Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 30 juin 2021, n° 21/02568

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Sur la décision

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU30 juin 2021

(n° , 11pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02568 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDCSD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2021 -Tribunal de Commerce de RENNES – RG n° 2019F00381

APPELANTES

SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CAEN,

sous le numéro345 130 488

[…]

[…]

r e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Me Pascal WILHELM, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024

SAS CSF

prise en la personne de son représentant légal

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CAEN ,

sous le numéro 440 283 752

[…]

[…]

r e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Me Pascal WILHELM, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024

INTIMES

Monsieur B X

[…]

[…]

né le […] à […]

représenté par Me Anne C-D de la SCP SCP C D, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Me Marie PINGUET, avocat au barreau de CAEN, toque : 096

SARL CPP LE MANS DISTRIBUTION

prise en la personne de son représentant légal

immatriculée au registre du commerce et des sociétés du MANS,

sous le numéro 489 222 356

[…]

[…]

représentée par Me Anne C-D de la SCP SCP C D, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Me Marie PINGUET, avocat au barreau de CAEN, toque : 096

SAS SELIMA

prise en la personne de son représentant légal

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de , sous le numéro

[…]

[…]

représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, chargée du rapport et de M. Dominique GILLES, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre

M. Dominique GILLES, Conseiller

Mme Sophie DEPELLEY,Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Sihème MASKAR

ARRÊT :

— Contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre et par Mme Sihème MASKAR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 10 février 2010, la société CPP Le Mans Distribution ( ci-après CPP) a signé un contrat de franchise avec la société Prodim et le même jour, un contrat d’approvisionnement avec la société CSF France, ces deux contrats pour une durée de 7 années, tacitement renouvelable par période de 7 ans à défaut de dénonciation intervenue un an avant l’échéance de chaque période.

Par deux avenants du 23 juillet 2014 conclus entre les sociétés Carrefour Proximité France (Ci-après CPF) et CPP d’une part et entre CSF France et CPP d’autre part, la durée initiale du contrat de franchise et du contrat d’approvisionnement a été prolongée de 3 ans.

Par exploit du 25 octobre 2019, la société CPP et son gérant, M. X assignent au fond devant le tribunal de commerce de Rennes les sociétés Carrefour Proximité France, franchiseur, CSF, centrale d’approvisionnement de l’enseigne et Selima, filiale du groupe Carrefour et associée de la société franchisée à l’effet de voir sanctionner des pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence des sociétés du groupe Carrefour, notamment sur le fondement des articles L 420-1, L 420-2 et L 442-6, I 2° du code de commerce.

Par jugement du 26 janvier 2021, le tribunal de commerce de Rennes:

Déboute la société CPP Le Mans Distribution et Monsieur Y de leur demande de production de pièces sous astreinte,

Déboute CSF et CPF de leur exception d’incompétence,

Se déclare compétent,

Réserve le jugement sur le fond de l’affaire,

Dit qu’à défaut d’appel dans le délai prescrit par l’article 80 du CPC, les parties devront conclure au fond et devront se présenter à l’audience publique du 18 mars 2021 à 14 heures afin d’être entendues en leurs plaidoiries,

Condamne la société Carrefour proximité France et la société CSF à verser chacune à CPP le Mans distribution ainsi qu’à Monsieur X la somme de 1000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Carrefour proximité France et la société CSF aux entiers dépens.

Les sociétés CPF et CSF interjettent appel de ce jugement et, par ordonnance présidentielle du 16 février 2021, sont autorisées à assigner à jour fixe la société CPP, M X et la société Selima.

Vu les dernières conclusions de la société CPF déposées et notifiées le 17 mai 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 74, 83 et suivants, 1443, 1448, 1465 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 420-7, R. 420-3, R. 420-5, L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce,

Vu l’article 2061 du code civil,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 26 janvier 2021,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 26 janvier 2021 en ce qu’il a débouté CSF et CPF de leur exception d’incompétence et s’est déclaré compétent pour connaître du litige en cause et a condamné CPF à verser à CPP Le Mans distribution ainsi qu’à Monsieur X la somme de 1000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

Statuant à nouveau,

RECEVOIR les sociétés CSF et CPF en leur exception d’incompétence,

DECLARER le tribunal de commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige en cause,

RENVOYER CPP Le Mans distribution ainsi que Monsieur X à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise signé avec CPF,

REJETER l’ensemble des prétentions et moyens de CPP Le Mans distribution et de Monsieur X,

ECARTER des débats les pièces n°41 à 48, ainsi que les pièces 24, 39 et 50 produites par CPP LE MANS DISTRIBUTION et Monsieur X,

En conséquence,

RENVOYER CPP Le Mans distribution et Monsieur X à saisir un tribunal arbitral dans les conditions prévues aux contrat de franchise,

Et

CONFIRMER, pour le surplus, le jugement attaqué sur la demande de production de pièces,

Y ajoutant,

CONDAMNER solidairement CPP Le Mans distribution et Monsieur X à payer à CPF la somme de 5.000 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES.

Vu les dernières conclusions de la société CSF déposées et notifiées le 17 mai 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 74, 83 et suivants, 202, 1443, 1447, 1448, 1465 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 420-7, R. 420-3, R. 420-5, L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce,

Vu l’article 2061 du code civil,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 26 janvier 2021,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 26 janvier 2021 en ce qu’il a débouté CSF et CPF de leur exception d’incompétence et s’est déclaré compétent pour connaître du litige en cause et a condamné CSF à verser à CPP LE MANS DISTRIBUTION ainsi qu’à Monsieur X la somme de 1000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;

Statuant à nouveau,

RECEVOIR les sociétés CSF et CPF en leur exception d’incompétence ;

DECLARER le tribunal de commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige en cause,

RENVOYER CPP LE MANS DISTRIBUTION ainsi que Monsieur X à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de d’approvisionnement signé avec CSF,

REJETER l’ensemble des prétentions et moyens de CPP LE MANS DISTRIBUTION et Monsieur X,

ECARTER des débats les pièces n°41 à 48, ainsi que les pièces 24, 39 et 50 produites par CPP LE MANS DISTRIBUTION et Monsieur X

En conséquence :

RENVOYER CPP LE MANS DISTRIBUTION et Monsieur X à saisir un tribunal arbitral dans les conditions prévues aux Contrat d’approvisionnement,

Et :

CONFIRMER, pour le surplus, le jugement attaqué sur la demande de production de pièces,

Y ajoutant,

CONDAMNER solidairement CPP LE MANS DISTRIBUTION et Monsieur X à payer à CSF la somme de 5.000 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES.

Vu les dernières conclusions de la société CPP et de Monsieur X déposées et notifiées le 11 mai 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

INFIRMER le jugement sur la demande de communication de pièces,

Et statuant à nouveau sur ce chef,

Vu les dispositions des articles 11, 15, 138, 139 et 142 du code de procédure civile

CONDAMNER sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF, à produire sur la procédure toutes factures, pièces comptables ou attestation d’expert-comptable, permettant de connaître le coût moyen des procédures d’arbitrage opposant les sociétés du Groupe CARREFOUR à ses franchisés au cours des 10 dernières années.

Vu les dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile,

CONFIRMER en l’ensemble de ses dispositions la décision entreprise,

En tout état de cause,

DIRE ET JUGER manifestement nulles ou inapplicables les clauses compromissoires des contrats CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF en ce qu’elles ne visent pas à voir trancher l’intégralité du litige opposant les parties par un tribunal arbitral, ne réservant l’application des clauses compromissoires qu’à ce qui relève de l’interprétation et l’exécution du contrat (CPF) ou en ce qui concerne la conclusion, l’interprétation et l’exécution du contrat (CSF),

Vu les dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile,

Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Vu le caractère indivisible et interdépendant de l’ensemble contractuel constitué des contrats de franchises, d’approvisionnement et des contrats accessoires qui en découlent,

Vu la stipulation de six clauses compromissoires dans ces contrats,

Vu le cout moyen d’une procédure d’arbitrage CARREFOUR,

Vu l’incapacité financière démontrée de la société CPP LE MANS DISTRIBUTION à

supporter le cout d’au moins deux procédures d’arbitrages,

DIRE ET JUGER que les clauses compromissoires opposées par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE France et CSF sont manifestement inapplicables dès lors que la société CPP LE MANS DISTRIBUTION démontre être dans l’impossibilité de constituer les provisions au paiement desquelles la saisine des arbitres se trouve subordonnée, sauf à consacrer un déni de justice et porter atteinte à la substance même du droit d’accès au juge,

Vu le caractère indivisible et interdépendant de l’ensemble contractuel constitué des statuts, des contrats de franchises, d’approvisionnement et des contrats accessoires qui en découlent,

Vu la nécessité pour connaître des réclamations du franchisé de pouvoir débattre de l’ensemble contractuel unique et indivisible constitué des statuts, du contrat de franchise et du contrat d’approvisionnement, et la connexité des litiges qui en découle,

Vu le principe selon lequel les arbitres ne peuvent étendre leur compétence à un contrat que celui qui contient la clause d’arbitrage,

DIRE ET JUGER que les clauses compromissoires opposées par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE France et CSF sont manifestement inapplicables au litige indivisible dont est saisi le tribunal de commerce de RENNES,

DEBOUTER en conséquence les sociétés CARREFOUR PROXIMITE France et CSF de leurs exceptions d’incompétence.

CONDAMNER chacune des sociétés CARREFOUR PROXIMITE France et CSF à verser à la société CPP LE MANS DISTRIBUTION ainsi qu’à Monsieur X une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LES CONDAMNER aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP C D en application de l’article 699 du CPC.

Vu les dernières conclusions de la société Selima déposées et notifiées le 06 mai 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les statuts de la SARL CPP Le Mans Distribution,

Juger que tous litiges portant sur les statuts de la SARL CPP Le Mans Distribution relève de la compétence de la juridiction étatique,

Statuer ce que de droit quant aux dépens.

Les appelantes, CPF et CSF, se prévalent de la clause compromissoire qui figure tant dans le contrat de franchise que dans le contrat d’approvisionnement et soutiennnent qu’il appartient à l’arbitre en vertu du principe compétente-compétence, de se prononcer sur sa compétence sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile. Elles ajoutent que l’indivisbilité alléguée d’une convention ne peut conduire à écarter ce principe, en l’absence d’inapplicabilité manifeste. Enfin, elles disent que l’impécuniosité d’une partie ne constitue pas un critère d’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire au litige, faisant valoir qu’il revient aux acteurs à l’arbitrage d’écarter le risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens limités.

La société CPP et M X rétorquent que:

— le contentieux de la validité des contrats ou des clauses n’est pas visé par les clauses compromissoires,

— il s’agit de clauses pathologiques en ce qu’elles obligent à découper la connaissance du litige entre les juridictions arbitrale et étatique, de sorte qu’elles sont manifestement nulles ou inapplicables sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile,

— il existe une inapplicabilité manifeste en raison de l’indivissibilité des contrats dont l’acte fondateur, les statuts, ne contient pas de clause compromissoire,

— il existe une autre inapplicabilité manifeste en raison de l’impécuniosoté de la société CPP en vertu des dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile et de l’article 6$1 de la CEDH.

La société Selina fait valoir que les statuts de la société CPP ne contiennent aucune clause compromissoire dans la mesure où l’article 33 des statuts prévoit que les contestations « sont soumises à la compétence des juridictions des tribunaux compétents du lieu du siège social ». Elle ajoute que les clauses compromissoires des contrats de franchise et d’approvisionnement en cause prévoient que les arbitres statueront en amiable composition, ce à quoi les associés de la société CPP n’ont aucunement consenti.

SUR CE LA COUR

Le tribunal, par le jugement entrepris, a estimé que les conventions d’arbitrage opposées par CPF et

CSF étaient manifestement inapplicables au litige sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile, en ce que le litige nécessitait d’appréhender un ensemble contractuel indivisible dont l’acte fondateur, les statuts, ne contient pas de clause compromissoire.

Aux termes de l’article 1448 du code de procédure civile, 'lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable'.

En l’espèce, tant le contrat de franchise, en son article 12, que le contrat d’approvisionnement en son article 8 liant les parties, contiennent une clause compromissoire aux termes de laquelle :

— article 12 du contrat de franchise : 'Toutes contestations auxquelles pourront donner lieu la conclusion, l’interprétation et l’exécution du présent accord, seront soumises à trois arbitres.(…)' ,

— article 8 du contrat d’approvisionnement :'Toutes contestations auxquelles pourront donner lieu l’exécution ou l’interprétation du présent accord, seront soumises à trois arbitres'.

Sur la nullité manifeste des deux clauses compromissoires

CPP et M X soutiennent que les rédacteurs des contrats d’adhésion Carrefour ont restreint l’objet la clause compromissoire par rapport à sa définition légale que ce soit dans le contrat d’approvisionnement CSF ou dans le contrat de franchise de sorte que le contentieux de la validité des contrats ou de la validité des clauses des contrats n’est nullement visé par ces clauses qui sont limitées aux litiges nés de l’exécution ou de l’interprétation du contrat (clauses CSF et CPF) voire de la conclusion du contrat (clause CPF) et que ces clauses qui obligent à découper la connaissance d’un contentieux entre les juridictions arbitrales et les juridictions étatiques sont considérées comme pathologiques.

Mais, ainsi que le font justement valoir les sociétés CPF et CSF, dans la mesure où les parties sont libres de définir contractuellement le champ d’application matériel de la clause compromissoire, il ne saurait leur être fait grief d’avoir « restreint » l’objet de la clause compromissoire et aucune nullité manifeste au sens de l’article 1448 du code de procédure civile ne saurait en résulter de nature à faire exception à l’application du principe compétence-compétence qui veut que l’arbitre se prononce par priorité sur sa compétence.

En outre, il importe peu que le fond du litige concerne des dispositions relatives à des pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence qui seraient d’ordre public, au regard de la compétence prioritaire dont bénéficie l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence.

Sur l’indivisibilité du litige

La société CPP et Monsieur X soutiennent que:

— il existe une inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires en raison de l’indivisibilité des contrats puisqu’en effet, il existe dans les rapports entre CPP et les sociétés du Groupe Carrefour (CPF, CSF et Selima), un ensemble contractuel incontestablement indivisible, et que les contrats liant les parties contiennent une clause d’arbitrage, à l’exception des statuts,

— la société CPP est condamnée sans limitation de durée autre que celle de la société (99 ans) à exploiter son fonds de commerce sous une enseigne du groupe Carrefour, et à continuer d’exécuter les contrats de franchise et d’approvisionnement qui en permettent le fonctionnement, à défaut de quoi elle ne peut remplir son objet social, de sorte que le Groupe Carrefour revendique clairement le caractère indivisible de l’ensemble contractuel constitué des statuts à objet social exclusif et des

contrats qui en découlent,

— dans ce contexte contractuel indivisible, il faut, pour connaître des réclamations du franchisé, pouvoir débattre de l’ensemble contractuel constitué des statuts, du contrat de franchise et du contrat d’approvisionnement, devant une seule et même instance,

— au nom du principe « compétence-compétence » et de l’autonomie de chaque clause compromissoire, le franchisé se trouve exposé à un véritable déni de justice.

— dès lors que la notion d’ensemble contractuel unique et indivisible est admise, la Cour doit, sur le fondement des dispositions de l’article 1448 du CPC, dire ainsi que l’a retenu le tribunal de commerce, que les conventions d’arbitrage opposées par CPF et CSF sont manifestement inapplicables au litige qui nécessitent d’appréhender un ensemble contractuel indivisible dont l’acte fondateur, en l’espèce les statuts, ne contient pas de clause compromissoire.

Mais, l’indivisibilité d’une convention ne peut conduire à écarter la compétence de l’arbitre en application du principe compétence-compétence, alors que selon ce principe couplé aux dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile, l’arbitre est seul compétent pour statuer sur sa propre compétence de sorte que le juge étatique doit décliner sa compétence.

Ainsi, il n’appartient pas à la Cour de rechercher si les contrats du groupe Carrefour forment un ensemble contractuel indivisible, cette question n’étant pas de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste de la clause au sens de l’article 1448 du code de procédure civile.

Il sera ajouté que la seule circonstance que les statuts ne contiennent pas de clause d’arbitrage ne suffit pas à rendre manifestement inapplicables au sens de l’article 1448 du code de procédure civile, les clauses d’arbitrage stipulées dans les autres contrats du groupe.

— Sur l’impécuniosité de la société CPP

La société CPP et Monsieur X soutiennnent qu’il existe une incompatibilité manifeste des clauses compromissoires avec l’impécuniosité de la société CPP.

En premier lieu, ils considèrent que l’organisation mise en place par Carrefour de son système contractuel empêche le franchisé d’accéder au juge. Ils font valoir à cet égard que la relation contractuelle s’inscrit dans un ensemble indivisible et commun constitué d’abord par des statuts à objet social exclusif imposés aux franchisés, puis par des contrats de franchise et d’approvisionnement ainsi que par les contrats dit « accessoires » qui en découlent, le groupe Carrefour empêchant les juridictions saisies d’appréhender les litiges dans leur intégralité. Ils disent que sept contrats lient les parties en l’espèce et que tous contiennent une clause d’arbitrage, à l’exception des statuts. Ils ajoutent que les statuts à objet social exclusif et les contrats de franchise et d’approvisionnement CPF et CSF sont des contrats d’adhésion imposés uniformément à tous les franchisés sans possibilité de négociation.

En second lieu, ils considèrent qu’il existe une atteinte à l’article 6§1 de la CEDH du fait du coût de la procédure et de la situation financière des parties. Cet article oblige à prendre en compte le coût que peut représenter pour une partie un procès civil et les dispositions de la CEDH sont applicables aux procédures d’arbitrage. De plus, ils relèvent qu’une tendance tout à fait récente ouvre la voie à l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire lorsqu’il est démontré un risque de déni de justice économique.

Ainsi, ils relèvent que le coût moyen d’une procédure d’arbitrage avoisine à minima la somme totale de 120 000 euros par arbitrage, hors frais d’avocats et au titre de l’article 700 code de procédure civile. Pour un arbitrage avec trois arbitres, comme il est stipulé dans les clauses compromissoires

Carrefour, le coût de la procédure est estimé pour des litiges de montants identiques à celui engagé au fond par CPP à 150 000 euros par arbitrage. Ils disent que la société CPP est manifestement dans l’incapacité la plus absolue de financer les frais d’arbitrage à hauteur de ceux qui sont pratiqués dans ce type de procédure. Ils s’appuient à cet égard sur une attestation de M A, ancien directeur juridique, qui estime pour chacune des parties, le coût d’une procédure d’arbitrage entre 50 000 euros et 65 000 euros hors honoraires d’avocats.

En troisième lieu, les intimés disent que la situation de trésorerie de la société CPP sur les cinq derniers exercices, démontre l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de financer une, voire plusieurs procédures d’arbitrage. Suite aux reproches effectués par les appelantes dans leurs conclusions sur la non-actualisation des chiffres de la CPP, celle-ci fait observer qu’elle verse aux débats son projet de comptes annuels au 31 janvier 2021 établi par le cabinet In Extenso, expert-comptable référencé par le Groupe Carrefour et que sa structure financière est trop faible pour que puisse être envisagé un emprunt. Ainsi, engager plus de 100 000 euros de frais d’arbitrage est impossible et conduirait la société CPP à une situation de cessation des paiements.

Mais, l’impécuniosité d’une partie n’est pas de nature à faire échec à l’application du principe compétence-compétence. L’impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire et il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités.

Dès lors, la demande de condamnation sous astreinte des sociétés CPF et CSF à produire toutes factures, pièces comptables ou attestation d’expert-comptable, permettant de connaître le coût moyen des procédures d’arbitrage opposant les sociétés du Groupe Carrefour à ses franchisés au cours des 10 dernières années, ne peut qu’être rejetée.

Il en est de même de la demande des sociétés CPF et CSF tendant à voir écarter des débats les attestations de M. A (pièces CPP 24, 39 et 50), ancien salarié du groupe Carrefour pour son manque d’impartialité, dans la mesure où cette attestation qui tend à établir le coût de la procédure d’arbitrage, est indifférente à l’issue de l’exception d’incompétence soulevée, l’impécuniosité d’une partie étant impropre à faire échec au principe compétence-compétence, ainsi qu’il a été dit.

Pour ce même motif, la demande tendant à voir écarter des débats les pièces 41 à 48 de CPP qui ont trait à une affaire ayant opposé CPF à un franchisé doit être rejetée.

N’étant pas établi que les clauses compromissoires liant les parties seraient manifestement nulles ou inapplicables au sens de l’article 1448 du code de procédure civile, le jugement du tribunal de commerce de Rennes qui a débouté CSF et CPF de leur exception d’incompétence et s’est déclaré compétent pour connaître du litige en cause, est infirmé.

Il convient de recevoir les sociétés CSF et CPF en leur exception d’incompétence, de déclarer le tribunal de Commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige en cause, de renvoyer CPP Le Mans Distribution ainsi que Monsieur X à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise signé avec CPF et de celle stipulée au contrat d’approvisionnement signé avec CSF

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société CPP Le Mans distribution et Monsieur X qui succombent sont condamnées in solidum aux dépens de première instance et d’appel et déboutés de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la condamnation prononcée à leur profit sur ce fondement par le tribunal étant infirmé. Ils seront in solidum condamnés à verser à CPF et CSF, chacun la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société CPP Le Mans Distribution et M. X de leur demande de production de pièces sous astreinte ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare le tribunal de commerce de Rennes incompétent ;

Renvoie la société CPP Le Mans Distribution ainsi que M. X à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise et de celle stipulée au contrat d’approvisionnement ;

Déboute les sociétés CPF et CSF de leurs demandes tendant à voir écarter des débats les pièces n°41 à 48, ainsi que les pièces 24, 39 et 50 produites par la société CPP Le Mans Distribution et M. X ;

Déboute la société CPP Le Mans distribution et M. X de leurs demandes, notamment celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne in solidum la société CPP Le Mans Distribution et M. X aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la société CPF et à la société CSF, chacune, la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

La Greffière La Présidente

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