Tribunal de grande instance de Nanterre, 21 novembre 2019, n° 16/12449

  • Tournesol·
  • Diamant·
  • Marque·
  • Sociétés·
  • International·
  • Propriété intellectuelle·
  • Ags·
  • Saisie-contrefaçon·
  • Droits d'auteur·
  • Propriété

Commentaires5

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Blip · 4 avril 2024

Par Sylvie Benoliel-Claux, avocate au Barreau de Paris et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle Le contentieux de l'originalité en matière de droit d'auteur, lorsqu'il s'agit de protéger des oeuvres d'art appliqué et non d'art pur, n'en finit pas d'alimenter les prétoires et les discussions doctrinales et jurisprudentielles. Il suscite toujours la curiosité lorsque sont en jeu, comme ici, des oeuvres emblématiques ou des maisons de grande renommée. Ces dernières savent combien la partie n'est pas gagnée d'avance et qu'il faut souvent batailler dur pour convaincre le Juge …

 

www.murielle-cahen.fr · 3 octobre 2023

Est-il possible d'√™tre condamn√© pour incitation au d√©nigrement ? Dans un jugement du 22 juin 2022, les juges ont indiqu√© que l‚Äôarticle 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l‚Äôhomme, qui cause √† autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arriv√© √† le r√©parer. Pour faire supprimer un contenu qui bafoue vos droits, utilisez le service mis en place par le cabinet Murielle-Isabelle CAHEN. Par un jugement du 25 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a condamn√© la soci√©t√© Gowork √† verser respectivement aux soci√©t√©s Socateb et la Galerie de …

 

www.murielle-cahen.fr · 27 septembre 2023

Est-ce que l'incitation au d√©nigrement est punissable ? Dans un jugement du 22 juin 2022, les juges ont indiqu√© que l‚Äôarticle 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l‚Äôhomme, qui cause √† autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arriv√© √† le r√©parer. NOUVEAU : Utilisez nos services pour faire retirer un contenu d√©nigrant ou de contrefa√ßon en passant par le formulaire ! Par un jugement du 25 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a condamn√© la soci√©t√© Gowork √† verser respectivement aux soci√©t√©s Socateb et la Galerie de l‚Äô√âchaud√© …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TGI Nanterre, 21 nov. 2019, n° 16/12449
Juridiction : Tribunal de grande instance de Nanterre
Numéro(s) : 16/12449

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL

DE GRANDE

INSTANCE

DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

1ère Chambre

JUGEMENT RENDU

LE

21 Novembre 2019

N° RG 16/12449 N°

P o r t a I i s

DB3R-W-B7A-SLI4

N° Minute 19/ 39

AFFAIRE

[…],

[…]

INTERNATIONAL

AG

C/

Société M. V.C.L, Société TOURNESOL

Copies délivrées le :

EXTRAIT DES MINUTES DU SECRÉTARIAT-GREFFE

DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA

CIRCONSCRIPTION JUDICIAIRE DE NANTERRE

(HAUTS-DE-SEINE) DEMANDERESSES

[…]

[…]

[…]

[…] INTERNATIONAL AG

[…]

représentées par Maître Vincent FAUCHOUX de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0221

DEFENDERESSES

Société M. V.C.L

[…]

[…]

représentée par Maître Loeiz Z de la SCP

BEAULIEU-DERIAT-Y-Z, avocats au barreau de

HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : NAN715

Société TOURNESOL

[…]

représentée par Me Erick LANDON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D0786

L’affaire a été débattue le 18 Septembre 2019 en audience publique devant le tribunal composé de :

Daniel BARLOW, Premier vice-président Sophie MARMANDE, Vice-Présidente Julien RICHAUD, Vice-président

qui en ont délibéré.

Greffier lors du prononcé : Christine DEGNY, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

(C. 1



EXPOSE DU LITIGE

Les parties et leurs droits

La SAS SOCIETE CARTIER a pour activité principale depuis 1955 la fabrication et la commercialisation d’articles de joaillerie et d’horlogerie de luxe en France et à l’étranger. Elle revendique la titularité de droits d’auteur sur : le bracelet < Love quatre diamants » commercialisé dès les années 1970 au prix de 10 500 euros associant à intervalles réguliers sur son pourtour des motifs représentant une tête de vis à une fente et des diamants :

Cartier

6

le bracelet < Juste un clou » et sa déclinaison ornée de diamants « Juste un clou diamants » également commercialisés dans les années 1970 et dont la distribution a repris en 2012 aux prix respectifs de 6 600 euros et 12 200 euros représentant un clou enroulé sur lui-même sans ou avec diamants sur sa tête et sa pointe :

OO

La société de droit suisse CARTIER INTERNATIONAL AG est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’enregistrement international visant la France déposé le 19 mai 2006 sous le numéro 892848 portant sur le signe figuratif dit « Tête de vis » et visant en particulier les bracelets en classe 14:

La SARL TOURNESOL exerce depuis 1992 sous l’enseigne « Perfecta » une activité principale déclarée d'« achat, vente, import, export, fabrication gros et demi-gros, détail de

a. 2


tous articles de maroquinerie, accessoires de modes, ceintures, bretelles, foulards, bijouterie fantaisie, gadgets ».

La SARL MCVL exploite depuis 1995 à Boulogne-Billancourt un salon de coiffure à l’enseigne «< Atelier Dessaigne » qui commercialise accessoirement des bijoux fantaisie.

La naissance du litige

Expliquant avoir découvert la commercialisation par la SARL MVCL de bracelets reproduisant les caractéristiques originales de ceux sur lesquels la SAS SOCIETE CARTIER revendique des droits d’auteur et l’apposition sur ces produits de la marque de la société

CARTIER INTERNATIONAL AG, ces dernières ont : fait attester par une élève-avocate en stage chez leur conseil des conditions d’acquisition de deux bracelets dans le salon de coiffure de la SARL MVCL le 8

juin 2016; fait dresser par huissier de Justice un procès-verbal de constat le 14 juin 2016 portant sur le contenu de la vitrine de ce dernier observée depuis la voie publique ; fait dresser par huissier de Justice un procès-verbal de constat le 15 juin 2016 sur la page Facebook de la SARL MVCL ; été autorisées par ordonnances rendues par la délégataire du président du tribunal de grande instance de Nanterre rendues le 14 septembre 2016 à faire pratiquer dans les locaux de la SARL MVCL puis dans ceux de son fournisseur désigné des saisies-contrefaçon. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 21 septembre 2016.

Le litige et les prétentions des parties

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 17 octobre 2016, la SAS SOCIETE CARTIER et la société CARTIER INTERNATIONAL AG ont assigné la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de droits d’auteur et de marque ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire.

Par ordonnance du 21 décembre 2017, le juge de la mise en état a rejeté l’exception de nullité de l’assignation opposée par la SARL TOURNESOL.

La SAS SOCIETE CARTIER et la société CARTIER INTERNATIONAL AG invoquant la découverte de nouveaux faits de contrefaçon commis par une société tierce située à Angers qui avait désigné la SARL TOURNESOL comme le fournisseur des bracelets argués de contrefaçon, l’ordonnance de clôture du 3 décembre 2018 était révoquée et les débats rouverts sur ce point.

Dans leurs dernières écritures notifiées par la voie électronique le 22 février 2019 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la SAS SOCIETE CARTIER et la société CARTIER INTERNATIONAL AG demandent au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des dispositions des articles L 111-1 et suivants, L 335-2 à L 335-10 et suivants et L 713-2 et L 713-3 du code de la propriété intellectuelle et 1240, anciennement article 1382, du

code civil: de JUGER que les bracelets CARTIER « Love Quatre Diamants », « Juste un Clou

» et « Juste un Clou Diamants » sont originaux et appropriables par le droit d’auteur et que la société SOCIETE CARTIER est recevable à agir sur le fondement des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle ; de JUGER que les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL se sont rendues coupables d’actes de contrefaçon de droit d’auteur en commercialisant en France les bijoux

3


litigieux reproduisant les caractéristiques originales des bijoux des collections

CARTIER < Love » et « Juste un Clou » ; de JUGER que les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL se sont rendues coupables d’actes de contrefaçon de la marque internationale désignant la France n° 892848 au préjudice de la société CARTIER INTERNATIONAL AG en commercialisant les bijoux litigieux reproduisant ladite marque ; de JUGER que les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL se sont rendues coupables d’actes de concurrence parasitaire au préjudice de la société SOCIETE CARTIER qui commercialise les bijoux « Love Quatre Diamants », « Juste un Clou » et «

Juste un Clou Diamants » en France ;

0 de DEBOUTER les sociétés TOURNESOL et M. V.C.L. de leurs demandes en conséquence :

0 d’ORDONNER l’arrêt immédiat de toute fabrication, reproduction, exposition ou vente des bijoux litigieux qui reprennent la combinaison de caractéristiques des bijoux CARTIER « Love Quatre Diamants » ; « Juste un Clou » et «< Juste un Clou Diamant », et ce sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir; d’ORDONNER la destruction, justifiée par Huissier de justice, aux frais des sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL, tenues solidairement, des 0 exemplaires de bijoux contrefaisants qui seraient en leur possession ou dans leurs stocks, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, dans les quinze jours à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir; de CONDAMNER solidairement les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL à payer à la société SOCIETE CARTIER la somme de 50.000 euros à titre de O dommages et intérêts du chef de la contrefaçon de droit d’auteur ; de CONDAMNER solidairement les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL à payer à la société SOCIETE CARTIER la somme de 30.000 euros à titre de 0 dommages et intérêts au titre des agissements de concurrence parasitaire ; de CONDAMNER solidairement les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL à payer à la société CARTIER INTERNATIONAL AG la somme de 15.000 0 euros à titre de dommages et intérêts du chef de la contrefaçon de la marque internationale désignant la France n° 892848 ; d’ORDONNER la publication du communiqué suivant dans trois journaux ou magazines au choix de la société SOCIETE CARTIER aux frais des 0 sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL, tenues solidairement, sans que le coût de chacune de ces publications n’excède la somme de 5.000 euros hors

< Par jugement du XXX le Tribunal de grande instance de Nanterre taxes :

a jugé que les bijoux vendus par la société M. V.C.L. et par la société TOURNESOL à enseigne PERFECTA, portaient atteinte aux droits de propriété intellectuelle afférents aux bracelets

CARTIER de la collection « Love » et « Juste un Clou » » ; de CONDAMNER solidairement les sociétés M. V.C.L. et TOURNESOL à payer à chacune des sociétés SOCIETE CARTIER et CARTIER INTERNATIONAL AG la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens y compris les frais et honoraires d’huissier exposés, relatifs aux opérations de constats et de saisie contrefaçon.

En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 20 juin 2019 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la SARL TOURNESOL demande au tribunal de : vu les articles 6 CEDH, L 716-7 du code propriété intellectuelle, 495 du code de

procédure civile:

4


prononcer la nullité des constats des 14 et 15 juin 2016 non autorisés par 0 une décision judiciaire préalable exécutoire ; prononcer la nullité de l’attestation établie par madame X, élève avocat stagiaire près du conseil des demanderesses, pour défaut 0

d’objectivité et de neutralité, atteinte aux droits de la défense et au procès

équitable ; 0 prononcer la nullité des ordonnances sur requête 16/00766 et 16/00767, procès-verbaux d’huissier du 20 septembre 2016 pour atteinte aux droits de la défense, au procès équitable et/ou épuisement des effets de l’ordonnance

16/00767 du 14 septembre 2016; débouter les sociétés Cartier et Cartier International AG de l’ensemble de leurs moyens de défense et d’écarter des débats les actes annulés et ceux 0 consécutifs qui en sont les suites donc de débouter les sociétés Cartier et

Cartier International AG faute de preuve des faits argués de contrefaçon; vu l’article 1382, devenu 1240, du code civil : 0 dire et juger la société M. V.C.L. irrecevable et mal fondée en l’ensemble de ses prétentions et demandes à l’encontre de la société Tournesol donc la

débouter; dire et juger que la société M. V.C.L. A commis une faute en imputant faussement et délibérément à la société Tournesol la fourniture des produits 0 mis en cause par les sociétés Cartier et Cartier International AG; en conséquence condamner la société M. V.C.L. à verser une indemnité de

0 10.000 euros à la société Tournesol; vu les articles 2 et 3 Traité OMPI et les Directives Européennes 2001/29 et 2004/48, les articles L 111-1, L 111-3, L 131- 1 à L 131-4, L 131-7 du code de propriété intellectuelle et l’article 1382, devenu 1240, du code civil: 0 dire et juger que les sociétés Cartier et Cartier International AG ne démontrent et ne justifient aucun acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale, indépendant de tout acte susceptible d’être argué de contrefaçon de droit d’auteur, en conséquence les débouter;

A TITRE SUBSIDIAIRE: vu les articles L331-1 et suivants du code de propriété intellectuelle :

§ dire et juger que la société Cartier ne justifie, ni de l’œuvre originale 0 protégée, ni de qualité d’ayant droit patrimonial de droits d’auteur portant sur chacun des modèles non enregistrés argués d’être contrefaits ; dire et juger que les sociétés Cartier et Cartier International AG n’établissent aucun acte imputable de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale à la société Tournesol; dire irrecevables, à tout le moins mal fondées, donc débouter les sociétés Cartier et Cartier International AG de leurs demandes de contrefaçon et de concurrence déloyale ; vu les articles L 711-1, L.711-2 du code de propriété intellectuelle appliqués conformément aux articles 3 des Directives européennes 89/104, 0

2008/95 et 2015/3426 et à la jurisprudence de la CJUE statuant en droit sur demande préjudicielle :

§ dire et juger la marque figurative opposée par la société Cartier Internationale est dépourvue de caractère distinctif et caractérise une apparence fonctionnelle, en conséquence prononcer la nullité de ladite marque internationale désignant la France n° 892.848 et ordonner sa radiation du registre des marques avec inscription du jugement à intervenir;

§ dire et juger qu’à défaut d’acte imputable à la société Tournesol, de marque valable et d’usage à titre de marque, aucun acte de contrefaçon commis n’est caractérisé par les sociétés Cartier et

a. 5



Cartier International AG à l’encontre de la société Tournesol, donc débouter les sociétés Cartier et Cartier International AG;

§ débouter les sociétés Cartier de toute demande fondée sur la concurrence déloyale ou le parasitisme car subsidiaire et concurrente à la contrefaçon pour les mêmes faits ;

A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE: 0 vu les ADPIC en Annexe 1c des Accords du Cycle de l’Uruguay de Marrakech du 19 avril 1994, le décret de promulgation du 26 novembre 1995, la Directive européenne 2004/48 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, l’arrêt préjudiciel Daïchi (CJUE 18 juillet 2013 affaire C414/11) et les articles L 331-1-3 et L 716-1 du code propriété intellectuelle appliqués conformément à la hiérarchie des normes, dont internationales et européennes précitées :

§ dire et juger que la société Cartier International AG ne forme aucune demande indemnitaire ;

§ en tout état de cause dire et juger les demandes d’interdiction de fabrication, de commercialisation irrecevables donc mal fondées en ce qu’elles ne portent pas sur des marchandises précisément identifiées et soumises au débat, en conséquence débouter;

§ dire et juger que la société Cartier et, en tant que de besoin, Cartier International AG ne démontrent et ne justifient, personnellement pour chacune d’entre-elles, aucune des réparations des prétendus préjudices subis du fait des actes de contrefaçon, dont atteinte au droit moral, en conséquence les débouter;

§ dire et juger que les sociétés Cartier et Cartier International AG ne démontrent et ne justifient aucun des quantum des sommes réclamées à chacun des défendeurs, en conséquence les débouter;

§ dire et juger que les sociétés Cartier et, en tant que de besoin,

Cartier International AG ne motivent et ne justifient pas les demandes de condamnations solidaires, en conséquence les débouter;

§ dire et juger que les demandes de publications judiciaires ne sont, ni fondées, ni justifiées donc débouter les sociétés Cartier et Cartier

International AG; débouter les sociétés Cartier et Cartier International AG de toute autre demande non exprimées précisément par le dispositif; à titre très subsidiaire, dire et juger que les mesures de confiscation et de destruction des produits argués de contrefaçon sont suffisantes pour compenser le préjudice subi; EN TOUT ETAT DE CAUSE: vu les articles 514 et 515 du code de procédure civile, prononcer l’exécution 0 provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution préalable de garantie, personnelle ou réelle par la société Tournesol et en cas d’exécution provisoire ordonnée à l’encontre de la société Tournesol, d’exclure les mesures de destruction et de publicité et toute mesure au bénéfice de la société Cartier International ; vu les articles 695 à 700 du code de procédure civile, condamner les sociétés Cartier, Cartier International AG et M. V.C.L. à verser, de façon solidaire, des indemnités respectives de 7 000 euros, 3.500 euros et.500 euros pour les frais irrépétibles que la société Tournesol a dû avancer pour sa défense et aux dépens liquidés.



Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 12 juin 2019 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la SARL MVCL demande au tribunal de : donner acte à la société MVCL de ce qu’elle ne conteste pas avoir acquis et cédé des bracelets présentant des similitudes avec les modèles CARTIER ; dire et juger qu’elle ne saurait être condamnée solidairement avec la société TOURNESOL qu’à concurrence de ses propres achats auprès de cette société ; de ramener le préjudice invoqué par les demanderesses aux justes proportions de

l’ampleur réellement démontrée de la contrefaçon ; les débouter, purement et simplement, ainsi que la société Tournesol, de toutes leurs autres demandes.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2019. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

Par jugement rendu sur le champ le jour de l’audience du 18 septembre 2019 conformément à l’article 450 du code de procédure civile, le tribunal a rejeté la demande de révocation de l’ordonnance de clôture présentée par la SARL TOURNESOL et déclaré irrecevables ses conclusions notifiées par la voie électronique le 13 septembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT

A titre liminaire, le tribunal rappelle que les procès-verbaux de constat et de saisie contrefaçon et les attestations ne sont pas des actes de procédure mais des modes de preuve. Les moyens tirés de leur nullité, à supposer à ce stade qu’une telle qualification soit envisageable pour une attestation, constituent une défense au fond et non une exception de procédure et sont en conséquence proposable en tout état de cause conformément à l’article 72 du code de procédure civile. Ils doivent être examinés non « à titre préalable » mais lors de

l’examen de la preuve des faits invoqués au soutien de chaque action.

1°) Sur la contrefaçon de droits d’auteur

a) Sur la recevabilité de l’action

En vertu des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir étant irrecevable.

Et, conformément à l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Sur la titularité des droits

Moyens des parties

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la SARL TOURNESOL expose que les demanderesses ne justifient « ni les origines précises (à commencer par le/les auteur/s) des modèles et le/les contrat/s de cession des droits leur permettant de prétendre à qualité d’ayant cause patrimonial de celui/ceux-ci » et qu’elles ne peuvent bénéficier d’une

7


présomption de titularité, « le commerce d’objets n'[ayant] aucun lien avec les droits d’auteur qui naissent du fait de la seule création de l’auteur ».

En réplique, la SAS SOCIETE CARTIER invoque le bénéfice de la présomption prétorienne de titularité en exposant qu’elle exploite sous son nom en France les bracelets Love quatre diamants », « Juste un clou » et « Juste un clou diamants » dont elle assure la promotion dans ses catalogues et qu’elle est titulaire de la marque française « Cartier » n° 1217267 enregistrée notamment en classe 14 et qui est directement gravée à l’intérieur de ces

bracelets.

Pour sa part, la SARL MVCL ne conteste pas la titularité des droits.

Appréciation du tribunal

Si seule une personne physique peut avoir la qualité d’auteur et bénéficier de la présomption, qui porte sur la qualité d’auteur et non sur la titularité des droits, prévue par l’article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle, une personne morale qui commercialise une œuvre sous son nom de façon non équivoque est présumée, en l’absence de revendication du ou des auteurs, être titulaire des droits d’exploitation à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon. Pour bénéficier de cette présomption, il lui appartient de caractériser l’œuvre sur laquelle elle revendique des droits, de justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et d’apporter la preuve que les caractéristiques de l’œuvre qu’elle a commencé à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu’elle revendique. A défaut, il lui incombe de démontrer les circonstances de fait et de droit qui la fonde à agir en

contrefaçon.

Aussi, les moyens de la SARL TOURNESOL relatifs au processus et à la date de création des produits litigieux ainsi qu’à la chaîne des droits, qui est l’objet même de la présomption et de la dispense de preuve qu’elle offre, sont sans pertinence dans le cadre de l’examen des conditions d’application de la présomption de titularité des personnes morales, seule comptant les conditions de réalisation de l’acte de commercialisation.

Cette présomption, acquise de longue date en jurisprudence (solution constante, avec des fondements juridiques variables, depuis l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 24 mars 1993, n° 91-16543), n’existe qu’à défaut de revendication de l’auteur en dépit d’une exploitation univoque publique et paisible de l’œuvre et n’est opposable qu’aux tiers à qui sont reprochés des actes de contrefaçon. Elle s’appuie juridiquement tant sur le droit de la preuve, le contrat de cession de droits étant pour les tiers un fait juridique qui peut être prouvé par tous moyens tels les présomptions de fait de l’article 1382 du code civil, que, à titre substantiel, sur le droit des biens, l’acte d’exploitation paisible portant sur un bien immatériel induisant la titularité des droits nécessaire à sa réalisation légitime : les conditions d’exercice du pouvoir de fait font présumer simplement le pouvoir de droit. Son intégration dans le droit positif est certaine.

Pour établir la commercialisation sous son nom des créations litigieuses, la SAS

SOCIETE CARTIER produit : des photographies des bracelets « Love quatre diamants » et « Juste un clou »> (pièces 30 et 31) qui permettent une visualisation suffisantes des créations ; une attestation de son directeur financier non contestée en sa teneur (pièce 2) qui mentionne pour la période courant du 1er avril 2011 au 31 août 2016 la réalisation d'«< un chiffre d’affaires supérieur à 270.000.000 euros […] en relation avec la vente de produits joailliers de la collection LOVE et JUSTE UN CLOU, sur le territoire français » outre des dépenses de promotion et de publicité supérieures à

1 400 000 euros;

a.


des catalogues français « Cartier » datés de 2010 à 2017 (pièces 6 à 13) révélant la promotion et l’offre en vente du bracelet « Love quatre diamants » à compter de 2010 et des bracelets < Juste un clou » et « Juste un clou diamants » à compter respectivement de 2012 et 2013, l’apparence des produits n’ayant pas varié sur la période; des factures à son entête (pièces 14 et 15) prouvant la vente en France du bracelet « Love quatre diamants » dès le 21 septembre 2015 au prix de 10 500 euros et du bracelet < Juste un clou » dès le 10 août 2015 pour 6 600 euros; des captures d’écran non contestées en leur teneur mais éditées postérieurement aux faits litigieux et de ce fait sans pertinence révélant la vente des bijoux litigieux sur son site internet cartier.fr (pièce 40).

Ces éléments croisés, à l’exception de la pièce 40, suffisent à établir que la SAS SOCIETE CARTIER commercialise sous son nom sur le territoire français depuis une date antérieure aux faits litigieux, les produits en débat, l’absence de facture pour le bracelet

< Juste un clou diamants » étant compensée par sa présence sur les catalogues et la réalité de sa vente attestée par son directeur financier. Aucune contestation d’un tiers se prétendant auteur ou titulaire des droits n’étant par ailleurs émise, elle est présumée titulaire des droits

d’auteur sur ces créations, à les supposer originales.

A défaut de preuve contraire, la fin de non-recevoir opposée par la SARL

TOURNESOL sera rejetée.

Sur l’originalité

Moyens des parties

Tandis que la SAS SOCIETE CARTIER soutient que les œuvres qu’elle identifie et décrit et dont elle explicite les caractéristiques sont originales, la SARL TOURNESOL explique que les vis apparentes ont un « aspect fonctionnel » et qu’elles sont banales dans le secteur de la joaillerie et de l’horlogerie, que l’aspect des bracelets < Juste un clou » est à son tour banal et fonctionnel, que l’idée de détournement invoquée est de libre parcours et qu’un simple effet esthétique ne peut donner prise au droit d’auteur.

Appréciation du tribunal

Conformément à l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Et, en application de l’article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Et, en vertu de l’article L 112-2 10° du code de la propriété intellectuelle, sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens de ce code, les oeuvres des arts

appliqués. son auteur sansDans ce cadre, si la protection d’une oeuvre de l’esprit est acquise formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître

IV. 9


précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.

A cet égard, si une combinaison d’éléments connus ou naturels n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l’étendre à un genre insusceptible d’appropriation. Et, les notions de nouveauté et d’originalité sont distinctes, la seconde présupposant certes objectivement la première mais y ajoutant une dimension subjective résidant dans l’incarnation formelle de choix exprimant une personnalité. Aussi, la date des produits opposés pour combattre l’originalité a un statut distinct de celui qu’elle a en matière de nouveauté en propriété industrielle, dans laquelle elle est fondamentale, mais n’est pas pour autant indifférente : elle demeure déterminante quand le produit révèle par son antériorité alléguée que la personnalité imprimée dans l’œuvre objet du litige est en réalité celle d’un tiers ; elle est indifférente quand il s’agit d’établir un fonds commun, qui par nature est la traduction d’une tendance qui ne se manifeste pas dans un article isolé, dans lequel l’inspiration a été puisée par l’auteur prétendu et qui peut avoir des expressions contemporaines voire postérieures à la date de la création de

l’œuvre sur laquelle des droits d’auteur sont revendiqués.

La SAS SOCIETE CARTIER identifie en ces termes les créations en débat : bracelet « Love quatre diamants » : «< bracelet de forme ovale, de couleur argent » ;

< Jonc de surface plate dont les angles sont coupés droit » ; « Orné d’une alternance régulière de cercles et de diamants » ; « Les cercles ornant le jonc sont coupés en leur centre par une ligne horizontale, et sont en forme de « têtes de vis à une fente

» » ; « Les diamants sont incrustés dans le bracelet ». Cette description objective est conforme aux photographies du produit (pièce 30) qui n’est pas produit en original à raison de son prix; bracelet < Juste un clou » : « Bracelet de forme tubulaire » ; « Suivant la forme

d’un clou qui aurait été plié pour en rapprocher les extrémités » ; « Dont l’une des extrémités est une pointe taillée de telle sorte qu’elle présente quatre facettes en biseaux et un bout pointu, elle dépasse de l’autre extrémité et ferme l’ovale du bracelet » ; « Dont l’autre extrémité est composée d’une « tête de clou » posée sur le sommet de l’extrémité, de forme cylindrique dont les côtés sont plats et dont le diamètre est plus large que celui du bracelet » ; « Cinq rainures gravées juste en dessous de la « tête de clou » au-dessus et en-dessous du jonc » ; « Le côté de la «

tête de clou » est soudé à la pointe du clou » ; «< La fermeture du bracelet s’effectue au niveau de la « tête de clou », en son centre et dans lequel s’enclenche le jonc » ;

< Son ouverture se fait en éventail, la fente permettant cette ouverture se situe au niveau du jonc sur la partie inférieure du bracelet ». A nouveau, cette description est objective et est conforme aux photographies du produit (pièce 31); bracelet < Juste un clou diamants » : il ne se distingue du précédent que par l’ajout d’un « sertissage minutieux de Diamants sur la largeur de la « tête de clou » du bracelet et sur les quatre pointes biseautées ». Pour ce produit également, la description est objective et correspond en tout point aux photographies visibles dans les catalogues déjà examinés.

Les œuvres en débat sont ainsi clairement identifiables et précisément et objectivement définies en leurs différentes caractéristiques.

La SAS SOCIETE CARTIER explicite en ces termes l’originalité revendiquée de ces produits : bracelet « Love quatre diamants » : « La combinaison de ces caractéristiques résulte d’un parti pris esthétique cher à la Maison CARTIER, adepte du détournement et de la transfiguration à des fins esthétiques d’un élément banal du quotidien, à l’instar de la tête d’une vis de la collection LOVE. Le bracelet < Love

10

1h.



Quatre Diamants » s’inscrit dans le patrimoine homogène des créations CARTIER, par le détournement esthétique de la tête de vis emblématique de la Maison CARTIER, allié au luxe du diamant et à la finesse d’exécution, traduisant ainsi le véritable travail de recherche de CARTIER pour parvenir à ces formes harmonieuses, impliquant des choix esthétiques et arbitraires de disposition et d’agencement de ce bracelet ». Elle ajoute que son « parti pris esthétique […] consist[e] à ériger le motif d’une vis à une fente en véritable signature de sa collection de bijoux LOVE » ; bracelets < Juste un clou » et « Juste un clou diamants » : l’originalité réside à nouveau dans la combinaison des caractéristiques décrites, le parti pris esthétique résidant dans « le choix esthétique de transfigurer un objet banal du quotidien pour aboutir à un bijou d’une apparente simplicité aux lignes épurées »>.

Ces explications subjectives, quoique succinctes, fixent avec précision les contours de l’originalité alléguée à travers la définition des choix de l’auteur et de son parti pris esthétique qui résident ici principalement dans la transformation d’objets bruts du domaine du bricolage en bijoux de luxe en les intégrant partiellement dans le bracelet « Love » dont ils deviennent une composante esthétique à rebours de leur nature fonctionnelle (vis, dont la seule tête est gravée, intercalées entre des diamants à intervalles réguliers sur tout le pourtour) ou modifiant radicalement son apparence pour en faire un bracelet à part entière pour le clou, la fonction disparaissant à nouveau au seul profit de l’esthétique. Cet effet de contraste voire de rupture a également, avec une évidence suffisante pour l’évoquer malgré le silence de la SAS SOCIETE CARTIER sur ce point, une dimension conceptuelle forte, l’utilisation de vis pour symboliser l’amour («< Love ») n’ayant rien de naturel ou de banal comme l’emploi d’un clou pour forger une création dans le domaine du luxe (« Juste un clou », c’est le tribunal qui souligne). Dès lors, si les idées consistant en la transformation d’éléments triviaux du quotidien en bijoux et à jouer d’effets de contraste qui en résultent sont effectivement de libre parcours, elles sont ici formalisées dans une combinaison particulière sans la moindre contrainte technique sur ce plan et dans une perspective esthétique objectivement définie.

A cet égard, dans son arrêt Cofemel – Sociedade de Vestuário SA c. G-Star Raw CV du 12 septembre 2019, la CJUE n’a pas modifié le droit positif applicable puisqu’elle a maintenu le principe de l’unité de l’art et la possibilité du cumul des protections (§43) ainsi que le critère de l’originalité comme condition de protection d’une oeuvre de l’esprit et la limitation du périmètre de la protection aux seuls éléments originaux (§29). Insistant sur la définition objective de la notion d’œuvre au sens de l’article 2§a de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, elle exclut qu’un simple « effet esthétique », entendu comme « le résultat de la sensation intrinsèquement subjective de beauté ressentie par chaque personne appelée à regarder celui-ci », puisse suffire à caractériser une originalité et à fonder une protection (§53 à 55). Elle se contente ainsi de rappeler, faisant implicitement écho à l’indifférence du mérite dans la définition de l’originalité, qu’un sentiment de beauté éprouvé par l’observateur d’une création, trop subjectif pour asseoir une protection quelconque et générateur d’une insécurité juridique incompatible avec la constitution d’un tel monopole,

n’est pas la marque de l’empreinte de la personnalité d’un auteur. parOr, le travail d’explicitation des caractéristiques originales revendiquées réalisé la SAS SOCIETE CARTIER a précisément pour effet d’objectiver l’originalité en en expliquant les ressorts et en en délimitant les contours. Ainsi définie à travers une combinaison spécifique et intangible dont les raisons sont exprimées et vérifiables dans la création produite, l’originalité des bracelets litigieux n’est pas subjective et ne se réduit pas au sentiment de beauté qu’ils suscitent chez leur consommateur, par ailleurs indéterminable a priori. Son explicitation est ainsi suffisante et il incombe à la SARL TOURNESOL de démontrer qu’elle est inexistante.



La SARL TOURNESOL, qui raisonne inutilement en termes d’antériorisation entendue comme destructrice de nouveauté et qui s’emploie à banaliser les caractéristiques prises isolément sans égard pour leur combinaison qui seule compte ici, produit diverses pièces (T2, T3, T8-1, T9-1, T11, T 13 à T 15) qui sont sans pertinence puisqu’elles dévoilent des vis présentées en tant que telles ou utilisées selon leur fonction mécanique dans des montres à gousset ou à bracelets le plus souvent ouvertes. Jamais ces objets ne sont employés à des fins esthétiques. Et, aucun document ne porte sur l’utilisation du clou dans le domaine des arts appliqués en général et de la joaillerie en particulier.

En conséquence, à défaut de tout élément contraire pertinent, les œuvres en débat sont originales et l’action de la SAS SOCIETE CARTIER est recevable.

b) Sur le bien-fondé de l’action

Sur la matérialité des actes de contrefaçon

Moyens des parties La SAS SOCIETE CARTIER soutient que les produits commercialisés par la SARL MVCL sont les copies serviles de ses bracelets, ce que cette dernière ne conteste pas. Elle soutient qu’aucun recours en rétractation n’a été exercé et qu’aucun motif ne fonde la nullité des ordonnances ayant autorisé les saisies-contrefaçon et que, s’agissant des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, le délai laissé au saisi est suffisant, les pièces visées dans la requête n’ont pas à être signifiées avec elle et que les opérations de saisie-contrefaçon ont été exécutées en vertu de deux ordonnances distinctes. Elle ajoute que les procès-verbaux dressés les 14 et 15 juin 2016 n’avaient pas à être autorisés judiciairement.

La SARL TOURNESOL réplique que les moyens de preuve produits sont nuls en ce les procès-verbaux de constat des 14 et 15 juin 2016 n’ont pas été autorisés par un que : juge en violation des articles L 716-7 et L 332-1 du code de la propriété intellectuelle, que les photographies sont illisibles et ne sont exploitables qu’à raison des interprétations que l’huissier en fait en violation de son devoir de neutralité et que la version du navigateur n’est pas celle mise à jour à la date du

l’attestation du 14 juin 2016 a été partialement dressée par une stagiaire avocate constat ;

au sein du cabinet du conseil des demanderesses; les effets des ordonnances autorisant les saisies-contrefaçon étaient épuisés lors des opérations effectuées à son siège social et que les pièces fondant la requête

-

n’ont pas été communiquées au saisi qui n’a par ailleurs pas disposé d’un temps suffisant entre la signification de chaque ordonnance et la réalisation des mesures qu’elle autorisait et à qui le droit à l’assistance d’un avocat n’a pas été notifié.

Appréciation du tribunal

Conformément à l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé

quelconque.

Sur l’attestation du 14 juin 2016

La SAS SOCIETE CARTIER produit en pièce 19 une attestation établie par une élève avocat en stage au sein du cabinet de son conseil. Au regard du lien de dépendance directe entre celle-là et celui-ci et du fait que l’avocat représente son client à l’audience en exécution de son mandat ad litem au sens des articles 411 et 413 du code de procédure civile, le stagiaire

12


de l’avocat est assimilable à la partie elle-même et non à un témoin au sens de l’article 201 du code de procédure civile. Ses déclarations ont ainsi la force probante de celles de la SAS SOCIETE CARTIER qui, en présence d’une contestation telle celle de la SARL TOURNESOL, est nulle. Aussi, les faits rapportés dans l’attestation, sujette à un soupçon de partialité objective insusceptible d’être levé, ne seront pas pris en compte, aucune nullité ne pouvant être prononcée et requalification de la demande devant être ordonnée en ce sens, une attestation n’étant pas un acte de procédure.

Cette pièce n’étant pas probante, les pièces 20 à 23 de la SAS SOCIETE CARTIER (ticket de caisse, bracelets et écrin) ne sont pas exploitables, la facture sommaire produite ne visant que «< 2 bracelets fantaisie » sans la moindre référence permettant leur rattachement aux produits, écrin rouge compris, versés au débat.

Sur les ordonnances autorisant la saisie-contrefaçon et les procès-verbaux de saisies

contrefaçon

L’alinéa 2 de l’article 496 du code de procédure civile prévoit la possibilité pour tout intéressé d’agir en référé rétractation de l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon devant le juge qui l’a rendue. Cette procédure est destinée à introduire une contestation contradictoire dans une procédure initialement ex parte et à permettre au juge ayant autorisé la saisie contrefaçon de se prononcer en considération des éléments nouveaux débattus devant lui. Ainsi, le juge de la rétractation n’est ni le juge des conditions de validité de son ordonnance ni celui des difficultés d’exécution de la saisie.

Dès lors, non seulement le juge du fond peut toujours apprécier la régularité des éléments de preuve qui lui sont soumis et prononcer à ce titre la nullité des procès-verbaux produits y compris en caractérisant les irrégularités affectant l’ordonnance qui les fonde, mais la SARL TOURNESOL conteste les conditions d’accomplissement de sa mission par chaque huissier en exécution des ordonnances qui en elles-mêmes ne sont pas critiquées.

En conséquence, le tribunal a le pouvoir de statuer sur les moyens de nullité de la

SARL TOURNESOL.

L’article 495 du code de procédure civile, qui précise que copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée, n’impose pas la communication préalable au saisi des pièces fondant la requête. Les requêtes présentées au juge des requêtes comportent le bordereau des pièces produites devant lui et il n’est pas contesté que les ordonnances et la copie des requêtes afférentes ont été, ainsi que le confirment les mentions mêmes des procès-verbaux de signification, signifiées à chaque saisi. La simple lecture de leur intitulé et des moyens de fait et de droit développés dans la requête suffit à éclairer le saisi et à lui permettre de comprendre l’objet et la portée de la mesure pratiquée en ses locaux. Ce moyen n’est ainsi pas pertinent.

Par ailleurs, alors que la possibilité pour la SARL TOURNESOL, comme pour la SARL MVCL qui ne le prétend pas, d’être assistée d’un avocat n’est en rien affectée lors de la réalisation des opérations de saisie-contrefaçon, l’obligation pour l’huissier de notifier cette faculté n’est prévue ni par la loi ni par l’article 6 de la CEDH, aucune inconventionnalité n’étant de surcroît soulevée, qui ne rend la notification du droit à l’assistance d’un avocat impérative que dans la matière pénale dans les cas où la contrainte pesant sur son titulaire est de nature à entraver son exercice effectif. Ce moyen n’est pas plus pertinent.

Et, au regard de la simplicité de la matière et de la nature des opérations à accomplir, les délais de 13 et 10 minutes laissés à la SARL MVCL puis à la SARL TOURNESOL (délais résultant dans chaque cas de la différence entre les heures de signification de l’ordonnance et de la requête et celles d’établissement des procès-verbaux de saisies-contrefaçon) étaient suffisants pour leur permettre de connaître tant les motifs justifiant les mesures que l’étendue des investigations que l’huissier était autorisé à mener. A nouveau, ce moyen est sans portée.

^.. 13



Enfin, contrairement à ce que soutient la SARL TOURNESOL, les opérations de saisie-contrefaçon réalisées en ses locaux l’ont été sur le fondement de la seconde ordonnance

RG 16/00767 et non sur celui de l’ordonnance RG 16/00766 autorisant la saisie-contrefaçon au siège de la SARL MVCL. S’il est exact que, pour des raisons inconnues du tribunal mais qui tendaient vraisemblablement à la complétude de l’information des saisis, les huissiers ont signifié systématiquement les deux ordonnances à chaque saisi, le procès-verbal dressé dans les locaux de la SARL TOURNESOL rappelle précisément le fondement sur lequel il est établi et ne vise alors que l’ordonnance RG 16/00767 qui autorisait la saisie-contrefaçon « au siège social ou dans les entrepôts du fournisseur de la société M. V.C.L., désigné suite aux opérations de saisie-contrefaçon menées au siège sociale de la société M. V.C.L. ». Aussi, ce moyen de nullité n’est pas fondé.

Aux termes de ces procès-verbaux de saisie-contrefaçon : le gérant de la SARL MVCL explique avoir « acheté deux fois environ en mai et juin [2016…] des bracelets fantaisie de copie Cartier auprès du grossiste

< Perfecta »> [domiciliée] au […] à Paris 3ème » et dont il communiquait le numéro de téléphone. Il ajoutait qu’aucune facture n’était établie, que le paiement, d’un montant de 15 euros pièce, s’effectuait en espèces et qu’il revendait les produits 40 euros pièce ou 50 euros pièce pour ceux comportant des strass. L’huissier, qui constatait la présence en vitrine et en boutique de six bracelets < clou », achetait, moyennant le versement de 40 euros et 50 euros, et plaçait sous scellés deux bracelets en forme de clou qui lui étaient remis dans deux sachets, aucune boîte n’étant fournie. Le gérant précisait enfin avoir acquis auprès de la « société Perfecta » deux bracelets avec des têtes de vis avec ou sans strass avec les mêmes variations de prix, à nouveau sans facture et en espèces ; le « vendeur se déclarant habilité » de la SARL TOURNESOL contestait toute vente des bracelets argués de contrefaçon mais admettait que la SARL MVCL était cliente de la SARL TOURNESOL, aucune commande n’ayant été effectuée depuis le mois d’août 2015 ainsi que le confirmait la communication d’un extrait du grand livre non définitif pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 visant des achats accomplis entre mai et août 2015 pour un montant total de 627 euros. Les factures correspondantes, non détenues sur place et promises « dans la semaine », n’étaient jamais communiquées.

Les deux bracelets en forme de clou saisis dans les locaux de la SARL MVCL sont les copies serviles des bracelets « Juste un clou » et « Juste un clou diamants » de la SAS

SOCIETE CARTIER, les seuls éléments de différenciation, insignifiants de ce fait, résultant de la mauvaise qualité évidente des copies. Leur commercialisation constitue un acte de contrefaçon au préjudice de cette dernière.

Sur les procès-verbaux de constat des 14 et 15 juin 2016

En application de l’article 649 du code de procédure civile, la nullité des actes d’huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure, soit les articles 114 et suivants du code de procédure civile pour les vices de forme et les articles 117 et suivants du même code pour les vices de fond.

La contrefaçon pouvant être prouvée par tous moyens, la saisie-contrefaçon n’est pas un mode de preuve obligatoire et la procédure qui la régit n’est incontournable qu’en présence de mesures qui par leur nature et leur ampleur s’apparentent à une saisie-contrefaçon qui est alors déguisée. L’article L 332-1 du code de la propriété intellectuelle, comme l’article L 716 7 du même code pour les marques, ne sont ainsi pas exclusifs de la réalisation par l’huissier de constats purement matériels sans autorisation préalable en vertu de l’article 1 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers.



Or, il ressort du procès-verbal de constat du 14 juin 2016 que l’huissier, sans user des pouvoirs exorbitants prévus par ces textes, a procédé à ses opérations depuis la voie publique et qu’il s’est contenté de photographier la vitrine de la SARL MVCL puis de livrer une description sommaire et objective des bracelets dont il constatait la présence. Aussi, ce procès-verbal, qui pouvait être dressé dans un lieu public sans autorisation judiciaire, n’est pas une saisie-contrefaçon déguisée et n’avait pas être soumis aux dispositions de l’article L 332-1 ou L 716-7 du code de la propriété intellectuelle. S’il est exact que la « photographie n° 2 » ne permet pas de visualiser les produits présents en vitrine, cette carence n’est pas une cause de nullité du procès-verbal mais un élément d’appréciation de sa force probante. Or, la

< photographie n° 3 » permet une observation satisfaisante de deux types de bracelets : l’un est fait d’un clou orné ou non de strass et l’autre est un bracelet plein comportant des gravures en forme de tête de vis alternant avec des strass. Cette photographie, confortée tant par les constatations de l’huissier, qui ne sont pas des « interprétations » mais des descriptions dont rien n’indique qu’elles soient erronées, que par les déclarations du gérant de la SARL MVCL lors des opérations de saisie-contrefaçon puis dans ses conclusions, le caractère servile de la copie n’y étant pas contestée, suffit à établir la commercialisation par la SARL MVCL de bracelets reproduisant les caractéristiques originales des bracelets < Juste un clou », « Juste un clou diamants » et « Love quatre diamants '>.

Par ailleurs, aux termes du procès-verbal de constat du 15 juin 2016, l’huissier a utilisé une version 46.0.1 de l’explorateur Firefox dont le certificat, reproduit en page 3, indique qu’il est à jour à la date du constat. A supposer même que la pièce T 12 de la SARL TOURNESOL, impression d’écran tirée du site filehippo.com, soit probante en ce qu’elle mentionne qu’au 8 juin 2016 une version 47.0 de ce logiciel était disponible, cette dernière n’explique pas en quoi le défaut d’utilisation de la version précédente affecterait la navigation et l’affichage des résultats et, partant, la pertinence des constatations. Un tel moyen, qui manque en fait et en droit, n’est pas pertinent.

Les photographies intégrées au procès-verbal révèlent que la SARL MVCL assure sur sa page Facebook la promotion des bijoux fantaisie qu’elle commercialise au moins depuis le 14 décembre 2014, les produits litigieux n’étant en revanche visibles qu’à compter du 27

novembre 2015.

Ainsi, les procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon établissent que la SARL MVCL, qui ne le conteste pas, promeut et commercialise depuis le mois de novembre 2015 des copies serviles des œuvres de la SAS SOCIETE CARTIER au prix unitaire de 40 euros ou 50 euros avec strass, la masse contrefaisante étant indéterminable faute de facture et de stock.

De l’aveu de la SARL MVCL, cette activité a débuté en janvier 2014 (factures en pièce 11 et D 3 et 4 de ses écritures : « Elle verse aux débats les factures des achats effectués auprès de la société TOURNESOL, de janvier 2014 à juin 2015, période pendant laquelle cette dernière établissait encore des factures (pièces 4 à 11). Il en ressort que les bracelets contrefaits sont achetés en très petite quantité sur l’ensemble de cette période »).

Sur l’imputabilité des actes de contrefaçon

Si les factures produites par la SARL MVCL (pièces 4 à 11) ne permettent pas de faire de lien avec la SARL TOURNESOL faute de référence connue et de correspondance avec l’extrait du grand livre produit, les déclarations de son gérant lors des opérations de saisie contrefaçon permettent de l’identifier clairement, en dépit de la confusion entre l’enseigne et la dénomination sociale et de l’erreur minime sur l’adresse, comme fournisseur des bijoux litigieux. Or, alors que la présence de la SARL MVCL dans le fichier client de la SARL TOURNESOL accrédite les propos de celle-là, celle-ci ne produit aucune pièce de nature à renverser la présomption de fait née, au sens de l’article 1353 devenu 1382 du code civil, de ces éléments précis et concordants. En effet, seules deux factures des 25 mai 2015 et 13 août 2015 (pièces T5 et T7 de la SARL TOURNESOL) sont produites pour justifier des montants figurant sur l’extrait du « grand livre non définitif » transmis lors des opérations de saisie contrefaçon si les montants qui y figurent ne correspondent pas à ceux annoncés par la

U..15



SARL MVCL, l’objet des six autres ventes n’est pas déterminable. Cette carence, qui caractérise une violation par la SARL TOURNESOL de son obligation de facturation prescrite par l’article L 441-3 devenu L 441-9 du code de commerce, corrobore le fait, dénoncé par le gérant de la SARL MVCL lors des opérations de saisie-contrefaçon, que les transactions entre les parties portant sur les bijoux litigieux ne faisaient l’objet d’aucune facture et étaient réglées directement en espèces, leur caractère occulte privant de portée l’attestation de l’expert-comptable de la SARL TOURNESOL (pièce T 4-1) qui, par hypothèse, ne peut connaître que des opérations laissant une trace comptable.

En l’absence de toute preuve contraire qu’un respect des règles légales élémentaires de facturation aurait rendu aisée à administrer et sans qu’il soit nécessaire de recourir au principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude qui n’a vocation qu’à paralyser les restitutions réciproques consécutives à l’annulation d’une convention pour immoralité de sa cause, ces éléments combinés suffisent à imputer à la SARL TOURNESOL la fourniture des bracelets contrefaisants commercialisés par la SARL MVCL.

En revanche, la « lettre d’engagement » du 8 janvier 2019 n’a aucune force probante faute pour l’identité de son auteur d’être déterminable à raison du caviardage pratiqué.

Dès lors, seuls les actes de contrefaçon commis par la SARL MVCL peuvent être imputés à la SARL TOURNESOL en sa qualité de fournisseur, aucune autre vente n’étant prouvée. Les défenderesses, dont les actes conjugués ont concouru à la réalisation du préjudice unique subi par la SAS SOCIETE CARTIER, seront ainsi tenues in solidum pour la

totalité de ce dernier.

Cette analyse prive de fondement l’action indemnitaire de la SARL TOURNESOL, son implication dans le litige étant causée par sa faute et non par la dénonciation de la SARL MVCL. Aussi, en l’absence par ailleurs de justification du principe et de la mesure du préjudice allégué, cette demande sera d’ores et déjà rejetée.

d) Sur les mesures réparatrices

Moyens des parties Tandis que la SAS SOCIETE CARTIER sollicite une indemnisation forfaitaire tenant toutefois compte des conséquences économiques négatives qu’elle a subies, des bénéfices indus réalisés par les défenderesses et de son dommage moral, ces dernières opposent l’absence de preuve du préjudice allégué, la SARL MVCL admettant cependant le principe du

préjudice moral.

Appréciation du tribunal

Conformément à l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte

aux droits. Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de

l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.



Et, en application de l’article L 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, en cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d’auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit

de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle

Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l’auteur de précise.

La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées l’atteinte aux droits. par la contrefaçon, l’atteinte à un droit voisin du droit d’auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit.

La SAS SOCIETE CARTIER sollicite contradictoirement le bénéfice d’une indemnisation forfaitaire qui, au sens du dernier alinéa de l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, est déterminée en considération du montant de la redevance éludée, tout en fondant son calcul sur les critères distincts permettant le calcul de l’indemnisation dissuasive imposée par le premier alinéa du texte. En l’absence de toute pièce permettant d’établir le montant de la redevance ou des droits éludés, cette référence à un forfait doit être interprétée conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile comme un palliatif à l’indétermination de la masse contrefaisante au regard des critères de l’article L 331-1-3 qui doivent cependant être seuls mis en oeuvre faute d’application possible de son dernier alinéa.

A cette difficulté s’ajoute le fait que la SAS SOCIETE CARTIER sollicite une indemnisation globale au titre du droit d’auteur sans procéder à la moindre ventilation création par création, chacune faisant pourtant naître des droits propres et subissant des atteintes spécifiques. Faute de corrélation possible entre le montant réclamé et chaque atteinte prouvée, la demande indemnitaire de la SAS SOCIETE CARTIER devrait être réputée indéterminée et indéterminable pour chaque droit au sens des articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile et être de ce fait irrecevable au sens de l’article 122 du code de procédure civile. Pour autant, cette présentation est le corrélat nécessaire de la carence de la SARL MVCL et de la SARL

TOURNESOL dans leur facturation qui est soit inexistante postérieurement à 2015 soit, pour la période 2014 à 2015, très insuffisante puisque les factures produites désignent les produits vendus par les appellations génériques « bracelet », « bracelet acier » ou « bracelet fantaisie », ce que confirmait le vendeur de la SARL TOURNESOL interrogé par l’huissier, qui ne permettent pas, faute de référence précise susceptible d’être rattachée aux bracelets commercialisés, d’individualiser ces derniers. Aussi, le défaut de ventilation des demandes

devient tolérable.

Les constatations des huissiers, qui révèlent un stock de six bracelets dans les locaux de la SARL MVCL et nul dans ceux de la SARL TOURNESOL ainsi que l’offre en vente d’une dizaine de bracelets contrefaisants entre le mois de janvier 2014, date retenue par la SARL MVCL et visible sur sa facture en pièce 11, et le 21 septembre 2016, date des opérations de saisie-contrefaçon, ne permettent d’avoir qu’une vision très approximative de la masse contrefaisante que les éléments comptables produits n’éclairent pas. Aussi, l’impossibilité de chiffrer les quantités acquises et vendues qui en résulte ayant pour seule cause la violation par les défenderesses de leur obligation de facturation, les bénéfices, qui doivent en principe être calculés sur la base des seules quantités effectivement vendues, seront ici ceux globalement dégagés par la vente de « bracelet », « bracelet fantaisie » et « bracelet en acier » dont les références ne renvoient à aucun produit déterminé. Aux termes des factures produites par cette dernière (pièces 4 à 11), du prix de vente moyen de 45 euros TTC calculé à partir des déclarations de son gérant lors des opérations de saisie-contrefaçon et du prix


d’achat TTC de chaque référence, ceux-ci atteignent la somme de 5 120,64 euros pour 141 articles. A cette somme s’ajoutent les économies d’investissement mécaniquement générées par la commercialisation de copies serviles de produits pour la promotion et la valorisation desquels la SAS SOCIETE CARTIER justifie avoir engagé une dépense globale de 1 400 000 euros entre le 1er avril 2011 et le 31 août 2016 (pièce 2: attestation de son directeur financier non contesté en sa teneur et en sa force probante).

En revanche, la SAS SOCIETE CARTIER ne démontre aucun gain manqué et aucune modification du comportement des consommateurs de ses produits. D’ailleurs, l’acte d’achat d’un consommateur étant in fine conditionné par l’adéquation du prix du produit qu’il entend acquérir à ses ressources, il est certain que l’acheteur, porté un temps par le désir d’acquérir un bien censé incarner un symbole de prestige, n’aurait pas déboursé la somme réclamée par la SAS SOCIETE CARTIER, en moyenne 200 fois supérieure au prix pratiqué par la SARL

MVCL, et aurait renoncé à son projet.

Enfin, si le « désintérêt de la clientèle » est postulé et non démontré et est peu probable au regard du segment concerné, la contrefaçon, par nature, dilue la valeur de ses créations en laissant penser au consommateur qu’elles sont banales et libres de droit, ce préjudice étant commercial et non moral comme le soutient en doublon la SAS SOCIETE CARTIER qui n’a par ailleurs pas qualité pour représenter l’entité indéfinie qu’elle nomme « Maison Cartier »>.

En considération de ces éléments appréciés distinctement, le préjudice de la SAS SOCIETE CARTIER causé par les actes de contrefaçon combinés de la SARL MVCL et de la SARL TOURNESOL sera réparé par l’allocation d’une somme de 6 000 euros que ces dernières seront condamnées in solidum à lui payer.

Pour mettre un terme définitif à la contrefaçon et prévenir sa réitération, il sera fait droit à la demande d’interdiction de la SAS SOCIETE CARTIER dans les termes du dispositif, la portée d’une telle mesure et l’insignifiance du stock révélé lors des opérations de saisie-contrefaçon ne justifiant en revanche aucune mesure de destruction.

Enfin, le préjudice de la SAS SOCIETE CARTIER étant intégralement réparé par l’allocation de dommages et intérêts, la demande de publication judiciaire, qui s’analyse en une mesure de réparation complémentaire, sera rejetée.

2°) Sur la contrefaçon de marque

a) Sur la recevabilité de l’action

Moyens des parties

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la SARL TOURNESOL expose que la « marque n’est pas distinctive car elle reprend l’apparence ancienne et récurrente dans le domaine des têtes des vis utilisées depuis plusieurs siècles pour assembler les composants d’une montre, dont à gousset » et que « le dessin faisant l’objet de la marque est la copie servile de l’apparence fonctionnelle de la tête d’une vis plate, jusqu’à renforcer le trait supérieur délimitant la coupure du diamètre afin de mieux donner l’impression de profondeur de l’axe représentant la découpe destinée à recevoir l’extrémité carrée du tournevis, ce qui frappe la marque d’une nullité pour motif absolu (article L.711-2 du code de propriété intellectuelle) »>.

En réplique, la société CARTIER INTERNATIONAL AG expose que sa marque est distinctive et apte à exercer la fonction de marque et que la tête de vis n’a aucun rôle fonctionnel dans son bijou.

La SARL MVCL n’a pas conclu sur ce point.

18 J 良

.



Appréciation du tribunal

Conformément à l’article L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque qui n’est pas conforme aux dispositions des articles L 711-1 et à L 711-4, la décision d’annulation ayant un effet absolu et étant, une fois devenue définitive, transmise à l’INPI pour inscription sur ses registres par le greffe ou l’une des parties en application de l’article R 714-3 du même code.

En application de l’article L 711-1 du code de la propriété intellectuelle, la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale.

Et, en vertu de l’article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Sont notamment dépourvus de caractère distinctif (c) les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Ainsi que l’a précisé la CJUE alors CJCE dans un arrêt Von Colson et Kamann c. Land Nordhein-Westfalen du 10 avril 1984, le juge judiciaire, juge communautaire de droit commun, est tenu d’interpréter dans toute la mesure du possible les dispositions internes conformément au texte des directives communautaires transposées ou non pour atteindre le résultat qu’elles visent.

En application du droit interne interprété à la lumière de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres, les signes susceptibles de représentation graphique ne peuvent constituer des marques qu’à condition qu’ils soient intrinsèquement aptes à identifier les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement comme provenant d’une entreprise déterminée et propres à distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ainsi que l’a précisé la CJUE alors CJCE dans un arrêt du 18 juin 2002 Koninklijke Philips Electronics NV c. Remington Consumer Products Ltd. Le public pertinent doit immédiatement et certainement percevoir le signe comme identifiant l’origine commerciale du produit.

Aussi, pour remplir sa fonction essentielle d’identification, une marque doit être distinctive, caractère indépendant de l’originalité ou de la nouveauté qui suppose que les éléments entrant dans sa composition soient arbitraires par rapport aux produits ou services qu’elle désigne et soient d’emblée perçus par le consommateur comme pouvant identifier

l’origine du produit en le rattachant à une entreprise spécifique.

Le tribunal constate que la distinctivité intrinsèque ou autonome de la marque, entendue comme aptitude du signe à être d’emblée perçu comme une garantie d’origine commerciale, n’est pas contestée. Elle sera réputée acquise. Seul est en débat le fait que la forme du signe soit ou non exclusivement imposée par la fonction du produit.

La réalité du caractère distinctif doit être appréciée au jour du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque et la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage prévue par l’article L 711-2 in fine du code de propriété intellectuelle, qui ne constitue pas une exception à cette règle, n’est pas applicable à cette hypothèse.

La société de droit suisse CARTIER INTERNATIONAL AG est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’enregistrement international visant la France déposé le 19 mai 2006 sous le numéro 892848 portant sur le signe figuratif dit « Tête de vis » et visant en particulier les bracelets en classe 14:

a. 19



Ce signe figuratif, comme sa dénomination l’indique, est la représentation vue d’en haut d’une tête de vis plate à fente.

Bien qu’elle n’ait d’intérêt à agir reconventionnellement en nullité de la marque que pour les produits et services qui lui sont opposés au titre de la contrefaçon conformément à l’article 70 du code de procédure civile, la SARL TOURNESOL demande la nullité pour tous les produits et services visés à l’enregistrement sans pour autant avoir à répondre à une fin de non-recevoir. Cet état du litige ne pose toutefois pas de difficulté puisque le raisonnement est transposable à tous les articles de joaillerie désignés en classe 14.

En effet, pour aucun de ces produits, la tête de vis, seule apparente dans l’enregistrement et lors de son apposition notamment sur les bracelets, ne remplit sa fonction technique de vissage. Outre la garantie d’origine acquise en l’absence de débat sur la distinctivité intrinsèque, elle ne sert qu’un objectif décoratif et non fonctionnel et ne se confond que très partiellement avec l’apparence du produit lui-même qu’elle se contente d’orner, constat qui prive de pertinence les références jurisprudentielles citées qui ne traitent que des signes constitués par la forme du produit et se confondant avec leur fonction. Aucun des produits visés en classe 14 n’impose exclusivement par sa forme ou sa fonction les contours de la tête de vis déposée à titre de marque.

En conséquence, la demande reconventionnelle de la SARL TOURNESOL sera

rejetée.

b) Sur le bien-fondé de l’action

Moyens des parties Quand la société CARTIER INTERNATIONAL AG expose que le signe constituant sa marque est reproduit sur des produits identiques à ceux visés à l’enregistrement, la SARL TOURNESOL réplique que l’usage du signe est exclusivement décoratif et n’est pas fait à titre de marque, la SARL MVCL ne concluant pour sa part pas sur ce point.

Appréciation du tribunal

Conformément à l’article L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon, qui peut être prouvée par tout moyen en vertu de l’article L 716-7 du même code, engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713-2, L 713-3 et L 713-4 du même code.

En vertu de l’article 713-2 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.

Enfin, aux termes de l’article L 713-3 du code de propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du

A20


public : a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

Il est désormais acquis que les bracelets commercialisés par la SARL MVCL sont, pour ceux qui ne sont pas en forme de clou, des copies serviles du bracelet < Love quatre diamants » déjà décrits. Aussi, les produits en débat sont identiques au bracelet de la classe 14 visé à l’enregistrement et le signe constituant la marque est reproduit sans variation sur ces derniers. Cette double identité caractérise la contrefaçon sans égard pour le risque de confusion.

Le seul point en débat est la nature de l’usage du signe sur les produits commercialisés par les défenderesses.

A ce titre, dans son arrêt Arsenal Football Club du 12 novembre 2002, la CJUE alors

CJCE a précisé que le titulaire d’une marque enregistrée ne peut, en application de l’article 5§1 a) de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques devenue la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, interdire

l’usage par un tiers d’un signe identique à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires sans le consentement du titulaire de la marque et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

La fonction essentielle de la marque étant de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance, le titulaire de la marque doit, pour que cette garantie de provenance puisse être assurée, être protégé contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci. A défaut d’atteinte aux fonctions de ses droits, l’utilisation du signe est, sur le plan du droit des marques, libre.

La contestation de la nature de l’usage est un moyen de défense au fond à l’action en contrefaçon. Aussi, il appartient à la SARL TOURNESOL qui se prévaut d’un usage exclusivement décoratif, position paradoxale quand la distinctivité intrinsèque du signe reproduit n’est pas contestée, de le prouver. Or, elle ne produit aucun élément sur la perception du consommateur et sur les habitudes du secteur et ne prouve ainsi pas que l’usage du signe constituant la marque est exclusivement décoratif. Ce seul constat commande de considérer l’usage du signe comme fait à titre de marque dans la vie des affaires, peu important qu’il ait également une fonction décorative évidente. Et, si les modalités d’usage de son signe par le titulaire des droits est indifférente à l’appréciation de la contrefaçon qui s’effectue par référence à l’enregistrement, elle peut, dans des circonstances particulières telles celles de l’espèce, éclairer l’intention du contrefacteur prétendu et, partant, aider à définir la nature de l’usage qu’il fait du signe. En effet, le signe figuratif est apposé sans la moindre nécessité technique sur des bracelets offerts en vente qui sont des copies serviles du bracelet < Love quatre diamants ». Son utilisation est ainsi identique à celle qu’en fait le titulaire de la marque: l’identité d’usage traduit ici subjectivement celle de sa nature.

En conséquence, la SARL MVCL et la SARL TOURNESOL ont concurremment commis des actes de contrefaçon de la marque figurative n° 892848 de la société CARTIER

INTERNATIONAL AG.

c) Sur les mesures réparatrices

En application de l’article L716-14 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

21


1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Et, en vertu de l’article L 716-15 du code de propriété intellectuelle, en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée et aux frais du contrefacteur, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.

La société CARTIER INTERNATIONAL AG ne motive pas sa demande indemnitaire autrement qu’en invoquant la reproduction à l’identique de sa « marque enregistrée et emblématique […], perçue immédiatement par le public comme le rattachement aux créations de la collection « Love » de CARTIER ». Aussi, l’indemnisation sollicitée sera analysée en application des articles 12 et 16 du code de procédure civile comme réparant un préjudice de dilution. Et, de fait, la reproduction exacte du signe figuratif constituant la marque sur des produits identiques à ceux visés à son enregistrement et commercialisés sur autorisation de son titulaire emporte un affaiblissement de son aptitude à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire ainsi qu’une dispersion de l’identité de la marque et de son emprise sur l’esprit du public.

En conséquence, la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL seront condamnées in solidum à payer à la société CARTIER INTERNATIONAL AG la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par leurs actes de contrefaçon de la marque n° 892848.

Pour mettre un terme définitif à la contrefaçon et prévenir sa réitération, il sera fait droit à la demande d’interdiction de la société CARTIER INTERNATIONAL AG dans les termes du dispositif, la portée d’une telle mesure et l’insignifiance du stock révélé lors des opérations de saisie-contrefaçon ne justifiant en revanche aucune mesure de destruction.

Enfin, le préjudice de la société CARTIER INTERNATIONAL AG étant intégralement réparé par l’allocation de dommages et intérêts, la demande de publication judiciaire, qui s’analyse en une mesure de réparation complémentaire, sera rejetée.

3°) Sur les actes connexes de concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS SOCIETE CARTIER expose qu’en commercialisant à un prix dérisoire des produits identiques aux siens dans un écrin rouge reprenant les codes esthétiques de celui qu’elle utilise, en assurant une promotion intensive en vitrine et sur les réseaux sociaux et en générant un effet de gamme constitué par la copie de trois produits, la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL se sont placées dans son sillage en profitant sans bourse délier de ses investissements et ont ainsi commis des actes distincts de parasitisme. Elle en déduit une aggravation du préjudice causé par la contrefaçon, une atteinte à son image et une dilution supplémentaire de l’exclusivité et de l’attrait de ses créations.

a 22



En réplique, la SARL TOURNESOL, qui précise ne pas être concernée l'utilisation par

d’un écrin rouge, conteste la réalité d’un effet de gamme.

Pour sa part, la SARL MVCL conteste le caractère distinct des faits invoqués et souligne l’identité des réparations sollicitées. Déniant utiliser des écrins rouges, elle souligne les différences entre ceux photographiés par les huissiers et celui que promeut la SAS SOCIETE CARTIER. Elle conteste enfin tout effet de gamme et toute atteinte à l’image de cette dernière.

Appréciation du tribunal

En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 (devenus 1240 et 1241) du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation,

l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s’apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

L’action en concurrence déloyale, qui échappe aux règles spéciales régissant l’action en contrefaçon qui sanctionne une atteinte à un droit réel privatif, ne peut être invoquée cumulativement à cette dernière qu’en présence d’un fait dommageable fautif distinct du comportement constitutif de la contrefaçon (en ce sens arrêt n° 01-14.214 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 juin 2003 : « Attendu que pour condamner

[les sociétés défenderesses, la cour d’appel retient] que le fait de mettre sur le marché des modèles contrefaisant en tout point identiques à ceux que commercialisait [la demanderesse] constitue de la part des [défenderesses] un comportement fautif aggravé par le fait qu’a été copié le modèle de leur ancien client; attendu qu’en statuant par ces motifs impropres à caractériser des faits de concurrence déloyale distincts de la reproduction de modèle ayant donné lieu à condamnation du chef de contrefaçon, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »). La sanction du cumul de demandes indemnitaires fondées sur des faits identiques au titre de la responsabilité délictuelle n’est pas, à la différence de celle des actions fondées cumulativement sur les responsabilités contractuelle et délictuelle, l’irrecevabilité des deux demandes mais uniquement de celle des deux qui est présentée à titre complémentaire.

La SAS SOCIETE CARTIER invoque, outre la commercialisation de copies serviles déjà sanctionnée au titre de la contrefaçon, la création d’un effet de gamme, l’utilisation d’un écrin particulier, la pratique d’un prix dérisoire et une promotion dite intensive. Ces faits sont par nature distincts de ceux examinés au titre de la contrefaçon dont ils ne relèvent pas.

Cependant, la vente de deux types de bracelets, dont l’un décliné en deux versions, est largement insuffisante pour constituer un effet de gamme qui suppose une série numériquement plus importante de produits comparables. Et, rien ne démontre que les prix

A 23


pratiqués par la SARL MVCL ne soient pas adaptés à la nature et à la qualité des produits qu’elle vend : s’ils apparaissent dérisoires comparés à ceux de la SAS SOCIETE CARTIER, ils ne le sont pas relativement aux biens commercialisés. Or, la pratique d’un prix moindre n’est pas en soi condamnable. Enfin, la seule présentation, sans renfort publicitaire, des bracelets litigieux en vitrine d’un unique salon de coiffure au rayonnement local ainsi que sur la page Facebook présentant ce dernier qui, au regard du très faible nombre de mentions d’internautes, apparaît peu consultée, ne peut s’analyser en une promotion « intensive », l’acte de promotion étant alors en tant que tel un accessoire de la commercialisation déjà sanctionnée au titre de la contrefaçon.

Demeure l’usage d’un écrin rouge. L’attestation produite en pièce 19 par la SAS SOCIETE CARTIER étant, comme la facture, les bracelets et l’écrin produits en pièces 20 à 23, sans valeur pour les raisons déjà exposées, la seule pièce qui révèle l’utilisation d’un écrin rouge est le procès-verbal de constat du 15 juin 2016. Or, ce dernier est très majoritairement masqué par le bijou qu’il supporte et n’est pas suffisamment visible pour asseoir une comparaison utile avec celui qu’utilise la SAS SOCIETE CARTIER.

En conséquence, aucun fait distinct de parasitisme n’étant démontré et le préjudice allégué se confondant de surcroît avec les économies d’investissement et l’atteinte à l’image déjà réparés au titre de la contrefaçon, les demandes de la SAS SOCIETE CARTIER au titre de la concurrence déloyale parasitaire seront intégralement rejetées.

4°) Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, la SARL TOURNESOL, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, et la SARL MVCL seront condamnés in solidum supporter les entiers dépens de l’instance.

La résistance injustifiée de la SARL TOURNESOL étant la cause exclusive de la complexification et de l’allongement du délai de traitement de la procédure et ainsi de l’augmentation des frais de représentation, rien ne justifie en équité que la SARL MVCL, qui a immédiatement reconnu sa responsabilité, supporte cet accroissement des frais au titre des frais irrépétibles. Aussi, la SARL TOURNESOL sera condamnée à payer à la SAS SOCIETE CARTIER et à la société CARTIER INTERNATIONAL AG les sommes de 5 000 euros chacune, in solidum avec la SARL MVCL à hauteur de 1 500 euros pour chacune d’elle, toutes deux devant en outre rembourser in solidum à la société CARTIER INTERNATIONAL

AG et la SAS SOCIETE CARTIER les frais des procès-verbaux de constat des 14 et 15 juin 2016 ainsi que ceux afférents à la procédure de saisie-contrefaçon, ces frais entrant dans les frais irrépétibles et non dans les dépens puisque ces actes ne sont pas afférents à l’instance au sens de l’article 695 du code de procédure civile.

Compatible avec la nature et la solution du litige et nécessaire au regard de son ancienneté, l’exécution provisoire du jugement sera ordonnée en toutes ses dispositions conformément à l’article 515 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition par le greffe le jour du délibéré,

Rejette les fins de non-recevoir opposées par la SARL TOURNESOL tant au titre du droit

d’auteur qu’à celui de la contrefaçon de marque ;

Rejette les demandes de la SARL TOURNESOL tendant à la nullité des procès-verbaux de constat des 14 et 15 juin 2016, des ordonnances sur requête 16/00766 et 16/00767 et procès verbaux du 20 septembre 2016;

h 24



Requalifie la demande en nullité de l’attestation de madame X en contestation au fond de sa force probante ;

Dit qu’en commercialisant entre janvier 2014 et le 21 septembre 2016 des bracelets reproduisant servilement la combinaison des caractéristiques originales des bracelets < Juste un clou »>, < Juste un clou diamants » et « Love quatre diamants » à l’endroit desquels la SAS SOCIETE CARTIER est titulaire des droits d’auteur, la SARL TOURNESOL, en sa qualité de fournisseur, et la SARL MVCL, en sa qualité de revendeur, ont concurremment commis des actes de contrefaçon au préjudice de cette dernière ;

Condamne en conséquence in solidum la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL à payer à la SAS SOCIETE CARTIER la somme de SIX MILLE EUROS (6 000 €) en réparation du préjudice par leurs actes de contrefaçon de droits d’auteur ;

Rejette la demande reconventionnelle en nullité de la marque n° 892848 présentée par la

SARL TOURNESOL ;

Dit qu’en apposant sur des bracelets, produits identiques à ceux visés en classe 14 à l’enregistrement de la marque n° 892848 dont est titulaire la société CARTIER INTERNATIONAL AG, un signe figuratif identique à celui constituant cette marque pour promouvoir et commercialiser ces derniers, la SARL TOURNESOL et SARL MVCL ont concurremment commis à son préjudice des actes de contrefaçon ;

Condamne en conséquence in solidum la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL à payer à la société CARTIER INTERNATIONAL AG la somme de CINQ MILLE EUROS (5 000 €) en réparation du préjudice causé par leurs actes de contrefaçon de marque ;

Interdit à la SARL TOURNESOL et à la SARL MVCL, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée pendant un délai de 6 mois courant à compter de la signification du jugement, de reproduire ou représenter, de fabriquer, d’importer et de commercialiser des bracelets reproduisant la combinaison des caractéristiques originales des bracelets < Juste un clou »>, «< Juste un cou diamants » et « Love quatre diamants » de la SAS SOCIETE

CARTIER ;

Se réserve la liquidation de l’astreinte;

Rejette les demandes complémentaires de destruction et de publication judiciaire présentées par la SAS SOCIETE CARTIER et la société CARTIER INTERNATIONAL AG;

Rejette l’intégralité des demandes de la SAS SOCIETE CARTIER au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

Rejette la demande indemnitaire de la SARL TOURNESOL contre la SARL MVCL ;

Rejette la demande de la SARL TOURNESOL au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL TOURNESOL à payer à la SAS SOCIETE CARTIER et à la société CARTIER INTERNATIONAL AG les sommes de CINQ MILLE EUROS (5 000 €) chacune, in solidum avec la SARL MVCL à hauteur de 1 500 euros pour chacune d’elle en application de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne in solidum la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL à rembourser in solidum à la société CARTIER INTERNATIONAL AG et la SAS SOCIETE CARTIER, chacune pour la part lui revenant, les frais des procès-verbaux de constat des 14 et 15 juin 2016 ainsi que ceux afférents à la procédure de saisie-contrefaçon conformément à l’article 700 du code de procédure civile; vi

25



Condamne in solidum la SARL TOURNESOL et la SARL MVCL à supporter les entiers dépens de l’instance;

Ordonne l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions. signé par Daniel BARLOW, Premier vice-président et par Christine DEGNY, Greffier présent au prononcé.

LE PRI SIDENT LE GREFFIER ни

Pour copie certifiée conforme

18 SEP. 2020 Nanterre, le

IA le greffier IC RE DE D JU

26


1. A B C D

6 Mi

11 u..

14 be

16 a.

17 a b m

a

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance de Nanterre, 21 novembre 2019, n° 16/12449