Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 9 mars 2020, n° 17/04106

  • Développement·
  • Trouble·
  • Bruit·
  • Parc·
  • Nuisance·
  • Énergie·
  • Vent·
  • Permis de construire·
  • Demande·
  • Immobilier

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Itinéraires Avocats · 18 novembre 2021

Si la Cour de Cassation (Cass, ch. civ 3, 17/09/2020, n°19-16937) se montre réticente à l'indemnisation des voisins de champs éoliens, en considérant que « nul n'a de droit acquis à la conservation de son environnement et que le trouble du voisinage s'apprécie en fonction des droits respectifs des parties » et en refusant d'indemniser « une dépréciation des propriétés concernées évaluée entre 10 % et 20 % » car cette dépréciation ne dépassait pas « les inconvénients normaux du voisinage, eu égard à l'objectif d'intérêt public poursuivi par le développement de l'énergie éolienne », en …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 9 mars 2020, n° 17/04106
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 17/04106
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Toulouse, 25 avril 2017, N° 14/04355
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

09/03/2020

ARRÊT N°

N° RG 17/04106 – N° Portalis DBVI-V-B7B-LY4E

CB/MB

Décision déférée du 26 Avril 2017 – Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE – 14/04355

Mme X

SAS 3V DEVELOPPEMENT

C/

Y-H Z

F B épouse Z

SARL 3 L ENERGIES

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

1re Chambre Section 1

***

ARRÊT DU NEUF MARS DEUX MILLE VINGT

***

APPELANTE

SAS 3V DEVELOPPEMENT

[…]

[…]

Assistée par Me Jérôme BERTIN de la SELARL BERTIN & BERTIN, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Caroline HORNY de la SELARL DESARNAUTS HORNY ROBERT DESPIERRES, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur Y-H Z

[…]

[…]

Assisté par Me Régis PECH DE LACLAUSE de la SCP PECH DE LACLAUSE-JAULIN, avocat au barreau de NARBONNE

Représenté par Me Daniel FLINT de la SCP D’AVOCATS FLINT-SANSON- SAINT GENIEST, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame F B épouse Z

[…]

[…]

Assistée par Me Régis PECH DE LACLAUSE de la SCP PECH DE LACLAUSE-JAULIN, avocat au barreau de NARBONNE

Représentée par Me Daniel FLINT de la SCP D’AVOCATS FLINT-SANSON- SAINT GENIEST, avocat au barreau de TOULOUSE

SARL 3 L ENERGIES société au capital social de : 3.000 €, immatriculée au RCS de TOULOUSE, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.

[…]

[…]

Représentée par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BELIERES, président et A. ARRIUDARRE, vice-président placé chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BELIERES, président

C. ROUGER, conseiller

A. ARRIUDARRE, vice-président placé

Greffier, lors des débats : C.PREVOT

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par C. BELIERES, président, et par C. PREVOT, greffier de chambre.

Exposé des faits et de la procédure

Par trois arrêtés de permis de construire en date du 30 mars 2004 prorogés par arrêtés du 23 janvier 2006 la Sas 3V Développement a obtenu l’autorisation de construire six éoliennes sur le territoire de la commune de Saint-Felix-Lauragais ainsi que quatre éoliennes sur la commune de Rumens et une sur la commune de Montégut Lauragais et a transféré ce droit pour les cinq dernières à la Sarl 3 L Energies par arrêté de transfert du 4 avril 2007.

Ces 11 éoliennes constituent deux parcs éoliens distincts : le parc éolien 'le Bois’ exploité par la Sas 3V Développement et le parc éolien 'la Lande’ exploité par la Sarl 3L Energies.

M. Z et Mme B épouse Z propriétaires d’un immeuble à usage d’habitation acquis le 14 mars 2005 situé '[…]', à proximité du site d’implantation des éoliennes, se sont plaints de subir des nuisances sonores et visuelles.

Ils ont par acte du 8 juillet 2008 assigné les deux société exploitantes devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse qui, par ordonnance du 4 septembre 2008, a rejeté leur demande d’expertise au motif que les éoliennes n’étaient pas en fonctionnement.

Par acte d’huissier des 4 et 5 mars 2009 M. et Mme Z ont renouvelé leur demande devant le juge des référés qui, par ordonnance du 4 juin 2009 complétée le 22 octobre 2009, a fait droit à la demande d’expertise mais en limitant la mission aux investigations relatives à la mesure des éventuelles nuisances sonores et en refusant toute analyse de l’impact visuel des éoliennes et toute détermination des conséquences patrimoniales de l’implantation critiquée.

Par arrêt du 31 janvier 2011 la cour d’appel a réformé partiellement la décision du premier juge et étendu la mission de l’expert aux nuisances visuelles et aux éventuelles conséquences patrimoniales des troubles invoqués, lequel a rendu son rapport le 27 décembre 2012.

Par acte du 5 décembre 2014 M. et Mme Z ont fait assigner la Sas 3V Développement et la Sarl 3L Energies devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux fins d’obtenir la démolition des éoliennes et des dommages-intérêts.

Par jugement en date du 26 avril 2017 assorti de l’exécution provisoire cette juridiction

— s’est dit incompétente pour statuer sur la demande de M. et Mme Z de démolition et d’arrêt de fonctionnement, sous astreinte, des trois éoliennes situées au lieudit 'le Bois’ sur la commune de Saint-Felix- Lauragais à proximité de leur maison, soit les éoliennes E9, E10, E11, propriété de la société 3V Développement

— a renvoyé M. et Mme Z à se pourvoir de ces chefs devant le tribunal administratif

— a rejeté l’ensemble des demandes formées par M. et Mme Z à l’encontre de la Sas 3L Energies

— a condamné la Sas 3V Développement à leur payer les sommes de 10.000 € au titre du trouble anormal de voisinage et de 65.000 € au titre de la perte de valeur du bien

— a rejeté le surplus des demandes formées par M. et Mme Z

— a condamné la Sas 3V Développement à payer à M. et Mme Z la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et rejeté le surplus des demandes formées à ce titre

— a condamné la Sas 3V Développement aux dépens avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 27 juillet 2017 la Sas 3V Développement a interjeté appel de cette décision.

Prétentions et moyens des parties

La Sas 3V Développement demande dans ses dernières conclusions du 21 août 2018, au visa des articles 74, 75 et 92 du code de procédure civile, L.511-1, L. 513-1, L.553-1 et L. 514-7 du code de l’environnement, L.112-16 du code de la construction et de l’habitation, L.480-13 du code de l’urbanisme et 544 du code civil, de

In limine litis

— dire irrégulières les demandes incidentes formulées par les époux Z ; les déclarer irrecevables

Sur la confirmation partielle

— dire que les éoliennes du parc éolien 'Le Bois’ sont affectées au service public d’approvisionnement en électricité et peuvent être qualifiées d’équipements d’intérêt public

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les époux Z de leur demande visant la démolition et l’arrêt de fonctionnement sous astreinte des trois éoliennes E9, E10, E11 situées au lieu-dit '[…]

— confirmer le jugement pour l’ensemble des demandes dont il a débouté les époux Z à son encontre

Sur l’infirmation partielle

— infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer aux époux Z la somme de 10.000 € au titre du trouble anormal de voisinage, celle de 65.000 € au titre de la perte de valeur du bien et celle de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens

— dire que l’antériorité du permis de construire par rapport à l’achat de la maison par les époux Z et aux travaux de rénovation engagés fait obstacle à la reconnaissance d’un quelconque droit à dédommagement pour les préjudices allégués

— dire la carence des époux Z à caractériser les troubles anormaux du voisinage allégués : absence de preuve d’une atteinte à l’harmonie du paysage, absence de troubles acoustiques anormaux caractérisés, absence de preuve d’une incidence de la présence du parc éolien dans le voisinage sur la santé des occupants, caractère purement hypothétique de la dévalorisation foncière alléguée et notamment absence d’atteinte au prix de l’immobilier et l’impact neutre ou positif rapporté des parcs éoliens sur le voisinage

— débouter les époux Z de l’ensemble de leurs demandes de condamnation formulées à son encontre

— condamner les époux Z à lui payer la somme de 20.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, en ceux compris les frais d’expertise, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, tout d’abord, que les demandes incidentes présentées par les époux Z sont

irrecevables pour être irrégulièrement formulées car sollicitant sa condamnation à des montants supérieurs à ceux prévus en première instance, sans pour autant faire clairement mention d’un appel incident.

Sur le fond, elle demande que le jugement soit confirmé en ce qu’il a considéré que les trois éoliennes sont des équipements d’intérêt public de sorte que la juridiction judiciaire, qui ne peut s’immiscer dans l’exercice d’une police spéciale dévolue à l’administration, était incompétente concernant la demande de leur démolition.

Elle réclame l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser une indemnité aux époux Z, alors qu’aucun trouble excessif de voisinage n’est caractérisé, l’anormalité du trouble n’étant pas démontrée en l’absence de nuisances sonores et visuelles avérées puisqu’ils se bornent à affirmer que les ouvrages érigés constitueraient une atteinte à l’harmonie du paysage dégradant leur propriété, alors que l’aspect esthétique a un caractère totalement subjectif.

Elle rappelle que l’article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation instaure un privilège de pré-occupation qui exclut tout droit à réparation en matière de troubles de voisinage lorsque le voisin s’est installé postérieurement à l’existence des activités occasionnant les troubles allégués, que les autorisations de permis de construire des éoliennes sont bien antérieures à l’installation des époux Z qui en avaient nécessairement connaissance au moment de leur acquisition, de sorte qu’ils ont accepté de s’exposer aux troubles allégués et ne sont donc pas fondés à réclamer une indemnité à ce titre ; elle ajoute qu’elle respecte parfaitement les normes en vigueur et qu’elle a poursuivi son exploitation sans changement de ses conditions.

Elle précise que si par extraordinaire, il s’avérait que les époux Z n’étaient pas informés de l’existence de ce projet de construction d’éoliennes sur la commune avant leur achat, c’était à leur vendeur, M. C, qui en avait nécessairement connaissance de les en aviser de sorte qu’ils auraient du se retourner contre lui.

Elle soutient que, même à supposer que la demande d’indemnisation puisse prospérer en dépit de l’antériorité du parc éolien, les époux Z n’ont aucune qualité à agir pour la défense du paysage ou des sites classés qui incombe à la seule la collectivité publique et précise que les parcs éoliens de Saint-Felix Lauragais ont été construits conformément aux permis délivrés et après avis favorable de l’architecte des Bâtiments de France et de la Commission départementale des sites et paysages.

Elle estime, par ailleurs, que la revendication des époux Z est à mettre en balance avec la recherche de la satisfaction d’un intérêt plus global impliquant la société toute entière, à savoir l’intérêt environnemental ; elle rappelle à ce sujet que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les installations éoliennes sont d’intérêt général, en raison de leur contribution au développement durable des ressources naturelles, et affirmé le principe selon lequel l’intérêt environnemental d’une éolienne, qui respecte les normes sanitaires essentielles, est supérieur à l’intérêt d’un particulier, qui évoque une atteinte à la propriété privée.

Elle souligne qu’en tout état de cause, nul ne peut prétendre bénéficier d’un droit acquis à une vue permanente sur un horizon totalement dégagé et que chacun doit s’attendre à ce que le paysage dont il jouit puisse être un jour modifié.

S’agissant du trouble acoustique allégué, elle considère que les mesures qui ont été réalisées par l’expert ne sont pas conformes aux normes en vigueur et aux prescriptions actuelles, de sorte qu’elles ne peuvent avoir qu’un caractère indicatif, voire être non recevables ; elle affirme que lors des campagnes de mesures, un certain nombre de bruits totalement indépendants de l’exploitation du parc éolien étaient présents, lesquels ont pu influer sur la précision et la pertinence de la mesure sonore, et que, d’ailleurs, il existe des discordances et incohérences entre les mesures effectuées par l’expert judiciaire et celles effectuées par le cabinet Delhom, lors du contrôle post-implantation du parc éolien ; elle soutient qu’en tout état de cause, aucun trouble sonore anormal n’est caractérisé puisque l’expert judiciaire relève que le bruit n’est perçu qu’en cas de vent de sud-est, qu’aucun bruit n’est perçu depuis l’intérieur du bâtiment, et qu’aucun bruit n’est perçu en l’absence de vent ou lorsque celui-ci est fort.

Elle prétend que la présence des éoliennes n’a aucune incidence sur la santé des époux Z, puisque selon le rapport de l’AFSSET publié le 31 mars 2008, les émissions sonores ne sont pas suffisantes pour générer des conséquences sanitaires directes en ce qui concerne les effets auditifs.

Au titre de la dévalorisation de leur propriété foncière, elle estime que les époux Z n’ont subi aucun dommage car aucune étude ne rapporte la preuve d’une atteinte au prix de l’immobilier au voisinage d’un parc éolien et qu’au contraire, certaines études démontrent que la présence d’un parc éolien a un impact positif ou aucun impact sur les ventes de biens immobiliers ; elle indique qu’en tout état de cause, le préjudice invoqué par les époux Z est purement hypothétique car ils n’ont pas manifesté leur intention de vendre leur bien immobilier.

M. et Mme Z demandent dans leurs conclusions du 22 mai 2018, au visa des articles 544 et 1382 du code civil, de

— réformer le jugement

— condamner la Sas 3 V Développement à

* réparer les préjudices qu’ils ont subis du fait de l’inconvénient anormal de voisinage dont elle s’est rendue l’auteur

* leur payer en indemnisation du préjudice subi du fait du trouble sonore lié au fonctionnement des éoliennes depuis le 2 janvier 2009 et jusqu’au jour de la suppression de ce trouble, la somme de 10.000 € par an de dommages et intérêts soit au jour des présentes conclusions la somme de 90.000 €

* réparer le préjudice lié à la perte de valeur de leur bien immobilier, consécutive à l’implantation de l’ensemble des équipements litigieux par le paiement à ce titre de la somme de 200.000 € de dommages et intérêts

* leur verser la somme en 15.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile

— condamner la Sas 3 V Développement à supporter les entiers dépens, en ce compris ceux des procédures de référé et des expertises judiciaires ordonnées,

Ils font valoir que leur appel incident est parfaitement recevable puisque leurs conclusions indiquent clairement qu’elles valent appel incident et que cela ressort également de leur teneur car elles ne se bornent pas à demander la confirmation du jugement frappé d’appel mais sollicitent que la Cour statue à nouveau, en leur octroyant une réparation intégrale par la reconnaissance de préjudices ignorés des premiers juges et par l’augmentation des sommes allouées au titre des préjudices reconnus.

Ils indiquent qu’en principe l’exception d’incompétence se soulève in limine litis et devant le conseiller de la mise en état, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ; ils font remarquer, qu’en tout état de cause, les parcs éoliens ne sont pas des ouvrages publics, ni des équipements publics mais des équipements d’intérêt collectif, de sorte que le juge judiciaire est parfaitement compétent pour statuer sur une demande d’indemnisation sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, sans avoir à se préoccuper de vérifier le respect de la réglementation urbanistique et environnementale en vigueur ; ils admettent toutefois que le juge judiciaire ne peut ordonner la démolition d’éoliennes que dans le cadre des dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.

Ils soutiennent que l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation n’est pas applicable en l’espèce, comme relevé par le tribunal, la notion de préoccupation supposant que l’activité soit exploitée avant la délivrance du permis de construire afférent au bâtiment exposé aux nuisances ou avant l’acte authentique constatant l’aliénation dudit bâtiment ; ils rappellent que les arrêtés de permis de construire ont été prorogés par arrêté préfectoral en date du 23 janvier 2006 de sorte qu’à la date de la signature de l’acte authentique les éoliennes n’étaient toujours pas construites ; ils ajoutent qu’en tout état de cause, lors de l’achat de leur bien immobilier, ils n’étaient pas informés de la future installation des éoliennes, aucun document annexé à la vente n’en faisant état ; ils en déduisent qu’ils sont fondés à obtenir réparation pour les préjudices subis sur le fondement des troubles anormaux du

voisinage.

Ils invoquent en premier lieu un trouble sonore, le rapport d’expertise mettant en exergue le caractère intermittent, aléatoire, imprévisible, et envahissant du bruit généré par la rotation des pales et demandent à ce titre une somme de 10 000 € par an soit au jour de leurs conclusions la somme de 90.000 €.

Ils affirment subir, en second lieu, un trouble visuel entraînant une moins-value foncière de leur bien car il est évident que des biens situés à proximité d’un parc éolien sont moins attractifs sur le marché immobilier, l’expert ayant d’ailleurs fixé la moins-value générée par les nuisances de l’exploitation sur l’immeuble à la somme de 125 000 € ; ils considèrent que le raisonnement du tribunal qui a consisté à diviser par deux cette somme est erroné pour avoir fait une confusion entre la nuisance visuelle causée par les éoliennes et l’impact visuel environnemental que tout projet éolien a sur les paysages avoisinants ; ils ajoutent que l’étude invoquée par la Sas 3V Développement sur l’impact de la présence d’éoliennes sur le marché immobilier ne peut être prise en compte car elle n’a pas été réalisée à grande échelle et d’ailleurs, le soin pris par les pouvoirs publics de procéder à ce genre d’études est la preuve de ce que, sur le marché économique foncier, l’éolien est mal perçu ; ils demandent que la dépréciation de la valeur de leur propriété soit fixée à la somme de 200 000 €.

La Sarl 3L Energies demande dans ses conclusions du 22 décembre 2017 de confirmer le jugement en ce qu’il la mise hors de cause et de condamner la Sas 3 V Développement à lui régler la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les entiers dépens d’appel.

Elle fait valoir qu’elle a été injustement attraite en cause d’appel, alors que la Sas 3V Développement ne dispose pas d’un intérêt à agir à son encontre et que les époux Z ne formulent plus aucune demande contre elle.

Elle sollicite, en tout état de cause, la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes formées par les époux Z à son égard car il s’évince des pièces du dossier que les trois éoliennes dont l’implantation et le fonctionnement sont, aux dires des époux Z, la cause d’un trouble anormal du voisinage, sont la propriété de la Sas 3V Développement ; elle ajoute que les éoliennes qu’elle exploite n’ont, du fait de leur distance, aucun impact sur la propriété des époux Z au plan visuel ou sonore.

Motifs de la décision

Sur la procédure

L’acte d’appel fixe l’étendue de la dévolution du litige.

Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent ; la dévolution s’opère pour le tout lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, lorsqu’il tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

L’acte d’appel de la Sas 3V Développement ne visant qu’une partie des chefs du jugement, ceux ayant retenu sa responsabilité, mis les frais irrépétibles à sa charge et alloué différentes sommes à titre d’indemnité aux époux Z, lesquels n’ont formé appel incident que sur l’étendue et le montant des indemnités allouées, seules ces dispositions rentrent dans la saisine de la cour.

Celles relatives à l’incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur la demande des époux Z de démolition et d’arrêt de fonctionnement des trois éoliennes litigieuses et au rejet de leurs demandes à l’encontre de la Sas 3 L Energies y échappent.

Les conclusions des époux Z contiennent bien appel incident contre l’appelant, attesté par la teneur tant des motifs que du dispositif de leurs conclusions initiales transmises au greffe et notifiées le 21 décembre 2017 dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, ce qui les rend parfaitement recevables ; ces intimés réclament dans le corps de ces écritures la réparation intégrale des préjudices subis en reprenant leurs demandes originaires, supérieures à celles accordées par le jugement, en des termes dépourvus de toute ambiguïté, d’autant qu’elles figurent dans une partie intitulée ' dispositif du jugement critiqué par l’appel incident des concluants' et dans le dispositif de ces mêmes écritures mentionnent la formule suivante ' Faisant droit à l’appel incident des concluants' qui est tout à fait explicite ; le fait que ces conclusions ne soient pas rédigées en sollicitant expressément la réformation du jugement est indifférent, les articles 551 et 954 du code de procédure civile n’exigeant pas de formule sacramentelle ; au demeurant, leurs dernières conclusions du 22 mai 2018 sont intitulées ' conclusions d’intimé et d’appel incident n° 2" et leur dispositif débute par le paragraphe ' réformer le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 26 avril 2017".

Les demandes présentées par les époux Z dans le cadre de cet appel incident parfaitement régulier sont elles-mêmes recevables.

Sur la responsabilté pour troubles de voisinage

La responsabilité de la Sas 3V Développement est recherchée sur le fondement du trouble de voisinage, principe selon lequel toute personne qui cause à autrui un trouble excédant les inconvénients ordinaires de voisinage est tenue à l’obligation de réparation, même en l’absence de toute faute de sa part, sans pouvoir s’en exonérer en invoquant le fait ou la faute d’un tiers.

Ses conditions de mise en 'uvre sont réunies.

L’existence des troubles dont se plaignent les époux Z est avérée.

Elle résulte notamment d’un procès-verbal de constat en date du 13 novembre 2008 dans lequel l’huissier mentionne que depuis l’angle de la maison il entend très distinctement le bruit des éoliennes les plus proches et dont la teneur est confirmée par l’expert judiciaire qui, après avoir expliqué dans son rapport que 'la propagation du bruit dépend de plusieurs facteurs : topographie des lieux, éventuellement phénomène d’écran, direction des vents, atténuation due à l’effet de sol, présence ou non de végétation, paramètres variables en fonction des saisons, température, humidité de l’air, végétation et même plus rapidement dans la journée comme la vitesse et la direction du vent', note que 3 éoliennes E 9,10,11 implantées à distance respective de 538, 542, 643 m de la maison des époux Z, sont source de nuisances visuelles, nocturnes et diurnes (clignotant lumineux), et sonores.

L’expert Turcato indique que 'le bruit produit par les éoliennes est ressenti mais ne trouble pas une conversation de niveau normal ; il est probable qu’une personne au repos, voulant profiter du calme de la campagne perçoive à certains moments ce trouble régulier et continu sans pouvoir dominer la sensation' ; il relève que la perception la plus nette des différents bruits provoqués par les éoliennes est ressentie 'sur la plage Sud de la piscine, avec perception du battement des pales au passage devant le mât à un rythme relativement lent, l’autre bruit relevé étant celui des engrenages qui orientent les hélices et ressemblent à une série de craquements discontinus, très brefs, peu nombreux' ; il précise que 'pendant une période d’activité (coupe de bois à l’aide d’une tronçonneuse, tonte de gazon, baignade dans la piscine) la gêne est difficile à matérialiser mais qu’au cours des périodes calmes, par vents moyens de 3 à 6 m/s venant du Sud Est le bruit des éoliennes est perçu' et conclut 'par vent légèrement soutenu, les éoliennes sont audibles. On perçoit essentiellement le battement de l’air au passage des pales devant le mât et par moments les engrenages d’orientation'.

En retenant l’existence d’inconvénients anormaux de voisinage imputables à la Sas 3V Developpement, à apprécier concrètement selon les éléments de chaque espèce, le tribunal a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties.

L’installation des éoliennes est bien source de gênes et de dérangements pour les époux Z qui en subissent individuellement les conséquences.

Les photographies annexées au constat d’huissier de novembre 2008 attestent de l’importance de l’impact visuel des éoliennes pour le fonds Z en raison de leur proximité, créatrice de gêne

esthétique.

Les nuisances sonores sont soulignées par l’expert.

La contestation par a Sas 3V Développement des mesures de bruit effectuées par le technicien judiciaire n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du trouble car il importe peu que celles-ci soient ou non conformes aux dispositions légales ou réglementaires dès lors qu’elles sont source de nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Il est tout aussi indifférent, dans un tel cas, que l’installation ait fait l’objet d’un permis de construire et/ou d’une autorisation administrative, toujours accordés sous réserve des droits des tiers.

Le caractère de ce bruit, intermittent, imprévisible selon l’intensité du vent qui peut changer rapidement est d’autant plus perturbant qu’il interdit toute habituation.

Ces troubles visuels et sonores entraînent une dégradation des conditions de vie des époux Z et suffisent à caractériser le franchissement du seuil constitutif de l’anormalité du trouble, et à traduire un inconvénient excessif de voisinage pour une maison implantée en zone de campagne.

La Sas 3V Developpement ne peut, pour s’exonérer, invoquer l’article L 112-16 du code de la construction et de l’habitation aux termes duquel 'Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions'.

Le privilège d’antériorité ne peut jouer dès lors que l’acte de vente, intervenu le 15 mars 2005, est antérieur à la construction des éoliennes en 2008 et à leur mise en service en janvier 2009.

Aucune connaissance personnelle de ce projet qui remonte à 2002 et qui a fait l’objet d’une enquête publique par arrêté du 16 juin 2003 avec conclusions du commissaire enquêteur du 6 novembre 2003 ne peut être valablement opposé aux époux Z qui, jusqu’à leur achat de l’immeuble en 2005, étaient domiciliés dans le département de Meurthe et Moselle.

Le fait qu’un oncle de M. Z résidait dans le département et soit propriétaire de deux parcelles sur laquelle la Sas 3V Développement a implanté 'un mât de mesures d’aérologie' est à cet égard très largement insuffisant en terme de preuve, d’autant que les liens relationnels les unissant restent totalement ignorés.

L’acte de vente ne fait aucunement référence à ce projet d’implantation d’un parc d’éoliennes.

Ainsi, la Sas 3V Developpement doit être déclarée responsable envers M. et Mme Z de troubles anormaux de voisinage et tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

Sur l’indemnisation

Le trouble de voisinage est à l’origine d’un dommage subi par M. et Mme Z, né de la gêne sonore et esthétique résultant de l’installation de ces éoliennes.

Ce trouble existe depuis janvier 2009, date de la mise en service du parc éolien Le Bois, ce qui justifie l’octroi d’une somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts au jour du présent arrêt, à raison d’une indemnité d’environ 4.500 € par an, étant souligné que la gêne phonique n’est pas continue.

Pour l’avenir, dans la mesure où la cause du trouble n’est pas supprimée au jour où la cour statue, et où il est improbable qu’une décision d’enlèvement ou de déplacement des éoliennes puisse être prise par la juridiction administrative qui n’en a pas été saisie et qui a déjà écarté par jugement définitif du

23 mars 2006 tous les recours formés contre les permis de construire, le dommage sera indemnisé par l’octroi d’une somme correspondant à la dépréciation de l’immeuble, qui revêt un caractère certain pour être subie dès maintenant et dont l’existence n’est pas subordonnée à une éventuelle revente.

L’expert Nicodème en retient formellement le principe pour cette bâtisse qui présente une superficie habitable de 271,51 m² en rez de chaussée et 338,53 m² au premier étage outre 78,30 m² de locaux annexes en rez de chaussée, garage ouvert en rez de chaussée de 50,49 m² et coin été ouvert au rez de chaussée de 128,59 m² soit au total 721 m² pondérés outre un terrain de 17.500 m² à usage d’espace verts arborés et circulations gravillonnées, équipé d’une micro station d’épuration et d’une installation d’arrosage intégré, doté d’une mare avec ruisseau et d’une piscine de 16 m x 6,50 m avec abords dallés d’une valeur vénale de 1.040.000 € et chiffre la perte de valeur vénale liée aux nuisances à 12 % soit 125.000 €.

Aucune donnée de la cause n’autorise d’écarter l’existence de cette dépréciation dès lors que le technicien judiciaire s’est prononcé au vu de la spécificité de ce bien et que la Sas 3V Développement se borne à procéder par généralités sur la base d’une étude du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement de l’Aude d’octobre 2002 qui a conclu à la neutralité de l’impact de la présence d’un parc éolien sur le prix de l’immobilier ou à se prévaloir du rapport d’expertise de M. D qui concerne une autre villa, celle de M. E, située sur la même commune mais dans un autre lieudit 'Embarrière', proche d’une seule éolienne, visible seulement depuis le chemin d’accès et quasiment invisible au pied de la villa, avec un léger bruit perceptible sur la route qui mène à la villa mais aucun bruit n’étant perceptible sur le terrain de la maison et en bordure de celle-ci ni à l’intérieur, le faible bruit des pales étant totalement amorti par la colline, tous éléments dépourvus de valeur probatoire pour le cas particulier de l’immeuble des époux Z.

Aucun élément de la cause ne justifie d’augmenter le montant de l’évaluation expertale dès lors que ces propriétaires se bornent à invoquer les importants travaux de rénovation réalisés alors que ceux-ci ont expressément été pris en compte.

Cette dépréciation doit, toutefois, être réduite à 10 % et ramenée à 100.000 € dans la mesure où le bruit des éoliennes n’est pas audible à l’intérieur de l’habitation.

Ces indemnités allouées assurent la réparation intégrale des préjudices subis.

Sur les dommages annexes

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, en ce compris les frais d’expertise en application de l’article 695 4° du code de procédure civile, doivent être confirmées.

La Sas 3 V Développement qui succombe supportera la charge des entiers dépens d’appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande d’allouer une indemnité de 4.000 € à M. et Mme Z et de 1.500 € à la Sarl 3L Energies au titre de leurs propres frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

statuant dans les limites de sa saisine,

— Déclare recevable l’appel incident de M. et Mme Z et les demandes présentées à ce titre.

— Confirme le jugement

hormis sur le montant de l’indemnisation allouée.

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

— Condamne la Sas 3V Développement à payer à M. et Mme Z les sommes de

* 50.000 € au titre des troubles sonores et visuels subis à ce jour

* 100.000 € au titre de la dépréciation de l’immeuble.

Y ajoutant,

— Condamne la Sas 3V Développement à payer à

* M. et Mme Z la somme de 4.000 €

* la Sarl 3L Energies la somme de 1.500 €

sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour.

— Déboute la Sas 3V Développement de sa demande à ce même titre.

— Condamne la Sas 3V Développement au entiers dépens d’appel.

Le greffier Le président

.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 9 mars 2020, n° 17/04106