Tribunal administratif de Nice, 22 août 2016, n° 1603508

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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Revue Générale du Droit

Aujourd'hui, la succession rapide d'attentats terroristes peut impliquer une réaction des autorités politiques qui se révélerait a posteriori excessive1. Par ailleurs, l'instrumentalisation et la médiatisation accrue de certains clivages religieux ne semblent pas participer à l'apaisement des risques pesant sur l'ordre public. C'est donc dans ce contexte particulier, caractérisé par la mise en œuvre de l'état d'urgence2, qu'une ordonnance de référé a été rendue le 6 août 2016 par le Conseil d'État. Il s'agissait de savoir si le port du burkini, vêtement de bain qui se veut compatible avec …

 

Revue Générale du Droit

Le présent commentaire est une première version, qui fera l'objet d'adaptations et d'ajouts ultérieurs. “Il faut s'appuyer sur les principes, jusqu'à ce qu'ils cèdent” Oscar Wilde 1. Introduction. 2. Le contexte de l'affaire. 3. L'indifférence de la République vis-à-vis des modes vestimentaires. 4. La situation particulière du voile islamique. 5. Sur l'interdiction du voile intégral dans l'espace public. 6. Sur l'illégalité inévitable de l'arreté municipal. 7. Les doutes sur la constitutionnalité d'une éventuelle loi anti-burkini. 1. Les grands principes fondant la République française …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Nice, 22 août 2016, n° 1603508
Juridiction : Tribunal administratif de Nice
Numéro : 1603508

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE NICE

N°s 1603508 et 1603523

__________

— LIGUE DES DROITS DE L’HOMME ET AUTRES

— ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME – COLLECTIF CONTRE L’ISLAMOPHOBIE EN FRANCE

__________

Ordonnance du 22 août 2016

__________

54-035-03

C+

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Nice

Les juges des référés, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative

Vu les procédures suivantes :

I – Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n°1603508, respectivement le 16 août 2016 à 20h18 et le 18 août 2016 à 14h41, la Ligue des droits de l’homme, en la personne de son représentant légal ainsi que, M. Y X, président de la section de la Ligue des droits de l’homme Cannes-Grasse et M. C D, délégué régional de la Ligue des droits de l’homme de Provence-Alpes-Côte d’Azur et vice-président de la section de la Ligue des droits de l’homme Cannes-Grasse, agissant par la SCP Spinosi & Sureau, demandent au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté municipal n°2016-42 du 5 août 2016 édicté par le maire de la commune de Villeneuve-Loubet.

2°) de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-Loubet la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

Sur l’intérêt pour agir :

— l’intérêt pour agir de la Ligue des droits de l’homme contre un arrêté municipal qui emporte une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales garanties par la Constitution ainsi que par les engagements internationaux et européens de la France ne saurait faire, au regard de ses statuts, l’objet du moindre doute ; il en est de même des autres requérants qui résident habituellement dans des communes géographiquement très proches, et ont ainsi vocation à accéder aux plages concernées par l’arrêté ;

Sur l’urgence :

— cette condition est manifestement remplie, dès lors que l’arrêté contesté a vocation à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation des requérants ainsi qu’aux intérêts qu’ils entendent défendre ;

— cet arrêté municipal a été édicté le 5 août 2016, soit il y a désormais douze jours et il a vocation à produire ses effets jusqu’au 15 septembre 2016, soit encore pendant près d’un mois ;

— en tout état de cause il ne saurait être tiré argument ni de l’écoulement d’un certain délai entre l’édiction de l’acte litigieux et l’introduction du recours en référé, ni de la circonstance que cet acte a vocation à cesser ses effets d’ici quelques semaines pour nier l’existence d’une urgence particulière au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; la date d’introduction du recours en référé liberté est parfaitement indifférente, à l’inverse du référé suspension ; l’urgence naît du constat d’une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, laquelle justifie l’intervention du juge des référés dans un délai de 48 heures ; il importe donc peu que le requérant tarde à saisir le juge, dès lors qu’une telle violation doit cesser le plus vite possible ;

— ils ont saisi le tribunal administratif dès le 14 août, en plein week-end du 15 août, sans pouvoir se procurer l’arrêté qui n’était pas affiché sur les plages et l’existence de l’arrêté contesté n’a été révélée dans la presse par le maire de Villeneuve-Loubet que le 13 août 2016 ; il n’est pas établi que l’arrêté litigieux aurait été affiché sur l’une des plages en cause, ce qu’il reviendra le cas échéant à la commune de démontrer ; contactés, les services de police n’ont en effet pas pu confirmer qu’un tel affichage aurait été accompli ;

— les seules déclarations dans la presse du maire de Villeneuve-Loubet suffisaient alors à établir l’existence de cet arrêté, contrairement à ce qu’a jugé la précédente ordonnance n°1603479 du 16 août 2016 ; il appartient nécessairement au juge des référés d’user de ses amples pouvoirs d’instruction pour vérifier cette existence ; leur précédent recours du 14 août 2016 était parfaitement recevable ;

— la condition d’urgence est en l’espèce indéniablement caractérisée, dès lors qu’ils justifient de circonstances particulières qui impliquent que le juge des référés statue à très bref délai sur leur recours et prononce la suspension de l’arrêté litigieux ; toute autre décision reviendrait à méconnaître gravement l’office du juge des référés et à faire indûment obstacle à l’organisation d’une audience publique ;

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales :

— l’arrêté municipal en litige méconnaît les libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : la liberté de manifester ses convictions religieuses, la liberté de se vêtir dans l’espace public ou encore la liberté d’aller et venir ;

• la liberté de manifester ses convictions religieuses, garantie par les articles 4, 5 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a été reconnue comme une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et les atteintes qui y sont portées, pour des exigences d’ordre public, doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ;

— l’autorité titulaire des pouvoirs de police administrative ne saurait restreindre l’exercice de la liberté de manifester ses convictions religieuses au nom du principe de laïcité en dehors des cas strictement définis par la loi ;

— l’arrêté contesté prohibe un ensemble de tenues – au demeurant largement indéfinies – révélant une appartenance religieuse et tend ainsi à viser spécifiquement un groupe de personnes en raison de leur religion comme cela ressort des propos du maire de Villeneuve-Loubet ;

• si la liberté de se vêtir n’est pas expressément reconnue par des dispositions constitutionnelles ou conventionnelles, l’interdiction de porter une tenue porte atteinte à la liberté personnelle, protégée par l’article 4 de la Déclaration de 1789, ainsi qu’au droit au respect de la vie privée, qui résulte tant de l’article 2 de cette Déclaration que de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la liberté de se vêtir peut également être protégée au titre de la liberté d’expression garantie tant par l’article 11 de la Déclaration de 1789 que par l’article 10 de la Convention européenne ;

• la liberté d’aller et venir figure au nombre des libertés constitutionnellement garanties protégées par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; l’arrêté contesté fait obstacle au libre accès à un espace public ouvert à tous et empêche l’exercice de libertés fondamentales dans cet espace ; or, strictement aucun motif ne vient justifier une telle atteinte grave et radicalement disproportionnée ;

— absolument aucune circonstance liée à la protection de l’ordre public et encore moins au contexte d’état d’urgence, lequel répond à un régime juridique strictement défini par la loi du 3 avril 1955 – ne saurait justifier des atteintes aussi graves à des libertés fondamentales ;

— la tenue manifestement visée par l’interdiction litigieuse ne saurait en aucune façon être associée à la « burqa » et le recours à l’expression « burkini », issue d’une stratégie commerciale, avant d’être popularisée dans l’opinion publique ne saurait faire illusion ;

— l’interdiction litigieuse s’applique dans un espace public ouvert à tous ;

— l’arrêté municipal qui prohibe ainsi le port de signes religieux licites lors de la baignade relève nécessairement du même régime juridique applicable à la réglementation des signes religieux dans la rue ;

— Sur le principe de laïcité :

— il ne peut en aucune façon fonder une telle interdiction ;

— la plage ou encore la mer accessible à partir de la plage relèvent d’un régime juridique radicalement différent de celui applicable aux locaux affectés à un service public, en particulier l’enseignement scolaire public ou encore la santé, au sein desquels – par exception au principe de libre manifestation des convictions religieuses – le port de signes religieux par les usagers peut être restreint ;

— les deux autres déclinaisons du principe constitutionnel de laïcité – la liberté religieuse et le respect du pluralisme – garantissent expressément la liberté de manifester ses convictions religieuses ; au contraire de certaines idées erronées, le principe constitutionnel de laïcité implique que la liberté de religion et ses déclinaisons – dont la liberté de manifester ses convictions religieuses – soient protégées ;

— en affirmant dans la presse que « la république, ce n’est pas venir à la plage habillé en affichant ses convictions religieuses, d’autant que ce sont de fausses convictions, car la religion ne demande rien », force est de constater que l’auteur de l’arrêté litigieux a profondément méconnu ces exigences fondées tant sur la liberté religieuse que sur le principe constitutionnel de laïcité ; il en résulte nécessairement que l’autorité titulaire de pouvoirs de police administrative ne saurait tirer argument du principe de laïcité pour restreindre l’exercice de la liberté de manifester ses convictions religieuses dans l’espace public en dehors des cas strictement définis par la loi ;

Sur les risques de troubles à l’ordre public :

— le « droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix» n’est garanti que « dans le respect de l’ordre public » encore faut-il qu’un quelconque risque pour l’ordre public soit véritablement caractérisé ; aucune circonstance locale particulière à la commune de Villeneuve-Loubet ne peut justifier l’interdiction de tenues manifestant une conviction religieuse ; en droit, on ne saurait en effet, spéculer gravement sur le fait que « le port d’une tenue vestimentaire distinctive, autre que celle d’une tenue habituelle de bain, peut en effet être interprété comme n’étant pas, dans ce contexte, qu’un simple signe de religiosité » ; aucun incident notable n’a été relevé en lien avec le port de telles tenues ; le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances (…)

n’est pas de supprimer la cause des tensions en éliminant le pluralisme mais de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent ;

— il incombait tout particulièrement au maire de concilier l’exercice de ses pouvoirs de police avec le respect des libertés fondamentales, ce qui implique notamment qu’il ne saurait interdire l’exercice d’une liberté – telle celle de manifester ses convictions religieuses – susceptible de provoquer des troubles, alors que le maintien de l’ordre pouvait être assuré par des mesures de police ;

Sur les règles d’hygiènes et de sécurité des baignades :

— l’auteur de l’arrêté a affirmé dans la presse qu’il considérait que se baigner habillé « n’avait pas lieu d’être pour des raisons d’hygiène » ; cet argument est infondé ; l’arrêté ne poursuit aucunement un quelconque but d’hygiène ;

— l’inadéquation vestimentaire qui compliquerait l’intervention des secouristes en cas de noyades n’est pas établie ;

— à tous égards, et de quelques motifs que l’on se place, l’interdiction du port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux bonnes mœurs, au principe de laïcité ou encore aux règles d’hygiène et de sécurité est aussi injustifiée que parfaitement disproportionnée ;

— l’arrêté municipal litigieux porte résolument une atteinte grave et manifestement illégale à de multiples libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 août 2016 à 18h39 la commune de Villeneuve-Loubet, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et notamment que :

Sur l’urgence :

— Si les requérants doivent effectivement justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour eux de bénéficier, à très bref délai, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être prononcées sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, il n’en reste pas moins qu’ils ne sauraient se prévaloir de l’urgence pour demander, sur le fondement des mêmes dispositions, la suspension d’une décision qu’ils ont tardé à attaquer ; il appartient aux requérants, tout particulièrement en matière de référé liberté, d’établir ce qui justifie, précisément et d’une manière très concrète, l’urgence à prendre une mesure de suspension ou toute autre mesure ;

— les requérants interpellent « de manière guère habituelle » le juge des référés afin qu’il ne cherche pas de « faux prétextes » pour éviter d’avoir à juger l’affaire sur la question de fond qui lui est soumise ;

— les requérants s’emploient à justifier l’urgence par référence aux critères qui sont applicables au référé suspension et non par rapport à ceux requis en matière de référé liberté et ne justifient en aucune manière, les raisons concrètes pour lesquelles en l’espèce, il y aurait une urgence particulière à suspendre l’arrêté litigieux et ainsi ne démontrent absolument pas cette dernière ; la requête présentée par l’association de défense des droits de l’homme – collectif contre l’islamophobie en France est quasiment dépourvue de tout début de justification d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

— les requêtes ont été introduites les 17 août et 18 août 2016 à un moment où plus des 2/3 de la période d’application de l’arrêté, du 15 juin au 15 septembre 2016, étaient écoulés ;

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales :

— la liberté de culte n’échappe pas, quoique reconnue comme liberté fondamentale, à la nécessité que les convictions religieuses s’expriment dans des formes appropriées et il n’existe pas de liberté absolue lorsque cette liberté s’exprime ;

— les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l’homme, comme l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrent à la fois le principe de la liberté et la possibilité d’y apporter des restrictions ; les textes invoqués par les associations requérantes prévoient des limites ;

— les requérants soulignent eux-mêmes que la liberté de se vêtir n’est pas expressément reconnues par des dispositions constitutionnelles ou conventionnelles et la rattachent à la liberté d’expression ;

— la liberté d’aller et venir n’a strictement aucun rapport avec l’article 4.3 de l’arrêté municipal du 5 août 2016 qui est en litige ;

— le moyen tiré de l’absence de caractère exécutoire de l’arrêté est sans influence sur l’appréciation à porter sur l’existence ou non d’une atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale par un arrêté municipal dont ils déclarent subir les effets préjudiciables ;

— seule une atteinte grave et manifestement illégale peut conduire à la suspension de l’arrêté municipal incriminé ce que ne démontrent pas les motifs invoqués par les requérants ; cet arrêté est une mesure de police préventive dictée par le contexte national et local, qui a été prise en vue d’éviter des troubles à l’ordre public et ne remet pas en cause la liberté religieuse ; il est par ailleurs limité dans l’espace et dans le temps ; il ne porte aucune atteinte grave à une liberté fondamentale.

Vu les pièces jointes.

II – Par une requête, enregistrée le 17 août 2016 à 18 h 54 sous le n°1603523, l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), représentée par Me A A, demande au juge des référés, saisi en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet du 5 août 2016 et de « condamner la mairie de Villeneuve-Loubet à [lui] verser la somme de 1 500 euros au profit de Me A A » au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

— Sa requête, eu égard à ses statuts, est recevable ;

— l’interdiction d’accès aux plages et lieux de baignade à certaines personnes physiques édictée par l’arrêté municipal attaqué est une grave atteinte aux libertés fondamentales que l’association entend défendre ;

— L’arrêté attaqué a manifestement outrepassé le cadre légal du code général des collectivités territoriales (CGCT) dès lors qu’il se réfère à l’article L. 2122-1 du CGCT alors que la gestion du domaine public maritime n’est pas de la compétence du maire, mais de celle du préfet, qui seul peut restreindre l’accès au domaine public maritime dans l’hypothèse d’un trouble à l’ordre public avéré ;

— L’arrêté attaqué méconnaît la loi du 9 décembre 1905 qui prévoit que la République garantit la liberté de conscience et son expression, notamment par le port de signes religieux, même ostentatoires ;

— S’agissant de l’hygiène, il n’existe aucune réglementation sanitaire portant sur les conditions d’utilisation du service public balnéaire ; la commune ne démontre pas l’atteinte faite aux règles d’hygiène et de sécurité sur les plages par le port de signes religieux, même ostentatoires ;

— S’agissant de la sécurité, l’existence d’une entrave ou l’impossibilité pour les services de secours de procéder au sauvetage des personnes concernées par l’arrêté n’est pas établie ;

— Il y a urgence à suspendre l’arrêté attaqué en ce qu’il porte immédiatement atteinte aux intérêts qu’elle défend et qu’il a vocation à s’appliquer jusqu’au 15 septembre inclus ;

— La décision attaquée porte une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales :

— Elle porte atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi et au principe d’égalité des hommes et des femmes en interdisant l’accès aux personnes en tenue de plage qu’il dit « manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse » ; L’interdiction d’accès au domaine public maritime à une partie de la population en fonction de leur appartenance à une religion constitue une atteinte à l’égalité de tous les citoyens devant la loi ;

— Il y a atteinte à la liberté de conscience et à la liberté de manifester sa religion et ses convictions ; aucune disposition légale ne prohibe le port de tenue de plage contraire au principe de laïcité et il n’y a pas de lien direct convaincant entre une tenue de plage et un trouble quelconque à l’ordre public ;

— La décision attaquée porte atteinte à la liberté d’aller et venir ; la restriction faite à cette liberté est manifestement disproportionnée ;

— La décision attaquée est contraire à la Constitution en ce que seule la loi peut limiter l’exercice des libertés publiques ;

— La commune de Villeneuve-Loubet étant membre d’une communauté d’agglomération, c’est elle qui est compétente pour réglementer l’accès à la zone touristique que constitue l’espace balnéaire ;

— L’arrêté attaqué modifie substantiellement les conditions d’accès au domaine public maritime sans qu’il ait été procédé au préalable à la réalisation d’une enquête publique en application de l’article L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques ;

— L’arrêté attaqué n’a pas de caractère exécutoire ; il est demandé au tribunal administratif d’enjoindre, sous astreinte, au maire de Villeneuve-Loubet de produire tout document utile permettant de vérifier l’exécution de cette obligation ;

— En prenant l’arrêté attaqué, le maire de Villeneuve-Loubet refuse l’accès aux plages à toutes les personnes porteuses d’un signe religieux ostentatoire, ce qui constitue une discrimination ;

— L’existence de troubles à l’ordre public sur la commune de Villeneuve-Loubet n’est pas démontrée ;

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— l’arrêt de grande chambre de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans l’affaire Refah partisi (parti de la prospérité) et autres c. Turquie du 13 février 2003 (requêtes n°s 41340/98, XXX

— la Constitution ;

— la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 ;

— la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, notamment son article 11 ;

— la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;

— les décrets n° 2015-1475 et n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

— le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 2212-1 et suivants ;

— le code de justice administrative (CJA), notamment ses articles L. 511-2 et L. 522-1.

Vu la décision du président du tribunal administratif de Nice déterminant les magistrats de permanence au cours de l’été 2016 et celle nommant les magistrats habilités à traiter les référés.

Après avoir convoqué à une audience publique le 19 août à 9h30 :

— d’une part, la Ligue des droits de l’homme, (LDH) en la personne de son représentant légal, M. Y X, président de la section de la LDH Cannes-Grasse et M. C D, délégué régional de la LDH Provence-Alpes-Côte d’Azur et vice-président de la section de la LDH Cannes-Grasse et l’ADDH-CCIF,

— et d’autre part, le maire de Villeneuve-Loubet.

Ont été entendus à l’audience :

— les rapports des juges des référés : les présidents Poujade et Lemaitre ;

— les observations de Me Spinosi, représentant la LDH et MM. X et D, qui reprend les mêmes conclusions et moyens ;

— les observations de Me A A, représentant l’ADDH-CCIF ; il reprend les mêmes conclusions et moyens, et soutient que l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet manque de précision.

— Les observations de Me Suarès pour la commune de Villeneuve-Loubet qui conclut au rejet des requêtes ; il fait valoir que la requête présentée par l’ADDH-CCIF est quasiment dépourvue de toute justification d’une situation d’urgence au sens de l’article L 521-2 du CJA ; que l’arrêté municipal ne porte pas atteinte à la liberté d’aller et de venir ; que les textes cités par l’association requérante prévoient des limites ; que l’arrêté attaqué, mesure préventive dictée par le contexte national et local, a été pris en vue d’éviter des troubles à l’ordre public et ne remet pas en cause la liberté religieuse ; il est par ailleurs limité dans l’espace et dans le temps ; il ne porte aucune atteinte grave à une liberté fondamentale ; le moyen tiré de l’absence de caractère exécutoire de l’arrêté est sans influence sur sa légalité ;

1. Considérant d’une part, qu’une première requête enregistrée le 14 août 2016, fondée sur l’article L. 521-2 du code de justice administrative et présentée par la Ligue des droits de l’homme, M. Y X, président de la section de la Ligue des droits de l’homme Cannes-Grasse et M. C D, délégué régional de la Ligue des droits de l’homme de Provence-Alpes-Côte d’Azur et vice-président de la section de la Ligue des droits de l’homme Cannes-Grasse, a été dirigée contre un arrêté du 5 août 2016 édicté par le maire de Villeneuve-Loubet alors présenté comme « portant interdiction d’accès à la baignade en raison d’une tenue contraire notamment au principe de laïcité » et ayant selon cette première requête « vocation à produire ses effets jusqu’au 31 août 2016 » ; que le juge des référés n’ayant pas été mis en mesure d’apprécier la pertinence de ladite requête au regard d’un article de presse, l’a rejetée par une ordonnance n°1603479 du 16 août 2016 ; que les mêmes requérants, présentent une nouvelle requête, enregistrée le 16 août 2016 à 20h18, sur le même fondement de l’article L. 521-2 précité, dirigée contre le même arrêté n°2016-42 du 5 août 2016 qui est désormais produit, et dont l’intitulé porte « règlement de police, de sécurité et d’exploitation des plages concédées par l’Etat à la commune de Villeneuve-Loubet » et comporte trente et un articles ; que le point 3 de son article 4, contre lequel semblent seules dirigées les conclusions de cette nouvelle requête, mentionne que « Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit du 15 juin au 15 septembre inclus, [et non jusqu’au 31 août 2016 comme l’indiquait à tort les requérants dans leur précédent référé] à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune. » ;

2. Considérant d’autre part, que par une requête, enregistrée le 17 août 2016 sous le n°1603523, l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), représentée par Me A A, demande au juge des référés, saisi en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’article 4.3 du même arrêté du maire de Villeneuve-Loubet du 5 août 2016 ;

3. Considérant que les requêtes n°s 1603508 et 1603523 précitées, sont dirigées contre la même décision et qu’elles ont fait l’objet d’une instruction et d’une audience commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; qu’aux termes de l’article R. 522-1 du même code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire (…) » ;

Sur les libertés mises en cause par les requérants :

5. Considérant que les requérants font valoir que l’arrêté municipal en litige méconnaît les libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : la liberté de manifester ses convictions religieuses, la liberté de conscience, la liberté de se vêtir dans l’espace public ou encore la liberté d’aller et venir ;

En ce qui concerne la liberté d’exprimer ses convictions religieuses, la liberté de se vêtir et la liberté de conscience :

6. Considérant que la possibilité d’exprimer, dans des formes appropriées, ses convictions religieuses constitue une liberté fondamentale ; que dans la mesure où le litige concerne le port d’une tenue vestimentaire qui est présentée comme étant l’expression d’une conviction religieuse, la liberté de se vêtir comme la liberté de conscience, qui est elle-même une liberté fondamentale, sont, dans les circonstances de l’espèce, le corollaire de la liberté fondamentale que constitue la possibilité d’exprimer, dans des formes appropriées, ses convictions religieuses dont elles font chacune partie intégrante ;

En ce qui concerne la liberté d’aller et venir :

7. Considérant que pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme part de sa situation concrète et prend en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée ;

8. Considérant que si la liberté d’aller et venir constitue une liberté fondamentale, le fait que l’arrêté municipal litigieux ne permette pas l’accès à la baignade des personnes qui sont revêtues de tenues regardées comme présentant un caractère religieux ostentatoire, sur un secteur très limité de la commune de Villeneuve-Loubet et pour une durée déterminée, réduite à la période du 5 août au 15 septembre 2016, s’analyse comme une restriction de liberté de circulation, et non comme une atteinte à la liberté d’aller et venir ; que contrairement à ce que soutiennent les requérants, la liberté d’aller et venir ne fait ainsi, dans ces circonstances, l’objet d’aucune atteinte grave et manifeste au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

9. Considérant toutefois que, dans les circonstances de l’espèce, le fait de pouvoir circuler librement en affichant de façon ostentatoire des signes religieux peut être regardé comme le corollaire des libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression, dans des formes appropriées, de ses convictions religieuses et la liberté de conscience ;

Sur l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale :

10. Considérant qu’aux termes de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » ; qu’aux termes de l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. (…) / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. (…) » ;

11. Considérant que dans sa décision du 19 novembre 2004 (CC., n° 2004-505 DC Traité établissant une Constitution pour l’Europe), le Conseil constitutionnel a jugé que « le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester, par ses pratiques, sa conviction religieuse en public [dont fait état la charte des droits fondamentaux de l’Union], a la même portée que celui garanti par l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il se trouve sujet aux mêmes restrictions, tenant notamment à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé et de la morale publics, ainsi qu’à la protection des droits et libertés d’autrui ; que l’article 9 de la convention a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme (…) qui a pris acte de la valeur du principe de laïcité reconnu par plusieurs traditions constitutionnelles nationales et qu’elle laisse aux Etats une large marge d’appréciation pour définir les mesures les plus appropriées, compte tenu de leurs traditions nationales, afin de concilier la liberté de culte avec le principe de laïcité ; que, dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République (…) laïque (…) », qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » ;

12. Considérant en outre que l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, stipule que la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention mais qu’elle ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction ; que comme le rappelle la Cour précitée, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun ; que la Cour énonce ainsi un principe de coexistence des religions et croyances qui est un élément constitutif de la laïcité ; que dans son arrêt Refah partisi (parti de la prospérité) et autres c. Turquie du 13 février 2003 susvisé, en son point 92, la Cour européenne a validé le principe d’une limitation de la liberté de manifester une religion si l’usage de cette liberté porte atteinte à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publics ;

13. Considérant qu’il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que comme il a été dit au point 9, la possibilité d’exprimer, dans des formes appropriées, ses convictions religieuses constitue une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu’en revanche, dès lors que l’expression des convictions religieuses est inappropriée, la mesure de police qui tend à en prévenir les effets préjudiciables à « la sécurité publique, et la protection de l’ordre » est de nature à constituer une restriction légitime, au sens de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui ne peut être regardée comme une atteinte à cette liberté fondamentale au sens de ce même article L. 521-2 du code de justice administrative ;

14. Considérant que les requérants entendent soutenir, que l’arrêté municipal du 5 août 2016 interdit d’exprimer leurs convictions religieuses sous la forme du port du vêtement dit « burkini » sur les plages de Villeneuve-Loubet, et font valoir que cette interdiction porterait atteinte, au regard de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à la liberté fondamentale d’expression de la conviction religieuse ; que par suite, il y lieu pour les juges des référés du tribunal administratif de Nice d’examiner si, dans les circonstances de l’espèce, le port du vêtement de bain dit « burkini » sur les plages de cette commune correspond à l’expression appropriée de convictions religieuses ;

15. Considérant d’une part, que, comme l’illustre notamment l’assassinat d’un prêtre catholique dans son église à XXX, le 26 juillet 2016, quelques jours avant l’arrêté municipal du 5 août 2016 qui est en litige, la coexistence des religions, qui est un élément constitutif du principe de laïcité, est combattue par le fondamentalisme religieux islamiste qui prône une pratique radicale de la religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et le principe d’égalité des sexes ; que dans ce contexte, le port d’un vêtement sur les plages pour y afficher, de façon ostentatoire, des convictions religieuses susceptibles d’être interprétées comme relevant de ce fondamentalisme religieux, est d’une part, non seulement de nature à porter atteinte aux convictions ou à l’absence de convictions religieuses des autres usagers de la plage, mais d’être ressenti par certains comme une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population à la suite de la succession d’attentats islamistes subis en France, dont celui de Nice le 14 juillet 2016 et le dernier du 26 juillet 2016 qui a directement visé la religion chrétienne ; que ce port vestimentaire sur les plages peut également être perçu comme étant l’expression d’une revendication identitaire ; que, même si certaines femmes de confession musulmane déclarent porter, selon leur bon gré, le vêtement dit « burkini », pour afficher simplement leur religiosité, ce dernier, qui a pour objet de ne pas exposer le corps de la femme comme il a été dit à l’audience, peut toutefois être également analysé comme l’expression d’un effacement de celle-ci et un abaissement de sa place qui n’est pas conforme à son statut dans une société démocratique ; qu’enfin, quelle que soit la religion ou la croyance concernée, les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer de façon ostentatoire ses convictions religieuses ; que dans un Etat laïc, elles n’ont pas vocation à être érigées en lieux de culte, et doivent rester au contraire un lieu de neutralité religieuse ; que dans ces conditions, le port du vêtement dit « burkini » sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet ne peut être regardé comme constituant une expression appropriée des convictions religieuses ;

16. Considérant d’autre part, que les risques de troubles à l’ordre public procèdent de la situation décrite au point précédent à savoir l’amalgame qui pourrait être fait par certains entre l’extrêmisme religieux et le vêtement dénommé « burkini » ou ceux qui estimeraient que cette tenue vestimentaire sur les plages dans le contexte des attentats et de l’état d’urgence est une forme de provocation de nature communautariste ou identitaire ; que le retentissement, parmi la population nationale et locale, notamment à la suite de l’attentat de Nice, de la polémique créée par le port de cette tenue vestimentaire sur les plages, dont la presse écrite et audiovisuelle fait un large écho, ne saurait être nié ; que ce retentissement, facteur de tensions supplémentaires au sein de la société française, requiert de prévenir, pendant une période limitée, « la période estivale », jusqu’au 15 septembre 2016, comme le rappelle l’arrêté municipal litigieux, des troubles à l’ordre public sur les plages enregistrant « une forte affluence », constituée d’usagers de toutes confessions et croyances ; que si les requérants font valoir qu’il incombe au maire de concilier l’exercice de ses pouvoirs de police avec le respect des libertés fondamentales, en estimant qu’il doit mobiliser des forces de police à cette fin, ces dernières ont été, et sont encore, particulièrement sollicitées dans le contexte de l’état d’urgence mis en place pour faire face aux attentats suscités par l’extrêmisme religieux islamique et il n’apparaît pas envisageable de les mobiliser encore davantage, notamment pour une police municipale aux effectifs qui sont limités, afin de protéger l’expression de convictions religieuses qui, en l’espèce, ne peuvent être regardées comme revêtant une forme appropriée ; que dans ces circonstances, l’interdiction du port de la tenue vestimentaire dite « burkini » sur les plages de Villeneuve-Loubet est, en l’état de l’instruction, nécessaire, adaptée et proportionnée au but poursuivi en matière de protection de l’ordre et de la sécurité publics ;

17. Considérant que, pour l’ensemble des motifs qui sont exposés aux points 15 et 16, les requérants ne justifient dès lors d’aucune atteinte, qui soit à la fois grave et manifestement illégale, aux libertés fondamentales que constituent l’expression, appropriée, des convictions religieuses et la liberté de conscience et des autres libertés qu’ils invoquent et qui en constituent les corollaires ;

18. Considérant par ailleurs que si les requérants font valoir que l’arrêté municipal qui prohibe ainsi le port de signes religieux lors de la baignade relève nécessairement du même régime juridique applicable à la réglementation des signes religieux dans la rue, le vêtement dit « burkini » est, comme ils l’ont précisé à la barre, une tenue de bain qui à ce titre, comme toute autre tenue de bain, ne saurait être portée de façon apparente dans la rue ; que la référence au régime juridique applicable aux signes religieux dans l’espace public que constitue la rue est dès lors inopérante pour contester un « règlement de police », comportant trente et un articles, qui a été pris exclusivement pour la « sécurité et l’exploitation des plages concédées par l’Etat » comme l’indique l’intitulé de l’arrêté municipal du 5 août 2016 qui est en litige, et constituant un secteur spécifique et restreint de la commune de Villeneuve- Loubet ;

Sur les autres moyens des requêtes :

19 – Considérant qu’il résulte tant des termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative que du but dans lequel la procédure qu’il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l’illégalité relevée à l’encontre de l’autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l’exercice de la liberté fondamentale en cause ; qu’en vertu de ce principe, seuls peuvent être utilement invoqués devant le juge des référés, statuant sur le fondement de l’article précité, les moyens venant au soutien d’une démonstration tendant à établir, à l’encontre des effets générés directement par une décision ou un agissement illégal(e), l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale au sens de ce même article L. 521-2 ;

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de caractère exécutoire de l’arrêté municipal en litige :

20 – Considérant que non seulement la circonstance, à la supposer établie, que l’arrêté attaqué serait dépourvu de caractère exécutoire est sans influence sur sa légalité, mais au surplus, cette allégation est inopérante dans le présent litige dès lors que l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), entend contester les effets de cette décision qui se manifestent ainsi indépendamment du fait que cette décision soit ou non exécutoire ; que la contestation du caractère exécutoire de l’arrêté municipal en litige ne peut dès lors utilement venir au soutien d’une quelconque démonstration d’une atteinte aux libertés fondamentales d’expression des convictions religieuses et de conscience qu’elle invoque ; que ce moyen inopérant doit dès lors être écarté, sans qu’il soit besoin d’enjoindre au maire de Villeneuve-Loubet de produire les documents permettant de vérifier l’existence de l’affichage de l’arrêté en litige, alors d’ailleurs que l’avocat de l’autre partie requérante, pour invoquer les difficultés qu’il aurait rencontrées afin d’avoir connaissance de cette décision, a déclaré, au cours de l’audience, que les promeneurs déchiraient ces affichages ;

En ce qui concerne les règles de compétence :

21 – Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-3 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale des communes riveraines de la mer s’exerce sur le rivage de la mer jusqu’à la limite des eaux » ; qu’aux termes de l’article L. 2212-23 du même code : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Cette police s’exerce en mer jusqu’à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux. Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance. Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés. Le maire est tenu d’informer le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées ».

22 – Considérant qu’il résulte des termes mêmes de l’arrêté attaqué qu’il a été pris notamment sur le fondement des articles précités du code général des collectivités territoriales ; que dans ces conditions, en application de ces dispositions, le maire de Villeneuve-Loubet était bien compétent pour prendre l’arrêté attaqué et l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), n’est par suite pas fondée à soutenir que, s’agissant de la gestion du domaine public maritime, seul le préfet des Alpes-Maritimes était compétent pour intervenir et, à titre subsidiaire, qu’il s’agirait d’une compétence de la communauté d’agglomération dont la commune de Villeneuve-Loubet est membre ; que le maire a donc bien compétence pour exercer son pouvoir de police sur l’ensemble du territoire communal, y compris sur le domaine public maritime ;

23 – Considérant que les requérants ne sont par ailleurs pas fondés à soutenir que l’arrêté litigieux méconnaîtrait la Constitution dont l’article 34 dispose que la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, dès lors qu’il a été pris sur le fondements des articles, de valeur législative, L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2212-23 du code général des collectivités territoriales ; que les requérants ne peuvent donc utilement invoquer le « régime juridique strictement défini par la loi du 3 avril 1955 » qui régit l’état d’urgence pour contester l’arrêté municipal litigieux, sur lequel ce dernier n’est pas fondé, même si les pouvoirs de police du maire de Villeneuve-Loubet sont exercés dans ce contexte national ;

24 – Considérant qu’aux termes de l’article L. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique. / Sous réserve des textes particuliers concernant la défense nationale et des besoins de la sécurité maritime, tout changement substantiel d’utilisation de zones du domaine public maritime est préalablement soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement. »

25 – Considérant que l’arrêté contesté du maire de Villeneuve-Loubet ne saurait être regardé comme constituant un changement substantiel d’utilisation des zones du domaine public maritimes au sens de l’article précité ; que par suite, l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté municipal litigieux aurait dû être précédé d’une enquête publique ;

26 – Considérant en tout état de cause que les moyens mentionnés aux points 20 à 24 ne sont pas de nature à venir au soutien d’une argumentation tendant à démontrer l’existence, en raison des effets de l’arrêté municipal incriminé, d’une atteinte à la liberté fondamentale d’expression appropriée des convictions religieuses ; qu’ils sont à ce titre inopérants dans le présent litige fondé sur l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne l’atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi et le caractère général des termes de l’arrêté incriminé :

27 – Considérant que l’article 4.3 de l’arrêté en litige, a vocation à s’appliquer à l’ensemble des usagers de la plage, quelle qu’en soit la confession religieuse ; que son caractère général, qui a été également critiqué au cours de l’audience, a pour objet de ne stigmatiser aucune religion et de les traiter d’égale façon en interdisant à chaque usager de la plage d’afficher un signe religieux ostentatoire jusqu’au 15 septembre 2016 ; qu’il n’y avait pas lieu d’identifier, religion par religion, les tenues à proscrire alors d’ailleurs que celles-ci peuvent prendre des formes variées qui ne peuvent être prédéterminées ; que contrairement à ce que prétend l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), cet arrêté municipal n’opère aucune distinction entre les hommes et les femmes dès lors que tout usager de la plage, quel que soit son sexe, est soumis à cette même obligation ; qu’il n’existe dès lors aucune discrimination opposable à l’arrêté contesté, et il n’appartient pas au surplus sur ce point au juge administratif d’apprécier la légalité d’un acte administratif au regard des dispositions du code pénal ; qu’en conséquence, le moyen tiré d’une méconnaissance des articles 225-1 et 225-2 du code pénal doit être écarté ; que malgré l’imprécision invoquée à l’encontre de l’arrêté incriminé s’agissant des signes religieux ostentatoires proscrits, l’association requérante a été en mesure d’identifier que le « burkini » était l’un d’entre eux ; qu’en tout état de cause celle-ci n’expose pas en quoi le caractère général des termes de cet arrêté et la prétendue inégalité de traitement, alléguée à tort, seraient à l’origine d’une atteinte aux libertés fondamentales d’expression appropriée des convictions religieuses et de conscience ;

En ce qui concerne les règles d’hygiène et de sécurité des baignades et le respect des bonnes mœurs :

28 – Considérant que les règles d’hygiène et de sécurité des baignades et le respect des bonnes mœurs invoqués dans le mémoire complémentaire du 18 août 2016 enregistré au titre de la requête n°1603508, sont certes mentionnées dans l’article 4.3 de l’arrêté en litige, mais ce dernier a vocation à s’appliquer à l’ensemble des usagers de la plage, indépendamment de leurs convictions religieuses ; que les moyens dirigés contre ces règles ne peuvent dès lors être regardés comme venant au soutien d’une démonstration portant sur une atteinte à l’expression des convictions religieuses que les requérants semblent mettre en cause au regard du terme de « laïcité » utilisé dans cet article ; que la liberté de vêtir est, comme il a été dit, le corollaire de la liberté fondamentale de l’expression des convictions religieuses et c’est dès lors, sous cet aspect seulement, qu’elle peut être utilement contestée devant le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu’au surplus, il ne peut être extrapolé de la rédaction à caractère général de cet article, qu’il viserait spécifiquement et exclusivement la tenue vestimentaire de bain dite « burkini » en ce qui concerne l’application des règles précitées ;

29 – Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’à supposer même que la Ligue des droits de l’homme, MM. X et D, d’une part et l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) d’autre part, justifieraient de l’urgence particulière qui s’attacherait, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à suspendre l’arrêté du 5 août 2016 du maire de Villeneuve-Loubet qui est contesté, leur requête respective doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

30 – Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Villeneuve-Loubet, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande l’ensemble des requérants pour chacune des deux requêtes, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que dans les circonstances de l’espèce, les conclusions de la commune de Villeneuve-Loubet tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

ORDONNE :

Article 1er : Les requêtes n°1603508 de la Ligue des droits de l’homme, de MM. X et D et n°1603523 de l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Villeneuve-Loubet tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’homme, à MM. Y X et C D, à l’association de défense des droits de l’homme (ADDH) – collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), ainsi qu’au maire de Villeneuve-Loubet.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au ministre de l’intérieur.

Fait à Nice le 22 août 2016.

Le juge des référés, Le juge des référés, Le juge des référés,

Président Président Premier conseiller

A. Poujade D. Lemaitre C. Tukov

La République mande et ordonne au préfet des Alpes-Maritimes en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

ou par délégation le greffier

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Tribunal administratif de Nice, 22 août 2016, n° 1603508