Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 4e section, 9 mars 2017, n° 15/01086

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Chronologie de l’affaire

Commentaires8

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www.jurisexpert.net · 24 janvier 2020

Dans une telle situation, l'oeuvre créée est considérée juridiquement comme une oeuvre composite au sens de l'article L.113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, dont la définition est la suivante: « est dite composite l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière« . Dès lors que l'oeuvre préexistante est encore protégée par des droits d'auteur, il est nécessaire d'obtenir l'autorisation de l'artiste pour l'insérer dans une oeuvre nouvelle. Au sein de l'Union européenne, les droits patrimoniaux (droit de …

 

www.mars-ip.eu · 26 novembre 2019

Par principe, le juge français se doit désormais de mettre en balance les intérêts de l'auteur de l'œuvre initiale et ceux du tiers qui s'approprie ladite œuvre. Que les auteurs soient toutefois rassurés, ce mécanisme n'œuvre pas nécessairement en faveur de la liberté d'expression, bien au contraire… « Naked » de Jeff Koons, 1988 © Artnet price database Conformément aux instructions données par la Cour Européenne des Droits de l'Homme le 10 janvier 2013 dans l'affaire « Ashby Donald et autres c. France [1]» – le juge français est désormais tenu d'apprécier les restrictions apportées à la …

 

CMS · 31 janvier 2019

Alors que Bansky a fait parler de lui dans les salles des ventes avec son œuvre "Girl with Balloon" qui s'est détruite "spontanément" quelques secondes après avoir été adjugée, le nom de Jeff Koons revient pour la deuxième fois devant le tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci a récemment jugé que la sculpture en porcelaine dénommée "Fait d'hiver", créée en 1988 et exposée au centre Georges Pompidou en 2014, contrefaisait le visuel réalisé par le photographe Franck Davidovici pour une campagne de publicité Naf-Naf en 1985 (TGI Paris, 8 novembre 2018, n° 15/02536). Cette condamnation …

 
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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 9 mars 2017, n° 15/01086
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/01086

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S (footnote: 1)

3e chambre 4e section

N° RG : 15/01086

N° MINUTE :

Assignation du :

22 janvier 2015

JUGEMENT

rendu le 09 mars 2017

DEMANDEURS

Madame D AC-AD A épouse X

[…]

[…]

Monsieur F U V X

[…]

[…]

Madame W-AA AB-X

[…]

[…]

représentéspar Maître P Q de la SEP Q LESAGE-CATEL GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DÉFENDEURS

Monsieur B C

[…]

10001 NEW-YORK (ETATS UNIS)

Société K C LLC

[…]

10001 NEW-YORK (ETATS UNIS)

représentés par Maître Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J001

CENTRE NATIONAL D’ART ET DE CULTURE G H

Place G H

[…]

représentée par Me Agnès Z, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1207

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Camille LIGNIERES, Vice-Présidente

Laure ALDEBERT, Vice-Présidente

Laurence LEHMANN, Vice-Présidente

assistée de AC-Aline PIGNOLET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 13 janvier 2017

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

  • R-I X né le […], était un photographe français qui a fait sa carrière dans la réalisation de photographies pour des campagnes publicitaires.

En marge de son activité professionnelle, il a développé un travail personnel de créativité photographique de portraits de nus en noir et blanc sans intention commerciale.

Son nom est associé à l’ art du portrait nu dans le milieu des photographes professionnels et son œuvre est connue des collectionneurs et amateurs de photographies.

Décédé le 2 janvier 2014, il a laissé pour lui succéder sa veuve, D A, artiste peintre, son fils F X et sa petite-fille W-AA AB-X.

Dans le cadre des portraits nus R-I X a réalisé en 1970, sous le titre « Enfants » une photographie en noir et blanc dont le tirage est conservé à la Bibliothèque Nationale et qui est reproduite dans sa monographie « R I S Portraits nus » parue en 1984 aux éditions Contrejour.

Aucun tirage de cette photographie n’a été vendu mais le photographe avait consenti en 1975 à l’éditer sous la forme d’une carte postale

Selon ses héritiers il s’agit d’une œuvre majeure du photographe qui témoigne de son art pour la réalisation des portraits nus dans laquelle il a cherché à restituer la réalité de deux enfants nus se tenant mutuellement par l’épaule dans une atmosphère de pureté et de grâce sans connotation sexuelle ni érotique.

Peu après le décès de l’artiste photographe, ses héritiers exposent avoir découvert fortuitement dans un article posté en 2013 sur internet par un bloggeur sur le site www.pigtailsinpaint qu’une sculpture intitulée « Naked » réalisée par K C présentait des similitudes avec la photographie « Enfants » .

B C né aux […] en 1955 est un artiste plasticien très côté sur le marché mondial de l’ art contemporain décrit « comme héritier du pop art, fin connaisseur de l’art de son temps et admirateur enthousiaste de l’art du passé » .

Il est réputé pour avoir bousculé le monde l’art, en étant à l’origine de la réalisation de différentes œuvres plastiques inspirées de la culture de masse et de l’art ancien qui ont gagné une grande popularité.

L’artiste a créé en 2005 la société K C LLC immatriculée dans le Delaware dont il est le gérant dans laquelle il emploie une centaine d’assistants à qui il confie la mission de son travail artistique comprenant la fabrication des œuvres, les expositions, les archives, la promotion des œuvres.( pièce 24)

Il a été particulièrement médiatisé en France en 2008 à l’occasion de la présentation d’une partie de ses œuvres au Château de Versailles dont le monumental Balloon Dog ou chien baudruches.

K C est l’auteur d’une sculpture nommée Naked en porcelaine de grande taille ( 115,6 cm hauteur et 68,60 diamètre) réalisée en 4 exemplaires aux […] en 1988 qui fait partie de la série Banality elle même composée de 20 sculptures en porcelaine ou en bois polychrome.

Cette série est une nouvelle approche du « ready made » qui dévoile dans un mélange de pop art et de kitch, des objets liés à la culture populaire.

Alors que cette sculpture n’avait jamais été exposée au public en France, les héritiers ont appris qu’elle devait être présente à Paris dans le cadre d’une exposition itinérante « K C, la rétrospective » en provenance du Whitney Museum de New York, du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015 au Centre national d’Art et de Culture G H (ci-après, le « Centre H » ) récapitulant des œuvres choisies des différentes séries de l’artiste américain. Estimant l’œuvre contrefaisante des droits d’auteur de R I X, les héritiers par l’intermédiaire de leur conseil ont adressé le 20 octobre 2014 à K C C /société, K C LLC, à New-York aux Etats-Unis une lettre recommandée aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi le mettant en demeure de s’ « abstenir d’exposer la sculpture Naked – notamment à l’occasion de l’exposition au Centre G H à Paris du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015 – et en supprimer la reproduction de tout support quel qu’il soit » ainsi que de « rappeler tous les exemplaires de la sculpture Naked »

Sans réponse, les héritiers ont adressé un courrier reprenant les termes de leur mise en demeure à l’ intention du Centre H par lettre recommandée du 25 novembre 2014, à la veille de l’ouverture de l’exposition au public.

Pour des raisons liées à un endommagement de l’œuvre pendant son transport, qui sont contestées par les héritiers du photographe, l’œuvre en définitive a été retirée de l’exposition mais était déjà reproduite sur les supports de l’exposition en vente au public et a figuré dans les reportages et émissions diffusées en France au sujet de l’artiste et l’exposition.

A l’avenir l’image de la sculpture litigieuse ne figurera plus dans l’édition 2015 des albums et portfolios de l’exposition édités par le Centre H.

C 'est dans ces conditions que D A veuve X , son fils F X et sa petite-fille W-AA AB-X ont fait assigner par exploits en date du 22 janvier 2015, l’artiste, B C à titre personnel, la société K C LLC domiciliés aux […] et le Centre National d 'Art et de Culture G H en contrefaçon de droits d’auteur et réparation.

Selon leurs dernières écritures signifiées le 28 octobre 2016 par Y, D A veuve X, F X et W-AA AB-X demandent au tribunal

— D’écarter des débats les pièces et illustrations adverses visées dans la pièce produite par les concluants sous le n° 50

— Déclarer D A, épouse X, F X et W-AA AB-X, et subsidiairement D A, épouse X, recevables et bien fondés en leurs demandes ;

— Dire et juger qu’en adaptant la photographie « Enfants » sous forme de sculpture, en représentant et en reproduisant la sculpture « Naked » sur divers supports, B C, la Société K C LLC et le Centre National d’Art et de Culture G H se sont rendus coupables, au préjudice de D A, épouse X, F X et W-AA AB-X de contrefaçon des

droits d’auteur dont ils sont titulaires sur la photographie « Enfants » ;

En conséquence,

— Faire interdiction à B C, à la Société K C LLC et au Centre National d’Art et de Culture G H d’exposer en France la sculpture « Naked », sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée et par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

— Interdire à B C, à la Société K C LLC et au Centre National d’Art et de Culture G H de reproduire la sculpture « Naked » sur quelque support que ce soit, sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, l’infraction s’entendant de chaque reproduction de la sculpture et de chaque jour de retard sur un support quelconque y compris les sites internet www.jeffkoons.com et www.centrePOMPIDOU.fr accessibles en France ;

— Ordonner le retrait par le Centre National d’Art et de Culture G H de la vente et le rappel tous les exemplaires des catalogues, portfolios et albums « K C La Rétrospective » contenant la reproduction de la sculpture « Naked », ainsi que tout autre support (DVD…), sur lequel serait reproduite la sculpture litigieuse, aux fins de destruction sous contrôle d’huissier, sous astreinte de 1.000 €

par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Dire que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes ordonnées ;

— Condamner in solidum B C et la Société K C LLC à verser ensemble à D A, épouse X, F X et W-AA AB-X la somme de 1.000.000 € à titre de dommages intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée aux droits moraux dont ils sont investis sur la photographie « Enfants » (800.000 € au titre de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre et 200.000 € au titre de l’atteinte à la paternité) ;

Condamner le Centre National d’Art et de Culture G H, in solidum avec B C et la Société K C LLC au titre au titre de l’atteinte portée depuis 2014 en France aux droits moraux des ayants-droit de l’auteur, à hauteur de moitié desdites condamnations (400.000 € au titre de l’atteinte à l’intégrité

de l’œuvre et 100.000 € au titre de l’atteinte à la paternité) ;

Condamner in solidum B C et la Société K C LLC à verser ensemble à D A, épouse X, F X et W-AA AB-X la somme de 1.500.000 € à titre de dommages intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée à leurs droits patrimoniaux sur la photographie « Enfants »

— Condamner le Centre National d’Art et de Culture G H, in solidum avec B C et la Société K C LLC, au titre du l’atteinte portée depuis 2014 en France aux droits patrimoniaux des ayants-droit de l’auteur, à hauteur de moitié desdites sommes, soit 750.000 € ;

— Ordonner la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, dans trois journaux ou périodiques, au choix de D A, épouse X, F X et W-AA AB-X et aux frais avancés de B C, de la Société K C LLC et du Centre National d’Art et de Culture G H tenus in solidum, dans la limite de 5.000 € HT par insertion ;

— Ordonner également la publication, pendant une durée de 30 jours, du jugement à intervenir, sous la forme : « La sculpture Naked présentée sur le présent site sous la rubrique « Banality » a fait l’objet d’une condamnation pour contrefaçon de la photographie « Enfants » de R-

I X par jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du… ». sur la page d’accueil des sites Internet accessibles aux adresses www.jeffkoons.com et www.centrePOMPIDOU.fr aux frais respectivement de la Société K C LLC et du Centre National d’Art et de Culture G H, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

— Dire B C et la Société K C LLC et le Centre National d’Art et de Culture G H irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions ; les en débouter ;

— Condamner in solidum B C, la Société K C LLC et le Centre National d’Art et de Culture G H à verser ensemble à D A, épouse X, F X et W-AA AB-X la somme de 30.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ; – Les condamner également in solidum à rembourser ensemble à D A, épouse X, F X et W-AA AB-X les débours, frais et honoraires d’huissier exposés par eux à l’occasion des opérations de constat des 12 mai et 12 décembre 2014 ;

— Condamner enfin in solidum B C, la Société K C LLC et le Centre National d’Art et de Culture G H en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître P Q, avocat, par application de l’article 699 du Code de Procédure Civile ;

— Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Au terme de leurs dernières écritures signifiées par e-barreau le 5 décembre 2016, monsieur B C et la société K C LLC demandent au tribunal :

Vu les articles 9 et 122 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu les articles 2224 et suivants du Code civil ;

Vu l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ;

Vu l’article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 et l’article du Protocole n°1 ;

Vu les articles L. 112-2, 9°, L. 122-5, 4°, L.121-1 et L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Vu les articles L331-1-3 (tel que modifié par la loi du 11 mars 2014) et L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Vu la directive CE n° 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, telle que transposée par la loi du 29 octobre 2007 ;

Vu l’article 1382 du code civil ;

Vu l’article 700 du Code de procédure civile ;

A TITRE LIMINAIRE :

— DE CONSTATER que Monsieur F X et Madame W-AA AB-X ne disposent d’aucun droit sur la succession de R-I X ;

— EN CONSÉQUENCE, de déclarer irrecevables Monsieur F X et Madame W-AA AB-X et de les débouter de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

— DE CONSTATER que les Demandeurs se contentent de décrire les caractéristiques esthétiques de la photographie « Enfants » ;

— EN CONSÉQUENCE, de dire et juger que la photographie « Enfants » de R-I X n’est pas originale au sens du Code de la propriété intellectuelle et débouter les Demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions;

— DE CONSTATER que les Demandeurs (i) ne versent aux débats aucune pièce propre à établir que K C est concerné par les actes incriminés et (ii) en tout état de cause que les seuls actes qui pourraient être reprochés à K C sont prescrits ;

— EN CONSÉQUENCE, de mettre hors de la cause K C (personne physique) ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

— DE CONSTATER que les ressemblances entre la photographie « Enfants » de R-I X et la sculpture « Naked » de K C sont limitées en raison (i) des éléments caractéristiques de la sculpture « Naked » qui annihilent les ressemblances et (ii) de l’absence de reprise dans la sculpture « Naked » des éléments caractéristiques de la photographie « Enfants » tels que décrits par les Demandeurs ;

— EN CONSÉQUENCE, dire et juger que l’œuvre « Naked » de K C ne constitue pas une contrefaçon de la photographie « Enfants » de R-I X et débouter les Demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

— DE DIRE ET JUGER qu’au regard des droits fondamentaux en présence, à savoir le droit de propriété d’une part et le droit à la liberté d’expression artistique d’autre part, le second doit prévaloir en l’espèce en raison de l’existence du discours artistique revendiqué par K C ;

— EN CONSÉQUENCE, débouter les Demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

— DE CONSTATER l’absence de tout risque de confusion entre la photographie « Enfants » de R-I X et la sculpture « Naked » de K C et la différence manifeste de message transmis par les artistes en question ;

— EN CONSÉQUENCE, dire et juger que l’œuvre « Naked » de K C bénéficie de l’exception de parodie et débouter les Demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

— DE CONSTATER l’absence de toute manifestation de volonté de R-I X, de son vivant, démontrant qu’il se serait opposé à l’œuvre « Naked » de K C ainsi que l’absence totale de dénaturation ou de dévalorisation de la photographie « Enfants » ;

— EN CONSÉQUENCE, dire et juger qu’aucune atteinte au droit moral de R-I X ne peut être caractérisée et débouter les Demandeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE:

— DE CONSTATER que les seuls actes susceptibles d’être pris en considération dans le cadre de la réparation du prétendu préjudice se limitent à (i) la représentation, le 12 mai 2014, de la sculpture sous forme d’une vidéo diffusée sur le site internet www.arte.tv, (ii) la commercialisation, le 26 novembre 2014, de trois ouvrages sur K C et, le 12 novembre 2014 d’un ouvrage intitulé « K C / Centre H » et (iii) la commercialisation, le 6 novembre 2015, d’un DVD « K C, un homme de confiance » ;

DE CONSTATER l’absence totale de conséquences économiques négatives, de préjudice moral et de bénéfice susceptible de résulter de l’exploitation commerciale de la photographie « Enfants » que les Demandeurs auraient pu tirer de la prétendue atteinte à leurs droits ;

DE CONSTATER le caractère manifestement disproportionné et susceptible d’avoir des conséquences irréversibles des demandes formulées par les Demandeurs, en ce compris les demandes de confiscation, de destruction et de publication de l’œuvre « Naked » et/ou des ouvrages dans lesquels elle est reproduite ; ??

— EN CONSÉQUENCE, de limiter les mesures réparatrices à ce qui est strictement nécessaire et approprié ;

— DE CONSTATER que la société K C LLC et K C ne peuvent être tenus responsables in solidum des actes reprochés, liés à la représentation de l’œuvre « Naked » au sein de l’exposition organisée par le Centre H ;

— CONDAMNER in solidum les Demandeurs à payer à K C et à la société K C LLC la somme de 150.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Emmanuel Baud.

Selon ses dernières écritures signifiées le le Centre H demande au tribunal de :

Vu les articles 4, 6, 9, 32, 56 2°et 122 du Code de procédure civile, Vu les articles L.111-1, L.121-1, L.122-5 4° et L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu la Loi 75-1 du 3 janvier 1975,

Vu l’article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales,

Vu l’article 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001,

Dire et juger recevable le Centre H en ses demandes et écritures,

Prononcer la nullité de l’acte introductif d’instance à l’égard du Centre H pour défaut d’indication de l’objet de la demande et défaut de précision sur la faute, le lien de causalité et le préjudice reprochés au Centre H, défauts faisant grief au Centre H, en vertu des dispositions des articles 4 et 56 2° du code de procédure civile,

Dire nulles et en tous cas mal fondées les demandes de dommages et intérêts en ce qu’elles sont formulées à titre solidaire à l’encontre du Centre H

Dire et juger que l’originalité de la photographie Enfants n’est pas démontrée, qu’elle est banale, et que Naked n’en est pas la contrefaçon,

Subsidiairement,

Dire et juger que le Centre H, en organisant une rétrospective des œuvres de l’artiste K C, a rempli sa mission légale de service public, et accompli une mission d’intérêt général, celle d’informer le public sur l’art de son temps, cette mission relevant de la liberté d’informer protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales,

Constater que le Centre H n’a pas exposé l’œuvre litigieuse,

Dire et juger qu’en reproduisant l’œuvre litigieuse dans le catalogue, le portfolio et l’album de l’exposition, le Centre H a accompli sa mission de service public d’information du public,

Dire et juger que l’œuvre Naked constitue la parodie de l’œuvre Enfants de R-I X au sens de l’article L. 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle et de l’article 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001,

Dire et juger que le Centre H était parfaitement de bonne foi, et a été délibérément tenu dans l’ignorance de la revendication des demandeurs par ceux-ci comme par K C et son studio.

Dire et juger que seul l’artiste et son studio peuvent être poursuivis pour ces faits.

Dire et juger que Madame D AC-AD A, épouse X, Monsieur F U V X et Madame W-AA AB-X n’ont subi aucun préjudice du fait de la reproduction de l’œuvre Naked dans le catalogue, le portfolio et l’album

de l’exposition coédités par le Centre H, et leur accorder un euro symbolique à titre de dommages et intérêts,

Dire et juger en tout état de cause et à titre infiniment subsidiaire, que le préjudice de Madame D AC-AD A, épouse X, Monsieur F U V X et Madame W-AA AB-X ne peut être supérieur à la somme forfaitaire de 3.622 euros, en application de l’article L.331-1-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle.

Rejeter la demande de condamnation solidaire du Centre H aux côtés de K C et de K C LLC en réparation d’un préjudice indifférencié pour des fautes et des dommages distincts,

Rejeter la demande de condamnation du Centre H à publier le jugement à intervenir sur son site,

Condamner solidairement Madame D AC-AD A, épouse X, Monsieur F U V X et Madame W-AA AB-X au paiement de la somme de 116.000 euros de dommages et intérêts au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner solidairement Madame D AC-AD A, épouse X, Monsieur F U V X et Madame W-AA AB-X au paiement de tous les dépens d’instance, dont ceux dont distraction au profit de Me Z en application de l’article 699 du code de procédure civile,

Prononcer l’exécution provisoire de la décision.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2016.

MOTIVATION

Sur la demande de retrait de certaines pièces

Au terme de leurs dernières écritures les requérants ont demandé à voir écarter des débats les pièces et illustrations adverses visées sous le n° 50 de leur bordereau de pièces.

Selon l’ordonnance motivée de clôture du 8 décembre 2016, le juge de la mise en état a acté que le conseil des demandeurs retirait des débats 3 pièces numérotées 2.15C ; 48b et 50 b ce qui a mis fin à l’incident.

Il n’y a donc pas lieu de statuer sur cette demande qui est devenue sans objet.

Sur la nullité de l’assignation

Le Centre H soulève en premier lieu la nullité de l’assignation pour défaut d’indication de l’objet de la demande et défaut de précision sur la faute, le lien de causalité et le préjudice reprochés au Centre H, défauts faisant grief au Centre H, en vertu des dispositions des articles 4 et 56-2° du code de procédure civile.

Dans la mesure où l’exception de nullité met fin à l’instance, elle relève de la seule compétence du juge de la mise en état en vertu de l’article 771 du code de procédure civile.

Ainsi, à défaut d’incident soulevé devant le juge de la mise en état, le Centre H est irrecevable à soulever la nullité devant le tribunal.

Sur la qualité à agir de F X et W-AA AB-X

K C et la société K C LLC prétendent au vu de l’acte de notoriété dressé le 22 avril 2014 suite au décès de R I X que seule D A est titulaire des biens mobiliers et immobiliers dépendant de la communauté dont les droits d’auteur font partie et que son fils F X et sa petite fille W-AA AB-X ne disposent d’aucun droit sur la succession de R-I X et sont irrecevables à agir. ( pièce 1)

Il est établi que les époux X initialement mariés sous la communauté réduite aux acquêts, avaient opté pour le régime de la communauté universelle selon contrat de mariage en date du 4 novembre 2005 homologué par jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 10 novembre 2006.

L’acte de notoriété rappelle que selon la convention des époux, la communauté universelle comprendra tous les biens meubles et immeubles qu’ils possèdent et tous ceux qui pourront leur advenir à quelque titre (…) y compris les biens que l’article 1404 du code civil a déclaré propres ; et qu’ 'en cas de dissolution de la communauté par le décès de l’un d’eux, tous les biens meubles et immeubles qui composeront ladite communauté sans exception, appartiendront en pleine propriété au survivant, sans que les héritiers ou représentants du prédécédé puissent effectuer la reprise des apports et capitaux tombés dans la communauté du chef de leur auteur, comme le leur permettrait l’article 1525 alinéa 2 du code civil (…) Au vu de ces dispositions, les défendeurs en déduisent que les droits d’auteur qui sont des biens propres, sont tombés dans la communauté et ont été dévolus exclusivement à madame A reconnue dans l’acte de dévolution successorale comme seule ayant droit de la toute propriété de la totalité des biens mobiliers et immobilier dépendant de la communauté .

Toutefois si les époux avaient convenu l’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant, leur accord n’a pas pour effet de déroger aux dispositions de l’article L 121-9 du code de la propriété intellectuelle qui énonce que « Sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l’œuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. Ce droit ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts. »

Ainsi les droits d’auteur de R I X sur la photographie « Enfants » ne sont pas tombés dans la communauté et sont dévolus post mortem selon les règles successorales conjointement à la veuve de l’artiste, et à ses enfants, en l’espèce son fils et sa petite fille, venant en représentation de sa mère prédécédée.

Les demandeurs sont ainsi tous trois recevables à agir.

Sur la prescription de l’action en contrefaçon contre K C à titre personnel

Les requérants reprochent aux défendeurs d’avoir commis des actes de contrefaçon portant atteinte à leur droit d’auteur sur le fondement des articles L. 111-1, L. 112-2, L. 121-1, L.122-1, L. 122-2, L. 122-3 et L. 122-4 et articles 2, 6, 6 bis et 12 de la Convention d’Union de Berne.

Les demandeurs font grief à K C d’avoir contrefait la photographie de R-I X en l’adaptant sous forme de sculpture sans autorisation et d’avoir avec la société K C LLC présenté l’œuvre et reproduit son image à l’occasion de la rétrospective K C au Centre H à Paris, dans les vidéos diffusées internet et notamment sur le site www.jeffkoons.com d’avoir contribué à la réalisation du film “K C un homme de confiance” qu’ils ont pu se procurer en France sous forme de DVD au cours de la procédure (pièces 35A et B et pièces 4 et 7)

Il est fait grief à l’artiste d’avoir avec la société K C personnellement participé aux faits en s’occupant en détail des œuvres sélectionnées et éditées dans les ouvrages jusqu’à choisir l’emplacement de la sculpture Naked au Centre H.

K C soulève au visa de l’article 2224 du code civil, le caractère tardif de l’action engagée plus de 25 ans après la réalisation de la sculpture en 1988 et oppose une fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action.

L’artiste américain fait également observer qu’il ne peut pas plus être poursuivi pour des faits de représentation au public en France de la sculpture dés lors qu’elle n’a pas été exposée au Centre H lors de l’exposition consacrée à la rétrospective de son œuvre et sollicite sa mise hors de cause.

Les demandeurs rétorquent que le point de départ de l’action est la date de la connaissance des faits qu’ils ont ignorés jusqu’en janvier 2014 date à laquelle ils ont eu connaissance de la sculpture par l’intermédiaire de L M l’ancienne styliste du photographe qui a découvert après la mort du photographe en navigant sur internet son existence .

Ils exposent qu’elle a lu un article posté le 1er janvier 2013 par un bloggeur sur le site www.pigtailsinpaint qui faisait le rapprochement entre la photographie « Enfants » et la sculpture « Naked » ce dont elle a informé les héritiers.

Ils soutiennent qu’à cette occasion en poursuivant sur d’autres liens sur internet ils ont appris pour la première fois que l’œuvre avait été exposée à Chicago, à Bâle en Suisse en 2012 et avait fait l’objet d’une vente à New York en 2008 ce que selon eux, R I X ignorait.

K C réplique qu’au regard de sa notoriété et de ses œuvres exposées en France lors de l’exposition « K C VERSAILLES » en 2008, de leur large diffusion notamment par internet, le photographe et les demandeurs n’ont pu ignorer l’existence de la sculpture et en ont forcément eu connaissance au plus tard le 14 mai 2008 date de la publicité très médiatisée de la vente d’un des quatre exemplaires aux enchères chez Sotheby’s à New York pour un montant de 9 millions de dollars.

Sur ce

L’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que “ Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite”.

Le délai de l’action en contrefaçon est régi par les dispositions de l 'article 2224 du code civil qui énonce que « l es actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer »

Les demandeurs font valoir que la contrefaçon est un délit continu dont le point de départ n’est pas la date de création de la sculpture mais la date à partir de laquelle ils ont eu connaissance de l’existence de la sculpture.

Leur action tend à faire établir que l’œuvre réalisée aux États-Unis en 1988 est contrefaisante de la photographie « Enfants » et porte atteinte aux droits d’auteur de R I X.

Toutefois il s’agit d’ un fait commis aux […] qui échappe à la compétence de la juridiction française et seuls les faits d’exploitation de l’œuvre dite contrefaisante en France sont susceptibles de poursuites au titre de la contrefaçon.

Il n’est donc pas nécessaire de savoir à quelle date les demandeurs ont eu connaissance de l’existence de la sculpture dés lors que l’action en contrefaçon de l’œuvre est irrecevable en France.

Concernant les faits de représentation de l’œuvre en France, il convient de noter que si la sculpture devait pour la première fois être montrée au public français dans le cadre de l’exposition parisienne « K C , la rétrospective » il ressort des débats qu’ elle a été retirée juste avant le début de l’ouverture au public de l’exposition.

Si les requérants estiment que c’est en rapport avec la menace d’une action en contrefaçon qu’elle a été retirée en catastrophe et non pour des raisons liées à son endommagement au cours du transport, le fait contesté en défense que la sculpture litigieuse ait pu être présentée à la presse et aux invités de marque, avant l’ouverture de l’exposition au public, du 21 au 23 novembre 2014 n’est pas établi. L’ œuvre n’ayant pas été présentée sur le territoire français, seuls les faits de reproduction de l’image de l’œuvre en France dans les ouvrages de l’exposition et sur internet seront examinés dés lors qu’ils ont eu lieu en France dans le délai de 5 ans avant l’introduction de la procédure.

K C conteste être concerné par les faits litigieux et demande sa mise hors de cause. Il convient en effet de relever que selon les contrats et la correspondance échangés, K C est intervenu dans la supervision de l’exposition en tant que gérant de la société K C LLC chargée de la promotion de ses œuvres et à aucun moment à titre personnel.

Selon le contrat passé entre le Whitney Museum et le Centre H le 25 septembre 2014, et l’accord de publication entre les mêmes parties le 27 novembre 2014, c’est le studio de K C qui a été désigné comme intervenant pour la supervision des opérations. (pièce 5.2 défendeur JK et pièce 3 Centre H)

C 'est en qualité de gérant de la société américaine K C LLC qu’il a donné son accord le 1er décembre 2014 pour la présentation au public de l’exposition de ses œuvres au Centre H et pour la publication d’un catalogue et des produits dérivés en apposant sa signature pour K C LLC, ce qui est confirmé par les courriers électroniques que le Centre H a échangés avec la société K C LLC au sujet notamment des difficultés rencontrées pour obtenir le prêt de la sculpture Naked et son transport . ( pièce 5.1 JK, pièces 13 à 22 Centre H)

Il en est de même pour les faits relatifs au film « K C un homme de confiance » édité par la galerie de Noirmont à Paris et des diffusions sur internet www.lemonde.fr www.arte.tv www.jeffkoons.com et sur la chaine de télévision Arte dés lors qu’il n’est pas démontré que l’artiste a contribué personnellement à la communication au public en France de l’image de l’œuvre dite contrefaisante , étant observé que le site www.jeffkoons.comest administré par la société K C LLC et non par l’artiste. (pièce 4)

Il s’ensuit que les actes de reproduction de l’œuvre dite contrefaisante en France s’ils sont retenus ne pourraient pas être imputables à K C personnellement.

L’ action des demandeurs est donc irrecevable à son encontre et l’artiste (personne physique) sera mis hors de cause.

Sur la recevabilité ou le bien fondé à agir en contrefaçon des droits d’auteur

La titularité des droits de R-I X qui a divulgué sous son nom la photographie intitulée « Enfants » en 1975 sous la forme d’une carte postale éditée par les Editions Marlon Valentine éditeur à Paris n’est pas contestée.

La société K C et le Centre H contestent l’originalité de la photographie aux motifs que les demandeurs n’explicitent pas suffisamment l’ effort créatif de l’auteur et du caractère banal et naturel de la pose de deux enfants nus qui se tiennent la main, le regard baissé, sur un fond et une lumière classiques.

L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L.112-1 du même code, à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale.

Selon l’arrêt du 1er décembre 2011,(CJUE, 3e ch., 1er déc. 2011,aff. C-145/10, Eva-Maria P. c/Standard Verlags GmbH et a.,) une photographie de portrait est susceptible en vertu de l’article 6 de la directive 93/98 d’être protégée par le droit d’auteur à condition, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d’espèce qu’une telle photographie soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs lors de la réalisation de cette photographie.

Ainsi, l’auteur doit être en mesure d’expliciter les éléments permettant de comprendre son effort créatif et ce qu’il revendique comme étant l’empreinte qu’il a imprimée à cette œuvre et qui ressort de sa personnalité.

Les défendeurs reprochent aux requérants de se borner à donner une définition globale de la «démarche créatrice» sans caractériser l’originalité de la photographie «Enfants» et les choix de l’auteur qui auraient présidé à sa réalisation.

Toutefois il est nécessaire de replacer dans son contexte l’activité créatrice de R-I X pour comprendre ses choix dans la photographie « Enfants » L’artiste s’est consacré aux portraits de nu dès son plus jeune âge ce qui dans les années 70 était une première qui lui a valu sa réputation professionnelle.

Selon la préface de sa monographie , l’artiste était spécialement intéressé par le portrait et la représentation du corps “ préoccupations qui ne l’ont jamais quitté, que son carnet de commande soit ou non chargé”.

Comme il y est indiqué “il faut se rappeler qu’à la fin des années 1970 la France découvrait le sexe. Un mouvement social , une libération, pour laquelle il milite activement sur le terrain qu’il occupe dans la publicité. Son nom associé à des campagnes audacieuses, il a été confronté à la censure, ce qu’il comprend mal car c’est très simplement qu’il a montré la nudité. Même s’il n’a pas voulu érotiser les campagnes publicitaires”.

Il a souhaité témoigner “d’un parti pris symbolique pour la libération de la représentation du corps, retour à des valeurs naturelles que les conventions sociales, la mode ont fait oublier. Dénoncer les tabous qui pèsent sur le nu.”

C’est à la lumière de l’intention du photographe de révéler les traits intimes de la personne en se différenciant de la photographie contemporaine des années 70 que le cliché « Enfants » se lit , l’auteur recherchant à exprimer « la présence des enfants eux mêmes, la réalité toute nue, » et à faire passer un message d’innocence et de pureté sans mièvrerie.

C 'est sous sa direction et non à l’occasion d’une séance de shooting d’enfants jouant librement, que le photographe a réalisé dans la technique traditionnelle de l’époque, sans retouche ni contrôle direct sur l’écran de l’appareil, différentes vues des enfants figurant sur la planche contact produite parmi lesquelles il a fait le choix du tirage « Enfants » en argentique .

Il ressort de ce cliché une atmosphère de tendresse et de pureté qui révèle l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans le portrait dont l’image n’a rien à voir avec la représentation d’enfants nus opposé par les défendeurs dans l’art antérieur.

Le fond noir gris avec un élément de relief sous forme de papier à la façon d’un rocher s’il peut être considéré comme un arrière plan commun , participe à l’effet recherché par l’auteur et à ses choix esthétiques fixés sur le noir et blanc, à la faveur d’un e nvironnement neutre et dépouillé pour sublimer les corps dont la blancheur est éclairée par une lumière intense.

Il résulte de ce qui précède que les demandeurs ont suffisamment explicité en quoi les choix du photographe portent son empreinte tant au niveau du sujet, de la mise en scène, du cadrage et de l’atmosphère qu’il a voulu créer lors de la réalisation du portrait jusqu’au développement du cliché photographique en argentique.

Son originalité étant ainsi démontrée, la photographie “Enfants” est éligible à la protection du droit d 'auteur et les héritiers de R I X recevables à agir en contrefaçon de ce droit.

Sur la contrefaçon

Les demandeurs soutiennent que la sculpture Naked reprend les caractéristiques essentielles du portrait “Enfants” en passant du genre de la photographie à la sculpture, en méconnaissance des droits d’auteur du photographe .

Ils font valoir que la seule vraie différence tient au procédé de fabrication de la sculpture en trois dimensions et que les autres différences sont secondaires et ne peuvent faire obstacle à leur action.

La société K C conteste l’existence d’une contrefaçon en faisant valoir des différences majeures qui révèlent l’empreinte de la personnalité de K C, faisant observer qu’aucun rapprochement n’a été fait en 25 ans entre les deux œuvres.

A défaut elle avance en défense, au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la primauté de la liberté d’expression artistique, qui doit également conduire à l’exception légale de parodie.

Pour s’opposer à la contrefaçon, le Centre H fait valoir sous le même visa de l’article 10 précité la primauté de la liberté d’expression et d’information du public, faisant observer qu’il a agi dans l’exercice habituel de son devoir d’informer le public sur la création artistique contemporaine en toute bonne foi, ignorant la situation litigieuse de la sculpture Naked.

En réponse les demandeurs réfutent toute démarche parodique et contestent la légitimité de faire prévaloir la liberté d’expression de K C et l’information au public faisant observer la dénaturation de la photographie qui a été transposée avec un message sexuel clairement revendiqué par l’artiste et les importants bénéfices réalisés à partir des droits d’auteur du photographe.

Sur ce :

L’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que “ Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque”

Le texte précise que cette solution s’applique que la reproduction ou la représentation soit totale ou partielle ou que l’utilisation de l’œuvre se fasse sous une forme dérivée.

Le juge statue en fonction des ressemblances, la bonne foi étant indifférente.

Les demandeurs soutiennent que l’œuvre Naked, reproduite en France, a été conçue à partir du portrait « Enfants » qui a été transposé sous forme de sculpture par la reprise des caractéristiques essentielles de la photographie sans autorisation de l’auteur .

Ils ne contestent pas le fait que la statue soit une œuvre au même titre que la photographie.

Il convient donc de comparer les reproductions de l’œuvre Naked avec celle de la photographie « Enfants » .

La pose des enfants du cliché “Enfants” est visuellement reconnaissable dans l’image de la sculpture Naked et les enfants sont identifiables aux modèles choisis par R I X dont la morphologie est reprise.

Il est exact que K C a disposé le garçon et la fille, sur un socle en forme de cœur coloré, parsemé de fleurs multicolores derrière lesquels un monticule constituée d’un drapé évoque en fond un rocher, qu’il a ajouté un bouquet de fleurs que le garçon tend à la fille et qu’il a changé de type de création, choisissant de les transposer en une sculpture en porcelaine de couleur.

Comme l’indiquent les défendeurs il y a une différence entre une photographie et une sculpture tridimensionnelle dés lors que le spectateur peut tourner autour de la statue et la voir de différents de points de vue et les caractéristiques de l’arrière plan et de l’éclairage ne sont pas repris.

Cependant ces différences contrairement à ce que soutiennent les défendeurs conjurent pas les ressemblances pour exclure la contrefaçon de l’œuvre dés lors qu’elles n’empêchent pas de reconnaître et d’identifier les modèles et la pose choisis par la photographe qui sont des éléments essentiels protégés de la photographie.

Les enfants sont debout, nus, les jambes droites et le buste légèrement tourné, se tenant par l’épaule, visages inclinés selon une oblique coupant le rectangle dans lequel s’inscrivent les corps.

Le visage de la petite fille est, comme sur la photographie, en partie dissimulé par ses cheveux ; la sculpture reprend l’orientation des regards, les sourires dont l’un à demi dissimulé, les coiffures des enfants dont la coupe au bol du garçon, les cheveux mi longs et la frange de la fille.

Le fait qu’ aucun rapprochement n’ait été signalé en 25 ans n’est pas pertinent pour apprécier l’impact produit entre les deux œuvres dés lors que la photographie de R I X n’était pas connue du grand public et que la sculpture Naked, seulement exposée en Suisse en 2012 et aux […] n’avait jamais été présentée en France.

La société K C ne conteste d’ailleurs pas expressément que la photographie a servi de point de départ à l’œuvre Naked mais rétorque que K C l’a transformée en une œuvre nouvelle et indépendante qui s’en éloigne fortement et qui porte l’empreinte de sa personnalité .

Selon l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle « Les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale »

Selon l’article L 113-2 « Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. »

Et l’article L 113-4 énonce que « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante » Si le statut d’œuvre de l’esprit de la sculpture Naked n’ est pas discuté , K C a clairement dicté à son studio la reprise des enfants du portrait pour les transposer sous la forme d’une statue en porcelaine kitch qui figure la découverte de la sexualité dans un sens propre à l’artiste.

Pour autant il s’agit d’une adaptation personnelle de la photographie par l’artiste qui a délibérément incorporé dans son œuvre nouvelle les composantes de la photographie constituant ainsi une œuvre composite qui ne pouvait se faire qu’avec l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante.

La contrefaçon est ainsi constituée.

Pour s’opposer à la condamnation, la société K C fait valoir que l’artiste a pu reprendre les composantes de la photographie à des fins artistiques pour servir son discours dans la série Banality dans les conditions propres à son travail d’artiste contemporain.

Sous le visa de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, les défendeurs demandent de mettre en balance les deux droits fondamentaux qui sont la liberté d’expression et le droit d’auteur et de juger en l’espèce la primauté de sa liberté d’expression artistique ( affaire Asby Donald eta.c /France du 10 janvier 2013 de la CEDH et arrêt du 15 mai 2015 Peter Klasen c/ Alix Malka de la Cour de cassation )

Ils font également valoir l’exception légale de parodie auquel le tribunal répondra en premier, s’agissant d’une exception prévue par le législateur.

Sur l’exception de parodie prévue par le code de la propriété intellectuelle

Selon l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, “ Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire: 4o La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ” .

La CJUE a dit pour droit que “la parodie a pour caractéristiques essentielles d’une part d’évoquer une œuvre existante dont elle doit se différencier de manière perceptible et d 'autre part de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie”. ( arrêt 3.09.2014 C201-2013)

Les défendeurs font valoir qu’en l’absence de risque de confusion entre les deux œuvres et de l’existence d’un message totalement nouveau, l’œuvre Naked peut bénéficier de l’exception de parodie.

Pour autant c’est la première fois que l’artiste américain évoque l’existence de cette œuvre prétendument parodiée qu’il n’a jamais citée dans son discours artistique pour illustrer son inspiration et dont il soutient qu’il s’en est très distancié.

Enfin la photographie étant pratiquement inconnue du grand public, la sculpture “ Naked” n’ a pu susciter aucune réminiscence dans l’esprit des spectateurs pour créer un effet comique ou même critique entre les deux œuvres dont aucun rapprochement n’a été fait en 25 ans à l’exception d’un bloggeur en 2013.

L’exception de parodie ne sera pas en conséquence accueillie.

Sur la liberté d’expression et de communication prévue par la Convention européenne des droits de l’homme

L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce que :

“ Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.( …)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

L 'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit à l’information du public et la liberté d’expression- dont relève l’expression artistique- et rappelle dans l’article 1er de son protocole additionnel que ce droit doit s’exercer dans le respect des autres droits fondamentaux comme l’est celui de la propriété dont fait partie le droit d’auteur.

La propriété intellectuelle et la liberté d’expression sont aujourd’hui considérées comme deux droits fondamentaux d 'une égale éminence essentiels tant pour l’individu que pour la société dans son ensemble.

La Cour de Strasbourg retient que la liberté d’expression est dotée d’une force plus ou moins grande selon le type de discours en distinguant la situation où est en jeu l’expression strictement commerciale de l’individu, de celle où est en cause sa participation à un débat touchant l’intérêt général.

Selon l’article 10 précité, les limitations à l’exercice de la liberté d’expression ne sont admises qu’à la condition qu’elles soient prévues par la loi, justifiées par la poursuite d’un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi c’est à dire rendues nécessaires dans une société démocratique .

Selon la CEDH, l 'adjectif “nécessaire” au sens de l’article10 §2 implique un besoin social impérieux.

S’il ne pose pas de difficultés que la mise en œuvre du droit d’auteur est une restriction prévue par la loi, qui poursuit un intérêt légitime, le tribunal doit examiner si elle constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression de l’artiste américain.

Au soutien de son argumentation en faveur de la liberté d’expression , la société K C fait valoir le renforcement de la liberté d’expression artistique dans le courant législatif et jurisprudentiel européen et à travers la doctrine du « fair use » aux […] indispensable selon eux au développement de l’art et de la pensée artistique.

Elle illustre concrètement ses propos par le mouvement aux […] des artistes dits « appropriationnistes » qui reprennent en tant que « matière première » une œuvre préexistante qu’ils transforment de manière licite dans un but et une signification complètement différentes de l’œuvre antérieure et la fréquence dans l’art de la reprise d’ œuvres majeures .

La société défenderesse prétend que dans la longue histoire de ce mouvement artistique, K C a pu de manière licite à des fins créatives s’approprier les composantes de la photographie pour la transformer en une œuvre nouvelle et indépendante “ Naked” et donner un sens nouveau aux enfants.

La sculpture s’inscrit dans la série Banality où l’artiste poursuit le but d’éliminer tout jugement de valeur et de traiter de la banalité pour partager avec le public son idée qu’il n’y a pas à avoir honte de nos goûts et de notre histoire à travers des œuvres mêlant le kitch et le pop art.

Par opposition à la photographie, il a transformé le couple de jeunes enfants innocents en un Adam et Eve nouveaux figurant la découverte du désir et de la sexualité en utilisant un petit bouquet de fleurs en guise de pomme offerte à Adam et un pistil de forme phallique qui attire le regard de la jeune fille.

Le couple d’enfants incarne l’idée de libération et l’humanité du sentiment de culpabilité, de péché et de honte dans une statue en porcelaine kitch.

Le fait que le message déplaise ou soit choquant aux yeux des demandeurs est sans incidence sur le degré de protection qui doit être accordé à la liberté d’expression de l’auteur, comme il en est des profits réalisés à partir de l’œuvre dés lors que la démarche poursuit un objectif créatif.

Toutefois pour que la liberté d’expression conduise à restreindre le droit d’auteur, encore faut il démontrer la poursuite d’un intérêt légitime et proportionné au but poursuivi c’est à dire rendue nécessaire dans une société démocratique.

Il est exact que K C reconnu comme un fin connaisseur de l’art s’inspire notoirement depuis 35 ans d’images ou d’objets existants notamment dans la culture de masse américaine « tels que des jouets gonflables, des appareils ménagers, articles de sport, bibelot, accessoires de fêtes ou dans l’industrie culturelle-dessin animé, publicité, pornographie » qu’il transpose en vue de créer une œuvre pour véhiculer une réflexion sur la société auquel le public est très réceptif.

Il s’est inspiré d’éléments appartenant au patrimoine artistique mondial et d’objets courants, notamment sous l’influence revendiquée de N O et du « ready made ».

Pour autant la société K C n’explique pas en quoi en l’espèce il était nécessaire à l’artiste pour véhiculer son discours de choisir les enfants du portrait “ Enfants” et de détourner la photographie de son sens pour rendre perceptible son message au public

Comme il est relevé dans le rapport remis par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique au Ministre de la culture le 6 octobre 2014 sur « les œuvres transformatives » produit par les défendeurs, ces œuvres reposent non seulement sur la large disponibilité de matériaux culturels mais aussi sur la familiarité du public avec eux .

Le tribunal relève en effet que la connaissance par le public de l’œuvre appropriée est déterminante de l’effet produit sur les spectateurs et nécessaire à la perception du message de l’artiste pour provoquer la réflexion du spectateur .

En l’espèce l’artiste a choisi de reprendre intégralement les enfants de la photographie sans référence explicite au portrait qui n’est pas familier du public pour incarner un nouvel Adam et Eve sans expliquer pourquoi il n’a pas pu faire autrement.

La reprise n’ a pas été ainsi dictée par des considérations d’ intérêt général mais personnelles, permettant à l’artiste de se servir des modèles de la photographie en faisant l’économie d’un travail créatif ce qui ne pouvait se faire sans l’autorisation de l’auteur dont le nom et le copyright figuraient sur la carte postale.

Ainsi à défaut de justifier de la nécessité de recourir à cette représentation d’un couple d’enfants pour son discours artistique sans autorisation de l’auteur, la mise œuvre du droit d 'auteur des demandeurs ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

Le moyen de défense tiré de la liberté d’expression sera rejeté .

Sur la liberté et le devoir d’information du Centre H

Le Centre H fait valoir également au visa de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la prédominance de la liberté d’information en faisant observer qu’il est de son devoir de montrer l’art du temps dans sa mission de service public au service de la politique culturelle de l’Etat et qu’il ne pouvait savoir que l’œuvre Naked ferait l’objet d’une revendication.

Cependant l’œuvre n’ayant pas été présentée au public, le Centre H est seulement mis en cause dans les faits d’exploitation commerciale de l’œuvre en tant qu’éditeur et non dans le cadre de sa mission de service public.

Il s’agit de faits de reproduction d’une œuvre contrefaisante qui indépendamment de la bonne foi de l’éditeur, caractérisent des actes de contrefaçon.

La contrefaçon est constituée et le moyen soulevé en défense sera en conséquence rejeté.

Sur les demandes en réparation au titre de l’atteinte portée aux droits moraux et patrimoniaux de l’auteur

Les requérants demandent de condamner in solidum l’artiste et la société K C au paiement de la somme de 1 000 000 euros, pour l’atteinte portée à l’intégrité de l’œuvre et à la paternité et à celle de 1.500.000 euros en réparation du préjudice patrimonial.

Ils demandent la condamnation in solidum du Centre H à hauteur de la moitié des sommes réclamées.

Au titre de l’atteinte au droit moral, ils soutiennent que le portrait « Enfants » est dénaturé par sa transposition dans une sculpture à connotation sexuelle et que l’identité du photographe a été délibérément ignorée.

Ils font grief d’avoir repris la photographie en faisant l’économie d’ investissements intellectuels et d’en avoir tiré un immense profit dont témoigne le prix d’une des œuvres vendue plus de 9 millions de dollars, reproduite en 4 exemplaires.

Comme il a été jugé, leurs demandes qui couvrent les actes de contrefaçon résultant de l’adaptation de la photographie sous forme de sculpture depuis sa réalisation ne sont pas recevables.

Aucune demande en paiement ne saurait prospérer au titre du préjudice subi de la contrefaçon de l’œuvre elle même, et la demande au titre de l’atteinte au droit moral patrimonial qui sont les conséquences directes de la contrefaçon ne sera appréciée qu’au regard de la reproduction de l’image communiquée au public en France auxquels la société K C et le Centre G. H peuvent être condamnés in solidum si leur participation est établie, ce que les défendeurs contestent.

Concernant l’imputabilité des faits à la société K C LLC

Les demandeurs poursuivent la société K C pour les actes de l’exploitation de l’œuvre sous forme de ventes, expositions, films, DVD , ouvrages , illustrations de catalogues, représentation sur internet pendant et après l’exposition au Centre H

La société K C conteste son implication et soutient que pour les faits publication et de commercialisation d’ouvrages dans le cadre de l’exposition, seule la responsabilité du Centre H serait engagée.

Il ressort cependant du contrat régissant l’édition des ouvrages que la société K C LLC a donné son autorisation à la reproduction de l’image de l’œuvre dans les trois ouvrages supports de l’exposition ce qui démontre suffisamment sa participation aux faits reprochés.

Elle a également publié l’image de l’œuvre sur son site internet wwwjeffkoons.com qui a pu être vue par le public en France en 2014.

En revanche les demandeurs n’établissent que la société K C LLC a participé aux autres actes de communication au public de l’image à la télévision sur les sites internet www.arte.tv et www.lemonde.fr et dans le film DVD « K C un homme de confiance ».

La demande formée à ce titre sera rejetée.

Concernant l’imputabilité des faits au Centre H

Pour ce qui concerne le Centre H, ce sont les actes de représentation de l’œuvre contrefaisante, introduite en France pour l’exposition ainsi que sa reproduction sur catalogues, albums et portfolios édités par le Centre H, vendus pendant toute la durée de l’exposition, sur place, en librairies et sur Internet qui sont poursuivis

Mais l’œuvre n’ayant pas été présentée au public en France, la responsabilité du Centre H ne peut pas non plus être recherchée à ce titre.

Il s’ensuit que seuls les actes pour lesquels le Centre H est intervenu comme éditeur des ouvrages contenant l’image de l’œuvre contrefaisante sont susceptibles d’ouvrir droit à des dommages intérêts.

Sur les dommages et intérêts en réparation de l’atteinte aux droits patrimoniaux

Aux termes de l’article L 331-3 du code de la propriété intellectuelle «Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

Le Centre H s’oppose aux montants demandés au motif que les requérants ne justifient d’aucun des préjudices de l’article ci dessus visé et qu’en l’absence de tout élément de preuve de nature financière et relative au préjudice économique, ils ne pourraient tout au plus que solliciter, une somme forfaitaire, calculée au montant des redevances appliquées selon la grille tarifaire de la SAIF ( société des arts visuels et de l’image fixe) qu’il évalue à un total de 1282 euros.

Il fait valoir enfin sa bonne foi et la responsabilité première de l’artiste et la société K C LLC qui étaient les donneurs d’ordre pour l’exposition et se sont gardés de l’informer de la réclamation.

La société K C LLC conteste la demande faisant valoir l’absence de préjudice économique des demandeurs, que l’exploitation de l’œuvre a été très limitée et que le montant demandé est disproportionné.

Sur ce

Le préjudice subi devra être ramené à de plus justes proportions compte tenu du périmètre des faits retenus.

Il convient également de tenir compte du fait que si la statue Naked est une œuvre composite qui devait requérir l’autorisation de R I X, elle est une œuvre de l’esprit protégeable dont l’originalité n’est pas discutée et dont l’image a été diffusée près de 30 ans après celle de la photographie.

Les demandeurs reconnaissent dans leurs écritures qu’ils ne fondent pas leur demande sur un quelconque gain manqué mais que les dommages et intérêts doivent tenir compte de la renommée du photographe et de la valeur de ses photographie et du fait que le musée et le studio ont délibérément poursuivi la diffusion des reproductions litigieuses en dépit des mises en demeure en en tirant un profit indu.

Si comme il a été déjà dit, la photographie « Enfants » n 'a pas été réalisée à des fins commerciales mais relevait de l’ activité créatrice personnelle du photographe, elle figurait parmi les portraits favoris de l’artiste dont l’atteinte sera réparée au titre du droit moral.

Les demandeurs font état du contexte financier de l’exposition qui a généré 2.600.000 euros de recettes de billetterie au Centre H, 320 000 euros pour les ouvrages et pour laquelle le Centre H a pu débourser la somme de 1.250 000 euros au Whitney Museum.

Toutefois il convient de rappeler que si l’exposition « K C la rétrospective » qui s 'est tenue à Paris du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015 a connu une fréquentation record, l’œuvre litigieuse n’y était présentée.

Son image a été reproduite sur une page des ouvrages édités par le Centre H qui recensent un nombre important d’œuvres mais elle n’a pas fait l’objet d’une médiatisation particulière et ne figure pas parmi les œuvres iconiques de l’artiste.

Par ailleurs le public n’a manifestement pas reconnu l’œuvre première qui n’est pas contemporaine.

Le Centre H a commercialisé avec l’autorisation de la société K C LLC, trois ouvrages dont elle indique le nombre d’exemplaires vendus soit le Catalogue de l’exposition (7780 exemplaires vendus), Album ( 12521 exemplaires vendus) et le Portfolio (5372 exemplaires vendus).

Si l’exposition n’a pas dégagé de bénéfices pour le Centre H, il est reconnu un bénéfice sur les seules éditions qui s’élève à 60 059 euros.

Le Centre H fait valoir pour sa défense qu’il a agi dans le cadre de relations contractuelles particulièrement contraignantes avec la société K C sous l’influence directe de l’artiste américain et que s’il avait été averti par l’artiste ou le studio que l’œuvre Naked était potentiellement litigieuse, il aurait agi différemment.

Il ressort en effet des pièces produites que le musée n’a pas négocié les conditions encadrant l’exposition itinérante, et que c 'est la société K C qui a insisté pour que l’œuvre Naked fasse partie des œuvres sélectionnées reproduites dans les catalogues de l’exposition sans prévenir le Centre H du risque de revendication .

Si le Centre H est bien un professionnel de l’art qui aurait dû prendre toutes précautions, il n’a été averti par les demandeurs qu’à la veille de l’ouverture au public de l’exposition date à laquelle les ouvrages étaient commandés, l’œuvre n’a pas été exposée et il a rapidement commandé un nouveau tirage des ouvrages sans l’image litigieuse .

Il ressort de ce qui précède que le Centre H, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, n’ a pas délibérément poursuivi les faits qui lui sont reprochés auxquels la société K C LLC a participé à titre principal et en connaissance de cause , refusant par ailleurs d’accorder sa garantie au musée pour les besoins de l’exposition.

Au vu de ces éléments, il convient de fixer à la somme de 10 000 euros la somme due aux demandeurs par la société K C en réparation de leur atteinte aux droits patrimoniaux du fait de la reproduction de l’image dans les supports de l’exposition.

Le Centre H sera tenu in solidum à concurrence de la moitié de cette somme due.

Il sera alloué également la somme de 2000 euros au titre de la publication de l’image constatée en mai 2014 sur le site wwwjeffkoons qui relève de la responsabilité de la société K C LLC au titre du préjudice d’atteinte au droit patrimonial.( pièce 4)

Sur la réparation au titre de l’atteinte au droit moral

L’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle dis pose que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.

Les défendeurs contestent la demande faisant observer que la démarche des demandeurs est avant tout intéressée et qu’aucune preuve n’est apportée de la volonté du photographe décédé de s’opposer à la reprise de sa photographie.

Ils avancent que la sculpture Naked ne dénature pas le portrait et que les demandeurs ne peuvent invoquer la double atteinte au droit au respect de l’œuvre et de paternité.

Toutefois si l’œuvre Naked a une connotation sexuelle évidente à l’opposé du portrait « Enfants » il n’est pas contesté qu’il s’agit d’une œuvre nouvelle qui porte l’empreinte de son auteur.

S’ agissant d’une œuvre composite, elle est par nature une adaptation personnelle de l’œuvre première marquée par la personnalité de l’auteur de l’œuvre seconde qui vient en concurrence.

Si les demandeurs estiment que cette adaptation transgresse le sens de la photographie, il s’agit néanmoins de l’empreinte de l’artiste sur l’œuvre Naked dont l’originalité est protégeable et qui n’est pas contemporaine de la photographie.

Par ailleurs les demandeurs ne peuvent simultanément invoquer la dénaturation de l’œuvre première et le défaut de paternité.

Dés lors l’atteinte au droit au respect de l’œuvre ne sera pas retenue et seul le préjudice d’atteinte au droit de paternité sera réparé .

Au vu de ces éléments et ce ceux évoqués précédemment, il convient de fixer le préjudice au titre du droit moral de l’auteur à la somme de 10 000 euros, qui sera due par la société K C pour les faits de reproduction de la sculpture « Naked »dans les ouvrages de l’exposition.

Le Centre H sera tenu in solidum avec la société K C pour la moitié de cette somme.

La société K C sera également condamnée à payer la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte au droit moral au titre de la publication de l’image de la sculpture contrefaisante sur son site internet.

Sur les demandes d’interdiction et de publication :

Il sera fait droit à la demande d’interdiction selon les modalités du dispositif

En revanche il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de retrait aux fins de destruction des ouvrages, cette mesure s’avérant disproportionnée pour le Catalogue de l’exposition et sans objet pour l’album et le portfolio qui sont épuisés et dont le tirage 2015 a été modifié .

Le préjudice étant entièrement réparé, la mesure de publication ne sera pas non plus ordonnée.

Sur les autres demandes

Les défenderesses qui succombent, seront condamnées à payer les entiers dépens.

Il convient de condamner la société K C LLC à verser aux demandeurs la somme globale de 20 000 euros au titre des fais irrépétibles, le Centre H sera tenu in solidum à payer la moitié de cette somme.

Les circonstances de l’espèce justifient le prononcé de l’exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant contradictoirement, en premier ressort et par jugement mise à disposition au greffe ;

Constate que la demande tendant à écarter certaines pièces des débats est devenue sans objet,

Déclare D A veuve X , F X et W-AA AB-X recevables à agir en contrefaçon des droits d’auteur de la photographie “ Enfants”

Dit irrecevable l’action en contrefaçon dirigée contre monsieur B C à titre personnel

Dit recevable l’action en contrefaçon relative à la reproduction en France de l’image de la sculpture Naked contre la société K C LLC et le Centre National d 'Art et de Culture G H

Dit que la société K C LLC et le Centre National d 'Art et de Culture G H ont commis des actes de contrefaçon de la photographie « Enfants » en reproduisant et diffusant l’image de l’œuvre Naked dans les ouvrages de l’exposition « K C la rétrospective »

Dit que la société K C LLC a commis des actes de contrefaçon en reproduisant et diffusant l’image de l’œuvre Naked sur le site internet www.K.C.com.

Interdit à la société K C LLC et au Centre National d 'Art et de Culture G H la poursuite de ces agissements,

Condamne la société K C LLC à verser à D A veuve X , F X et W-AA AB-X la somme de10.000euros en réparation du préjudice patrimonial, et celle de 10.000 euros en réparation de l’atteinte au droit moral et disons que le Centre National d 'Art et de Culture G H est tenu in solidum avec la société K C LLC pour la moitié de ces sommes,

Condamne la société K C LLC à verser à D A veuve X , F X et W-AA AB-X la somme totale de 4.000 euros en réparation des préjudices patrimonial et moral au titre de la publication de l’ œuvre contrefaisante Naked sur son site internet,

Déboute D A veuve X , F X et W-AA AB-X du surplus de leurs demandes,

Dit n’y avoir lieu à publication,

Condamne la société K C LLC à verser à D A veuve X , F X et W-AA AB-X la somme globale de 20 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et dit que le Centre H est tenu in solidum de la moitié de cette somme,

Ordonne l’exécution provisoire.

Condamne in solidum le Centre National d 'Art et de Culture G H et la société K C LLC aux entiers dépens avec distraction au profit de maître P Q en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris, le 9 mars 2017

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 4e section, 9 mars 2017, n° 15/01086