans le chiffres d’affaires de chacun de leurs points de vente, conduisant à une moyenne de l’ordre de 78 %, les 22 APR interrogés auraient exclu celui des points de vente AAR et mentionné les seuls résultats des points de vente APR. Il ressort au contraire des termes de leurs réponses que les chiffres fournis ont été définis à l’échelle de l’entreprise, de nombreux APR ayant indiqué être dans l’incapacité de différencier la part des ventes par point de vente (comme le confirme le tableau de synthèse de leurs déclarations figurant dans les observations de l’Autorité au § 340).

541.Enfin, le grief d’abus de dépendance économique étant survenu à l’occasion de la mise en 'uvre des contrats APR, les sociétés Apple ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité d’avoir apprécié la part des produits Apple dans leur chiffre d’affaires en se référant aux stipulations contractuelles qui régissent leur courant d’affaires et leur imposent certains seuils.

542.La concordance de ces éléments ne fait naître aucun doute sur le caractère prépondérant de la part de marché des produits Apple dans le chiffre d’affaires de ces revendeurs spécialisés.

543.La Cour ajoute que les chiffres avancés dans les réponses des APR minorent le poids réel d’Apple dans leur activité dans la mesure où ils n’incluent ni les produits de l’environnement d’Apple (utilisés avec les produits Apple mais provenant d’un autre fabricant) ni les services en lien avec les produits Apple.

544.La seule circonstance qu’un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d’un seul fournisseur ne suffit toutefois pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l’article L.420-2 du code de commerce (Com., 03 mars 2004, n° 02-14.529, Bull n° 44). Il convient donc d’examiner les circonstances entourant l’émergence de cette situation, notamment les parts de marché d’Apple et le caractère délibéré de l’adhésion au programme APR mis en exergue par Apple.

545.Sur les parts de marché d’Apple, il doit être rappelé, comme l’a fait à juste titre la décision attaquée, que l’existence d’une position dominante n’est pas requise pour faire application de l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce. Le fait que l’Autorité n’ait, dans sa pratique antérieure, sanctionné sur ce fondement que des opérateurs en position dominante n’exclut pas qu’elle puisse en faire application à l’égard d’une entreprise disposant d’une puissance relative sur ses partenaires résultant d’un fort pouvoir de négociation tiré, notamment, de sa notoriété.

546.Dans le cadre juridique en cause, l’importance de la part de marché d’un fournisseur et sa notoriété sont des éléments pertinents en ce qu’ils constituent un indicateur de l’absence de solution de substitution pour les partenaires.

547.En l’espèce, l’Autorité a constaté que les parts de marché d’Apple étaient en 2013 de 16,3 % en volume et 24,7 % en valeur, tous produits confondus, tandis que celles de Samsung représentaient 27,2 % en volume et 24,7 % en valeur, plaçant Apple, avec Samsung, en position de leader du marché. Si Samsung constitue, prima facie, un fournisseur alternatif en termes de parts de marché, il doit être tenu compte du fait que ce fabricant n’a pas organisé de système de distribution spécialisée similaire à celui du groupe Apple et ne dispose pas d’une notoriété équivalente. Comme l’a relevé la décision attaquée, au paragraphe 1020, seul le groupe Apple exploitait un réseau de détaillants spécialisés en magasins physiques dédiés à sa marque propre sur tout le territoire national. Aucun fournisseur de taille comparable sur le marché national des produits électroniques ne détenait une marque ayant un portefeuille équivalent, une notoriété et une clientèle comparables et n’exploitait un réseau de détaillants spécialisés de dimension nationale.

548.Sur le caractère libre et délibéré de l’adhésion initiale au programme APR, mis en exergue par Apple, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une entreprise n’est pas en situation de dépendance lorsque l’importance du chiffre d’affaires réalisé avec un fournisseur est la conséquence d’un choix délibéré du revendeur de concentrer ou recentrer son activité avec un seul partenaire (Com., 10 décembre 1996, pourvoi n° 94-16.192, Bull. n° 310).

549.Il doit être relevé, tout d’abord, que le lancement du programme APR par Apple, annoncé par lettre du 19 mai 2006, a été rendu incontournable pour les Apple Center qui souhaitaient maintenir leur modèle économique (commerce de proximité spécialisé Apple, installé en centre ville, bénéficiant de certains avantages tarifaires et d’usage de licence de marque), compte tenu, d’une part, de l’arrêt du programme Apple Center fixé au 30 octobre 2006, d’autre part, de la spécialisation dans laquelle ils avaient déjà investi au plan humain et matériel et d’une clientèle attachée au fonds de commerce spécialisé en produits Apple.

550.À cet égard, la Cour rappelle, comme l’a justement fait l’Autorité, que la plupart des points de vente APR sont installés en centre-ville, où la demande généraliste est desservie par les grands retailers (comme la Fnac). L’étude économique produite par les sociétés Apple (pièce n° 54, actualisée par la pièce 54 bis) confirme cette situation et établit également qu’en janvier 2012, 97 % des magasins APR actifs faisaient face à au moins un retailer à moins de 15 minutes en voiture et 89 % d’entre eux avaient deux retailers dans cette même zone de chalandise. Dans ce contexte, la spécialisation (qui offre des avantages tarifaires et des éléments de différenciation) est une condition nécessaire pour faire face à la pression concurrentielle par les prix et assurer la pérennité d’un fonds de commerce de centre-ville. Ce contexte explique les raisons pour lesquelles les distributeurs implantés en centre ville ont à l’origine développé une activité d’Apple Center et exclut le fait que ces revendeurs étaient totalement libres de refuser l’adhésion au programme APR lorsqu’a pris fin le système Apple Center dans lequel ils avaient déjà beaucoup investi.

551.Il convient d’observer, ensuite, de manière plus générale, qu’il n’est ni établi ni même allégué que les clauses du contrat-type APR établi par le groupe Apple (mentionnées aux § 997 à 1001 de la décision attaquée) aient pu donner lieu à négociations avec les revendeurs, compte tenu de la puissance du groupe Apple, en particulier l’Appendix 1 du contrat APR qui détaille les critères d’éligibilité des points de vente au programme APR et son article 11 qui prévoit que « Les processeurs Apple doivent représenter au moins 75 % de l’ensemble des processeurs vendus par l’intermédiaire du point de vente autorisé. En outre, le Revendeur ne doit pas exposer des processeurs de fabricants autres que Apple ['] » (cote 134, selon la traduction libre de l’Autorité, § 487 de la décision attaquée).

552.Compte tenu de la notoriété et de la puissance d’Apple, de la pression concurrentielle s’exerçant sur les commerces de centre-ville, de la nécessité de se démarquer de la concurrence et de l’absence d’élément étayant l’existence de négociations possibles concernant les clauses précitées du contrat-type APR établi par Apple, il ne peut davantage être opposé à tous ceux ayant adhéré à ce programme après 2006 un libre choix de ne pas diversifier leurs sources d’approvisionnement et de chiffres d’affaires.

553.Il est à cet égard indifférent que certains aient indiqué avoir été motivés par des « perspectives attractives », cette circonstance ne remettant pas en cause les constats qui précèdent.

554.Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que les sociétés Apple ne sont pas fondées à soutenir que la part importante de chiffre d’affaires des APR avec Apple résulte du choix initial, délibéré, de ces revendeurs de privilégier l’une de leurs sources potentielles d’approvisionnement.

555.Sur le troisième élément tenant à l’absence de solutions alternatives pour les APR en cours de contrat, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une entreprise qui disposait de solutions de diversification qu’elle n’a pas souhaité poursuivre n’est pas en situation de dépendance (Com., 6 juin 2001, pourvoi n° 99-20.831, Bull. n° 112). La Cour précise que cette condition s’entend de l’impossibilité, pour un distributeur, de substituer à son fournisseur un ou plusieurs fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables et dans des délais raisonnables.

556.La Cour rappelle, en l’espèce, que le système de distribution de produits Apple sur le marché aval est ouvert, de sorte que le statut d’APR n’est pas nécessaire pour permettre à un revendeur d’inclure dans ses linéaires des produits Apple considérés comme « incontournables » du fait de la notoriété de la marque et des particularités de ces produits, déjà évoquées. Tout revendeur peut ainsi avoir une activité multi-marques, incluant des produits Apple, avec un agrément de base (AAR) ou sans aucun agrément (revendeur NAR), sans être soumis aux contraintes du programme APR.

557.Toutefois, la structure de la concurrence dans la zone de chalandise des lieux habituels d’implantation des point de vente APR (précisément décrite en pièces 54/54 bis d’Apple) suffit à établir que la perte du statut d’APR au profit d’un statut AAR ou NAR entraînerait automatiquement un transfert de la clientèle auprès d’un point de vente spécialisé Apple (Apple Store ou magasin indépendant) à l’égard de la clientèle attachée à l’offre de service propre à l’univers Apple ou vers le retailer le plus proche, susceptible de proposer les produits à des prix plus bas. En effet, le programme APR offre des avantages relatifs à l’usage de la marque, l’octroi de diverses remises (énumérées dans les « Channel Terms – Apple Premium Reseller») et des éléments de démarcation de la concurrence que ne présente pas le statut d’AAR. Les sociétés Apple ont également souligné que « les APR bénéficiaient de meilleures conditions de paiement vis-à-vis d’Apple et de leurs clients que les AAR (') » ce qui constitue également un élément leur permettant d’assumer les charges qui pèsent sur un commerce de centre ville et de faire face à la concurrence très vive notamment exercée par les retailers (§ 1036 de la décision attaquée, renvoyant au § 1004 des observations d’Apple en réponse au rapport).

558.Si les sociétés Apple estiment qu’il n’est pas démontré que le passage du statut APR au statut AAR s’accompagnerait d’une baisse de la marge nette, considérant qu’il a été observé des taux de marge similaires avant et après le changement de statut (pièce Apple n° 46, intitulée « Analyse économique des pratiques reprochées à Apple », § 319), force est de constater que ce même rapport économique (cité au §1039 de la décision attaquée) confirme néanmoins que selon « plusieurs indicateurs de retour sur les capitaux investis, les APR sont généralement plus rentables que les entreprises AAR », qu’il s’agisse du ratio CA net/taille de l’actif (rapport § 370), excédent brut d’exploitation/fonds propre (rapport § 372) ou résultat net d’exploitation /fonds propres (rapport § 374 et 376). Il a également été observé (rapport § 380) que, « dans l’ensemble, les entreprises principalement APR avaient un besoin en fonds de roulement inférieur, ce qui suggère que les APR bénéficiaient de meilleurs conditions de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs et de leurs clients ». Le statut d’AAR n’est donc pas une alternative économiquement comparable à celui d’APR.

559.Cette analyse est par ailleurs confirmée par les déclarations des APR eux- même, dont l’Autorité a pertinemment rendu compte au paragraphe 1018 de la décision attaquée (cote 3717 : « il serait inconcevable de passer la boutique en point de vente informatique multi marques. Il n’y a pas le marché pour cela en centre-ville »).

560.La Cour ajoute que le rapport économique annexé aux écritures des sociétés Apple en pièce n° 25, intitulé « Le devenir des points de vente après la perte du statut d’APR : une analyse détaillée » (actualisée en pièce 25 bis), ne remet pas en cause les constats qui précèdent et notamment ne permet pas d’établir qu’il était possible et aisé, entre novembre 2009 et avril 2013, pour une entreprise exploitant un point de vente en centre ville d’y exercer une activité généraliste ou, pour une entreprise bénéficiant d’un statut APR, de se reconvertir en revendeur généraliste, dans des conditions comparables et des délais raisonnables.

561.Tout d’abord, sur la période couverte par le grief n° 4, et selon les données fournies par les sociétés Apple (conclusions récapitulatives Apple, note de bas de page 67), les entreprises titulaires d’un agrément APR étaient très majoritairement des détaillants n’exploitant pas d’autre commerce qu’un point de vente spécialisé, seuls 34 % d’entre eux exploitant un ou plusieurs points de vente non APR en 2013. Ainsi, pour la majorité des APR concernés par les pratiques, l’activité de l’entreprise n’excédait pas le périmètre de son point de vente agréé APR. Compte tenu du modèle économique dominant des APR sur cette période et des ressources que l’ouverture de plusieurs points de vente différents requiert, il n’est donc pas pertinent de soutenir qu’une entreprise peut être pérenne hors du recours au statut d’APR de certains de ses points de vente.

562.Ce rapport, qui recense 20 situations, porte par ailleurs sur des changements de statut de points de vente devenus « des AAR ou des ASE » intervenus majoritairement après les pratiques litigieuses. Or, contrairement à ce que soutient le rapport actualisé (pièce n° 25 bis), il n’est pas pertinent d’apprécier l’existence ou l’absence d’une situation de dépendance économique des APR par référence à une période postérieure à celle visée par le grief. En effet, si les conditions contractuelles susceptibles d’avoir favorisé les comportements qualifiés d’abusifs n’ont pas été modifiées après 2013 rien ne permet d’établir que le contexte économique et concurrentiel est resté strictement identique.

563.S’agissant du seul point de vente « ayant perdu son statut APR » au cours de la période en cause (en l’espèce en 2011), sur les 15 mentionnés, force est de constater qu’il est uniquement précisé qu’il est resté géré par le même groupe, sous-entendant ainsi qu’il relève d’une structure très spécifique (multi-établissements), non aisément transposable, disposant de ressources importantes.

564.S’agissant des 5 cas restants, qui concernent des points de vente ayant déménagé vers une nouvelle adresse, 4 sont avec certitude en dehors de la période pertinente. Le 5ème cas met en présence des informations contradictoires : le tableau 2 figurant en page 3 (pièce Apple n° 25) mentionne ainsi que le déménagement du point de vente APR d’Andromac est intervenu en 2012, tandis qu’en page 8, l’analyse de cette situation fait apparaître que « le point de vente ANDROMAC du Cours Sextius à [Localité 19] est encore en activité sous le statut AAR après le transfert du statut APR à une nouvelle adresse dans le centre commercial « Plan-de-Campagne » à [Localité 24] en 2014 ». En admettant que le changement de statut du point de vente soit intervenu en 2012, ce que la Cour n’est pas en mesure d’établir compte tenu des contradictions précitées, force est de constater qu’il concerne ici encore une entreprise disposant de plusieurs établissements, qui au demeurant n’a pas renoncé à ses avantages APR mais a transféré le bénéfice de ce statut sur une nouvelle adresse. Il doit également être observé qu’aux termes du tableau établi par le groupe Apple (reproduit au § 485 de la décision attaquée) le poids de cette marque dans le chiffre d’affaires global de cet APR n’en atteignait pas moins 95,26 % sur l’exercice de la même année.

565.Ensuite, les exemples étudiés dans la pièce Apple n° 25 révèlent que la diversification constatée, hors période, s’est inscrite, dans la quasi totalité des cas, dans le cadre d’une stratégie d’acquisition d’autres revendeurs plus petits, par un groupe disposant déjà d’une pluralité d’établissements et de ressources importantes. Ils concernent également des entreprises d’une certaine envergure, ayant réalisé leur diversification via la création de filiales et sur d’autres secteurs que la distribution de produits électroniques grand public, s’appuyant sur une stratégie de reconversion modifiant sensiblement l’activité du point de vente, par exemple, en l’affectant à des services de formation et maintenance informatique, à un service technique de réparation et SAV ou encore des services de la téléphonie, l’hébergement et le cloud. Ces modèles économiques ne sauraient être considérés comme des solutions alternatives à l’exploitation d’un point de vente APR, n’étant pas techniquement et économiquement comparables. À cet égard, la Cour observe que si les déclarations de l’entreprise DXM, citées par les sociétés Apple (cote 3678), confirment, au point 17, qu'« Au cours de ces dernières années, nous avons développé en interne un logiciel d’affichage dynamique dans le but de diversifier notre offre de produit », cette entreprise a ensuite précisé « Cependant, nous sommes liés par un contrat de distribution de la marque Apple et nos marges de man’uvres sont étroites ».

566.La Cour ajoute qu’à l’exception de l’entreprise DXM, tous les APR mentionnés comme étant parvenus à diversifier leur activité (conclusions récapitulatives Apple § 821) réalisaient une part prépondérante de leur chiffre d’affaires avec les produits Apple, celle-ci se situant entre 84,47 % et 98,29 %, selon les estimations figurant dans le tableau établi par Apple (reproduit § 485 de la décision attaquée). Quand au « poids d’Apple » à l’égard de l’entreprise DXM, qui y était évalué à 46,24 % de son chiffre d’affaires global, force est de constater, comme l’a fait la décision attaquée au § 1007 (au regard de la cote 3 677), que cette évaluation vient en contradiction avec les réponses apportées par cette dernière au questionnaire des rapporteurs, dont il ressort qu’elle avait réalisé 81 % de ses ventes en produits Apple en 2011, 80 % en 2009 et 83 % en 2010. Cet ordre de pourcentage est lui-même cohérent avec le tableau versé aux débats par les sociétés Apple qui révèle que cette entreprise exploitait majoritairement des points de vente APR (4 points de vente APR et 2 points de vente ASE).

567.S’agissant de la situation de la société eBizcuss, les sociétés Apple ne sont pas fondées à se prévaloir de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 29 septembre 2021, pourvois n° 20-14946 et autres, pour alléguer une possibilité de diversification d’activités et une absence de dépendance économique. Cet arrêt a en effet validé l’analyse de la cour d’appel qui s’était bornée à apprécier, pour la rejeter, la qualité de co-employeurs des sociétés Apple France, Apple sales international et Apple distribution international à l’égard des salariés de la société eBizcuss. Il ne peut donc être déduit de motifs se bornant à constater que cette société ne dépendait pas entièrement du groupe Apple, en ce qu’elle avait développé une activité autre que celle de revendeur des produits de cette marque, disposait d’une clientèle propre et d’une autonomie de gestion, que cet APR était dans une situation lui permettant de limiter la part prépondérante des ventes de produits Apple dans son chiffre d’affaires global et disposait d’une solution alternative, techniquement et économiquement comparable, à la distribution sous le statut APR.

568.Quant à la reconversion dans la distribution spécialisée d’une marque concurrente, elle est d’abord entravée par les clauses contractuelles limitant les possibilités de présentation et de vente de produits concurrents sur le point de vente, lesquelles ont à cet égard des effets proches d’une clause d’exclusivité.

569.À titre d’exemples :

' l’article 4.3, alinéa 3, de l'« Apple Premium Reseller Program Addendum » : « Le revendeur ne peut installer d’appareils tiers ni d’appareils autres que ceux décrits dans le kit de conception dans la salle de démonstration réservée au client, sans l’accord préalable de Apple » (selon la traduction libre de l’Autorité, § 997 de la décision attaquée) ;

' l’article 11 de l’Appendix 1 du contrat APR détaille : « Les processeurs Apple doivent représenter au moins 75 % de l’ensemble des processeurs vendus par l’intermédiaire du point de vente autorisé. En outre, le Revendeur ne doit pas exposer des processeurs de fabricants autres que Apple ['] » (cote 134, selon la traduction libre de l’Autorité, § 487 de la décision attaquée) ;

' l’article 3.4 de l'« European Premium Reseller Agreement » : « [']Le revendeur reconnaît et accepte de ne pas installer de logo de tierce partie à l’intérieur du magasin ou dans la [devanture][fascia] sans l’accord préalable d’Apple » (cotes 130 (VC) / 39874 (VNC) selon la traduction libre de l’Autorité, § 488 de la décision attaquée).

570.Cette situation a été renforcée avec l’insertion d’une clause de non concurrence dans les versions du contrat APR postérieures à janvier 2013 :

' article 6.1 : « le revendeur ne doit pas, pendant la durée du présent addendum, conclure un accord avec un fournisseur de produits concurrents des produits autorisés (Apple), afin d’exploiter un point de vente au détail dans tout pays du territoire (Europe), dans lequel le revendeur exerce son activité de vente au détail, par le biais duquel il vendra exclusivement des produits concurrents avec les produits autorisés (…) » ;

' article 6.2 : « Afin de protéger le savoir faire significatif d’Apple transféré durant la mise en 'uvre de cet addendum, le reseller ne devra pas, durant une période de 6 mois suivant l’expiration ou la rupture de cet addendum, entrer dans un accord avec tout autre fournisseur de produits concurrents des Produits Autorisés, avec comme objectif de gérer un point de vente dans tout pays du Territoire dans lequel le reseller opère une activité économique, et au travers duquel il vendra exclusivement des produits concurrents des Produits Autorisés (') »).

571.Si ce dernier élément juridique a une portée limitée, comme le relèvent à juste titre les sociétés Apple (le grief couvrant la période 2009-avril 2013, tandis que la clause n’est applicable qu’à compter de janvier 2013), cette circonstance ne remet pas en cause l’analyse de l’Autorité, dont il ressort que les obstacles à la reconversion sont, en tout état de cause, essentiellement d’un autre ordre.

572.Tout d’abord, aucune solution alternative effective, susceptible d’être mise en 'uvre dans un délai raisonnable, ne pouvait être trouvée auprès d’un autre fournisseur dans des conditions techniques et économiques comparables, le groupe Apple étant le seul à exploiter un réseau de détaillants spécialisés en magasins physiques dédiés à sa marque propre sur tout le territoire national. La sortie du réseau d’Apple aurait également signifié la perte d’une clientèle attachée au fonds de commerce, fidèle à la marque.

573.Ensuite, il est établi par les photographies, chartes graphiques et dispositions contractuelles dédiées, que l’aménagement des magasins aux normes Apple présente une spécificité telle que les meubles sont inutilisables pour distribuer des produits d’autres marques et peuvent, le cas échéant, exposer le revendeur à des poursuites s’il contrevient aux licences nécessaires pour exploiter logos et marques y apparaissant. La spécificité de la formation du personnel dans les produits Apple rend également plus difficile leur reconversion dans la vente d’une marque concurrente dans des délais raisonnables. Ces spécificités qui engendrent des adaptations importantes (prospection d’une nouvelle clientèle, communication sur les nouveaux services et produits, recrutement ou nouvelle formation des équipes, réaménagement des espaces de vente et changement du mobilier) impliquent de grandes perturbations dans le fonctionnement de l’entreprise, un financement supplémentaire et du temps, excluant encore la mise en 'uvre d’une telle solution dans un délai raisonnable. Il est à cet égard indifférent qu’une partie des coûts de formation ou d’aménagement initiaux ait pu être prise en charge par le groupe Apple puisque le réaménagement du point de vente et de nouvelles formations du personnel s’avèrent bien nécessaire dans l’hypothèse envisagée.

574.L’ensemble de ces éléments confirme ainsi l’état de dépendance économique des APR à l’égard d’Apple, justement retenu par la décision attaquée.

L’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique

575.Concernant, en second lieu, l’exploitation abusive de cette situation de dépendance économique, il doit, tout d’abord, être rappelé que l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce n’énonce aucune liste exhaustive d’abus entrant dans le champ de cette infraction, mais en fournit en revanche quelques exemples. Il précise ainsi que « Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L.442-6 ou en accords de gamme ».

576.Le I de l’article L.442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable du 29 juillet 2010 au 19 mars 2014, prévoyait notamment qu':

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ».

577.Cette infraction est désormais codifiée à l’article L.442-1 du code de commerce depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

578.Il est donc inexact d’affirmer, comme le font les sociétés Apple, que le champ d’application de l’article L.420-2 du code de commerce ne peut inclure les pratiques restrictives de l’article L.442-1 du même code, et plus précisément celle relative à un déséquilibre significatif, dès lors que la pratique litigieuse est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence.

579.Par ailleurs, la décision attaquée a identifié un ensemble de règles et comportements mis en 'uvre par le groupe Apple qui, pris ensemble, constituent, selon elle, un abus, en restreignant de manière anormale et excessive la liberté commerciale des APR. L’Autorité n’a donc pas cherché à caractériser un déséquilibre significatif, au sens de l’article L.442-1, I, 2° du code de commerce, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Apple.

580.La critique manque ainsi en droit, comme en fait.

581.La Cour relève, ensuite, que l’état de dépendance précédemment décrit crée une domination relative à l’égard du partenaire commercial que l’entreprise tient sous sa dépendance économique, dès lors que cette dernière détient un pouvoir lui permettant d’imposer des conditions de transaction qu’elle n’aurait pas obtenues dans d’autres circonstances. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu qu’une telle entreprise a une responsabilité particulière à l’égard de son partenaire, de la même manière qu’une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière sur le marché pour des motifs similaires. C’est donc en vain que les sociétés Apple reprochent à l’Autorité d’avoir, sans aucune justification, suivi à leur égard le même raisonnement que celui appliqué à une entreprise en position dominante.

582.Si l’existence d’une domination relative ne saurait priver le fournisseur se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont compromis, encore faut-il établir l’existence de justifications objectives.

583.À cet égard, la Cour s’attachera, dans les développements qui suivent, à apprécier le caractère anormal ou excessif des règles et comportements en cause, après les avoir replacés dans leur contexte.

584.S’agissant des circonstances économiques et juridiques entourant les comportements reprochés, il doit être rappelé, comme l’a fait à juste titre la décision attaquée aux paragraphes 1053 et suivants, que le groupe Apple a mis en place un système de distribution ouvert, n’ayant opté ni pour un système de distribution sélective ou exclusive, ni pour un système de franchise. Toutefois, le système ainsi mis en place emprunte, en partie, les caractéristiques de chacun de ces systèmes sur le plan des obligations, sans toujours en présenter les avantages.

585.Les distributeurs AAR, titulaires d’un agrément supplémentaire leur accordant le statut APR, sont ainsi choisis selon des critères de sélection qui les apparentent aux distributeurs agréés d’un réseau de distribution sélective, sans toutefois être protégés de la vente hors réseau, puisqu’en théorie, tout distributeur peut vendre les produits Apple.

586.Ils sont par ailleurs astreints à des obligations importantes en contrepartie de la mise à disposition de la marque (investissements relatifs à l’agencement des points de vente, formation du personnel, respect des lignes directrices établies par Apple pour l’utilisation des logotypes et marques (§ 367 et suivants de la décision attaquée), contrôle et autorisation préalable pour l’implantation de nouvelles surfaces de vente sous statut APR, volume de vente de produits Apple minimal de 75 % de leur approvisionnement selon les modalités prévues aux stipulations contractuelles (§ 996 à 1000 de la décision attaquée), mais ne profitent d’aucune exclusivité sur leur zone de chalandise, sur laquelle le groupe Apple peut notamment décider d’installer un Apple Store.

587.C’est dans ce contexte que doivent s’apprécier les différents comportements que l’Autorité a considéré comme traduisant, dans leur ensemble, un abus de la dépendance économique des APR.

588.S’agissant du premier élément contesté tenant aux difficultés d’approvisionnement et à la politique discriminatoire menée dans ce domaine, il doit tout d’abord être rappelé le cadre contractuel dans lequel s’inscrit la pratique litigieuse (ci-après reproduit dans sa traduction libre), comme l’a fait la décision attaquée (§ 1062 et suivants).

589.L’ « Apple Autorized Reseller Agreement » stipule ainsi, notamment, selon la traduction libre (non contestée) figurant au dossier :

' article 4.2, que « le revendeur ne bénéficiera des avantages d’Apple que pour la catégorie de produits Apple pour laquelle il a reçu l’autorisation d’Apple. Apple peut, à sa seule discrétion, autoriser le Revendeur en ce qui concerne une catégorie de produits Apple supplémentaire, en délivrant une autorisation de produit Apple supplémentaire. En vendant cette catégorie de produits Apple, le revendeur accepte toutes les obligations relatives à cette catégorie de produits » ;

' article 5.3, qu’ « Apple se réserve le droit de supprimer ou d’ajouter des produits aux listes de prix revendeurs Apple, de restreindre ou de limiter les produits à la commande et de modifier les conditions générales et l’étendue de l’autorisation du revendeur à tout moment et sans préavis. Apple aura le droit de restreindre l’accès du revendeur aux produits Apple jusqu’à ce qu’il détermine qu’il se conforme à toutes les modifications apportées aux conditions générales » ;

' article 5.4, qu'« Apple peut attribuer des produits à sa seule discrétion et sans engager sa responsabilité envers le revendeur. Le revendeur reconnaît qu’Apple peut choisir d’attribuer des produits à ou entre ses propres boutiques de vente au détail et sur le Web, ses clients directs, ses clients du secteur de la formation, ses territoires de vente, d’autres revendeurs ou d’autres canaux de vente, avant le revendeur, et que l’exécution par Apple des commandes de revendeurs peut être retardée » ;

' article 8.3, que « Toute commande passée auprès d’Apple est soumise à l’acceptation d’Apple. Apple peut refuser toute commande, en tout ou en partie, pour quelque raison que ce soit. La prise et la confirmation des commandes ne constituent en aucun cas une acceptation automatique de telles commandes par Apple. Apple peut annuler toute commande acceptée avant l’expédition » ;

' article 8.5 « Apple peut effectuer des expéditions partielles des commandes du Revendeur sans engager sa responsabilité en cas de non-livraison de commandes complètes ou de retard dans l’expédition. Le revendeur sera facturé séparément pour chaque envoi partiel et paiera chaque facture à l’échéance, sans égard aux livraisons ultérieures ». (soulignements ajoutés par la Cour).

590.Les revendeurs adhérents au dispositif du fast ship program, mis en 'uvre par Apple pour le lancement de nouveaux produits, transmettent par ailleurs chaque trimestre, un bon de commande « en blanc » à Apple et restent dans l’ignorance des produits concernés jusqu’à la veille de leur lancement, ainsi que des quantités qui leur seront livrées.

591.Il est exact que le cadre contractuel rappelé ci-dessus, qui privait les revendeurs de toute visibilité sur leur approvisionnement et conférait à Apple une liberté totale dans la gestion des stocks, correspond au contrat de base signé par l’ensemble des revendeurs Apple, quelque soit leur statut (Reseller, Retailers…) et n’a pas été spécifiquement réservé aux APR. Néanmoins, conjugué aux obligations inhérentes à leur statut qui limite les conditions de commercialisation d’autres produits (déjà évoquées au § 49 du présent arrêt), il a indéniablement favorisé le comportement reproché à Apple à l’égard des APR.

592.Par ailleurs si, en théorie, le principe de fair share appliqué aux allocations de premier niveau a vocation, selon la présentation qui en est faite par Apple, à répartir équitablement les produits entre les grossistes (d’une part) et les différents partenaires directs (d’autre part) et si Apple n’est pas censé intervenir dans le traitement des commandes passées auprès de ses grossistes par les APR indirects comme directs, il n’en demeure pas moins, concrètement, que de nombreux éléments font état de difficultés d’approvisionnement et de différences de traitement entre les différents canaux d’approvisionnement. Celles-ci ont été provoquées, de manière directe ou indirecte, par la politique d’allocation d’Apple, mise en 'uvre par l’intermédiaire des grossistes, notamment en faveur du réseau propre d’Apple et au détriment des APR dans leur ensemble. Nombre d’entre eux ont ainsi décrit la situation dans laquelle ils se sont trouvés, privés de stocks, sans pouvoir répondre aux commandes qui leur étaient faites, contrairement au réseau propre d’Apple.

593.Par exemple, le courriel d’un APR, en date du 12 janvier 2012, relatif à une commande passée en octobre 2011 :

« Nous sommes tout de même le 12 Janvier 2012, nous passons pour des 'Charlots’ auprès de nos clients. De plus, l’Apple Store d’Odyseum étant à 4 Km de chez nous, eux ayant les produits sur stock, ce n’est pas normal de ne pas être livré au même rythme qu’eux » (cité § 522 de la décision attaquée).

594.De même que le courriel d’un APR du 21 mars 2012, adressé à Apple France :

« […] 60 clients en attente de produits à samedi soir. Aujourd’hui réception de 45 iPads ; nous appelons donc nos clients. Bilan des appels : 45 sont allés l’acheter à l’Apple Store de Parly 2, quasiment tous sont des clients historiques d’I.. Il va s’en dire que malgré tous nos efforts de fidélisation nous ne pouvons lutter à armes égales avec un concurrent privilégié. Nous sommes dépités » (cité §523 de la décision attaquée).

595.Également, celui adressé le 8 août 2012 à Apple France :

« Messieurs, Dans la continuité des problèmes d’équité des canaux de distribution…. aucune nouvelle de l’adaptateur Apple […], bref tous nos grossistes n’en n’ont jamais vu la couleur, ni même référencé ! Par contre je me suis amusé à en commander un sur l’AppleStore en ligne, reçu en 48 heures ce matin. L’Apple Store de [Localité 30] en est gavé aussi ! ».

596.Cette situation a été parfaitement établie par la décision attaquée, aux § 512 à 526, comme l’ont déjà relevé les développements de la Cour qui précèdent relatifs au grief n° 2, ainsi qu’aux § 1070 à 1090 de la décision attaquée.

597.À titre d’illustration, la Cour renvoie encore aux nombreuses pièces figurant au dossier (notamment les déclarations d’APR synthétisées sous forme de tableau au § 412 des observations de l’Autorité, qui étaient reproduites aux § 257, 507, 514 à 518, 521 et 523 de la décision attaquée) et en particulier au courriel du 2 novembre 2012 (cité au § 521 de la décision attaquée), adressé à Apple France par un APR, qui dresse un état des difficultés rencontrées, notamment l’impossibilité de réaliser des précommandes pour les produits en lancement (alors qu’Apple utilisait ses fichiers clients pour proposer à ces derniers des précommandes en ligne sur le site internet d’Apple) et l’insuffisance d’approvisionnement (tandis que d’autres canaux de distribution étaient correctement fournis) :

« Pour faire suite à votre visite de la semaine dernière, je tenais à vous faire part de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Nous avons reçu à ce jour : 5 iPads mini à [Localité 25], 5 iPads mini à [Localité 37], 0 au [Localité 26]. On nous interdit de faire des pré-commandes alors que nos clients (nous y compris) sont abreuvés de mails de la part d’Apple pour pré-commander en ligne! (…) Nous n’avons pas d’iPods à vendre Nous n’avons pas d’iMacs à vendre Je vous fais grâce du couplet sur l’iPhone… Expliquez-moi comment nous allons générer la marge qui nous permettra de payer nos salariés dans un premier temps et d’investir dans les nouveaux points de vente. Expliquez-moi comment, après tous les efforts que nous demandons à nos équipes, toute la pression que nous leur mettons pour atteindre l’excellence exigée par Apple, nous pouvons les motiver et les maintenir au sein de l’entreprise lorsqu’ils constatent qu’en tant qu’APR nous n’avons même pas le privilège d’avoir des produits à vendre au moment de leur sortie, qu’ils ne boucleront pas leur mois parce que nous n’avons pas de produits alors que les autres canaux de distribution sont correctement achalandés ' (Auchan, Carrefour, Boulanger, Darty…) ['] » (soulignement ajouté par la Cour).

598.Par ailleurs, il a déjà été indiqué à l’occasion de l’examen du grief n° 2 le lien existant entre les discriminations mises en 'uvre au détriment des APR et la politique d’approvisionnement d’Apple, situation dont le groupe était parfaitement conscient, comme le révèlent notamment :

' un échange de courriels en interne au sein d’Apple, en date du 29 novembre 2011 :

« La période d’attente pour que soient expédiés les produits du carnet de commandes conduit à une sorte de discrimination entre les prosumers et les canaux en direct d’Apple (magasins de détail d’Apple et magasin en ligne d’Apple). La situation est critique, en termes de conséquences juridiques possibles pour Apple. En outre, cette situation devient de plus en plus délicate et au fur et à mesure qu’Apple ouvre de nouveaux magasins Apple Retail. Action : remontez cela à [A] pour qu’Apple Worldwide tienne compte de cela, afin de pouvoir éventuellement revoir leur stratégie d’approvisionnement » (cotes 30886 et 30887, selon traduction libre figurant au § 255 de la décision attaquée) ;

' le courriel du 11 juin 2013 précité, adressé à Ingram Micro, par lequel Apple France lui indique :

« […] Je vous demande donc une fois de plus de garder un minimum de confidentialité (ex de ce jour : pas la peine de dire à un APR qu’il y a plein de nouveaux MBA mais 'réservé pour le retail !!!) ['] » (cote 11440, citée § 322 de la décision attaquée) ;

' un courriel interne, faisant suite au courriel de l’APR du 21 mars 2012, précité, démontrant la capacité d’Apple à résoudre les difficultés :

« I. a le moral dans les chaussettes… Nous devrions pour les prochains fast ship considérer les APR à proximité des ARS afin d’augmenter l’alloc de base. […] » (cote 27048, citée § 523 de la décision attaquée).

599.Il ressort des nombreux éléments cités par la décision attaquée que cette différence de traitement a concerné de nombreux domaines, affectant :

' l’attribution de produits et l’approvisionnement (en ce sens, notamment, les courriels internes d’Apple précités et les cotes citées aux § 507, 514 à 524 de la décision attaquée) ;

' la capacité des APR à procéder à des précommandes (en ce sens notamment la cote 613 citée au § 252) ou à le faire de manière analogue à celle de l’AOS (comme l’illustre la cote 5097 citée au § 521 de la décision attaquée) ;

' ainsi que la mise en 'uvre des fast ship programs par suite d’une dissymétrie d’informations concernant le lancement de nouveaux produits (modèles, quantités, prix), en ce sens notamment la cote 613 citée au § 252 de la décision attaquée.

600.Ces comportements ont constitué, pour les APR, un désavantage dans la concurrence par rapport aux Apple Stores présentés comme des distributeurs spécialisés directement concurrents. Comme l’a justement relevé la décision attaquée (§ 1085), le niveau d’activité et la viabilité économique des revendeurs APR, au regard des fortes contraintes et limites pesant sur la vente de produits concurrents, dépendaient des volumes de ventes réalisés en aval, à partir de leur approvisionnement, en amont, en produits Apple, de sorte leur activité a été affectée par les difficultés d’approvisionnement qu’ils ont rencontrées auprès d’Apple ou de ses grossistes agréés.

601.Compte tenu de la dépendance économique des APR et des contraintes auxquelles ils sont soumis à raison de leur statut, de tels comportements sont constitutifs d’un abus au sens de l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce.

602.Les sociétés Apple ne sont pas fondées à contester la force probante des déclarations d’APR ayant servi à caractériser cet abus, celles-ci provenant de plusieurs sources différences et étant concordantes avec les différents courriels échangés au cours de la période de référence. Force est de constater qu’elles concordent également avec la teneur des courriels échangés en interne au sein d’Apple. Elles sont ainsi crédibles.

603.Le fait qu’un retailer et la directrice d’un ARS aient déclaré avoir eux-même été confrontés à des ruptures d’approvisionnement lors du lancement de certains produits est, par ailleurs, insuffisant pour remettre en cause les éléments, convergents, qui établissent la récurrence des différences de traitement survenues au détriment des APR.

604.L’ensemble de ces éléments établit que les difficultés rencontrées par les APR, dont la décision attaquée fait état, étaient essentiellement inhérentes à la stratégie d’approvisionnement définie par Apple. Elles ne peuvent pas être justifiées par des situations de rupture de stocks compte tenu des éléments ayant établi la récurrence des épisodes au cours desquels les produits étaient disponibles dans les Apple Stores, sur l’AOS et chez les retailers, mais indisponibles pour les APR. Comme l’a souligné un APR direct dans la réponse apportée au questionnaire des services d’instruction « Autrement dit Apple organise une certaine pénurie sans pour autant pénaliser ses réseaux de distribution propres ». (cote 4569, questionnaire évoqué § 1080 de la décision attaquée).

605.Les sociétés Apple ne peuvent davantage imputer les difficultés d’approvisionnement rencontrées par les APR au modèle de gestion de leur stocks et de leur trésorerie. Les éléments relevés dans la décision attaquée démontrent en effet, sans ambiguïté, que les situations litigieuses concernent des cas dans lesquels les APR avaient passé des commandes ou étaient désireux de le faire, sans parvenir à obtenir les produits dans des délais utiles alors que leurs concurrents y parvenaient.

606.Aucun autre motif, pris de l’insolvabilité du distributeur ou du caractère anormal des commandes n’est par ailleurs établi, ni même allégué.

607.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Apple il n’est donc pas établi que les difficultés d’approvisionnement avaient une justification objective.

608.Par ailleurs, les consignes données par Apple aux grossistes dans plusieurs courriels (« les directs continueront à être livrés par Apple donc ' privilégiez les indirects » (cote 26873,). « on ne change toujours pas la règle les APR indirects d’abord !!!!! ensuite les directs » (cote 11368) ; « Attention à bien suivre la priorité APR » (cotes 11416 et 11417)) demandaient principalement à ces derniers de ne plus démarcher ni répondre aux sollicitations des APR (directs) réalisant les volumes d’affaires les plus importants, conduisant à réserver, de facto, la faculté de les approvisionner à Apple et à instaurer ainsi une différence de traitement entre les différents APR (directs et indirects). Elles sont en conséquence impropres à remettre en cause l’existence des discriminations en cause, intervenues au préjudice des APR, dans leur ensemble, notamment au bénéfice du canal de vente en propre d’Apple (AOS/ARS).

609.Les études en production relatives à l’analyse économique des pratiques reprochées et aux délais d’approvisionnement des APR (pièces Apple n° 46, 45 bis et 45 ter) ne remettent pas davantage en cause le constat qui précède. En effet, la pièce Apple n° 45 ter, actualisant les études précédentes, précise elle-même que « Le réseau de distribution en propre d’Apple et les revendeurs tiers n’étant pas approvisionnés par le même canal chez Apple, il n’est en revanche pas possible d’étendre cette analyse à une comparaison entre les APR et le réseau en propre d’Apple ».

610.Ces études n’offrent ainsi aucune comparaison entre le traitement des APR et celui du réseau propre : ni sur la question du taux de satisfaction des demandes d’approvisionnement lors des périodes de lancement de nouveaux produits, ni sur celle des délais appliqués pour satisfaire leurs commandes respectives.

611.Au surplus, aucune d’elles ne couvre l’intégralité de la période visée par le grief n° 4, qui s’écoule de novembre 2009 à avril 2013. La pièce n° 46, § 394 et suivants, analyse en effet une base de données Apple couvrant la période de septembre 2011 à mars 2013 et la pièce 45 bis examine les délais observés au cours du mois de mars 2012.

612.Outre l’insuffisance du périmètre temporel, ces études sont également incomplètes pour justifier de la situation des APR dans leur ensemble par rapport aux autres canaux de distribution, en ce que la pièce n°46 examine les délais de livraison (calculés par rapport à la date de livraison souhaitée et non la date de commande), tels qu’ils ont été observés pour les seuls APR directs dont la commande a été passée auprès d’Apple et ne renseigne pas la situation de l’ensemble des APR (les APR directs ayant eu recours à un grossiste et les APR indirects en sont exclus), de même que la pièce n° 45 ter limite l’examen des conditions de livraison des APR directs aux commandes passées auprès d’Apple (sans analyse de la situation des APR directs qui ont eu recours à un grossiste) et celui des APR indirects est limité aux commandes passées auprès d’Ingram Micro (sans préciser les délais appliqués aux APR indirects pour les commandes passées auprès de Tech Data). Or, la Cour observe, d’abord, que les APR directs ne sont pas exclusivement approvisionnés par Apple, ensuite, qu’Apple intervient dans le processus de commande et de livraison de ses grossistes, enfin, que la satisfaction des APR directs par les grossistes a évolué à la hausse sur la période du grief, comme le confirment les réponses apportées par un APR aux services d’instruction dans le questionnaire évoqué au § 1080 de la décision attaquée (« Nous sommes revendeurs directs Apple. Nous sommes de plus en plus souvent amenés et incités par Apple à commander chez les grossistes. (…) », extrait de la réponse à la question 38, cote 4567) et l’annexe 2 intitulée « part des achats réalisée par les membres directs du réseau auprès d’IM et TD » (chiffres couverts par le secret des affaires), fournie par Apple aux services d’instruction qui confirme, globalement, une progression à la hausse entre 2009 et 2013 (cote 14945, en annexe 363 de la procédure).

613.Ces éléments sont en conséquence impropres à remettre en cause le faisceau d’indices convergents sur lequel s’est appuyée la décision attaquée pour établir l’existence de retards ou refus d’approvisionnement discriminatoires, mis en 'uvre par Apple entre les APR et d’autres canaux de distribution, en particulier le réseau propre d’Apple, conduisant à des restrictions d’approvisionnement. Ce comportement est d’autant plus grave pour les APR que leur situation à l’égard du fabricant rendait nécessaire un approvisionnement régulier pour leur permettre d’exercer leur activité de distribution, sauf à démontrer l’impossibilité matérielle de le faire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ce comportement abusif a constitué pour les APR un désavantage dans la concurrence, comme l’ont confirmé plusieurs d’entre eux :

' réponse d’un APR direct (Acti Mac) à la question 41 du questionnaire des services d’instruction : « Étant régulièrement alimentés de manière minimaliste, nous ne pouvons nous engager à livrer nos clients qui de guerre lasse finissent par ne même plus nous solliciter en commandant soit sur le Store, soit en allant dans l’ARS le plus proche ». (extrait cité § 1080 de la décision attaquée, cote 4568) ;

' § 153 du procès-verbal d’audition d’eBizcuss : « Nous disposons d’une base de clients d’EBIZCUSS, les clients donnant leur email. Nous avons conduit un sondage auprès de cette base client. (…) Il ressort de ce sondage que la moitié des clients d’EBIZCUSS interrogés auraient été perdus par EBIZCUSS du fait de l’absence de stock pour les produits qu’ils recherchaient. Nous vous communiquerons les résultats de ce sondage ». (cité § 1080 de la décision attaquée, cote 426).

614.S’agissant du second élément contesté tenant aux conditions commerciales et au défaut de visibilité qu’elles offrent aux APR, la Cour renvoie, en premier lieu, aux caractéristiques des relations commerciales établies entre Apple et ses APR qui révèlent la succession, depuis 2005, de quatre versions différentes, sur une période de 8 ans :

' le « New Deal 3 » d’avril 2005 à juin 2008 ;

' le « New Deal 4 » de juillet 2008 à mars 2011 ;

' le « New Deal 5 » d’avril 2011 à mars 2013 ; et

' le « New Deal 6 », entré en vigueur à compter d’avril 2013 (qui n’a été remplacé qu’en août 2017 par le « New Deal 7 » ainsi que le précisent les sociétés Apple dans leur mémoire).

615.Comme la Cour l’a déjà relevé, la fréquence de ces modifications sur la période couverte par le grief n° 4 (novembre 2009 à avril 2013), en moyenne tous les deux ans, est inférieure à la plupart de celle gouvernant les relations commerciales nouées entre un fournisseur et un distributeur, usuellement révisées une fois par an.

616.Par ailleurs, s’il ressort des paragraphes 471 et suivants du présent arrêt que l’article 5 du contrat APR (dans sa version 2009), reproduit au § 444 de la décision attaquée, permet, potentiellement, à Apple d’apporter « à tout moment et à son entière discrétion » des modifications aux stipulations du contrat, « avec un préavis écrit de trente (30) jours » (cote 130 (VC) / 39874 (VNC), aucun élément du dossier n’établit qu’Apple a usé au cours de cette période de cette faculté. Il doit donc être tenu pour constant que les conditions contractuelles ont été modifiées en suivant la fréquence des New Deal précitée et que les relations commerciales établies entre Apple et ses APR n’ont pas été marquées par une fréquence dans les modifications telle qu’elle pouvait être de nature à créer chez ces derniers un sentiment d’instabilité et d’imprévisibilité.

617.Par suite, l’Autorité, sur laquelle pèse la charge d’établir l’abus qu’elle allègue, ne démontre pas, en l’espèce, qu’une telle fréquence serait excessive, ni en quoi elle induirait une absence de visibilité sur les remises et ristournes, dans le contexte de relations commerciales stables qui pouvaient raisonnablement permettre aux APR d’escompter le maintien d’un certain niveau de remises selon leur statut et les services déployés.

618.L’instabilité des conditions contractuelles et le défaut de visibilité en résultant, d’ordre purement théorique, ne correspond donc pas à la situation concrète des APR au cours de la période précitée.

619.Il convient, en deuxième lieu, d’examiner les conditions dans lesquelles étaient octroyées ces remises ou ristournes afin de déterminer si, comme l’estime l’Autorité, elles plaçaient abusivement les APR dans une situation d’insécurité en raison du caractère incertain du taux de remise susceptible de leur être alloué.

620.Dans le cadre de l’approche in abstracto privilégiée par la décision attaquée, la Cour relève, comme elle l’a fait à l’occasion de l’examen du grief n° 3, qu’une large marge d’appréciation d’Apple ressortait du libellé des dispositions contractuelles qui conditionnaient les différentes remises et ristournes. Toutefois seules deux remises, définies par trimestre, étaient à sa discrétion (la remise développement marketing d’un montant maximum de 0,8 % et la remise performance qui pouvait atteindre 2 %).

621.La remise la plus élevée (qui pouvait atteindre jusqu’à 13 % selon le statut et les services proposés), correspondant à la remise fonctionnelle, regroupait pour sa part plusieurs remises, dont certaines étaient acquises de manière automatique étant :

' attribuée à tous les APR, pour la remise de base de 4 % ;

' allouée à ceux qui entraient dans son champ d’application, comme la ristourne couverture géographique de 1,5 % pour les APR disposant de plus de six points de vente.

622.Pour d’autres remises, leur attribution était tributaire du score RET obtenu à la suite d’un audit, à l’instar de la remise localisation géographique du point de vente (entre 2 et 4 % au cours des New Deal 4 et 5 en fonction du statut BEST ou BETTER atteint, selon les éléments transmis par Apple, non contestés). À cet égard, la Cour observe que parmi les critères permettant de différencier ces statuts, certains, d’ordre qualitatif, présentent un caractère objectif (par exemple, la taille de la vitrine visible par les passants de 3 mètres minimums (statut BETTER) et 6 mètres minimums (statut BEST) ou l’aménagement « (iii) Location must have 40 [statut BETTER] /75 (or more) [statut BEST] Sq metres of dedicated showroom Floor Space »).

623.Quel que soit le caractère subjectif de l’appréciation des autres critères laissés à l’appréciation de l’auditeur, force est de constater que l’attribution des différentes remises était réévaluée à une fréquence trimestrielle ou semestrielle selon la remise et ainsi déterminée, au minimum, pour une durée équivalente. Les remises accordées figuraient par ailleurs sur la facture et étaient ainsi définies au moment où le distributeur procédait à l’achat des produits, lui permettant ainsi de déterminer son prix de vente au public en toute connaissance de cause.

624.Comme le relèvent à juste titre les sociétés Apple, les remises évoluaient ainsi à une fréquence bien inférieure à celle des prix, particulièrement volatiles dans ce secteur, de sorte que les APR disposaient d’une visibilité suffisante pour adapter leur politique commerciale et animer la concurrence sur le marché, ainsi que sur la rentabilité de leur activité, dans un secteur où les produits devaient être vendus dans les meilleurs délais, au regard de leur obsolescence rapide, et où les prix étaient (et sont toujours) particulièrement volatiles.

625.La Cour ajoute que l’Autorité, qui précise elle-même ne pas remettre en cause le niveau de marge atteint par les APR ni sa structure tarifaire, n’a par ailleurs pas établi que les prix des produits Apple échappaient à la volatilité des prix observée, due notamment aux cycles courts d’innovation dans ce secteur d’activité et à son caractère très concurrentiel. Cette volatilité des prix tend en conséquence à démontrer que les conditions de prévisibilité des remises ont été suffisantes pour permettre aux APR de faire varier leurs tarifs afin d’ajuster leurs prix de vente à leurs prix d’achat.

626.Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que l’abus est caractérisé concernant la politique d’approvisionnement menée à l’égard des APR. En revanche, il n’est pas démontré que les conditions commerciales relatives aux remises octroyées à ces derniers, restreignaient de manière anormale l’activité de ces distributeurs. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

B. Sur l’affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence

627.Les sociétés Apple mettent en cause, en premier lieu, le standard de preuve appliqué et plus précisément la prise en compte d’une « affectation potentielle » du fonctionnement ou de la structure de la concurrence, alors que la jurisprudence antérieure se référait aux effets des pratiques en cause (renvoyant à CA Paris, 29 mars 2005, RG n° 04/19330 ; Com., 22 mai 2001, pourvoi n° 99-11.130).

628.Elles soutiennent, en deuxième lieu, qu’aucune des pratiques reprochées n’a pu empêcher les APR d’exercer une concurrence effective en matière de distribution des produits Apple.

629.Elles renvoient plus précisément à leurs développements précédents soutenant que les APR n’ont pas été désavantagés par la politique d’allocations d’Apple et que les difficultés d’approvisionnement liées au système de lean manufacturing mis en place par Apple ont impacté l’ensemble des revendeurs, y compris les retailers et le canal de distribution propre d’Apple (ARS et AOS).

630.Elles soutiennent, en tout état de cause, et en troisième lieu, que ces pratiques n’étaient pas susceptibles d’avoir un effet sensible sur la concurrence, que ce soit au niveau intra-marque ou inter-marques.

631.En effet, au niveau intra-marque, elles constatent que les pratiques sont restreintes aux APR, ne représentant ainsi « que 11 % de la vente au détail des produits Apple au moment des faits » (décision attaquée, § 1122) et, dès 2010, moins de 10 % des ventes de produits Apple en France en valeur et environ 5 % à 7 % en volume (décision attaquée, § 90).

632.Elles soulignent également l’absence de concurrence significative :

' entre APR et ARS, du fait, pour la plupart d’entre eux, de l’absence de recoupement des zones de chalandise et de leur caractère complémentaire. Elles en déduisent qu’une rupture d’approvisionnement chez un APR conduirait ainsi plus probablement la clientèle à se rediriger vers les retailers plutôt que vers un ARS ;

' entre AOS et APR, dès lors que, jusqu’en avril 2013, l’Autorité considérait que les ventes à distance (en ce compris les ventes en ligne) appartenaient à un marché pertinent distinct de celui des boutiques physiques (décision n° 11-DCC-87 du 10 juin 2011, § 38).

633.Elles invoquent, en outre, l’absence d’impact sur la concurrence inter-marques compte-tenu de la part des APR dans la vente des produits Apple (moins de 10 % dès 2010) et du fait que les produits Apple ne représentaient à la même période « que 26 % du marché national des produits informatiques et électroniques » (décision attaquée, § 1122). Elles en déduisent que l’infraction alléguée par l’Autorité aurait donc pu toucher 2,6 % des produits électronique grands publics vendus en France, au maximum, et par suite, que le montant de ces ventes étant si limité par rapport au marché global que les pratiques ne sauraient aboutir à fausser la concurrence inter-marques sur ce marché.

634.L’Autorité relève, en premier lieu, que la condition relative à l’effet de la pratique, exigée par le second alinéa de l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce est distincte de celle prévue à l’article L.420-1 du code de commerce. Elle en déduit qu’elle n’était ainsi pas tenue de démontrer une affectation effective de la concurrence sur un marché, mais seulement une affectation potentielle du fonctionnement ou de la structure du marché.

635.Elle estime, en deuxième lieu, qu’en l’espèce, cette condition est remplie. Elle soutient en effet que le défaut de visibilité des APR sur les conditions commerciales qui leur étaient appliquées et les difficultés de livraisons expérimentées par ces derniers ont limité leur capacité à exercer une concurrence effective sur le marché de la distribution de produits électroniques au détail. Elle fait valoir l’impact négatif de l’incertitude résultant de livraisons irrégulières qui ont détourné la clientèle des APR vers le réseau de distribution en propre d’Apple. Elle relève, par ailleurs, que l’absence de concurrence sur les prix par les APR n’est pas une caractéristique du marché, mais une conséquence de la politique d’Apple consistant à imposer les prix de revente et à privilégier son réseau de distribution en propre au détriment des APR.

636.Elle réfute également l’analyse selon laquelle la dégradation des conditions commerciales et des conditions d’approvisionnement des APR est sans conséquence sur la possibilité d’exercer une concurrence par des facteurs autres que les prix. Elle considère en effet, d’une part, que le défaut de visibilité sur la profitabilité de leur activité empêchait les APR d’investir et de mettre en place des services additionnels de proximité à destination des consommateurs, d’autre part, que les problèmes de livraisons et l’impossibilité de proposer des précommandes en période de lancement ont dégradé l’image des APR vis-à-vis de leurs clients.

637.Enfin, l’Autorité rappelle que ce n’est qu’à titre surabondant qu’elle a analysé les difficultés financières expérimentées par les APR puisqu’elle n’était pas tenue de démontrer les effets concrets qu’a eu l’abus identifié. Elle ajoute que s’il n’est pas contesté que des facteurs liés à l’évolution du marché ou à la gestion de certains APR ont pu participer à l’affaiblissement de certaines entreprises, il a pu être démontré que les difficultés exceptionnelles qu’ont connues les APR correspondent temporellement au déploiement du réseau de distribution en propre d’Apple (§ 527 et suivants de la décision attaquée) et qu’elles étaient en lien avec les pratiques comme l’illustrent les déclarations de ces derniers. Elle ajoute que les données présentées aux § 1127 et 1128 de la décision attaquée confirment l’effet des pratiques sur le chiffre d’affaires moyen d’Apple auprès des APR.

638.En troisième lieu, elle fait valoir que la décision attaquée n’était pas tenue de démontrer l’existence d’un effet sensible des pratiques, ni davantage que l’abus de dépendance économique ait eu un impact sur le marché dans son ensemble.

639.Le ministre chargé de l’économie considère que l’incertitude structurelle dans laquelle les distributeurs ont été placés était telle que leur capacité à pleinement exercer une pression concurrentielle et ainsi une concurrence effective dans la distribution de produits de marque Apple a indubitablement affecté le fonctionnement du marché. De la même manière, il estime que les pratiques, notamment en matière d’approvisionnement et de conditions de rémunération étaient de nature à limiter la capacité des revendeurs APR à exercer une pression concurrentielle sur les offres proposées par les canaux de distribution détenus en propre par Apple. Il en déduit que, par conséquent, elles ont pu affecter, au moins potentiellement, la concurrence intra marque et ont sensiblement affecté le fonctionnement et la structure de la concurrence.

640.La société eBizcuss partage ces analyses et considère que les difficultés du réseau APR sont la conséquence directe des pratiques sanctionnées par l’Autorité et qu’elles n’ont pas été causées par une évolution structurelle du marché. Elle observe d’ailleurs que dans le même temps le groupe Apple a ouvert, en 10 ans, 20 points de vente physiques à travers la France. Elle observe également, en limitant les marchés pertinents aux seules zones de chalandises des Apple Stores, que sur les six magasins APR qui se sont trouvés en concurrence directe avec les premiers Apple Stores, seuls deux sont toujours en activité à ce jour (les autres ayant été soit mis en liquidation judiciaire, soit rachetés). Elle estime que le lancement et l’imposition forcée du modèle APR en France, en 2006, soit juste avant l’arrivée des Apple Stores, visait à préparer le marché français à leur arrivée et l’enfermement des distributeurs spécialisés indépendants dans un carcan, à la fois économique, commercial et structurel, à permettre la dissolution de ces derniers une fois leur utilité pour Apple terminée.

641.Elle ajoute que sa situation spécifique au sein du réseau APR l’a exposée, plus que les autres adhérents, aux effets négatifs des pratiques mises en place par les sociétés Apple (exploitant 4 points de vente à [Localité 35] et 4 autres à [Localité 28], [Localité 29], [Localité 39] et [Localité 31], qui se sont trouvés en concurrence avec les premiers Apple Stores déployés en 2009 à [Localité 35] (six) et [Localité 28] (1), les 3 autres ayant été implantés à [Localité 32], [Localité 30] et [Localité 22]) et considère que la situation du groupe DXM était différente de la sienne, puisqu’il était régionalement implanté dans le grand ouest et soumis à une pression concurrentielle différente à l’égard des Apple Stores.

642.Elle fait valoir un impact économique concrétisé :

' dans un premier temps, sur les services, dont le chiffre d’affaires a, dès 2010, diminué de 10 %, en raison de la concurrence des APR ;

' dans un second temps, sur les ventes de produits, qui en 2011, ont diminué de 15 %, en raison des défauts d’approvisionnement répétés de produits Apple.

643.Elle souligne, à l’inverse, le taux de croissance des points de vente situés à [Localité 29] et [Localité 23].

644.Elle déduit de l’ensemble de ces éléments que les défauts répétés, voulus et orchestrés d’approvisionnement à des moments critiques ont fragilisé sa pérennité économique et financière, non seulement en lui faisant perdre des volumes importants d’affaires, mais également en détournant une partie de sa clientèle, assurée de pouvoir obtenir auprès des Apple Stores les produits qu’elle ne trouvait plus dans ses magasins. Elle considère que les pratiques anticoncurrentielles relevées par les services d’instruction sont ainsi bien la cause déterminante de la faillite du 1er réseau d’APR en France et en Belgique.

645.Le ministère public considère également que l’Autorité n’a commis aucune erreur d’appréciation, les pratiques, notamment en matière d’approvisionnement et de conditions de rémunération étaient en effet, selon lui, de nature à limiter la capacité des revendeurs APR à exercer une pression concurrentielle sur les offres proposées par les canaux de distribution détenus en propre par Apple, de sorte qu’elles ont pu affecter, au moins potentiellement, la concurrence intra-marque et ont sensiblement affecté le fonctionnement et la structure de la concurrence.

Sur ce, la Cour,

646.À titre liminaire, la Cour rappelle, comme l’a fait, à juste titre, la décision attaquée au paragraphe 1118, que l’application de l’article L.420-2, alinéa 2 du code de commerce, qui prohibe, depuis la réforme de ce texte par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique « dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence », ne requiert pas de démontrer une affectation effective de la concurrence, mais seulement une affectation potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence sur le marché concerné.

647.La Cour relève, ensuite, que ce texte n’a pas d’équivalence dans le droit de l’Union. Il ne requiert pas, en conséquence, de rechercher si la pratique abusive en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres « de manière sensible ».

648.Enfin, à la différence de la règle de minimis prévue par le droit de l’Union pour les accords d’importance mineure, ce texte, qui n’a défini aucun seuil auquel serait soumise la prise en compte des effets potentiels d’un abus de dépendance économique, ne limite pas davantage son application aux seules pratiques qui entraînent une restriction « sensible » du jeu de la concurrence. Il importe peu en conséquence que les APR n’aient représenté au moment des faits que 11 % de la vente au détail des produits Apple en valeur et environ 5 à 7 % en volume, ni davantage que la part des produits Apple sur le marché français concerné soit de 26 %.

649.En l’espèce, le marché concerné par le grief n° 4 est celui de la distribution de produits informatiques et d’équipements d’électroniques grand public au détail. Il ressort des développements qui précèdent que l’abus de dépendance économique, tel qu’il a été retenu par la Cour (inhérent aux conditions d’approvisionnement des APR), a constitué, pour ces derniers, un désavantage dans la concurrence, par rapport aux Apple Stores qui sont des distributeurs spécialisés directement concurrents (peu important à cet égard qu’ils soient moins nombreux et ainsi qu’ils ne soient pas systématiquement dans la zone de chalandise de tous les APR), mais également par rapport aux autres canaux de distribution, dès lors qu’elles étaient de nature à décrédibiliser les APR auprès de leur clientèle et à détourner celle-ci de ces distributeurs, sans que cette situation ne résulte du jeu normal de la concurrence par les mérites. Par ailleurs, comme l’a justement relevé la décision attaquée (§ 1085), le niveau d’activité et la viabilité économique des revendeurs APR, au regard des fortes contraintes et limites pesant sur la vente de produits concurrents, dépendaient des volumes de ventes réalisées en aval, à partir de leur approvisionnement, en amont, en produits Apple. Par suite, les conditions d’approvisionnement des APR étaient de nature à affaiblir ce canal de distribution et la concurrence intra-marque.

650.S’agissant de la situation de la société eBizcuss, la Cour constate que les magasins de cet APR situés en région parisienne et à [Localité 28], étaient en concurrence directe avec les Apple Stores à compter de novembre 2009 et qu’ils ont été confrontés à l’impossibilité de recevoir les produits Apple nécessaires pour satisfaire la demande de leurs clients et concurrencer les Apple Stores par les prix ou par le niveau de services. Il a en effet été établi des différences d’approvisionnement entre le réseau propre et les APR à l’occasion de l’examen du grief n° 2. Ces points de vente ont ainsi été placés dans une position commerciale désavantageuse qui a nécessairement concouru à la fragilisation de l’entreprise. Il importe peu en conséquence, dans le cadre de la caractérisation de l’infraction en cause, que les difficultés financières de cet APR n’aient pas été exclusivement imputables au comportement d’Apple et que d’autres facteurs aient pu, le cas échéant, également participer à la baisse de son chiffre d’affaires (comme le rachat d’une entreprise ayant augmenté le niveau de son endettement en 2011), puis à sa mise en liquidation judiciaire ultérieure.

651.Le même constat doit être fait concernant les difficultés financières rencontrées par d’autres APR, qui peuvent être le cas échéant, pour partie, rattachées à d’autres facteurs, tels que les évolutions structurelles ayant impacté les commerces de proximité spécialisés en produits électroniques (ce constat étant toutefois à relativiser au regard des résultats atteints par les Apple Stores) ou les choix de gestion opérés, mais dont les conséquences ont nécessairement été accentuées par la politique d’approvisionnement en cause.

652.La Cour relève, au surplus, ainsi que l’a fait la décision attaquée, au paragraphe 1138, et sans que les sociétés Apple ne contestent utilement les constats opérés, qu’après avoir utilisé le canal des APR comme facteur de pénétration du marché du détail en France, Apple a décidé d’ouvrir, dans les zones de chalandise les plus rentables, des Apple Stores, en concurrence avec certains APR. Ce choix, qui n’est pas en lui même critiquable, conduit, avec le maintien sur le marché des autres APR en place dans les zones de chalandise moins bien achalandées, à permettre à Apple de distribuer ses produits sur tout le territoire, sans avoir à investir dans des magasins en propre sur ces zones moins rentables et sans que ses ventes directes (en ligne comme en magasins) en subissent la concurrence du fait de la politique d’approvisionnement mise en 'uvre. Les APR étant soumis à des sujétions comparables à celles d’opérateurs intégrés, tout en assumant les risques commerciaux et financiers d’entreprises indépendantes, la situation litigieuse a également eu un impact sur la concurrence inter-marques dès lors qu’elle a conféré un avantage à Apple dans la concurrence par rapport aux autres fabricants de produits concurrents.

653.L’exploitation abusive de dépendance économique, qui a été limitée par la Cour aux conditions d’approvisionnement des APR définies par Apple, est bien « susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence ». Ces éléments suffisent en conséquence à établir qu’Apple a enfreint les dispositions de l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce. Le recours est rejeté sur ce point.

C. Sur le dommage causé à l’économie

654.Les sociétés Apple rappellent, en premier lieu, que, dans un contexte de forte concurrence inter-marques, des restrictions à la concurrence intra-marque ne sont généralement pas susceptibles d’entraîner des effets négatifs pour la concurrence et renvoient à cet égard aux Lignes Directrices Verticales de la Commission déjà citées. Elles considèrent que l’affirmation selon laquelle les particularités de ses produits sont de nature à limiter leur substituabilité avec les produits de marques concurrentes est contredite par le fait que les parts de marché montrent les effets de la concurrence très vive entre les différents fabricants. Elles citent à cet égard l’évolution des parts de marché sur les tablettes, suite au lancement de l’iPad, passées en deux ans de quasiment 50 % à 25 % en volume, mentionnée dans la notification des griefs, pages 16-17 (cotes 40876-40877). Elles ajoutent que l’argument de l’Autorité selon lequel ces évolutions de parts de marché ne refléteraient pas une forte concurrence inter-marques mais résulterait en réalité de la croissance globale du marché n’est pas plus convaincant dès lors que si le chiffre d’affaires d’Apple sur les tablettes a augmenté entre 2011 et 2013 celui de Samsung a dans le même temps augmenté de manière bien plus significative.

655.Elles relèvent que les pratiques n’étaient en aucun cas susceptibles d’avoir un impact sur la concurrence inter-marques, notamment dans la mesure où, en tout état de cause, les prix pratiqués sur les produits Apple dans les enseignes de la grande distribution (retailers, qui ne sont pas impactés par les pratiques) ont toujours continué à exercer une contrainte concurrentielle sur les produits d’autres marques et que la qualité des services proposés en complément des produits Apple au sein des APR ou des ARS exerçaient également une concurrence par les services vis-à-vis des producteurs et des détaillants de produits d’autres marques.

656.Elles rappellent également la part de marché du canal des APR sur toute la période des pratiques (moins de 10 % en valeur comme en volume) et des produits Apple sur le marché national des produits informatiques et électroniques, s’élevant à 26 %, pour en déduire que les pratiques alléguées n’ont en tout état de cause pu toucher que 2,6 % des produits électroniques grand public vendus en France, hors smart phones.

657.Elles soutiennent, en second lieu, que les pratiques ont tout au plus eu un effet limité sur la concurrence intra-marque compte tenu des allocations de livraison et non de ventes en cause.

658.Elles ajoutent que le dommage à l’économie résultant d’une pratique d’abus de dépendance économique ne saurait en aucun cas être présumé, compte tenu de l’objectif du droit de la concurrence qui vise à protéger la concurrence elle-même, et non les concurrents ou des entreprises spécifiques.

659.L’Autorité fait valoir que l’abus de dépendance économique vise à sanctionner une situation dans laquelle un opérateur économique, détenant un partenaire commercial sous sa dépendance, tire un avantage économique de ce rapport de dépendance, l’auteur d’un tel abus tirant de cette situation un avantage renforçant sa position sur le marché vis-à-vis de ses concurrents et/ou d’autres partenaires commerciaux. Aussi, estime-t-elle que dans le cadre de cette analyse, l’atteinte aux entreprises victimes contribue en soi à la démonstration d’une atteinte à la concurrence.

660.Elle estime que le cas d’espèce l’illustre bien dès lors que les difficultés rencontrées par les APR du fait des pratiques identifiées dans le grief n° 4 ont annihilé la concurrence sur la distribution au détail de produits Apple (hors iPhone) et, en particulier, la concurrence entre les resellers et le canal de distribution en propre d’Apple, renforçant significativement ce dernier.

661.Elle relève, au surplus, que, l’appréciation du dommage à l’économie en matière d’abus de dépendance économique ne vient que survaloriser les critères déjà développés au stade de la qualification de la pratique et constate que la démonstration d’une affectation de la structure ou du fonctionnement du marché implique déjà la démonstration d’un dommage à l’économie lié aux pratiques.

662.En tout état de cause, l’Autorité renvoie à la démonstration faite aux paragraphes 1324 à 1333 de la décision attaquée qui a retenu l’existence d’un dommage certain à la concurrence lié aux pratiques incriminées par le grief n° 4.

663.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce la Cour,

664.Il ressort de la démonstration qui précède, relative à l’affectation de la structure ou du fonctionnement du marché (requise pour faire application de l’article 420-2, alinéa 2 du code de commerce), l’existence d’un dommage à l’économie lié à l’abus de dépendance économique.

665.En effet, il est constant que le canal des APR a été utilisé comme facteur de pénétration du marché de détail en France pour assurer la distribution des produits Apple sur tout le territoire. Ce déploiement a assuré des services de proximité à destination des consommateurs. En affectant les conditions dans lesquelles les APR étaient approvisionnés, la pratique litigieuse a limité l’émulation concurrentielle propre à faire émerger de nouveaux services, réduit la faculté des APR de faire concurrence aux ARS et limité les choix offerts aux consommateurs. Cette limitation est d’autant plus dommageable que, pour certains consommateurs, les produits Apple sont faiblement, voire non substituables aux produits concurrents, comme l’a justement retenu la décision attaquée. La concurrence inter-marques invoquée est à cet égard indifférente et il doit être rappelé, s’agissant de la concurrence intra-marque, que la bonne couverture du territoire national offerte par les retailers est certes de nature à permettre une bonne disponibilité des produits pour les consommateurs, sur un plan géographique, mais n’offre pas le même niveau de services.

666.La pratique en cause, en affectant la qualité des services proposés par les APR (à raison de l’indisponibilité des produits, de l’impossibilité de proposer à la clientèle des précommandes sur certains produits en lancement ou de la dissymétrie d’information diffusée concernant le lancement de nouveaux produits) a également réduit la concurrence par les services qui s’y exerçait vis-à-vis des producteurs et des détaillants de produits d’autres marques situés dans les mêmes zones. La réduction de la concurrence intra-marque a ainsi nécessairement entraîné des conséquences sur la concurrence inter-marques.

667.L’évolution du nombre d’APR et de la part des ventes réalisées par ces derniers dans les ventes de produits de marque Apple hors iPhone, qui est passée de 13 % en 2008 à moins de 6 % en 2013 conforte également cette analyse, alors que dans le même temps, ainsi que l’a établi la décision attaquée aux paragraphes 1125 et suivants, les canaux de distribution détenus en propre par Apple ont connu une progression significative.

668.La part de marché du canal des APR sur toute la période des pratiques et celle des produits Apple sur le marché national des produits informatiques et électroniques ne permettent pas d’écarter l’existence du dommage à l’économie causé par la pratique, comme le revendiquent les sociétés Apple, mais uniquement d’en circonscrire l’ampleur. Le dommage à l’économie est ainsi certain, mais limité.

669.La réformation qui précède, relative aux différents abus constituant la pratique en cause, ne remettant pas en cause l’existence du dommage à l’économie qui est contestée par les sociétés Apple, le moyen est rejeté.

670.La portée de cette appréciation dans le calcul de la sanction sera examinée dans la partie qui suit.

V. SUR LES SANCTIONS

671.Dans la décision attaquée, l’Autorité a prononcé :

' à l’encontre des sociétés Apple, trois sanctions solidaires de :

662 483 478 euros au titre du grief n° 2 ;

221 188 456 euros au titre du grief n°3 (à l’exception de la société Apple Sales international non visée par l’article 7 de cette décision) ;

218 298 018 euros au titre du grief n° 4 ;

' à l’encontre des sociétés Ingram, une sanction solidaire de 62 972 668 euros au titre du grief n° 2 ;

' à l’encontre des sociétés Tech Data une sanction solidaire de 76 107 989 euros au titre du grief n° 2.

672.La Cour ayant réformé la décision attaquée en ce qu’elle a dit établi le grief n° 3, les critiques relatives aux sanctions ne seront examinées qu’en ce qui concerne celles infligées au titre des griefs 2 et 4.

A. Sur le choix de sanctionner les grossistes aux côtés du fournisseur dans le cadre d’une pratique restrictive verticale

673.Les sociétés Ingram, tout en admettant que la mise en cause des distributeurs dépende du pouvoir d’appréciation de l’Autorité, considèrent, en premier lieu, que ce choix doit être motivé. Elles relèvent que dans les rares précédents, l’implication particulière des distributeurs dans la mise en 'uvre des pratiques avait été relevée. Or, elles observent qu’ici Ingram Micro n’a pas pris part de manière « active » dans la mise en 'uvre des pratiques de restriction verticale, tandis qu’il a été souligné le rôle moteur d’Apple et de simples exécutants des grossistes, de sorte qu’elles en déduisent que l’Autorité n’aurait pas dû retenir une sanction à leur encontre.

674.Elles soutiennent, en deuxième lieu, que l’Autorité a fait une différence de traitement entre les grossistes, en particulier Ingram Micro (grief n° 2) et les APR (grief n° 3 d’entente relative à des prix imposés), les uns étant sanctionnés, tandis que les autres ont été jugés « victimes » des pratiques d’Apple. Elles observent pourtant que les APR ont bénéficié de cette pratique de prix de revente imposés, laquelle est systématiquement considérée comme ayant un objet anticoncurrentiel dans la jurisprudence française et européenne.

675.Les sociétés Tech Data critiquent, de la même manière, tant le principe de l’imposition d’une sanction à leur égard que la différence de traitement qui en résulte par rapport aux APR qui n’ont pas été mis en cause, alors même qu’ils ont été considérés comme ayant participé et bénéficié de la restriction de liberté tarifaire (grief n° 3).

676.L’Autorité estime que les arguments des requérantes ne portent pas sur la sanction infligée aux grossistes, mais tendent en réalité à contester la qualification des pratiques et leur imputation aux grossistes. Or, l’Autorité considère avoir démontré à suffisance de droit l’existence d’un accord de volonté entre Apple et les grossistes.

677.Elle ajoute, par ailleurs, que la jurisprudence n’exige pas que chacun des distributeurs soit mis en cause, cette mise en cause dépendant du pouvoir d’appréciation de l’Autorité.

678.Le ministère public partage cette analyse et estime que c’est à bon droit que l’Autorité a déduit de la participation active des grossistes l’imposition d’une sanction à leur égard, sans discrimination par rapport aux APR.

Sur ce, la Cour,

679.Il résulte, en premier lieu, du fondement légal des poursuites que la caractérisation d’une entente, dans le cadre d’un rapport vertical, nécessite la démonstration d’un accord de volontés entre le fournisseur et un ou plusieurs distributeurs. Les textes en cause n’imposent en revanche, ni d’identifier et poursuivre tous les distributeurs ayant participé à l’entente orchestrée au sein du réseau, ni davantage de limiter les poursuites au seul fournisseur. Le choix de mettre en cause, ou non, des distributeurs relève ainsi du pouvoir d’appréciation de l’Autorité qui se détermine au regard des circonstances propres à chaque dossier, sans qu’elle soit tenue d’exposer les motifs ou les raisons de son choix.

680.C’est donc en vain que les sociétés Ingram et Tech Data invoquent le fait que, dans d’autres affaires, l’Autorité aurait limité ses poursuites au fournisseur et à certains distributeurs seulement.

681.Il ressort, en deuxième lieu, de la décision attaquée, étayée par les éléments de procédure de la présente affaire, que la structure des ententes verticales visées par les griefs n° 2 et n° 3 diffère substantiellement. En effet, le grief n° 3 s’appuyait sur l’implication de nombreux APR (mais non de tous les distributeurs sur le marché aval) dont la dépendance économique avait été relevée, tandis que le grief n° 2 concerne les deux seuls grossistes agréés par Apple, qui intervenaient dans le cadre d’un modèle de distribution en gros des produits Apple en France, fermé et exclusif, et dont la participation active dans la mise en 'uvre de la pratique a été retenue.

682.Il s’ensuit que les sociétés Ingram Micro et Tech Data ne sont pas fondées à se prévaloir d’une différence de traitement par rapport aux APR qui n’ont pas été poursuivis au titre du grief n° 3, dès lors que les situations en cause étaient différentes. Le moyen est rejeté.

B. Sur le choix de sanctionner trois griefs par des sanctions distinctes à l’encontre des sociétés Apple

683.Les sociétés Apple font valoir que l’Autorité a divisé les pratiques en plusieurs griefs, de manière arbitraire, afin d’augmenter artificiellement le montant de la sanction prononcée. Elles relèvent à cet égard que l’Autorité a estimé que des infractions distinctes mais portant « sur le même secteur » et ayant « le même objet général » devaient donner lieu à l’imposition d’une amende unique dans de nombreuses affaires similaires à la leur.

684.En réponse, l’Autorité relève que les disparités existant entre les différents griefs l’ont conduite à privilégier la solution classique, d’une sanction par grief, par rapport à la faculté dont elle dispose d’opter pour une sanction unique pour plusieurs infractions. Elle rappelle, qu’au regard de la jurisprudence, ce choix est laissé à la discrétion de l’Autorité.

685.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour,

686.À titre liminaire, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, plusieurs sanctions peuvent être infligées à une entreprise ayant commis plusieurs infractions, en déterminant chacune d’elles en fonction des critères prévus par le code de commerce dans le respect du maximum légal applicable (Com., 22 novembre 2016, pourvois n° 14-28.862, 14-28.224). S’il est loisible à l’Autorité d’infliger une seule sanction au titre de plusieurs infractions, nonobstant les différences relatives à leur durée, leur gravité ou les dommages qui en résultent, eu égard à l’identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause et à l’objet général des pratiques (même jurisprudence), aucun texte ne l’y oblige pour autant.

687.La Cour relève, ensuite, nonobstant les liens existant entre certains faits en cause, que les sanctions prononcées concernent trois pratiques de nature différente, qui ne mettent pas en cause les mêmes entreprises et sont relatives à des périodes et des marchés différents. Ce constat suffit à contredire l’allégation selon laquelle l’Autorité aurait divisé les pratiques de manière artificielle.

688.Ainsi, les griefs n° 2 et 3 visent des pratiques d’entente sanctionnées par les articles 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce. Toutefois, bien que reposant sur le même fondement juridique, l’objet des pratiques reprochées diffère substantiellement entre ces deux griefs : le grief n° 2 concerne une entente entre Apple et ses grossistes relative à une allocation de clientèle et de produits, tandis que le grief n° 3 reproche à Apple l’imposition de prix de revente de produits de sa marque au détail que les APR n’avaient pas d’autre choix que d’appliquer. Le grief n° 4 concerne quant à lui une pratique unilatérale reprochée à Apple, d’abus de dépendance économique, sur le fondement de l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce. Par ailleurs, les marchés en cause ne sont pas identiques dans la mesure où le grief n° 2 concerne celui de la distribution en gros de produits informatiques et électroniques grand public, alors que les pratiques visées par les griefs n° 3 et 4 concernent le marché au détail de produits informatiques et électroniques grand public. Les périodes sont également différentes. Tandis que le grief n° 2 d’allocation de clientèle vise la période décembre 2005 à mars 2013, le grief n° 3 d’imposition de prix de revente a été circonscrit à la période d’octobre 2012 à avril 2017 et le grief n° 4 d’abus de dépendance économique à la période de novembre 2009 à avril 2013.

689.Enfin, la Cour constate que, sous le couvert de l’arbitraire, le moyen se borne à critiquer l’absence de mise en 'uvre d’une simple faculté laissée à l’appréciation de l’Autorité.

690.Il s’ensuit que le moyen, qui manque en fait comme en droit, doit être rejeté.

C. Sur la méthodologie appliquée pour déterminer chacune des sanctions

691.Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu, au paragraphe 1334, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises en cause, « compte tenu de l’appréciation qu’elle a faite […] de la gravité des faits et du caractère modéré du dommage causé à l’économie dans le secteur concerné », une proportion de la valeur des ventes en relation avec l’infraction.

692.Pour le grief n° 2, cette valeur est fondée sur le chiffre d’affaires d’Apple, de Tech Data et d’Ingram Micro (dernier exercice comptable complet, soit 2012) correspondant à la vente de tous les produits de marque Apple (hors iPhone) sur le marché de gros en France, c’est-à-dire, d’une part, les ventes d’Apple aux grossistes et aux autres revendeurs (hors canaux de distribution en propre d’Apple) et, d’autre part, les ventes des grossistes aux détaillants (§ 1221).

693.Pour le grief n°4, elle est fondée sur le chiffre d’affaires d’Apple (dernier exercice complet de participation aux pratiques, soit 2012) correspondant à la vente de tous les produits de marque Apple (hors iPhone) sur le marché de détail en France, incluant les ventes d’Apple, d’une part, aux APR (réalisées directement par Apple ou par l’intermédiaire de ses grossistes) et, d’autre part, à ses canaux de distribution en propre (ARS et AOS) (§ 1238).

694.L’Autorité a indiqué aux paragraphes 1337 et suivants avoir pris en compte la durée des différentes infractions en leur appliquant des coefficients spécifiques. Puis, elle a déterminé les montants de base.

1. Sur la valeur de référence servant d’assiette au montant de base

a) concernant le grief n° 2

695.Les sociétés Apple invoquent le bénéfice des points 23 et 33 du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « le communiqué sanctions ») et considèrent que la valeur des ventes prise en compte pour chaque sanction doit être strictement limitée aux seuls produits en relation directe avec l’infraction concernée.

696.Elles critiquent, en premier lieu, le périmètre des ventes en relation avec l’infraction retenu, considérant que cette notion ne signifie pas que toutes les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction doivent être prises en compte.

697.Elles reprochent à l’Autorité d’avoir artificiellement élargi ce périmètre, dans la mesure où il ne se limite pas aux ventes aux grossistes, mais inclut, à tort selon elles :

' l’ensemble des ventes d’Apple à ses revendeurs directs (hors iPhone) alors que les pratiques ne les concernent pas (puisque seules sont en cause les allocations à l’égard des clients des grossistes) et qu’en outre les ventes d’Apple aux retailers directs représentaient près de 60 % du chiffre d’affaires 2012 retenu par l’Autorité ;

' ainsi que les ventes directes de produits (hors iPhone) réalisées par Apple auprès des opérateurs téléphoniques, alors que lorsque ces derniers ne s’approvisionnaient pas auprès d’Apple ils le faisaient auprès d’un grossiste spécialisé, Omea Telecom et non auprès des grossistes en cause.

698.Elles en déduisent, dans le dernier état de leurs écritures, que le montant de base à retenir, les concernant, pour l’année 2012, devrait être de 251 911 006 euros, dès lors qu’il y a lieu d’exclure du périmètre de la valeur des ventes :

' celles réalisées par Apple auprès des resellers (101 349 673 USD) et retailers directs (806 206 513 USD) autres que les grossistes, soit au total 700 270 353 euros (907 556 186 USD) ;

' ainsi que, à tout le moins, celles réalisées auprès des opérateurs de téléphonie, soit 84 689 905 euros (109 758 819 USD), qui n’ont aucun lien avec l’infraction.

699.Les sociétés Ingram relèvent par ailleurs que l’Autorité a déterminé l’assiette de la sanction qui leur a été infligée en tenant compte des ventes réalisées sur l’ensemble des produits de marque Apple en excluant uniquement les iPhones alors que plusieurs autres produits Apple n’ont pas fait l’objet des pratiques retenues par l’Autorité :

' les licences et logiciels ;

' les accessoires, qui ne sont mentionnés que dans les parties de la décision consacrées aux autres griefs. Ils ne sont ainsi pas mentionnés une seule fois ni dans la partie factuelle (paras. 275 à 327) ni dans la partie juridique (paras. 621 à 827) de la qualification du grief n° 2.

700.Elles précisent que ces deux catégories de produits représentaient en 2012 plus de 7 % du chiffre d’affaires d’Ingram Micro sur les produits Apple (hors iPhone) et plus précisément 8 419 674 d’euros (dont 1 011 447 euros au titre des licence & software), sur un total de 118 262 974 d’euros.

701.Elles observent que la décision attaquée ne s’appuie d’ailleurs que sur des pièces faisant explicitement référence à deux grandes catégories de produits, à savoir les iPads et les iPods et, de manière marginale, aux ordinateurs portables (iMac et MacBook).

702.Avec les sociétés Tech Data et Ingram, les sociétés Apple estiment, en second lieu, que la méthodologie appliquée pour le grief n° 2 revient à compter deux fois la vente d’un même produit, une fois au titre du chiffre d’affaires d’Apple et une autre fois au titre du chiffre d’affaires des grossistes.

703.Les sociétés Tech Data et Ingram ajoutent que le chiffre d’affaires ne peut être considéré comme une assiette appropriée pour un grossiste dans la mesure où la valeur des prestations fournies (y compris la prise en charge du risque de stock et de crédit) est entièrement déconnectée de la valeur des produits distribués ' et donc du chiffre d’affaires ' et ne peut être évaluée qu’à travers sa marge commerciale.

704.Elles précisent que la valeur des ventes ne reflète pas le rôle limité du distributeur dans la chaîne de distribution, à savoir celui d’un simple intermédiaire logistique. Elles en déduisent que la marge brute correspond à la rémunération réelle, celle qui reflète son poids économique et sa valeur ajoutée dans la chaîne de distribution. Les sociétés Ingram relèvent également que la circonstance que l’activité des grossistes soit une activité qui se caractérise par une concurrence par les volumes accrédite le fait que le chiffre d’affaires d’Ingram Micro n’est pas révélateur de son poids et de sa performance.

705.Les sociétés Tech Data soutiennent par ailleurs que l’année 2012 n’est pas représentative du chiffre d’affaires de Tech Data sur la période, en ce que le chiffre d’affaires réalisé avec Apple a doublé entre 2005 et 2012. Elles demandent ainsi la substitution d’une moyenne de la valeur des ventes sur 1'ensemble de la période.

706.En réponse, l’Autorité rappelle les termes du communiqué sanction (points 33 et 35) et fait valoir que la jurisprudence nationale et européenne considèrent que le chiffre d’affaires constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l’assiette de la sanction. Elle ajoute que le point 39 du communiqué sanctions ne lui permet de s’écarter de la méthode préconisée que dans des cas particuliers, notamment lorsque, d’un point de vue comptable, la rémunération de l’entreprise en cause ne correspondait pas à des ventes réalisées, mais intervenait sous forme de commissions, ce qui ne correspond pas à la situation en cause. Elle estime qu’en l’espèce les requérantes ne font état d’aucune circonstance particulière qui rendrait manifestement inapproprié le recours à leur valeur des ventes respectives. Elle relève que Ingram Micro et Tech Data sont propriétaires de leur stock et que leurs revenus ne sont pas composés d’une commission perçue auprès d’Apple mais d’un chiffre d’affaires généré auprès de leurs clients.

707.Elle ajoute, concernant le périmètre des ventes en lien avec l’infraction, qu’au point 1209 de la décision attaquée, le marché concerné par les pratiques visées par le grief n° 2 a été défini comme celui du marché de gros de produits et accessoires de marque Apple (hors iPhone) sur le territoire français. Elle observe également qu’au paragraphe 672, il a été relevé que le système de distribution d’Apple réservait à ses deux grossistes l’approvisionnement des APR et Retailers indirects et leur permettait de concurrencer Apple dans l’approvisionnement des APR et Retailers directs. Elle en déduit que la décision attaquée a démontré à suffisance que les ventes directes d’Apple aux détaillants étaient concernées par la pratique qui a eu pour objet de restreindre la concurrence intra-marque sur le marché de gros.

708.Elle ajoute que la décision a ainsi justifié à suffisance de ce que le périmètre de valeur des ventes d’Apple devait tenir compte de l’ensemble des ventes aux revendeurs externes à Apple, y compris celles réalisées auprès d’opérateurs téléphoniques lorsque ces derniers commercialisent des produits de marque Apple. Sur ce dernier point, elle précise que le fait que ces opérateurs soient principalement actifs sur les ventes d’iPhone est inopérant puisque les ventes d’iPhone ont été exclues du périmètre de la valeur des ventes.

709.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour,

710.Il convient de rappeler, en premier lieu, concernant la valeur de référence servant d’assiette du montant de base de la sanction, qu’aux termes du point 23 du communiqué sanctions, la valeur des ventes en relation avec l’infraction constitue, en principe, une référence appropriée et objective, dans la mesure où elle permet d’en proportionner, au cas par cas, l’assiette à l’ampleur économique de l’infraction ou des infractions en cause, d’une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d’autre part.

711.Le point 35 du communiqué précise que la valeur des ventes correspond au chiffre d’affaires de l’entreprise ou de l’organisme concerné relatif aux produits ou services en cause.

712.Le point 39 prévoit, par exception, que cette méthode peut être adaptée dans les cas particuliers où l’Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée ces deux éléments (ampleur économique de l’infraction et poids relatif de l’entreprise).

713.Dans la décision attaquée, l’Autorité ne s’est pas écartée de cette méthodologie et rien ne justifie dans les éléments de cette affaire de faire application de la dérogation prévue au point 39 précité. En effet, d’une part, les pratiques ont eu pour objet une répartition de clientèle et de produits et ainsi de restreindre tant la clientèle à laquelle un grossiste pouvait vendre les produits Apple (hors iPhone) que la concurrence des grossistes à l’égard d’Apple dans le cadre de leur activité de vente en gros de ces produits, d’autre part, les grossistes ne sont pas de simples prestataires logistiques ou commissionnaires à la vente, puisqu’un transfert de propriété intervient à leur bénéfice concernant les produits acquis auprès d’Apple.

714.La circonstance que les grossistes d’Apple en France prennent en compte à la fois les prix de gros auxquels ils acquièrent les produits et les prix grand public pratiqués par Apple pour déterminer leurs prix de vente ressort du jeu de la concurrence, dans un contexte de marché dans lequel le fournisseur dispose également d’un réseau de distribution propre, et n’est pas de nature à exclure leur statut de grossiste. La faiblesse du niveau de marge est en outre indifférent au stade de la détermination du montant de base de la sanction. La décision attaquée n’a donc pas méconnu la réalité économique de la relation en cause en se déterminant comme elle l’a fait.

715.La seule comparaison des sanctions respectives infligées à Apple et ses distributeurs suffit à écarter la critique, infondée, selon laquelle le choix de calculer leur montant sur la base du chiffre d’affaires Apple revient à imposer une sanction bien plus sévère aux distributeurs qu’à Apple lui-même.

716.S’agissant ensuite de la critique reprochant à l’Autorité de compter deux fois la vente d’un même produit, l’une au titre du chiffre d’affaires d’Apple, l’autre au titre du chiffre d’affaires des grossistes, force est de constater qu’elle n’est pas pertinente. En effet, Apple et ses grossistes sont des entreprises indépendantes les unes des autres (supportant distinctement la charge de la sanction qui leur est infligée) et il ne s’agit ici que de refléter la participation à l’infraction de chacune d’elles, au niveau qui est le leur.

717.S’agissant enfin de l’exercice de référence, il ressort du point 33 du Communiqué sanctions que la référence appropriée pour donner une traduction chiffrée à l’appréciation des pratiques est le dernier exercice complet de mise en 'uvre de celles-ci, sous réserve que ces données ne constituent « manifestement pas » une référence représentative, comme l’y autorise le point 37.

718.En l’espèce, force est de constater que 2012 correspond au dernier exercice complet de participation, la date de fin de constat des pratiques ayant été arrêtée à mars 2013.

719.Il ne peut, enfin, être utilement soutenu que l’année 2012 ne serait manifestement pas représentative du chiffre d’affaires de Tech Data sur la période concernée par l’entente, au motif que ce chiffre aurait pratiquement doublé entre 2005 et 2012 grâce à la vente d’iPad, qui n’ont été distribués en France qu’à compter de mai 2010 et que les résultats atteints en 2012 ont été les plus élevés. En effet, ces produits étaient précisément dans le périmètre de l’accord litigieux. En outre, la durée de l’entente, telle que définie par la Cour, s’échelonne entre le 25 novembre 2009 et le mois de mars 2013, période au cours de laquelle l’évolution annuelle du chiffre d’affaires de Tech Data a été en croissance constante et régulière (pièce Tech Data n° 28) de sorte qu’aucun élément du dossier n’établit que l’exercice 2012 ne serait « manifestement pas » une référence représentative ni ne justifie de s’écarter de la valeur de référence retenue par la décision attaquée au profit d’une valeur moyenne.

720.La Cour rappelle, en second lieu, concernant le périmètre des ventes en lien avec l’infraction, qu’aux termes du point 33 du communiqué sanction, 'la référence prise par l’Autorité pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie est la valeur de l’ensemble des catégories de produits ou services en relation avec l’infraction, ou s’il y a lieu avec les infractions, vendues par l’entreprise ou l’organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci. La qualification de l’infraction ou des infractions effectuée par l’Autorité, au regard de leur objet ou de leurs effets anticoncurrentiels, détermine ces catégories de produits ou de services.

721.Par ailleurs, bien que le principe d’autonomie laisse à chaque État membre le soin de définir sa méthodologie en matière de sanction, rien n’interdit à l’Autorité, comme à la Cour, de s’inspirer des principes dégagés par la Cour de Justice. La Cour de justice a rappelé (CJUE, 23 avril 2015, C-227/14 P, LG Display et LG Display Taiwan / Commission, points 53 et suivants) que si la notion de valeur des ventes ne saurait, certes, s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent pas du champ d’application de l’entente reprochée, il serait toutefois porté atteinte à l’objectif poursuivi si cette notion devait être entendue comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par cette entente. Une telle limitation aurait, en outre, pour effet de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction commise par une entreprise donnée, dès lors que le seul fait qu’un nombre limité de preuves directes des ventes réellement affectées par l’entente a été trouvé conduirait à infliger au final une amende sans relation réelle avec le champ d’application de l’entente en cause. En définitive, la possibilité d’inclure dans la valeur des ventes pertinentes aux fins du calcul du montant d’une amende certaines ventes dépend non pas de la question de savoir si ces ventes ont été influencées par l’entente, mais du simple fait que celles-ci ont été réalisées sur un marché affecté par l’existence d’une entente à laquelle les entreprises sanctionnées participaient (même arrêt, point 56).

722.S’agissant des prétentions des sociétés Apple, la Cour relève que le marché concerné par les pratiques visées dans le grief n° 2 est celui du marché de gros des produits et accessoires de marque Apple (hors Iphone) sur le territoire français. Par ailleurs, si le système de distribution mis en place réserve à ses deux grossistes l’approvisionnement des APR et retailers indirects, il leur permet également de concurrencer Apple dans l’approvisionnement des APR et retailers directs. Par suite, les allocations litigieuses étaient de nature à fausser la concurrence sur l’ensemble du marché de gros en interférant sur la concurrence intra-marque. Il n’y a donc pas lieu d’exclure la valeur des ventes réalisées par Apple auprès des clients directs, qui sont en lien avec l’infraction.

723.En revanche, si l’entente a couvert les produits et accessoires de marque Apple (hors iPhone) et que les ventes d’iPhone ont bien été exclues du périmètre de la valeur des ventes, force est de constater qu’il n’est pas contesté par l’Autorité que l’approvisionnement des opérateurs téléphoniques (pour les autres produits Apple hors iPhone) était assuré par Apple ou Omea Télécom, non par les grossistes en cause. Il s’ensuit que ces ventes, qui relevaient d’un canal d’approvisionnement distinct et hors du champ d’application de l’entente, ne peuvent être considérées comme étant en lien avec l’infraction. Il convient donc de retrancher du montant de base retenu par la décision attaquée la somme de 84 689 905 euros correspondant aux ventes réalisées auprès des opérateurs de téléphonie. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

724.S’agissant des prétentions des sociétés Ingram, la Cour constate, concernant la prise en compte des ventes d’accessoires, que c’est à juste titre qu’elles ont été retenues dans le cadre du grief n° 2. En effet ces produits sont bien en relation avec l’infraction, ainsi que cela a été démontré dans les développements consacrés au périmètre de l’accord, en partie II- A) du présent arrêt.

725.En revanche, il n’a été ni établi ni soutenu par l’Autorité que l’implication d’Ingram Micro dans l’entente ait été en relation avec les ventes de licence & software qu’il a réalisé en 2012. C’est en conséquence à juste titre que les sociétés Ingram demandent à la Cour de retrancher du chiffre d’affaires 2012 relatif aux produits Apple (hors iPhone) la somme de 1 011 447 d’euros correspondant au chiffre d’affaires réalisé auprès de leurs différents clients au titre de la commercialisation des licences & software, qui sont hors du champ d’application de l’entente. La décision attaquée est donc réformée en ce sens et le montant de base à prendre en compte fixé, pour Ingram Micro, à 117.251.527 euros (118 262 974 – 1 011 447).

726.La Cour n’est saisie d’aucune contestation concernant le périmètre des ventes retenu à l’égard des sociétés Tech Data.

b) concernant le grief n° 4

727.Les sociétés Apple reprochent également d’avoir élargi le périmètre de la valeur des ventes, en y incluant les ventes du réseau de distribution en propre (273 295 915 euros pour l’AOS et 205 048 807 euros pour les ARS, représentant ainsi, au total, plus de 82 % du montant de base) alors que ce grief ne touche que les APR.

728.Elles en déduisent que, par soustraction des ventes du réseau propre du montant de base retenu, celles relevant du canal des APR (directs et indirects) représentaient 101 926 459 euros en 2012 (année de référence prise en compte pour ce grief) soit seulement 17,6 % des ventes prises en compte.

729.L’Autorité réplique que dans la mesure où il a été considéré, aux paragraphes 1230 et 1237 de la décision attaquée, que les pratiques visées par chaque grief avaient eu pour objet de restreindre la concurrence intra-marque concernant la vente de produits et accessoires de marque Apple (hors iPhone) entre les APR et les canaux de distribution en propre d’Apple, elle était fondée à retenir tant la valeur des ventes d’Apple à destination des APR que celle des ventes à destination de ses canaux de distribution en propre. Elle ajoute que le fait que les ventes en ligne étaient considérées, à l’époque des pratiques, comme appartenant à un marché distinct est indifférent, dans la mesure où les ventes via le canal AOS (en ligne) étaient directement liées aux pratiques visées par les griefs. En effet, s’agissant du grief n° 4, les APR ont tout particulièrement souffert de la disponibilité des produits sur l’AOS, notamment pendant les périodes de contraintes.

Sur ce, la Cour,

730.Sur la base des principes déjà énoncés dans les développements des paragraphes 720 du présent arrêt, la Cour relève que les pratiques retenues au titre du grief n° 4 (mettant en cause une politique d’approvisionnement discriminatoire) a affecté, en la restreignant, la concurrence intra-marque concernant la vente de produits et accessoires de marque Apple (hors iPhone), notamment entre les APR et les canaux de distribution en propre d’Apple. C’est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu tant la valeur des ventes réalisées avec les APR que celle issue des canaux de distribution en propre.

731.Par ailleurs, comme le souligne à juste titre l’Autorité, le fait que la part des ventes Apple aux APR soit limitée est déjà prise en compte au stade de l’analyse du dommage causé à l’économie, pour en circonscrire l’ampleur, de sorte que cet élément ne justifie pas de réformer la décision attaquée au titre de la méthodologie de calcul suivie.

732.Le moyen est rejeté.

2. Sur le pourcentage de la valeur des ventes retenu

733.Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu une proportion de :

' 8 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions prononcées au titre du grief n° 2 ;

' 9 % de la valeur retenue comme assiette du montant de la sanction prononcée au titre du grief n° 4.

734.Les sociétés Apple, pour les motifs déjà exposés à l’occasion de l’examen de la gravité et du dommage causé à l’économie par les griefs 2 et 4, demandent à la Cour de revoir à la baisse les pourcentages retenus par l’Autorité pour chacun de ces griefs.

735.Les sociétés Ingram soutiennent également que c’est à tort que l’Autorité a retenu un pourcentage de 8 %, considérant que ce taux est manifestement disproportionné compte tenu des pratiques atypiques en cause.

736.Les sociétés Tech Data estiment aussi que ce taux est disproportionné, compte tenu du fait que les ententes verticales sont considérées avec moins de sévérité que les ententes horizontales entre concurrents. Elles relèvent, comme les sociétés Ingram, que d’autres décisions ont retenu une proportion inférieure comprise entre 3 et 7 % et qu’un taux de 7 % a été retenu dans la présente affaire concernant le grief n° 3 pour des pratiques considérées comme parmi les plus graves.

737.Elles soulignent qu’il n’est pas démontré que les pratiques d’allocations ont eu un quelconque impact sur les prix de gros ou les prix de détail et qu’il n’est pas contesté qu’elles n’ont causé, tout au plus, qu’un dommage à l’économie limité. Elles en déduisent que ce pourcentage ne pouvait en tout état de cause excéder 6 %.

738.L’Autorité rappelle, en premier lieu, que la proportion de la valeur des ventes est propre à chaque affaire, de sorte qu’une pratique décisionnelle antérieure ne saurait être utilement invoquée au soutien du recours.

739.Elle soutient, en deuxième lieu, que le pourcentage de valeur des ventes retenu au titre du grief n° 2 reflète l’appréciation de la gravité des faits et du dommage causé à l’économie dans le secteur concerné. Elle souligne que la circonstance que les pratiques en cause ne portent pas directement sur la fixation de prix, ne suffit à elle-seule, à justifier d’appliquer une proportion faible de la valeur des ventes au regard de l’appréciation portée sur la gravité des pratiques en cause (effet de cloisonnement des marchés, contexte de concurrence intra-marque réduit par l’agrément de deux grossistes seulement, affectation tant des revendeurs approvisionnés auprès des grossistes que des clients finaux, limites apportées à la libre détermination de leur politique commerciale …).

740.Elle ajoute que le pourcentage retenu au titre du grief n° 3, pour une pratique par nature plus grave, a été réduit au regard de la faible partie des revendeurs concernés ce qui en a atténué la gravité.

741.Enfin, dans la mesure où dans les deux cas l’Autorité a conclu à un dommage à l’économie limité, elle estime que les coefficients de 8 % pour les pratiques d’allocation de clientèle et de 7 % pour la pratique de fixation de prix de revente, reflètent les différences d’appréciation de la gravité de chacune des pratiques.

Sur ce, la Cour,

742.Aux termes de l’article 21 du communiqué sanction, pour mettre en 'uvre les critères permettant de déterminer le montant des sanctions qu’elle inflige, l’Autorité détermine d’abord le montant de base de la sanction pécuniaire pour chaque entreprise ou organisme en cause, en considération de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie.

743.L’article 23 du même communiqué précise que pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, l’Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l’infraction ou, s’il y a lieu, les infractions en cause.

744.En premier lieu, au regard des principes précités, les sociétés mises en cause ne sont donc pas fondées à se prévaloir d’autres décisions relatives à des cas d’espèce et des circonstances de fait et de droit propres à chacune de ces affaires pour demander une réduction du taux qui leur a été appliqué. De la même manière, c’est en vain qu’elles comparent le taux retenu pour le grief n° 2 qui intervient dans un contexte de concurrence intra-marque limitée par l’existence de deux grossistes agréés sur le marché de gros, tous deux impliqués dans la pratique d’allocations litigieuses, et le grief n° 3 impliquant une seule catégorie de revendeurs sur le marché de détail (les APR) et qui s’inscrit dans un contexte de concurrence intra-marque plus important qui était de nature à en atténuer la portée.

745. En deuxième lieu, s’agissant plus précisément de l’analyse menée dans le cadre du grief n° 2, il résulte des motifs déjà exposés dans les sous-parties B et E de la partie II, relatives à la qualification de restriction de concurrence par objet et à la gravité et au dommage causé à l’économie par ces pratiques, que les faits en cause revêtent un caractère certain de gravité, dont l’appréciation n’a pas été réformée par la Cour, tenant, notamment, au fait que le système en cause, qui présentait un certain degré de sophistication (reposant sur un système de contrôle et de surveillance des allocations de produits), ne s’est pas borné à instaurer un ordre de priorité dans les livraisons des produits et était de nature à empêcher, ou du moins restreindre, les ventes tant actives que passives des grossistes, tant à l’égard de distributeurs établis sur le territoire national que sur celui d’un autre État membre.

746.Les motifs précités ont également confirmé l’existence et le caractère limité du dommage causé à l’économie.

747.Concernant la proportionnalité du pourcentage retenu par rapport à l’appréciation portée sur ces deux éléments, la Cour relève que l’accord en cause relève d’une catégorie de pratiques (restriction de clientèle) usuellement sanctionnée, qui ne permet pas de le considérer comme totalement inédit et ne justifie pas d’abaisser significativement le taux retenu. En revanche, au regard de l’analyse de la teneur de l’accord et du caractère limité du dommage causé à l’économie, et afin de garantir la proportionnalité de la sanction, la Cour réduit ce pourcentage à 7 % et réforme la décision attaquée en ce sens.

748. En troisième lieu, s’agissant du grief n° 4, il résulte, tout d’abord, des développements caractérisant l’exploitation abusive de la situation de dépendance économique des APR et ses conséquences sur le fonctionnement et la structure de la concurrence (partie IV du présent arrêt) que la pratique litigieuse s’est inscrite dans le cadre d’un réseau de distribution dont l’organisation permettait au fournisseur de maintenir ses partenaires en situation de dépendance économique et de maîtriser leur activité et leur rentabilité. Cette pratique a reposé sur une politique d’approvisionnement sophistiquée et irrégulière, ainsi que sur un traitement discriminatoire entre les différents canaux de distribution, qui ont affaibli la capacité concurrentielle des APR. Comme l’a justement relevé l’Autorité, une telle situation est grave par nature.

749.L’exploitation abusive en cause n’ayant pas été établie concernant les conditions commerciales appliquées et le défaut de visibilité qu’elles offraient aux APR, cet élément doit être pris en compte pour apprécier la gravité de l’abus en cause, nécessairement moindre que celle retenue par l’Autorité.

750.Il ressort, ensuite, des motifs déjà exposés dans la sous-partie C de la partie II, consacrée au dommage à l’économie né de la pratique visée par le grief n° 4, que celui-ci est limité, ce que l’Autorité ne conteste pas.

751.Concernant la proportionnalité du pourcentage retenu par rapport à l’appréciation portée sur ces deux éléments, la Cour retient, afin de garantir la proportionnalité de la sanction, un pourcentage réduit à 8 % de la valeur des ventes. La décision attaquée est réformée en ce sens.

3. Sur le coefficient de durée des pratiques

752.La décision attaquée a indiqué, aux paragraphes 1337 et suivants, avoir pris en compte la durée des différentes infractions en appliquant au montant de base les coefficients suivants :

' 4,16 pour le grief n° 2 d’une durée de 7 ans et 4 mois ;

' 2,2 pour le grief n° 4 d’une durée de 3 ans et 5 mois.

753.Les sociétés Apple reprochent à l’Autorité d’avoir commis des erreurs manifestes dans l’appréciation de la durée des pratiques visées par le grief n° 2 et les calculs qui en découlent.

754.Elles font valoir, concernant le seul grief n° 2, dans le prolongement de leurs développements précédents, que le coefficient multiplicateur retenu pour le calcul d’une éventuelle sanction devrait, en tout état de cause, être considérablement réduit et limité à :

' un coefficient de 2,16 concernant l’intervention d’Apple auprès d’Ingram Micro s’agissant des iPods, qui correspond à une période de 3 ans et 4 mois ;

' un coefficient de 0,16 concernant l’intervention d’Apple auprès d’Ingram Micro s’agissant des autres produits Apple (hors iPhones), pour une période de tout au plus 2 mois ;

' un coefficient de 0,5 concernant l’intervention d’Apple auprès de Tech Data, tous produits confondus (hors iPhones), pour une période tout au plus de 6 mois.

755.L’Autorité et le ministère public invitent la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour,

756.Aux termes du point 42 du communiqué sanction, dans le cas des infractions qui se sont prolongées plus d’une année, leur durée est ensuite prise en considération selon les modalités suivantes. La proportion retenue par l’Autorité est appliquée, au titre de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en cause à l’infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l’exercice comptable de référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur. Au-delà de la dernière année complète de participation à l’infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.

757.Cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d’entre elles pendant l’exercice comptable retenu comme référence.

758.Compte tenu des réformations auxquelles la Cour a déjà procédé lors de l’examen du grief n° 2 et de la période d’infraction retenue (du 25 novembre 2009 jusqu’à la fin du mois de mars 2013) réduisant à 3 ans et 4 mois la durée de participation de tous les membre de l’entente (sans segmentation selon la nature des produits Apple concernés, ni différence entre les grossistes), il convient d’appliquer à la proportion de la valeur des ventes de référence de chacun d’eux un coefficient de 2,16. La décision attaquée est réformée en ce sens.

D. Sur la proportionnalité des sanctions infligées

1. Sur la majoration de la sanction au titre de l’appartenance à un groupe

759.Les sociétés Apple, Ingram et Tech Data estiment que le facteur multiplicateur (de 90 % pour Apple, 60 % pour Ingram Micro et 50 % pour Tech Data) qui a été appliqué sur le montant de base des sanctions, en raison de leur appartenance à un groupe, est disproportionné.

760.Les sociétés Apple rappellent que si le Communiqué sanctions ne prévoit pas de limite à la majoration pouvant être appliquée, l’Autorité n’a pas pour autant un pouvoir totalement discrétionnaire et doit faire preuve de mesure. Elles soulignent le caractère inédit d’une telle majoration dans la pratique décisionnelle comme dans la jurisprudence française et européenne, y compris à l’égard d’entreprise de taille comparable voire supérieure. Elles citent notamment le pourcentage de 30 % appliqué à Google (Commission européenne, décision du 27 juin 2017, Google Search (Shopping), aff. AT.39740, § 752).

761.Elles estiment que le montant de base de départ était très suffisant pour assurer l’objectif de répression et dissuasion recherché par l’Autorité compte tenu de la nature verticale des pratiques, de gravité moindre qu’un cartel ou un abus de position dominante.

762.Les sociétés Tech Data et Ingram dénoncent une application automatique et demandent à ce que soit prise en compte la puissance économique de chacun des mis en cause pour satisfaire les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

763.Ainsi, les sociétés Tech Data considèrent que le taux appliqué est disproportionné au regard de celui retenu pour Apple, dès lors que le chiffre d’affaires de Tech Data est sept fois inférieur à celui d’Apple. De la même manière, les sociétés Ingram observent que le taux appliqué représente une proportion du résultat net de près de vingt fois supérieure à celle retenue contre Apple (40 % pour le groupe Ingram contre 2,1 % pour le groupe Apple), qu’aucune explication n’est donnée concernant le fait que le taux retenu est 10 % supérieur à celui retenu pour Tech Data et que la sanction infligée aux sociétés Ingram représente une proportion du résultat net sept fois supérieure à celle d’Apple.

764.Elles estiment que le montant de base initial de la sanction était également suffisamment dissuasif au regard de la faiblesse des marges des grossistes et constatent que le montant total de la sanction représente trois fois la marge brute réalisée par Ingram Micro sur l’ensemble de la période des pratiques alléguées.

765.Elles rappellent que cette majoration est également disproportionnée au regard du rôle joué par chacune des entreprises dans les pratiques : Apple ayant décidé de l’ensemble des allocations et le grossiste, dans son rôle de logisticien, n’ayant eu d’autre choix que d’exécuter.

766.Elles ajoutent que le caractère disproportionné résulte également du fait que la sanction infligée à Apple au titre des pratiques d’allocations représente 1,34 % du résultat net consolidé du groupe Apple, alors qu’elle représente 25 % du résultat net consolidé du groupe Tech Data ' et plus de 33 fois le résultat net réalisé par la filiale française au titre de la distribution des produits Apple pendant la période des pratiques, et ce alors même que la pratique décisionnelle de l’Autorité montre que les distributeurs sont rarement sanctionnés dans le cadre de pratiques d’entente verticale, sauf lorsqu’ils ont pris une part active à l’infraction, ce qui n’est pas démontré les concernant.

767.Les sociétés Ingram considèrent par ailleurs que l’Autorité aurait plutôt dû retenir un coefficient minorant pour tenir compte de la faiblesse de sa marge brute et les sociétés Tech Data se fondent sur la faiblesse de leurs marges pour soutenir que le montant de base revêtait déjà un caractère extrêmement dissuasif.

768.L’Autorité rappelle que les sanctions sont définies de manière individuelle et écarte la pertinence de toute comparaison avec d’autres affaires.

769.Elle considère les taux appliqués comme non disproportionnés compte tenu des ratios atteints. S’agissant d’Apple, elle précise que ce ratio est encore plus faible si on le rapporte à l’assiette retenue pour chacun des griefs et qu’au demeurant son chiffre d’affaires a encore augmenté en 2020, atteignant 275 milliards de dollars.

770.S’agissant d’Ingram Micro et de Tech Data, elle relève que le chiffre d’affaires de ces entreprises traduit bien leur poids économique sur le marché concerné, l’activité des grossistes impliquant un transfert de propriété des produits acquis auprès de leurs fournisseurs en vue de les revendre aux détaillants, et que cet indicateur les place comme leaders du marché selon l’étude Xerfi de 2014.

771.Elle fait également valoir que le ratio est bien plus important pour Apple que pour les deux autres entreprises sanctionnées et que la proportionnalité est également respectée à ce titre.

772.Elle maintient que seule l’application d’un pourcentage de majoration important permet à la sanction prononcée de remplir ses fonctions.

773.Le ministère public observe que 1'Autorité n’a pas l’ob1igation d’appliquer à une société un taux mathématiquement et parfaitement corrélé aux taux des autres sociétés en fonction des chiffres d’affaires réalisés par chacune, dès lors que la prise en compte de ces éléments répond à 1'individualisation requise par1'artic1e L.464-2, alinéa 3 du code de commerce qui tend à garantir le caractère à la fois proportionné et dissuasif de la sanction. Il considère, au regard du pourcentage du chiffre d’affaires que représente l’assiette retenue (1,02 % pour Apple, 0,28 % pour Ingram et 0,58 % pour Tech Data) que les taux retenus ne sont pas disproportionnés. Il invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour,

774.Conformément au troisième alinéa de l’article L.464-2, alinéa 3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable, les sanctions pécuniaires doivent également être proportionnées « à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient » et « sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

775.Dans le prolongement de ce texte, le communiqué sanctions de l’Autorité prévoit, au paragraphe 49, que cette dernière peut adapter le montant de base de l’amende à la hausse pour tenir compte du fait que l’entreprise concernée et/ou le groupe auquel elle appartient disposent d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes.

776.Comme l’a rappelé la chambre commerciale de la Cour de cassation, ces dispositions « ont pour objet d’assurer l’efficacité de la protection de l’ordre économique au moyen d’une sanction dissuasive qui doit tenir compte de l’intégralité des ressources pouvant être mobilisées par l’entreprise à laquelle sont imputées des pratiques prohibées, tout en prévoyant qu’elle soit déterminée individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction, ce qui permet d’apprécier l’autonomie dont cette entreprise dispose à l’égard du groupe auquel elle appartient et exclut tout caractère automatique du relèvement du montant » (Com., 19 novembre 2013, n° 13-16.602, QPC).

777.En premier lieu, concernant les sociétés Apple, la décision attaquée a établi, ce point n’étant pas discuté devant la Cour, que les auteurs des pratiques (Apple France/ASI/ADI/AOE/AEL) n’ont pas agi de manière autonome, les sociétés mères (Apple Inc/AOE/AOI) s’étant vu imputer les comportements infractionnels en cause au regard de leurs liens capitalistiques (intégralité ou quasi totalité du capital en fonction des sociétés, § 1173 et suivants pour le grief n° 2 et § 1182 et suivants pour le grief n° 4). Ces entreprises constituent ainsi une entreprise unique au sens du droit de la concurrence, dont la puissance économique, majeure, n’est pas contestée. Ces éléments permettent de tenir compte des ressources du groupe au moyen d’un coefficient de majoration garantissant les objectifs précités dans le respect de l’individualisation de la sanction.

778.Compte tenu des ressources et données chiffrées rappelées aux § 1362 et 1363, non contestées (223,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires consolidé au 30 septembre 2018), le montant de base, obtenu pour chacune des infractions, sur la base des calculs rappelés dans la partie C qui précède, n’est pas suffisant pour satisfaire les objectifs de répression et dissuasion poursuivis (145 607 560 euros au titre du grief n° 2, 102 127 728 euros au titre du grief n° 4).

779.En revanche, le taux de majoration de 90 % est disproportionné. Un taux de majoration de 50 %, suffit à garantir le prononcé de sanctions satisfaisant les objectifs de répression et de dissuasion. Il y a lieu de réformer la décision attaquée en ce sens

780.En deuxième lieu, concernant les sociétés Ingram, la décision attaquée a établi, ce point n’étant pas discuté devant la Cour, que l’auteur des pratiques (Ingram Micro) n’avait pas agi de manière autonome, l’influence déterminante de ses sociétés mères (Ingram Micro Europe BVBA et Ingram Micro Inc.) ayant été retenue en raison des liens capitalistiques en cause (Ingram Micro SAS étant détenue, à l’époque des pratiques, à 99,99 % par Ingram Micro Europe BVBA, elle-même détenue à 100 % par la société Ingram Micro Inc., puis, depuis le 30 juin 2015, à 99,9 % par Ingram Micro Europe BV, elle-même détenue à 100 % par la société Ingram Micro Inc). Ces entreprises constituent ainsi une entreprise unique au sens du droit de la concurrence, dont les ressources globales sont très élevées. Ces éléments permettent de tenir compte des ressources du groupe au moyen d’un coefficient de majoration garantissant les objectifs précités dans le respect de l’individualisation de la sanction.

781.Compte tenu des ressources et données chiffrées rappelées aux § 1369 et 1370, non contestées (environ 42,7 milliards d’euros au titre du chiffre d’affaires consolidé hors taxe au 31 décembre 2018), le montant de base défini sur la base des calculs rappelés dans la partie C qui précède (17 728 431 euros), n’est pas suffisant pour satisfaire les objectifs de répression et dissuasion poursuivis, peu important en l’occurrence que les marges réalisées par les grossistes soient faibles puisque leur secteur est une activité de volume comme l’a relevé, à juste titre, la décision attaquée au § 87 et que leur chiffre d’affaires traduit bien leur poids économique sur le marché.

782.En revanche, le taux de majoration de 60 % est disproportionné à l’égard du groupe Ingram. Un taux de majoration de 10 %, suffit à garantir le prononcé de sanctions satisfaisant les objectifs de répression et de dissuasion, tout en respectant leur proportionnalité au regard de la sanction prononcée à l’égard d’Apple, dont la puissance économique est très supérieure. Il y a lieu de réformer la décision attaquée en ce sens.

783.En troisième lieu, concernant les sociétés Tech Data, la décision attaquée a établi, ce point n’étant pas davantage discuté devant la Cour, que l’auteur des pratiques (Tech Data France) n’avait pas agi de manière autonome, l’influence déterminante de ses sociétés mères (Tech Data France holding, Tech Data BV et Tech Data Corp) ayant été retenue en raison des liens capitalistiques en cause (Tech Data France étant détenue à 100 % par Tech Data France Holding, elle-même détenue à 100 % par Tech Data BV, elle-même détenue indirectement à 100 % par la société américaine Tech Data Corp). Ces entreprises constituent ainsi une entreprise unique au sens du droit de la concurrence dont les ressources globales sont également importantes. Comme pour les autres entreprises sanctionnées, ces éléments permettent de tenir compte des ressources du groupe pour garantir les objectifs précités, dans le respect du principe d’individualisation de la sanction.

784.Compte tenu des ressources et données chiffrées rappelées aux § 1376 et 1377, non contestées (environ 31,7 milliards d’euros au titre du chiffre d’affaires consolidé hors taxe au 31 janvier 2019), le montant de base défini sur la base des calculs rappelés dans la partie C qui précède (23 051 939 euros) n’est pas suffisant pour satisfaire les objectifs de répression et dissuasion poursuivis, peu important le niveau de marges réalisé par les grossistes, comme il a été déjà dit, puisque le marché de gros est une activité de volume et que leur chiffre d’affaires traduit bien leur poids économique sur le marché.

785.En revanche, le taux de majoration de 50 % est disproportionné à l’égard du groupe Tech Data,. Un taux de majoration de 8 %, suffit à garantir le prononcé de sanctions satisfaisant les objectifs de répression et de dissuasion. Il y a lieu de réformer la décision attaquée en ce sens.

2. Sur les circonstances atténuantes invoquées par les grossistes

786.Les grossistes reprochent, en premier lieu, à l’Autorité de ne pas avoir retenu une circonstance atténuante au titre de l’imprévisibilité du caractère infractionnel de la pratique visée par le grief n° 2 résultant du caractère inédit des pratiques, et ce alors qu’une telle circonstance a déjà été admise, comme le précisent Tech Data. Ce caractère inédit avait également été invoqué par Apple à l’occasion des développements relatifs à la nature des pratiques et à la qualification de restriction par objet.

787.Les sociétés Ingram soutiennent, en deuxième lieu, qu’une circonstance atténuante aurait également dû être retenue compte tenu de ce que la pratique avait des effets pro-concurrentiels.

788.Les sociétés Tech Data font valoir, en troisième lieu, qu’il aurait dû être tenu compte de son rôle limité dans la mise en 'uvre des pratiques et des différences de comportement significatives entre Apple et les grossistes, compte tenu de ce qu’ils ne sont pas actifs au même niveau de la chaîne de distribution. Cet argument reprend également celui des sociétés Ingram qui critiquaient le choix même de sanctionner un distributeur, dans les cas de restriction verticale, alors qu’il n’a pas été identifié d’implication particulière – allant au-delà du simple acquiescement – dans la commission de l’infraction.

789.L’Autorité, s’agissant de l’imprévisibilité de la sanction, relève que les affaires invoquées par les sociétés Tech Data impliquaient d’appréhender pour, la première fois, des comportements nouveaux résultant d’évolutions technologiques, à savoir, du développement des ventes en ligne, et que la présente affaire n’est pas comparable. Elle renvoie au § 1350 de la décision attaquée excluant le caractère particulièrement innovant des pratiques dès lors que les textes en cause visent explicitement les ententes consistant à « répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ». Elle rappelle également la jurisprudence européenne qui les réprime et la catégorie à laquelle appartient la pratique en cause (restriction caractérisée visée par l’article 4, b), du règlement n° 330/2010 déjà cité). Elle renvoie également à ses décisions antérieures sanctionnant des restrictions de clientèle (décisions n° 05-D-32 du 22 juin 2005 relative à des pratiques mises en 'uvre par la société Royal Canin et son réseau de distribution ; n° 07-D-24 du 24 juillet 2007 relative à des pratiques mises en 'uvre par le réseau Léonidas ; n° 12-D-10 du 20 mars 2012 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur de l’alimentation pour chiens et chats).

790.Elle renvoie enfin la Cour à ses développements précédents concernant les effets pro-concurrentiels invoqués et la possibilité de sanctionner des distributeurs dans le cadre d’ententes verticales.

791.Le ministre de l’économie indique approuver la politique de sanction appliquée et exclut l’octroi des circonstances atténuantes pour les mêmes motifs que l’Autorité.

792.Le ministère public partage ces analyses et invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour,

793.S’agissant, en premier lieu, du caractère inédit des pratiques, il est exact qu’il n’est pas justifié de précédents portant exactement sur le même mécanisme d’allocation de produits et de clientèle, néanmoins, comme il a déjà été dit, il ne saurait être exigé qu’une pratique identique dans tous ses éléments ait déjà donné lieu à sanction pour permettre de réprimer pleinement une pratique anticoncurrentielle, sauf à entraver systématiquement l’objectif de répression. En effet, chaque affaire présente ses propres singularités, nonobstant le fait qu’elle puisse s’inscrire dans un cadre juridique et une catégorie de pratiques sanctionnées de longue date (comme la restriction de clientèle). Les caractéristiques de la pratique en cause, qui lui confèrent une gravité spécifique mais non un caractère inédit, ne justifient pas de réformer la décision à ce titre.

794.S’agissant, en deuxième lieu, des effets pro-concurrentiels invoqués, déjà examinés aux paragraphes 300 et suivants du présent arrêt, force est de constater qu’ils sont à relativiser et qu’ils ont déjà été pris en compte dans le cadre de l’analyse de la gravité et du dommage causé à l’économie dont ils ont limité la portée.

795.S’agissant, en troisième lieu, du rôle limité des grossistes, il doit être relevé, d’une part, qu’il est vain de soutenir qu’ils n’ont pas initié ce système de répartition, ni défini la politique d’allocations en cause (ce rôle central revenant à Apple), puisque sans leur participation active au système ce dernier n’aurait pas pu fonctionner dès lors qu’il n’existait que deux grossistes agréés pour la distribution des produits Apple, hors secteur de la téléphonie. La Cour constate, d’autre part, qu’ils en ont tiré avantage. Non seulement en pérennisant le système ils avaient l’assurance de ne pas être concurrencés par un nouveau grossiste mais ils bénéficiaient également, à tour de rôle, de ce système de répartition et y jouaient un rôle actif en se surveillant mutuellement et en acceptant les transferts de commande et de clientèle. À cet égard, la Cour renvoie, à titre d’illustration, à l’échange de courriels internes au sein de Tech Data en date de juin 2011 (« grâce à une précieuse aide chez Apple […] Cora a choisi Tech data […] Cora était très content d’Ingram au niveau logistique sur les Ipods, c’est Apple qui a poussé le transfert », cote 34129, citée §230 de la décision attaquée), ainsi qu’à l’ iChat du 5 avril 2011, entre Apple France et un APR indirect, dont il ressort que Ingram Micro a appliqué les allocations décidées par Apple en approvisionnant ce client en lieu et place de Tech Data » (cote 26448, citée § 288 de la décision attaquée), outre l’échange de courriels intervenus le 24 janvier 2013 entre Apple France et Ingram Micro rappelant la nécessité pour les deux grossistes de « jouer le jeu ». (cote 30527, citée § 320 de la décision attaquée).

796.Il doit également être rappelé, comme l’a fait à juste titre l’Autorité, que Tech Data et Ingram Micro appartiennent à des groupes d’envergure qui occupent une place de leader sur le marché. L’étude XERFI, citée aux § 43 et 48 et suivants de la décision attaquée, non contestée, souligne ainsi leur positionnement respectif sur le marché (depuis 2009 Ingram Micro se positionnant à la seconde place derrière Tech Data (cote 34510)).

797.Concernant plus spécifiquement Tech Data, la nature et l’intensité de sa participation à l’infraction ressortent des éléments recueillis par l’Autorité au cours de la procédure, déjà évoqués au stade de la caractérisation de l’entente, laquelle n’était pas tenue de chiffrer avec précision le taux de suivi des allocations dès lors qu’il est constant que ce grossiste a acquiescé à l’entente et que de nombreux exemples démontrent qu’il y a activement pris part. Au demeurant il ne ressort pas des éléments de preuve directe versés au débat que ce dernier se soit significativement démarqué d’Ingram Micro lors de la mise en 'uvre de l’entente. En outre, dans la configuration du marché de gros précitée, le système n’a été rendu possible qu’avec la participation des deux grossistes et Tech Data n’a jamais remis en cause le fait que cette politique permettait d’assurer un relatif équilibre entre eux (en ce sens notamment les courriels internes Tech Data du 8 septembre 2010 « Apple fait tout pour que la PDM de Tech data sur APPLE soit égale 50/50 avec IM ») constatant cette situation en interne, sans la remettre en cause.

798.Les limites méthodologiques des analyses versées aux débats (pièces Tech Data 8/8bis/8ter) ne permettent pas de retenir le taux de suivi de 39,2 % qui est manifestement sous-estimé, dès lors qu’elles ne portent que sur l’iPad, se limitent aux périodes de mois complets, c’est-à-dire ceux pour lesquels les allocations sont renseignées sur toute la durée du mois (qui représentent 8 % des ventes totales d’IPad par Tech Data, alors que les mois incomplets en représentent 25 %), ne permettent pas de définir la durée des allocations étudiées et de rendre compte de l’hypothèse des détaillants satisfaits en dehors des périodes étudiées, ni davantage de vérifier si Tech Data a respecté 'les allocations en s’abstenant de vendre ses produits aux détaillants alloués par Apple à Ingram ou aux détaillants directs puisqu’elles n’examinent que certaines des allocations produits qui lui ont été transmises par Apple, sur certaines périodes.

799.Tech Data ne peut donc invoquer, dans ce contexte, « un faible taux de suivi des allocations » au cours de toute la période infractionnelle, pour revendiquer une minoration du montant de sa sanction.

800.Ces différents éléments ne sauraient donc justifier d’accorder de circonstances atténuantes.

E. Conclusion sur le montant de la sanction après réformations de la Cour

1. Concernant le grief n° 2

801.La Cour a partiellement fait droit aux demandes des requérantes en réduisant la proportion de la valeur des ventes à retenir et la durée de participation de tous les membre de l’entente. Sur cette base commune, les montants suivants sont arrêtés :

À l’égard d’Apple : partant de la valeur des ventes en lien avec l’infraction réformée par la Cour, dont le montant bénéfice du secret des affaires, lui appliquant une proportion de 7 %, un coefficient de 2,16 au titre de la durée de la pratique et un taux de majoration pour appartenance à un grand groupe de 50 % : 218 411 340 euros.

À l’égard d’Ingram Micro, partant du montant réformé de 117 251 527 euros correspondant à la valeur des ventes en lien avec l’infraction, lui appliquant une proportion de 7 %, un coefficient de 2,16 au titre de la durée de la pratique et un taux de majoration pour appartenance à un grand groupe de 10 % : 19 501 274 euros.

À l’égard de Tech Data, partant du montant de 152 459 915 euros correspondant à la valeur des ventes en lien avec l’infraction retenue par la décision attaquée (dont le périmètre n’est pas, en lui-même, contesté), lui appliquant une proportion de la valeur des ventes de 7 %, un coefficient de 2,16 au titre de la durée de la pratique et un taux de majoration pour appartenance à un grand groupe de 8 % : 24 896 094 euros.

2. Concernant le grief n°4

802.Partant du montant de 580 271 181 euros correspondant à la valeur des ventes en lien avec l’infraction retenue par la décision attaquée, qui n’a pas été réformée sur ce point, lui appliquant une proportion de la valeur des ventes de 8 %, un coefficient de durée, non contesté de 2,2 et un taux de majoration pour appartenance à un grand groupe de 50 % : 153 191 592 euros, étant rappelé que ce grief ne concerne qu’Apple.

VI. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

803.Comme cela a déjà été indiqué dans le rappel des prétentions figurant en début d’arrêt, il est demandé à la Cour de condamner l’Autorité aux entiers dépens et, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de la condamner au paiement de :

' 500 000 euros en faveur des sociétés Apple ;

' 30 000 euros en faveur de chacune des sociétés Tech Data ;

' 500 000 euros en faveur des sociétés Ingram.

804.Les sociétés Apple demandent également de condamner la société eBizcuss au paiement de 80 000 euro au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

805.Le mandataire liquidateur de la société eBizcuss demande, pour sa part, de condamner, solidairement, les sociétés Apple, les sociétés Ingram et les sociétés Tech Data à payer à la société en liquidation la somme de 120 000 euros sur le même fondement.

806.Les société des groupes Apple, Tech Data et Ingram succombant partiellement en leur recours, il y a lieu de rejeter leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux entiers dépens.

807.Il serait inéquitable de faire supporter à la société eBizcuss les frais qu’elle a été contrainte d’engager dans le cadre de cette procédure pour préserver ses droits. Il y a lieu, en conséquence d’allouer au mandataire liquidateur de la société eBizcuss une somme globale de 50 000 euros.

PAR CES MOTIFS

REJETTE les moyens d’annulation dirigés contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-D-04 du 16 mars 2020 tirés d’une violation des principes du contradictoire, du droit à un procès équitable et d’égalité des armes ;

DIT n’y avoir lieu d’écarter des débats aucune pièce ;

DIT n’y avoir lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel ;

RÉFORME cette décision, mais seulement :

' en ses articles 2 et 6, en ce que le premier retient que les pratiques visées par le grief n° 2 sont caractérisées à compter de décembre 2005 jusqu’à mars 2013 et le second inflige une sanction à ce titre tenant compte de cette durée ;

' en ses articles 3 et 7, en ce que le premier retient que les pratiques visées par le grief n° 3 sont établies et le second inflige une sanction à ce titre ;

' en ses articles 5 et 8, en ce que le premier inclut, au titre du grief n° 4, les conditions commerciales relatives aux remises dans les règles et comportements qui restreignaient de manière anormale l’activité des APR et le second inflige une sanction tenant compte de cet abus.

Statuant à nouveau sur ces points,

DIT que les pratiques de restriction de clientèle (grief n° 2) visées à l’article 2 précité sont établies à compter du 25 novembre 2009 jusqu’à mars 2013 ;

DIT qu’il n’est pas établi que les sociétés Apple France SARL, Apple Distribution International et Apple Europe Limited, en tant qu’auteures, et Apple Inc., Apple Operations Europe et Apple Operations International, en leur qualité de sociétés mères, ont mis en 'uvre les pratiques visées au grief n°3 tendant à limiter la liberté tarifaire des APR, en fixant directement ou indirectement le prix de vente aux consommateurs des produits de marque Apple, sur le marché de la distribution au détail de produits informatiques et électroniques grand public sur la période d’octobre 2012 à avril 2017 ;

DIT que les règles et comportements abusifs visés à l’article 5 (grief n° 4) concernent les conditions d’approvisionnement et le traitement discriminatoire appliqués aux APR ;

DIT qu’il n’est pas établi que les règles et comportements abusifs visés à l’article 5 (grief n° 4) comprennent les conditions commerciales relatives aux remises ;

INFLIGE au titre des pratiques visées à l’article 2 (grief n° 2), tel que réformé par la Cour, les sanctions pécuniaires suivantes :

' 218 411 340 euros solidairement aux sociétés Apple France SARL, Apple Sales International, Apple Distribution International, Apple Europe Limited, Apple Operations Europe, Apple Operations International et Apple Inc. ;

' 19 501 274 euros solidairement aux sociétés Ingram Micro SAS, Ingram Micro Europe BVBA et Ingram Micro Inc. ;

' 24 896 094 euros solidairement aux sociétés Tech Data France SAS, Tech Data France Holding, Tech Data BV et Tech Data Corp.

INFLIGE au titre des pratiques visées à l’article 5 (grief n° 4), tel que réformé par la Cour, la sanction pécuniaire de 153 191 592 euros, solidairement aux sociétés Apple France SARL, Apple Sales International, Apple Distribution International, Apple Europe Limited, Apple Operations Europe, Apple Operations International et Apple Inc.

RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant le montant fixé par le présent arrêt devront être remboursées aux organismes concernés, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s’il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1343-2 du code civil ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission de l’Union européenne en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

Condamne in solidum les sociétés des groupes Apple, Ingram et Tech Data sanctionnées au titre des griefs n° 2 et 4, à payer à la société eBizcuss.com, représentée par son mandataire liquidateur, la somme globale de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum ces mêmes sociétés aux dépens.

LA GREFFIÈRE

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, 6 octobre 2022, 20/085827