Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 2 mars 2022, n° 19/19443

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 02 MARS 2022

(n° , 10 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/19443 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA2WG


Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2019 – Tribunal de Commerce de RENNES – RG n° 2018F00370

APPELANTE

SAS MESSER FRANCE prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 300 560 588


Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034


Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas LEMIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0791,

INTIMEE

SAS T.S.E.I.N prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CAEN sous le numéro 324 214 634


Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090,


Ayant pour avocat plaidant Me Dominique MARI, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 décembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère, chargée du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de: Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente

Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère

Madame Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Madame Kala FOULON

ARRÊT :


- contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente, et par Madame Meggy RIBEIRO, Greffière placée, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCEDURE

La société Messer France (ci-après «'la société Messer'»), anciennement dénommée la société Airgaz, est la filiale du groupe allemand Messer qui fabrique et commercialise en France des gaz et des mélanges gazeux à usage industriel, alimentaire et médical.

La société Tsein est spécialisée dans le secteur d’activité de la fabrication de structures métalliques et de parties de structures.


La société Messer a conclu le 9 octobre 1991 un contrat de fourniture de gaz avec la société TSEIN, pour une durée de trois ans tacitement reconductible par périodes successives de trois ans.


Par courrier du 23 février 2010, la société Tsein a informé la société Messer de sa décision de «'mettre un terme à titre conservatoire'» au contrat, qui ayant fait l’objet de tacites reconductions, était en cours jusqu’au 9 octobre 2012.


Après le 9 octobre 2012, la société Tsein a continué d’entretenir des relations commerciales avec la société Messer, puis par courrier du 15 octobre 2013 elle l’a informé de sa décision de dénoncer «'l’ensemble des contrats à compter du 1er décembre 2013'».


Par courrier du 23 octobre 2013, la société Messer a refusé la résiliation du contrat avec effet au 1er décembre 2013 considérant cette résiliation comme anticipée, l’échéance du contrat étant jusqu’au 9 octobre 2015.


La dernière commande a eu lieu en octobre 2013.


Par courrier du 2 septembre 2014, la société Messer a indiqué à la société Tsein qu’elle considérait le courrier de dénonciation comme constituant une «'résiliation anticipée'» et l’a mise en demeure d’avoir à restituer l’ensemble des emballages toujours en sa possession et à payer les sommes de :


- 20 444,49 euros TTC au titre de l’encours client à la date du 2 septembre 2014,
-138 533 euros au titre du manque à gagner entre le 1er décembre 2013 et le 9 octobre 2015, date du terme de la dernière période triennale.


À la suite de cette correspondance, les parties ont engagé de longs pourparlers pour tenter de résoudre amiablement le litige qui les oppose, sans pouvoir aboutir.


C’est dans ce contexte que par acte du 9 octobre 2018, la société Messer a assigné la société Tsein devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale et des factures restées impayées.

Par un jugement du 17 septembre 2019, le tribunal de commerce de Rennes a :


Rejeté la demande de la société MESSER d’écarter les pièces annexées au courrier du 18 juin 2019 par la société TSEIN.


Pris acte de ce que la société MESSER FRANCE se substitue à son ancienne désignation sociale AIRGAZ SA ;


Rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société TSEIN ;


Dit qu’il n’y a pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L. 442-6-1-5° du Code de Commerce et débouté la société Messer de l’ensemble de ses demandes formées à ce titre ;


Débouté la société Messer de l’intégralité de ses demandes formées sur la facturation et les indemnités de location établies postérieurement à octobre 2013 ;


Débouté la société Messer de toutes ses demandes formées au titre de préjudices ;


Débouté la société MESSER de sa demande en publication ;


Débouté les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;


Condamné la société MESSER à payer à la société TSEIN la somme de 8 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;


Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement ;


Condamné la société MESSER aux entiers dépens de l’instance.


Liquidé les frais de greffe à la somme de 73.22 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.

La société Messer a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 18 octobre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 novembre 2021, la société Messer demande à la Cour de :

Vu l’article 56 du Code de Procédure Civile,

Vu les articles L442-6 et D442-3 du code de commerce, pris en leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019,
Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes en date du 17 septembre 2019 uniquement en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la Société TSEIN,


Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes en date du 17 septembre 2019 en ce qu’il a :

' Rejeté la demande de la société MESSER France d’Ecarter les pièces annexées au courrier du 18 juin 2019 par la TSEIN,

' Dit qu’il n’y a pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L442-6-1 5° et déboute la société MESSER France de l’ensemble de ses demandes formées à ce titre,

' Débouté la société MESSER France de l’intégralité ses demandes formées sur la facturation et les indemnités de location Etablies postérieurement à octobre 2013,

' Débouté la société MESSER France de toutes ses demandes formées au titre des préjudices,

' Débouté la société MESSER France de sa demande de publication,

' Condamné la société MESSER France à payer à la société TSEIN la somme de 8.000 euros par application de l’article 700 du Code de procédure civile,

' Ordonné l’exécution provisoire du jugement,

' Condamné la société MESSER France aux entiers dépens de l’instance et liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros tel que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile,


Statuant à nouveau de ces seuls chefs,


- Condamner la société TSEIN à payer à la société MESSER France la somme de 125.874,76 € en réparation du préjudice subi par la rupture brutale, par la société TSEIN, de ses relations commerciales établies avec cette dernière.


- Condamner la société TSEIN à payer à la société MESSER France la somme de 41.410,28 euros TTC au titre des factures impayées émises entre novembre 2013 et janvier 2016,


- Condamner la société TSEIN à payer à la société MESSER France la somme de 77.012,14 euros TTC au titre de la facture n° 6070003730 ;


- Condamner la société TSEIN à payer à la société MESSER France la somme de 26.180 euros TTC au titre de l’indemnité de non-restitution ;


- Dire que les condamnations prononcées seront assorties des intérêts de droit, qui commenceront à courir à compter du 9 octobre 2018, date de signification de l’assignation, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1343-2 -anciennement 1154 – du code civil ;


- Ordonner la publication d’un extrait de la décision à intervenir dans le journal Ouest France (édition de Caen) aux frais de la société TSEIN, dans les 15 jours de la signification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;


- Condamner la société TSEIN à verser à la société MESSER France la somme de 8.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,


- Condamner la société TSEIN aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 mai 2021, la société Tsein demande à la Cour de :

Vu les dispositions des articles 56, 112 et suivants du code de procédure civile, L442-6,

I, 5° du code de commerce,


Déclarer la société TSEIN recevable et fondée en son appel incident,


Y faisant droit,


Infirmer la décision entreprise,


Et statuant à nouveau,


Prononcer la nullité de l’assignation délivrée par la société MESSER à la société TSEIN le 9 octobre 2018,


Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,


Débouter la société MESSER France de l’intégralité de toutes ses demandes indemnitaires,


A titre subsidiaire,


Réduire à juste proportion les dommages et intérêts réclamés ;


En toutes hypothèses,


Débouter la société MESSER FRANCE de ses demandes de condamnations en paiement des factures de location d’emballage et d’indemnité de non-restitution ;


Condamner la société MESSER France à verser à la société TSEIN une somme de 16.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.


La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la nullité de l’assignation

La société Tsein soulève la nullité de l’assignation, en ce que celle-ci n’indique pas quelles diligences la société Messer France aurait entreprises pour tenter de parvenir à une issue amiable conformément aux dispositions de l’article 56 dernier alinéa. Elle précise que cette carence d’information lui fait directement grief, ne bénéficiant plus de l’opportunité de pouvoir discuter, dans un cadre amiable, des circonstances de cette rupture des relations commerciales. Elle relève que les parties étaient pourtant parvenues à une résolution amiable du litige entre décembre 2015 à juin 2016 et que la société Messer a interrompu tout contact en juillet 2016 pour ne se manifester qu’en octobre 2018 par une assignation devant le tribunal.

La société Messer soutient que cette mention n’est pas prescrite à peine de nullité et qu’en toute hypothèse l’assignation précise bien les diligences en vue d’une résolution amiable du litige ayant effectivement eu lieu.

Sur ce,


Non seulement les diligences en vue d’une résolution amiable du litige ont effectivement eu lieu et ont été relatées dans l’assignation, mais en toute hypothèse l’absence de cette mention n’est pas prescrite à peine de nullité.


L’article 56 du code de procédure civile, dans sa rédaction modifiée par décret n°2015-282 du 14 mars 2015 applicable en la cause, dispose que :

«  L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice :

1° L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit" ;

3° L’indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision" que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier.

Elle comprend en outre l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.

Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Elle vaut conclusions. "


Par ailleurs, selon l’article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.


Enfin l’article 127 du code de procédure civile, dans sa rédaction modifiée par décret n°2015-282 du 14 mars 2015, dispose que 's’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58 du même code, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation.'


L’obligation de préciser dans l’assignation les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige n’est assortie par l’article 56 du code de procédure civile d’aucune sanction et ne constitue pas une formalité substantielle ou d’ordre public. Dès lors, s’il n’est pas justifié de son respect, le juge ne peut, selon l’article 127 du code de procédure civile, que proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation.


En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté l’exception tirée de la nullité de l’assignation.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale La société Messer soutient que la société Tsein a brutalement rompu en octobre 2013 la relation commerciale établie entre les parties depuis le 9 octobre 1991. Elle relève que si la société Tsein lui a notifié par courrier du 23 février 2010 la résiliation ' à titre conservatoire’ de la convention conclue entre les parties, la relation commerciale a néanmoins perduré après le 9 octobre 2012, terme de la dernière période triennale procédant du contrat et jusqu’en octobre 2013, date de fin des commandes, et en déduit que cette correspondance n’a pu rendre 'précaire’ la relation nouée entre les parties à défaut de confirmation de cette rupture du contrat avec un délai de préavis conforme à la durée de cette relation commerciale. La société Messer estime qu’elle devait bénéficier d’un préavis de 22 mois, compte tenu de l’ancienneté de la relation commerciale et de ses difficultés à réorganiser par la suite son réseau commercial et de distribution en Normandie. Elle évalue sa marge brute mensuelle à 5721,58 euros, soit une perte de marge brute de 125 874,76 euros sur la période d’insuffisance de préavis.

La société Tsein relève d’abord que la convention liant les parties étaient une convention à durée déterminée avec possibilité de renouvellement par tacite reconduction sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties au moins un an avant l’arrivée du terme. Elle précise, qu’après six renouvellement successifs de la convention, elle a souhaité mettre en place une procédure d’appel d’offres et que par lettre du 23 février 2010, elle a refusé le renouvellement de la convention à son expiration le 9 octobre 2012. Elle prétend que non seulement, la société Messer a bénéficié d’un préavis de 19 mois, mais qu’à compter du 10 octobre 2012, les sociétés n’étaient plus engagées dans le cadre de la convention du 9 octobre 1991 et que la poursuite des relations commerciales doit s’analyser en contrat à durée indéterminée, lequel pouvait à tout moment être résilié par les parties. Elle ajoute que compte tenu de son souhait de non renouvellement exprimé par lettre du 23 février 2010, la société Messer qui n’a pas réagi à ce courrier, ne pouvait pas ignorer qu’une rupture du contrat était prévisible et que la relation commerciale était devenue précaire, ce d’autant qu’elle était invitée à présenter une offre dans le cadre de la procédure d’appel d’offres engagée par la société Tsein au cours de l’année 2013. Aussi, elle estime qu’il n’y a pas de caractère brutale de la rupture, à la suite de la mise en place d’une procédure d’appel d’offre le 1er août 2013, la cessation de fourniture en août 2013, la réalisation d’un inventaire en août 2013 et la notification de la résiliation le 15 octobre 2013 avec effet au 1er décembre 2013. Enfin, elle relève l’échec de la procédure amiable en raison du comportement de la société Messer et souligne que celle-ci n’est pas en dépendance économique à son égard.

Sur ce,


L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

* sur la brutalité de la rupture


Les parties ne contestent pas avoir noué une relation commerciale établie depuis 1991 formalisée par une convention de fournitures de gaz industriels signée le 9 octobre 1991, d’une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction. Cette convention a été renouvelée à six reprises.


Par lettre du 23 février 2010, la société Tsein a écrit à la société Messer en ces termes : 'Nous avons un contrat de fournitures qui nous lie depuis le 9 octobre 1991 et nous venons par la présente y mettre un terme à titre conservatoire'.


La société Messer n’a pas réagi à ce courrier, mais la relation commerciale a perduré après cette date, au delà du 9 octobre 2012 terme de la dernière période triennale de renouvellement de la convention, et jusqu’au mois d’octobre 2013 date des dernières commandes de la part de la société Tsein. Il n’est pas contesté que le volume de commandes de la part de la société Tsein auquel la société Messer a satisfait sur la période février 2010 -octobre 2013 a été le même si ce n’est supérieur que sur les années précédentes (pièces Messer n°7 à 10).


La Cour observe que la rupture de la relation commerciale a eu lieu en octobre 2013, fin des commandes de la part de la société Tsein, et avec l’envoi concomitant d’un courrier à la société Messer le 15 octobre 2013 en ces termes : ' Par la présente et suite à notre entretien du 6 septembre 2013, je dénonce l’ensemble des contrats conclu avec votre société à compter du 1er décembre 2013".


Contrairement à ce qui est allégué par la société Tsein, les pièces versées aux débats (notamment les pièces n°4 et 22, dont l’attestation de M. X) ne permettent d’établir ni la mise en place d’une procédure d’appel d’offres par la société Tsein ni la notification de celle-ci à la société Messer.


Au regard des termes équivoques du courrier du 23 février 2010 et de la poursuite de la relation commerciale après celui-ci dans les mêmes conditions, la société Tsein a rompu la relation commerciale au mois d’octobre 2013 sans préavis préalable clairement notifié.


Dès lors, la société Tsein a brutalement rompu la relation commerciale établie entre les parties depuis 1991 et engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° précité. Le jugement sera infirmé sur ce point.

* sur l’évaluation du préjudice


Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Le délai de préavis doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.


Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.


Il n’est pas contesté que la relation commerciale a durée plus de 20 ans. Cependant, la société Messer ne donne aucune information sur la part de son chiffre d’affaires avec Tsein rapportée à son chiffre d’affaires global. La société Tsein relève, sans être utilement contredite, que le chiffre d’affaires de la société Messer pour l’année 2018 a été au plan national de 129 millions d’euros (pièce n°28), soit une part minime avec la société Tsein (en moyenne 85 000 euros / an). Par ailleurs la société Messer fait état de difficultés de réorganisation de son réseau après la rupture de la relation commerciale avec la société Tsein mais sans produire d’éléments pour corroborer ces allégations.


En l’état de ces éléments, la Cour estime que le préavis suffisant mais nécessaire devait être de 6 mois.


Il est justifié par la société Messer (pièces n°11 et 20) d’une marge moyenne mensuelle sur les années 2010 à 2012, après déduction du coût de production incluant le coût de transport des produits jusqu’au lieu de stockage chez le client, de 5548 euros par mois.


Le préjudice de perte de marge pendant la période d’insuffisance de préavis est évalué à la somme arrondie de 33 300 euros.
Dès lors la société Tsein sera condamnée à verser à la société Messer la somme de 33 300 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale. La société Messer sera déboutée du surplus de sa demande.

Sur les demandes de la société Messer au titre de factures impayées et indemnité de non-restitution des emballages

La société Messer soutient qu’après la cessation de la relation commerciale, la société Tsein a conservé 44 emballages qu’elle lui avait loués et non restitués. Elle précise que le décompte figurant sur chaque facture n’a pas été contesté par la société Tsein. Aussi, conformément aux conditions générales de vente stipulées au recto des bons de livraison, elle indique avoir émis, entre novembre 2013 et janvier 2016, des factures correspondant au coût de cette location, dont elle estime pouvoir obtenir le paiement à hauteur de 41 410,28 euros TTC. Pour la période ultérieure, à savoir de février 2016 à septembre 2018, elle a émis une nouvelle facture de 77 012,14 euros TTC. Elle réclame en outre, en application de l’article III des conditions générales de vente, une indemnité de restitution de 595 euros par emballage, soit la somme de 26 180 euros.

La société Tsein réplique qu’elle a restitué l’ensemble des emballages entre septembre à octobre 2013 et ce suivant inventaire daté du 18 décembre 2013. Elle insiste sur le fait que la société Messer qui a la charge de la preuve, ne justifie pas d’un stock de bouteille restant en sa possession.

Sur ce,


Il résulte des conditions générales de vente, non contestées par la société Tsein, à l’article III que 'les emballages livrés et restitués font l’objet d’une comptabilité en nombre dont le décompte est indiqué dans les factures de Messer France. Sauf contestation motivée du CLIENT, par lettre recommandé avec avis de réception dans un délai de 15(quinze) jours à compter de la réception de la facture, le décompte est reconnu exact par ce dernier. Les emballages sont en toutes circonstances, la propriété exclusive de Messer France.

(…)

A défaut de restitution dans un délai de (8)jours à compter de la réception d’une lettre de mise en demeure recommandée avec avis de réception, il sera redevable de plein droit, d’une indemnité forfaitaire, non libératoire et non réductible égale ayx montants fixés par le tarif en vigueur pour perte/ou détérioration.'


La société Messer produit les factures et leurs annexes sur l’état des stocks d’emballages pour les années 2010 à 2013 (pièces 7 à 10, 21 et 22) faisant notamment état des restitutions d’emballages courant août et octobre 2013 correspondantes aux pièces fournies par la société Tsein (pièces n°3-1 bis). Un solde de 44 emballages apparaît sur 'l’aperçu location et stock client 336871" du 31 octobre 2013 (pièce n°22 Messer) et qui a émis une facture à cet effet au mois de novembre 2013 (pièce 13) non contestée par la société Tsein.


La société Tsein, par courrier du 15 octobre 2013 a notifié la résiliation du contrat à effet au 1er décembre 2013.


La société Messer a par la suite mis en demeure la société Tsein le 2 septembre 2014, par lettre recommandée, de notamment lui restituer l’ensemble des emballages restés en sa possession, à savoir 43 et deux paniers, rappelant que le tarif en vigueur pour perte/détérioration 2014 = 530€ TTC/emballage.


La société Tsein prétend avoir restitué l’ensemble des emballages, mais son inventaire en pièce 3 ne fait état que d’une dernière restitution le 28 octobre 2013 de 11 bouteilles (comptabilisée par Messer) avec un stock restant de 115 bouteilles, sans mentionner les autres restitutions pour aboutir à un stock 0.


Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour retient un stock de 44 emballages non restitués par la société Tsein à la résiliation du contrat en décembre 2014. En application des conditions générales de ventes, il s’en déduit les sommes suivantes à la charge de la société Tsein:


- location novembre 2013 : 2157,64 euros TTC


- location décembre 2013 : 2286,43 euros TTC


- indemnité de non restitution à la résiliation du contrat : 23320 euros TTC (530 € x44).


La société Tsein sera dès lors condamnée à payer à la société Messer les sommes de 4 444,07 euros TTC au titre des factures impayées de location des emballages non -restitués des mois de novembre et décembre 2013, ainsi que la somme de 23 320 euros au titre de l’indemnité de non-restitution, avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2018 et capitalisation desdits intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil. La société Messer sera déboutée du surplus de ses demandes à ces titres.


Le jugement sera infirmé sur ces points.

Sur la publication, les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile


Au vu des circonstances de l’espèce, la publication de la décision n’est pas justifiée.


Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Messer aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 8000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


La société Tsein, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.


En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Tsein sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Messer la somme de 8 000 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en ce qu’il a :


- dit qu’il n’y a pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce et débouté la société MESSER FRANCE de l’ensemble de ses demandes formées à ce titre,


-débouté la société MESSER FRANCE de ses demandes formées sur la facturation et les indemnités de location établies postérieurement à octobre 2013 et autre préjudices,


- condamné la société MESSER FRANCE aux dépens et au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la société T.S.E.I.N a brutalement rompu la relation commerciale établie au sens de l’article L.442-6, I, 5° dans sa version applicable au litige,

CONDAMNE la société T.S.E.I.N à payer à la société MESSER FRANCE la somme de 33 300 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

CONDAMNE la société T.S.E.I.N à payer à la société MESSER FRANCE les sommes de 4 444,07 euros TTC au titre des factures impayées de location des emballages non -restitués des mois de novembre et décembre 2013, ainsi que la somme de 23 320 euros au titre de l’indemnité de non-restitution, avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2018 et capitalisation desdits intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

DÉBOUTE la société MESSER FRANCE du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la société T.S.E.I.N aux dépens de première instance et d’appel,

CONDAMNE la société T.S.E.I.N à payer à la société MESSER FRANCE la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


LE GREFFIER LE PRESIDENT
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 2 mars 2022, n° 19/19443